ANNEXE 1 

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

– ANNEXE 1 –

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS *

I – Audition de M. Robert COMÈS, Directeur du LURE

– mercredi 15 décembre 1999 *

II –Auditions de M. Yves PETROFF, Directeur général de l’ESRF, de M. Hervé ARRIBART (Groupe Saint Gobain) et des représentants du CEA

– mercredi 22 décembre 1999 *

III –Audition de l’Intersyndicale du LURE et de M. Vincent MIKOL, Directeur de recherche Aventis

– mercredi 12 janvier 2000 *

IV – Auditions de M. Jochen SCHNEIDER, Directeur du Hasylab (Hambourg), de M. Pierre PAPON, Président de l’OST et de M. René PELLAT, Haut commissaire à l’énergie atomique

– mercredi 19 janvier 2000 *

V - Auditions de M. Jean-Pierre CHANGEUX, de M. Yves FARGE

et de M. Claude COHEN-TANNOUDJI

– mercredi 26 janvier 2000 *

VI – Auditions de M. Jacques FRIEDEL, de M. Paul-Henri REBUT,

et de M. Edouard BREZIN et Mme Catherine BRÉCHIGNAC

– mercredi 2 février 2000 *

VII - Auditions de M. Niels MARTENSSON, directeur du Max Lab, et des représentants de la Société Française de Physique, de la Société Française de Biologie

et de Biochimie moléculaire et de l’Association Française de Cristallographie

– mercredi 9 février 2000 *

VIII - Auditions des représentants du LURE, de M Philippe LAREDO,

de M. Paul CLAVIN et de M. Jean-Claude LEHMANN

– mercredi 23 février 2000 *

IX – Auditions de M. Vincent COURTILLOT, de M. Pascal COLOMBANI, et de M. Giorgio MARGARITONDO

– mercredi 1er mars 2000 *

I – Audition de M. Robert COMÈS, Directeur du LURE – mercredi 15 décembre 1999

Après les avoir invités à se présenter, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a remercié les membres du groupe de travail pour leur concours à la réalisation du rapport sur les conditions techniques d’implantation du projet de synchrotron SOLEIL, confié à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques par le Bureau de l’Assemblée nationale saisi par le Groupe communiste.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a souligné à cet égard la demande de l’Office que les Rapporteurs élargissent leur étude à l’examen du rôle des très grands équipements dans la recherche publique et privée.

En tout état de cause, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, approuvé par M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur a estimé indispensable d’adopter une démarche rigoureuse et de traiter la problématique d’ensemble en répondant successivement à un ensemble de questions fondamentales. Qu’est-ce qu’un synchrotron ? La recherche française a-t-elle besoin d’un nouvel équipement de cette nature ? Un nouveau synchrotron doit-il nécessairement être implanté en France ou peut-on se satisfaire d’accéder à des moyens implantés à l’étranger ?

Un nouveau synchrotron plurinational serait-il suffisant pour satisfaire les besoins de plusieurs pays ? Si, enfin, il est démontré qu’un nouveau synchrotron est nécessaire sur le sol français, le cadre fixé par l’avant-projet SOLEIL répond-il toujours aux besoins actuels ?

M. Pierre POINTU, membre du groupe de travail, a fait alors connaître son accord avec cette problématique et a insisté sur la dynamique créée par les très grands équipements. Il y a donc nécessité absolue de mesurer et de comparer, avant la prise de décision, l’impact scientifique, économique et sociologique de chacune des solutions envisageables.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a alors souligné que l’objectivité est indispensable à la crédibilité des futures recommandations du groupe tant auprès du monde scientifique qu’auprès du Gouvernement. M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a fait sienne cette position, en précisant qu’il ne saurait toutefois " cacher son espérance " quant aux conclusions du rapport.

La réunion s’est poursuivie par l’audition de M. Robert COMÈS, Directeur du LURE.

Après avoir brièvement rappelé les principales étapes de sa carrière, M. Robert COMÈS a indiqué qu’un synchrotron est certes un équipement coûteux mais aussi qu’il est aussi un équipement banal, puisqu’il en existe une soixantaine dans le monde, dont une trentaine de haut niveau répartis à peu près également en Asie, en Europe et en Amérique.

Le développement de ce type de grand équipement repose sur les avantages exceptionnels du rayonnement synchrotron. Parmi ceux-ci, il faut citer d’une part la large gamme de longueurs d’onde produites simultanément, qui permet à chaque utilisateur d’un synchrotron de sélectionner celle adaptée à l’expérience qu’il conduit, sans préjudice de celles nécessaires aux autres utilisateurs, d’autre part l’intensité et la concentration du rayonnement émis selon un pinceau très fin, ce qui permet une excellente définition d’images obtenues si nécessaire à partir d’échantillons de taille réduite, et, enfin, la pulsation du rayonnement qui ouvre la voie à l’étude de systèmes en évolution rapide, comme des réactions chimiques.

Trois générations de synchrotrons sont classiquement distinguées. La première génération date des années 1960 et 1970 et correspond aux installations dérivées de la physique des particules, comme le DCI d’Orsay. La deuxième génération correspond aux installations conçues et construites dans les années 1980 spécifiquement pour la production de rayonnement synchrotron, comme le Super-ACO d’Orsay. Les synchrotrons de troisième génération datent des années 1990 et se caractérisent par la production de rayonnement non seulement dans les aimants de courbure mais aussi dans les onduleurs et les " wigglers " insérés dans les sections droites de l’anneau de stockage.

Compte tenu de la topographie des lieux, les installations du LURE, selon M. Robert COMÈS, ne pourraient que très difficilement être modernisées. En tout état de cause, le coût des installations actuelles d’Orsay, accélérateur et les deux synchrotrons DCI et Super ACO, ramené en pourcentage du PIB de leur date de construction serait très supérieur au coût d’un projet comme SOLEIL, à savoir deux milliards sur 8 ans, coûts de personnel et début de fonctionnement compris.

M. Robert COMÈS a ensuite indiqué que la vocation d’un synchrotron comme ceux du LURE est principalement la recherche fondamentale. En effet, la part de la recherche industrielle y atteint, dans le meilleur des cas, 10 % du total.

S’agissant des travaux de recherche fondamentale réalisés au LURE, leur répartition par discipline est de 47 % pour la physique, de 27 % pour la chimie et de 16 % pour la biologie et l’environnement, ce qui est comparable à ce que l’on observe dans d’autres pays.

Quant à la durée annuelle d’exploitation des installations du LURE, elle est obérée par deux facteurs. En premier lieu, l’ancienneté des équipements oblige à des opérations de maintenance fréquentes et relativement longues, en moyenne une semaine tous les deux mois, à quoi s’ajoutent deux mois d’arrêt en hiver et un mois en août. En second lieu, les contraintes budgétaires rendent difficile l’augmentation de la durée de fonctionnement des installations, car elle s’accompagnerait d’une croissance de dépenses en électricité déjà lourdes (7 à 8 millions de francs par an) et d’une augmentation des rémunérations et des effectifs du personnel difficile à mettre en œuvre.

A cet égard, M. Robert COMÈS a souligné que les contraintes de statut des personnels compliquent mais ne rendent pas impossible le paiement de primes au personnel ingénieurs et techniciens, en cas de travail de nuit. Ainsi les installations du LURE fonctionnent 24h sur 24 du lundi matin au samedi matin, y compris les jours fériés.

Avec 1800 utilisateurs par an, les installations du LURE reçoivent 900 demandes d’accès par an, se traduisant par des projets de recherche dont 600 sont acceptés par le comité de programme et 400 donnent lieu à des publications.

L’accès au synchrotron est gratuit pour les travaux destinés à publication, les frais de déplacement des chercheurs étant pris en charge par le LURE pour une dépense annuelle de 2 millions de francs. Un financement annuel de 5 à 6 millions de francs par le programme " Accès aux grandes installations " de l’Union européenne couvre par ailleurs la redevance d’utilisation pour les autres chercheurs européens. Au contraire, l’accès au Lure pour des travaux de recherche dits " propriétaires ", c’est-à-dire à usage privé ne faisant pas l’objet d’une publication, est facturé 40 000 francs par jour.

Pour M. Gilles COHEN-TANNOUDJI, il apparaît ainsi clairement qu’il n’y a pas lieu d’opposer les dépenses d’investissement dans un synchrotron à des dépenses de soutien aux laboratoires. En effet, " un synchrotron est un soutien aux laboratoires ".

M. Robert COMÈS a ensuite confirmé l’intérêt du LURE, en tant que " dernière machine de basse énergie produisant des grandes longueurs d’onde ", dont les utilisateurs proviennent non seulement de France, mais aussi d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Italie qui disposent pourtant de leurs propres synchrotrons.

Par ailleurs, selon M. Robert COMÈS, les comparaisons financières faites entre les différents synchrotrons en fonctionnement ou entre les différents projets actuels, ne sont pas toujours faites avec la rigueur indispensable. En effet, dans certains cas, les coûts d’investissement et de fonctionnement ne sont pas consolidés par incorporation de toutes les ressources (notamment aux Etats-Unis).

Au vrai, la seule méthode envisageable est celle des coûts consolidés, tant pour le chiffrage des investissements que pour celui des dépenses de fonctionnement. A cet égard, le budget consolidé du LURE s’élève en moyenne à 150-160 millions de francs par an et ne peut être mis en parallèle avec ceux d’autres laboratoires qu’à condition d’inclure dans leur budget l’ensemble de leurs dépenses de personnel et de fonctionnement, y compris, par exemple le coût de l’électricité (7 à 8 millions de francs par an au LURE).

En réponse à M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, s’enquérant de l’impact d’une installation comme le synchrotron sur le progrès scientifique, M. Robert COMÈS a fait valoir que les percées dans le domaine de la recherche résultent le plus souvent de progrès techniques comme ceux réalisés grâce aux synchrotrons.

M. Vincent MIKOL a précisé que le rayonnement synchrotron a seul permis l’élucidation de la structure de certaines protéines. C’est de fait grâce aux synchrotrons que l’on a pu découvrir la structure de la protéase du virus du Sida, ce qui a permis de développer l’anti-protéase utilisée dans les thérapies nouvelles. De même, certains vaccins contre la grippe sont fondés sur un blocage du virus que l’on a pu mettre au point grâce à la connaissance de la structure de ce dernier.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, s’étant interrogé sur les synchrotrons du futur, M. Robert COMÈS a spécifié que les synchrotrons de 4ème génération, s’ils font l’objet d’études conceptuelles, ne sont pas encore testés. Au demeurant, il s’agira vraisemblablement d’équipements plus complémentaires que substituables aux synchrotrons de 3ème génération, leur haute brillance obligeant à un fonctionnement discontinu et à des analyses destructives. De même, un synchrotron de 3ème génération n’apparaît pas concurrencé par le laser MegaJoule, qui ressort d’un tout autre domaine scientifique.

Enfin, un grand équipement comme un synchrotron de 3ème génération ne se substitue pas aux appareils de laboratoire et renforce au contraire les besoins en équipements propriétaires, du fait des expérimentations préparatoires ou subséquentes à celles réalisées sur un synchrotron.

Selon M. Pierre POINTU, le rayonnement synchrotron permet d’aller plus loin dans la compréhension des structures, par exemple pour la biologie, ou dans celle des semi-conducteurs pour les microprocesseurs. Il constitue un perfectionnement supplémentaire, par rapport aux tubes à rayons X, qui eux-mêmes firent progresser la connaissance des alliages métalliques et autorisèrent des progrès substantiels en métallurgie, avec comme application particulière les turbines aéronautiques. D’une manière générale, le gain de nombreux ordres de grandeur en intensité pour l’exploration de la matière ouvre de nouveaux champs de connaissance et d’application.

Abordant la question de la localisation optimale d’un synchrotron, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a alors lancé un débat sur le rôle que les technologies de l’information et de la communication pourraient jouer pour faciliter l’accès à un synchrotron. Pour le moment, la présence physique des chercheurs sur le site d’un synchrotron apparaît indispensable. Comme l’a souligné M. Jean GALLOT, la complexité des techniques mises en œuvre exige des décisions de l’expérimentateur, à chaque pas d’une expérience de recherche fondamentale.

M. Vincent MIKOL a toutefois noté que l’envoi d’échantillons pour les manipulations de routine effectuées par les permanents de l’installation était d’ores et déjà possible aux Etats-Unis et a souhaité la mise au point de telles prestations en France.

S’agissant de la coopération entre chercheurs, M. Robert COMÈS a confirmé que celle-ci est notablement renforcée par l’exploitation commune d’un synchrotron. En effet, d’une part, la présentation au comité de programmes des projets de recherche bien argumentés et le plus souvent pluridisciplinaires est nécessaire pour accéder à la machine, et, d’autre part, la présence conjointe des chercheurs résidents et des utilisateurs extérieurs autour d’un synchrotron pour les sessions d’expérimentation donne naissance à des échanges les plus souvent informels mais intenses.

A cet égard, M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a insisté sur le rôle structurant d’installations comme les synchrotrons. Ainsi que plusieurs sociétés savantes l’ont relevé, dont la Société Française de Physique, d’une part des communautés scientifiques se construisent autour des grands équipements, et, d’autre part, la proximité des chercheurs et la bonne circulation de l’information permettent le repérage et le développement accéléré de disciplines émergentes.

Au surplus, comme l’a indiqué M. Robert COMÈS, les personnels ITA (ingénieurs, techniciens, administratifs), de même que les chercheurs permanents du LURE, font preuve d’une mobilité supérieure à la moyenne du CNRS, la moitié d’entre eux ayant changé d’affectation en dix ans et ayant ainsi apporté à d’autres laboratoires leurs connaissances acquises au LURE dans le domaine des techniques de pointe.

Répondant à une question de M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, sur l’impact économique du LURE, M. Robert COMÈS a précisé que les dépenses annuelles de fonctionnement hors salaires s’élèvent à 50 millions de francs par an, dont 40 millions vont aux entreprises de la zone économique d’Orsay. De surcroît, dans le sillage du LURE, opèrent une société de haute technologie spécialisée dans la mise en forme du rayonnement électromagnétique et commercialisant ses matériels dans le monde entier, ainsi que différents bureaux d’étude bénéficiant indirectement du savoir-faire des équipes du LURE et de commandes pour la maintenance et la jouvence de ce dernier.

Sur le rôle d’entraînement des grands équipements, M. Vincent MIKOL a estimé que la présence du génopôle d’Evry a décidé Rhône Poulenc Rorer, aujourd’hui Aventis, à y implanter son laboratoire de recherche en génomique. Dans le cas contraire, cette entreprise, fortement internationalisée au niveau de ses unités tant de production que de recherche, aurait choisi de s’implanter aux Etats-Unis. Or la prochaine étape de la recherche sur le génome sera, selon toute probabilité, la génomique structurale. D’où l’importance de voir la France se doter d’un synchrotron moderne pour consolider le génopôle d’Evry, sauf à assister au transfert à l’étranger de structures de recherche initialement implantées en France.

Au vrai, le choix d’un investissement de recherche repose bien sûr sur les perspectives offertes par le développement technologique considéré et les promesses d’applications. Mais le choix de sa localisation dépend étroitement de l’environnement intellectuel et des ressources en équipements expérimentaux des zones en concurrence.

Une discussion s’est ensuite engagée sur le projet SOLEIL et ses principales innovations.

M. Robert COMÈS a chiffré le coût consolidé de construction de SOLEIL à 1,490 milliard de francs. Ce montant recouvre d’une part 1,064 milliard de francs pour l’investissement proprement dit, et, d’autre part, 68,44 millions de francs pour les dépenses de fonctionnement et 357 millions de francs pour les salaires, pour la période allant de l’année n de démarrage à l’année n+4.

Pour la période allant de l’année n+5 à l’année n+8, date d’achèvement de la construction, le coût total consolidé d’exploitation de SOLEIL s’élève à 533,37 millions de francs.

En régime de croisière, c’est-à-dire une fois la construction achevée en année n+8, le coût annuel d’exploitation de SOLEIL est de 220 millions de francs par an, dont 30 millions d’investissement pour la modernisation permanente de l'installation, 70 millions de dépenses de fonctionnement et 120 millions de francs pour la rémunération des personnels.

A cet égard, M. Robert COMÈS a réaffirmé qu’en prenant des méthodes de calcul identiques à celle utilisée pour le projet SOLEIL, le coût d’investissement à la charge de la France dans le projet DIAMOND atteint 600 millions de francs, soit près du double du montant rendu public par le ministère. Au reste, pour maintenir le LURE en fonctionnement, ainsi que pour acquérir et exploiter le tiers des lignes de lumière de DIAMOND, la dépense atteindra celle de SOLEIL, avec pour contrepartie des prestations largement inférieures.

S’agissant des caractéristiques techniques du projet SOLEIL, dont certaines peuvent sembler en retrait par rapport à celle de l’ESRF, M. Robert COMÈS a expliqué qu’au moment de la conception de ce dernier, les faibles longueurs d’ondes correspondant aux rayons X " durs " ne pouvaient être obtenues que par des machines de forte énergie. Depuis lors, il est possible de produire des faisceaux de très courtes longueurs d’onde (X " durs ") avec des machines d’énergie moyenne grâce à des entrefers d’aimants plus réduits dans les onduleurs des sections droites, ce qui conduit à un déplacement vers des longueurs d’onde plus faibles.

En conséquence, le projet SOLEIL, avec une puissance de 2,5 GeV peut couvrir des longueurs d’onde très faibles, ce qui justifie dans une certaine mesure que cette machine soit qualifiée par ses partisans de synchrotron " universel ", sans pour autant faire double emploi avec l’ESRF. En toute hypothèse, ainsi que l’a indiqué M. Gilles COHEN-TANNOUDJI, il ne s’agit pas de refaire l’ESRF avec SOLEIL mais de bénéficier des connaissances acquises avec l’ESRF pour déployer tout le spectre de longueur d’onde avec une énergie modeste, c’est-à-dire à moindres coûts.

S’il fallait émettre une réserve sur les choix faits pour le projet SOLEIL, qui se caractérise par 24 lignes de lumière - dont 16 résultant de dispositifs d’insertion implantés sur des sections droites - accessibles 5500 heures par an, ce serait, selon M. Robert COMÈS, pour regretter dans l’architecture actuelle, le nombre relativement insuffisant de sections droites, qui, comme on le sait, délivrent le rayonnement synchrotron le plus performant.

Sur le sujet des besoins en rayonnement synchrotron dont les Rapporteurs ont à nouveau souligné qu’il est essentiel, M. Robert COMÈS a rappelé que, jusqu’ici, les demandes d’accès ont cru plus rapidement que prévu.

En conséquence, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a émis l’idée selon laquelle l’une des conclusions du rapport pourrait bien être, après des réflexions complémentaires, que le Royaume-Uni et la France ont l’un comme l’autre besoin de leur propre synchrotron national.

Pour M. Robert COMÈS, il apparaît clair, en tout état de cause, que le projet SOLEIL d’une part n’est pas à l’échelle européenne et d’autre part ne participe pas de la catégorie habituelle des très grands équipements, au sens budgétaire du terme. Il s’agit au contraire d’un équipement de catégorie intermédiaire, répondant à une demande d’utilisateurs multiples dont les besoins doivent être pris en compte au plus près dans la définition de la machine.

Selon M. Pierre POINTU, le questionnement sur l’existence d’un marché et de besoins revêt une importance primordiale dans toute décision d’investissement de cette importance. Toutes les analyses et les informations jusqu’ici rassemblées concordent sur la croissance de la demande d’accès au rayonnement synchrotron. Les utilisateurs potentiels appartiennent tant à des laboratoires publics qu’à la recherche industrielle. Les disciplines concernées vont des sciences de la matière, par exemple les semi-conducteurs, aux sciences de la vie, par exemple la recherche pharmaceutique. Au reste, un synchrotron n’a pas pour objet principal de servir la haute recherche fondamentale et la découverte d’un paradigme universel mais de constituer un nouveau moyen technique au service de la recherche intermédiaire ou pré appliquée.

Pour conclure, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a remarqué qu’un accord bilatéral entre la France et le Royaume-Uni, comme celui qui est en cours de négociation, pourrait prendre différentes acceptions et nécessite en réalité une réflexion globale.

S’il s’agit pour le moment de négocier une prise de participation de la France dans une machine située à Manchester ou à Oxford, la coopération bilatérale pourrait aussi prendre la forme de la construction simultanée d’un synchrotron dans chacun des deux pays, avec une complémentarité choisie d’emblée pour atteindre une meilleure performance d’ensemble.

A cet égard, M. Robert COMÈS, Directeur du LURE, a remarqué qu’en l’état actuel des choses, le projet SOLEIL de 2,5-2,7 GeV et le projet DIAMOND de 3 GeV diffèrent déjà par leurs niveaux d’énergie mais que d’autres complémentarités pourraient également être trouvées.

Ainsi, par d’autres voies que celle de la participation au projet DIAMOND, pourrait être obtenu le renforcement mutuel des laboratoires français et anglais, considéré comme un objectif prioritaire par le ministère de la recherche.

II –Auditions de M. Yves PETROFF, Directeur général de l’ESRF, de M. Hervé ARRIBART (Groupe Saint Gobain) et des représentants du CEA – mercredi 22 décembre 1999

Après avoir remercié les membres du groupe de travail ainsi que les représentants des organismes invités pour leur participation à la préparation du rapport de l’Office sur les conditions d’implantation d’un nouveau synchrotron, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur et M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, ont donné la parole à M. Yves PETROFF, Directeur général de l’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility).

Ainsi que l’a exposé M. Yves PETROFF, l’ESRF connaît un succès remarquable et croissant dans la communauté scientifique, avec ses 3100 utilisateurs en 1999 opérant sur ses 44 stations expérimentales simultanées à raison de 5600 heures par an.

Construit pour un coût total de 3,6 milliards de francs 1987 sur la base d’une convention internationale à laquelle les principaux pays européens sont parties prenantes, l’ESRF délivre un rayonnement d’une brillance dix milliards de fois supérieure à celle d’un tube à rayons X, dépassant ainsi d’un facteur 300 son objectif initial.

Sur un plan scientifique, l’ESRF a rendu possible des avancées scientifiques importantes, comme, par exemple, l’étude de l’hydrogène et de la glace sous des pressions très élevées (1,7 million d’atmosphères), la structure du nucléosome ou de virus de taille importante.

Parmi les développements les plus rapides des technologies liées au synchrotron ESRF, M. Yves PÉTROFF a cité la réalisation d’études dynamiques de systèmes évolutifs ou d’études structurales en trois dimensions, ainsi que l’imagerie par rayons X.

Pour autant, la croissance des débouchés remarquée de l’ESRF ne signifie pas que tout nouveau synchrotron doive en emprunter les caractéristiques. Pour M. Yves PETROFF, une spécialisation sur les rayons X à l’instar de celle retenue pour l’ESRF serait une aberration, dans la mesure où les rayons X mous et les rayons UV se prêtent particulièrement bien à l’étude de nombreux mécanismes physiques, en particulier les structures électroniques.

Globalement, le taux de retour sur l’investissement que constitue l’ESRF apparaît excellent pour la France. Alors que sa contribution représente 27,5 % du budget annuel, le temps d’accès au faisceau des équipes françaises représente 30 % du total, tandis que sur les 400 millions de francs de budget annuel, 300 millions sont effectivement dépensés en France.

Au final, l’ESRF rencontre l’intérêt, non seulement de la recherche publique mais aussi celui de l’industrie.

Selon les statistiques fournies par M. Yves PETROFF, les utilisations industrielles du rayonnement synchrotron à l’ESRF sont d’environ 20 % du temps de faisceau total. Dans la pratique, les laboratoires de l’industrie accèdent au faisceau dans le cadre de projets présentés au comité de programme en coopération avec des laboratoires publics.

De plus une trentaine de compagnies industrielles achètent directement du temps de faisceau. On note un fort accroissement de la demande : 800 heures en 1998 et environ 4000 heures prévues pour 2000.

L’ESRF est aussi en discussion avec un consortium de groupes pharmaceutiques européens pour créer un laboratoire industriel sur le site, dont le but serait la cristallogenèse et la résolution de structures en trois dimensions.

Au vrai, cet intérêt croissant de l’industrie pour l’ESRF s’inscrit dans la même évolution que celle observée aux Etats-Unis et au Japon, mais avec une différence considérable car les grandes entreprises industrielles ont pris à leur charge la construction de lignes de lumière aux synchrotrons de Berkeley et d’Argonne, aidées en cela par la déductibilité fiscale de tels investissements et des charges salariales plus faibles.

L’ESRF entend, pour sa part, répondre à la croissance de la demande industrielle en proposant des équipements et des prestations toujours mieux adaptés aux besoins en imagerie X et en recherches sur la structure des protéines.

Une des priorités de la direction est de réduire les temps d’accès aux installations, dans la mesure où l’industrie recherche des accès immédiats. En outre, la construction d’une ligne de lumière pour la microélectronique réservée à des usages industriels devrait être ouverte en 2000. Pour M. Yves PETROFF, si l’intérêt récent de l’industrie se confirme dans les années à venir et si la vente de temps de faisceau dépasse 10 % du total, il sera nécessaire de créer une structure commerciale indépendante.

Pour M. Yves PETROFF, la capacité à réagir vite est vitale dans la recherche contemporaine. Les contraintes d’une mise sur le marché rapide des produits s’ajoutent en l’occurrence à la réduction générale du délai de 10 à15 ans autrefois observé entre les découvertes de la recherche fondamentale et les applications pratiques, pour restreindre la durée des programmes de recherche.

La question de la structure juridique et du statut du personnel de l’ESRF a ensuite fait l’objet de questions et de précisions additionnelles.

S’agissant du mode de gestion de l’ESRF, M. Yves PETROFF a souligné qu’il s’agit d’une structure de droit civil dans laquelle les personnels à statut sont détachés. Les contraintes du LURE sont ainsi évitées, où le jeu des dispositions statutaires oblige au versement de primes pour travaux de nuit mais en plafonne le niveau à hauteur de 30 à 35 % du traitement de base, ce qui limite le nombre d’heures de fonctionnement à 3000-3500 heures par an. M. Yves PETROFF a souligné toutefois que si le ministre de la recherche était aussi efficace sur ce plan que le ministre des finances, le problème serait résolu immédiatement.

Au demeurant, Mme NENNER (CEA) a observé que l’avant-projet détaillé pour SOLEIL décalque les choix de l’ESRF. Ainsi, l’équipe de conception de SOLEIL a choisi de recourir à une société civile et a aussi préconisé le détachement des personnels à statut.

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La réunion s’est poursuivie par l’audition de M. Hervé ARRIBART, directeur de recherche au Groupe Saint Gobain. Dans ce groupe dont les dépenses de recherche et développement représente environ 2 % d’un chiffre d’affaires de 120 milliards de francs, l’utilisation de grands équipements comme le synchrotron n’est pas encore très répandue. Les études relatives aux propriétés optiques et aux revêtements des verres, dont la production représente près de 50 % de l’activité du groupe, donnent lieu à l’acquisition d’environ 10 jours par an de temps de faisceau au LURE et à l’ESRF. Ces travaux sont le plus souvent réalisés en collaboration avec des équipes du CNRS.

Quant à la recherche et développement sur les céramiques, un autre pôle important d’activités pour Saint Gobain, elle est effectuée aux Etats-Unis et ce sont alors les synchrotrons nord-américains qui sont utilisés, notamment pour l’analyse des motifs cristallins avec joints de grain relatifs aux matériaux réfractaires.

Un autre domaine d’application du rayonnement synchrotron pour Saint Gobain est celui de la vérification de matériaux comme les monocristaux utilisés dans certains détecteurs médicaux. Dans ce cas, le groupe Saint Gobain recherche un accès direct et le plus rapide possible à tout faisceau disponible.

Mais, d’une manière générale, l’industrie recourt à la collaboration de laboratoires publics pour mettre en œuvre le rayonnement synchrotron, afin d’une part de diminuer ses coûts et d’autre part de bénéficier de l’expertise méthodologique et expérimentale indispensable.

D’autres industriels des matériaux que Saint Gobain utilisent d’ores et déjà le rayonnement synchrotron. Au cours des entretiens Physique-Industrie qu’il a organisés, M. Hervé ARRIBART a ainsi pu relever que les temps de faisceau s’élèvent à 20-30 jours par an pour des entreprises métallurgiques comme Usinor et Péchiney, à 15 jours par an pour les cimentiers (Lafarge et Ciments français), les industriels du bois et la chimie des polymères.

Pour autant ces chiffres ne sauraient être considérés comme stables à l’avenir. M. Hervé ARRIBART a ainsi jugé de plus en plus intéressantes les possibilités offertes par les synchrotrons modernes en matière d’imagerie X, de tomographie et d’imagerie de surface. Il a observé un démarrage rapide de ces techniques, notamment sur les installations allemandes Bessy II de Berlin et italienne d’Elettra à Trieste.

Pour conclure, M. Hervé ARRIBART a noté que Saint Gobain n’échappe pas au mouvement d’internationalisation de la recherche observé dans de nombreux entreprises. Pour le moment, la recherche du groupe s’effectue en France pour les deux tiers et aux Etats-Unis pour le tiers restant. La base de la recherche de Saint Gobain est encore considérée comme française. Mais en l’absence de ressources accessibles en rayonnement synchrotron sur le territoire français, les expérimentations seraient basculées sans hésitation sur les Etats-Unis, précédant sans doute l’ensemble des ressources de recherche.

En l’occurrence, la disponibilité d’outils de premier plan est une nécessité pour fixer en France les laboratoires du groupe. Elle ne saurait toutefois suffire. Un groupe internationalisé comme Saint Gobain attend également une aide de la communauté scientifique française pour la mise en œuvre d’équipements de haut niveau comme les synchrotrons.

*

Le Commissariat à l’énergie atomique avait été invité à déléguer des représentants à l’audition afin qu’ils puissent expliciter les besoins de ce grand organisme de recherche en rayonnement synchrotron.

A ce titre, Mme Irène NENNER a remis aux Rapporteurs une note décrivant le rôle actuel et prévisible du rayonnement synchrotron au CEA, note jointe en annexe au présent compte rendu. On se bornera en conséquence dans la suite à résumer les idées principales évoquées par les intervenants et à retracer les échanges de vues entre les participants.

M. François GOUNAND, Directeur des sciences de la matière au CEA, a souligné que tous les départements du CEA opèrent sur des synchrotrons, que ce soit en France au LURE et à l’ESRF ou à l’étranger, en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Au total, la part du CEA dans les temps d’accès consommés par des équipes françaises atteint probablement le chiffre de 15 % du total national. Le mode d’accès choisi par le CEA est dans tous les cas celui du partenariat : partenariat avec l’industrie ou le CNRS et partenariat dans l’utilisation de lignes de lumière partagées par plusieurs utilisateurs.

Pour M. François GOUNAND, au vu de leur fonctionnement, les synchrotrons, toujours partagés par de nombreux utilisateurs différents, apparaissent clairement comme des " users’ facilities ", c’est-à-dire des équipements au service des utilisateurs. D’autres équipements ressortissent d’ailleurs de la même catégorie : les sources de neutrons comme Orphée.

Mais, en tout état de cause, ces installations n’ont rien de commun avec les très grands équipements classiques que sont les accélérateurs pour la physique des particules ou les satellites.

Hors ESRF, les besoins du CEA en rayonnement synchrotron de 3ème génération s’élèvent pour l’avenir à 4 lignes de lumière équivalent temps plein (5000 heures), le tout sur une quinzaine de lignes instrumentées différemment les unes des autres. En matière de longueurs d’onde, les deux tiers des besoins portent sur les rayons X – X " durs " et le dernier tiers sur les X –UV voire IR. A ce total s’ajoute l’accès à un laser à électrons libres.

M. Charles MADIC a ensuite détaillé en quoi la direction du cycle du combustible du CEA compte sur le rayonnement synchrotron actuellement et pour l’avenir. Si l’amont du cycle, c’est-à-dire le procédé SILVA de séparation isotopique en cours de développement en vue de la préparation des combustibles nucléaires, n’a pas encore manifesté son intérêt pour cette technique, en revanche l’aval du cycle l’est particulièrement pour l’étude de la séparation des produits de fission et des actinides mineurs ainsi que pour celle du conditionnement optimal des déchets radioactifs et des cinétiques de dispersion des radioéléments.

Les équipes de la DCC utilisent une ligne à LURE spécialement équipée qui permet de travailler avec de la matière faiblement radioactive mais aussi la ligne dite " chaude " du synchrotron de Stanford aux Etats-Unis, ce qui est onéreux et oblige à résoudre des difficultés pratiques et administratives innombrables lors du transport transfrontière d’échantillons radioactifs.

Si la présence d’une ligne dite " tiède " à l’ESRF répond à certains besoins, tant le CEA en partenariat avec les industriels du nucléaire que le CNRS et la recherche universitaire, soit au total une quarantaine de laboratoires, appellent toutefois de leurs vœux la réalisation d’une ligne " chaude " en France.

M. Georges CHARPAK a pointé à cette occasion l’intérêt du rayonnement synchrotron pour l’étude des mécanismes relatifs aux radioéléments, en ce qu’il permet de ne manipuler que des quantités très faibles de ceux-ci. Ce sont bien les exploitants du nucléaire qui devront être sollicités pour le financement d’une ligne dite " chaude " sur tout projet de nouveau synchrotron.

M. Alain MATHIOT a ensuite présenté les besoins de la direction des technologies avancées du CEA. La plate-forme de Grenoble, constituée des laboratoires du Leti-CEA, de ST Microelectronics, du CNRS et des universités a acquis une importance mondiale, renforcée encore par l’ESRF. Si le rayonnement synchrotron ne paraît pas avoir de perspectives industrielles dans la production des microprocesseurs par lithographie à rayons X, en revanche il représente un outil d’analyse et d’imagerie indispensable et contribuera sans aucun doute au passage à la microélectronique quantique. En outre, le rayonnement synchrotron trouve des applications de première importance dans la métrologie, une arme économique de première importance pour les standards et les normes. Il a également souligné l’intérêt des techniques disponibles sur les synchrotrons de 3ème génération pour l’étude fine du comportement des matériaux et la mise au point de modèles permettant de prévoir leur évolution dans le temps, dans le cadre des programmes nucléaires qui sont au cœur de la mission du CEA, qu’il s’agisse de prolonger la durée de vie des centrales actuelles ou de définir celles du futur, plus sûres, plus fiables et plus économiques que les actuelles. Pour cette raison également, la disponibilité d’une ligne " chaude " en France est également importante.

M. Jean LACHKAR a ensuite explicité la demande en rayonnement synchrotron émanant de la direction des applications militaires (DAM) du CEA. De nombreuses expériences de validation des simulations relatives à la force de dissuasion font appel au rayonnement synchrotron. La DAM utilise actuellement deux lignes de lumière au LURE. A l’avenir, il faudra gagner en brillance pour ces expérimentations. Au surplus, l’étude des plasmas exigera également des temps d’accès plus importants. Les statuts de l’ESRF interdisant toute recherche à finalité militaire, la question est donc posée de nouvelles ressources pour le CEA pour ses recherches dans ce domaine.

M. VAN DER REST a complété le panorama des besoins du CEA en retraçant ceux de la direction des sciences du vivant de ce même organisme. Le rôle du rayonnement synchrotron dans les études structurales des protéines est en croissance forte, avec une collaboration étroite entre la recherche publique et la recherche industrielle. Notant que l’Institut de biologie structurale, unité mixte CEA-CNRS a été implanté à Grenoble du fait de la présence de l’ESRF, M. VAN DER REST a également signalé les interactions fortes du CEA avec Bio Mérieux à Saclay, en liaison avec le LURE.

S’élevant en faux contre l’opinion selon laquelle les jours de la biologie structurale seraient derrière nous, M. VAN DER REST a au contraire estimé que la bioinformatique ne constitue pas la seule voie de progrès en matière de génomique. Au contraire, il est capital de reconnaître un grand nombre de structures de protéines. M. PETROFF a estimé à cet égard que les avancées obtenues par la bioinformatique seront sans doute lentes, en raison de la complexité de la modélisation de protéines à plusieurs centaines de milliers d’atomes.

M. Vincent MIKOL a abondé dans le même sens. Après l’âge pré-génomique où il s’est agi de décrire la structure d’une protéine, les sciences du vivant abordent l’ère post-génomique avec environ 140 000 nouvelles cibles. Selon toute probabilité, les structures des protéines seront brevetables. Une course de vitesse est donc engagée dans laquelle l’accès à des synchrotrons modernes et disponibles sans délai jouera un rôle déterminant.

Mme NENNER, en évoquant les besoins de la direction des sciences de la matière souvent en liaison avec d’autres directions du CEA et l’industrie, besoins centrés sur les interactions rayonnement-matière, la chimie, les matériaux et les nanostructures, a clos la présente évaluation. La physico-chimie de ces matériaux et les investigations sur leurs propriétés physiques font appel à un ensemble de méthodes d’analyse, aux premiers rangs desquelles figurent bien sûr la résonance magnétique nucléaire, la diffusion neutronique mais aussi le rayonnement synchrotron. A ce titre, tant l’ESRF que le LURE sont fortement sollicités et devraient l’être encore plus à l’avenir, ce qui pose la question de la continuité de l’accès à des machines et le problème du remplacement du LURE arrivé en fin de vie.

Pour conclure la réunion, M. René TRÉGOUËT a demandé aux participants de donner, en toute objectivité, leur recommandation sur l’avenir du rayonnement synchrotron en France.

M. Yves PETROFF a observé que la décision sur un nouveau synchrotron engage non seulement plusieurs milliards de francs mais aussi et surtout l’avenir de toute une communauté scientifique. En tant que telle, elle exige une instruction d’une qualité incontestable, ce qu’un examen par une commission de scientifiques qualifiés, comme aux Etats-Unis sur une question identique, aurait permis de réaliser, au contraire d’un rapport secret confié à une seule personne. Or il n’existe actuellement aucun projet détaillé et chiffré.

M. Yves PETROFF a par ailleurs estimé que, si une collaboration européenne doit être recherchée lorsqu’elle économise du temps et de l’argent, la solution DIAMOND, pour autant qu’on la connaisse avec suffisamment de détail, se traduira par un retard d’environ 3 ans par rapport au projet SOLEIL et par un coût équivalent à ce dernier. En particulier, les 350 millions de francs annoncés par le ministre pour la participation à DIAMOND lui paraissent totalement irréalistes. Selon toute probabilité, les lignes de lumière ont été oubliées dans le décompte. Toutefois les prestations seront au total sensiblement inférieures puisqu’aucune ligne de lumière complémentaire n’apparaît disponible en Europe, sauf une ou deux en Suisse.

M. Georges CHARPAK s’est dit, pour sa part, frappé par la difficulté de se forger une opinion tant les positions sont extrêmes sur ce dossier. Les économies que devrait permettre de réaliser la solution DIAMOND à hauteur de 500 millions de francs selon ses promoteurs, sont somme toute non négligeables. En tout état de cause, l’importance des écarts dans les chiffres produits par les uns et les autres impose que le groupe de travail débouche sur des résultats concrets et fiables.

M. Pierre POINTU a ensuite estimé que les solutions doivent être évaluées selon une méthodologie commune et incontestable, en mesurant leur impact scientifique mais aussi économique, à la fois sur un plan local et sur le plan national.

La question du financement de l’installation a ultérieurement été évoquée. Après avoir rappelé que, grâce à des dispositions fiscales adéquates, l’industrie américaine participe à la construction de lignes de lumière, M. Yves PETROFF a insisté sur l’urgence de remplacer le LURE.

Pour M. Gilles COHEN-TANNOUDJI, les progrès faits à l’ESRF sur les technologies des synchrotrons démontrent que ces équipements peuvent être optimisés et conçus à l’échelon national. Ce synchrotron remarquable semble en définitive la seule installation internationale.

Compte tenu de l’augmentation des besoins en rayonnement synchrotron, c’est bien au niveau national qu’il faut agir.

III –Audition de l’Intersyndicale du LURE et de M. Vincent MIKOL, Directeur de recherche Aventis – mercredi 12 janvier 2000

Après avoir souhaité la bienvenue aux membres de l’Intersyndicale du LURE, M. Christian CUVILLIEZ, Député, a rappelé que l’objet de son rapport avec M. René TRÉGOUËT, Sénateur, est d’examiner les conditions d’implantation en France d’un nouveau synchrotron, suite à la décision du ministre en charge de la recherche de ne pas mettre en œuvre le projet SOLEIL. Les auditions ont pour but de recueillir l’avis de la communauté scientifique.

Au point où en sont les travaux du groupe de travail, l’utilité du rayonnement synchrotron semble démontrée. Il reste à évaluer les conditions économiques et politiques de la mise en place de ressources additionnelles dans ce domaine.

A cet égard, on peut se demander si ces moyens nouveaux doivent être fournis par un ou deux nouveaux équipements, avec, comme possibilité envisageable dans ce dernier cas, la construction d’une nouvelle machine en France et d’une autre au Royaume Uni.

Au nom de l’Intersyndicale du LURE, M. Pierre LEBASQUE s’est attaché à préciser que le LURE (Laboratoire pour l’utilisation du rayonnement électromagnétique) ne saurait être assimilé à une " usine à photons ", c’est-à-dire à un simple fournisseur de temps de faisceau et d’instrumentation. Un laboratoire de rayonnement synchrotron ne peut non plus être remplacé par des lignes et du temps de faisceau accessibles dans un pays ou dans un autre, ainsi que le prévoit le véritable plan de dispersion prôné par le Directeur de la recherche. Il s’agit au contraire d’un ensemble indissociable d’équipements et d’équipes de recherche qui prennent en charge un éventail de missions diversifiées.

La première de celles-ci est bien entendu la production de rayonnement synchrotron, ce qui inclut la construction d’installations ainsi que le développement et la gestion de celles-ci. La deuxième mission correspond à l’accueil et à l’assistance fournie à un grand nombre de chercheurs extérieurs, 625 laboratoires venant utiliser cette source pour un nombre total de 1800 " runs " individuels par an. La troisième mission du LURE est la recherche dans divers domaines scientifiques qui n’appartiennent pas tous à la physique.

La présence au sein du LURE d’équipes compétentes permet un accueil actif et une assistance à forte valeur ajoutée aux utilisateurs externes. En effet, les travaux de développement de la source, de construction de lignes de lumière adaptées aux besoins et de mise au point des dispositifs expérimentaux assurés en interne, l’évolution et l’adaptation des modes d’exploitation des sources pour répondre aux besoins des scientifiques, témoignent d’une compétence exceptionnelle des personnels en matière de technologies des synchrotrons. Cette expertise assure la meilleure assistance aux utilisateurs et c’est elle qui a permis d’élaborer une proposition de nouvelle source, SOLEIL, destinée à répondre aux besoins de toutes les communautés utilisatrices. La compétence des équipes du LURE a aussi permis de réduire les coûts et les délais de mise au point du projet SOLEIL.

SOLEIL n’est pas un nouveau laboratoire à construire " quelque part ". C’est une nouvelle source destinée à remplacer les sources actuelles du laboratoire LURE, pour lui permettre de continuer d’assurer sa mission, avec des performances du meilleur niveau.

Par ailleurs, la présence au LURE de chercheurs de toutes les disciplines favorise les échanges de connaissances scientifiques et le transfert de méthodes expérimentales de pointe à l’ensemble des laboratoires utilisateurs. Sur ce dernier point, un débat s’est engagé entre M. LEBASQUE et M. Georges CHARPAK sur la possibilité effective pour un pays de construire un synchrotron, sans expérience, sans connaissances techniques préalables et sur un site entièrement nouveau. Une question qui s’est posée à cet égard, selon M. CHARPAK, est de savoir s’il eût été pertinent d’implanter SOLEIL, au cas où sa construction avait été décidée, dans une région française autre que l’Ile de France où se trouve le LURE ou que Rhône-Alpes où figure l’ESRF.

Ainsi que l’a observé M. LEBASQUE, on constate effectivement que tous les pays qui disposent de synchrotrons de deuxième génération ont choisi d’ériger un nouvel équipement de 3ème génération à proximité immédiate du précédent. Les pays nouvellement possesseurs de synchrotrons comme la Suisse, qui n’avait pas d’antécédents dans ce domaine, s’appuient quant à eux sur leur expertise en physique des particules, en particulier dans le domaine des accélérateurs. Ainsi, dans le cas de la Confédération helvétique, le synchrotron SLS en construction se trouve au sein du Paul Scherrer Institut à Villigen, à côté de la source de protons existante.

Ainsi que l’ont souligné Mme Dominique CHANDESRIS et M. Vincent MIKOL, d’une part l’expérience acquise dans un tel domaine de pointe, et, d’autre part, la construction d’un nouveau synchrotron sur un site qui en possède déjà un, ne sont certes pas obligatoires mais permettent de diminuer les coûts.

M. LEBASQUE a alors poursuivi son exposé en précisant que le LURE comprend 400 personnes dont 300 permanents et 100 Post Doc, thésards et chercheurs associés. Les 300 personnels permanents se composent, en ce qui le concerne, de 80 chercheurs et 220 personnels ITA.

Ce qui fait la force d’un laboratoire de rayonnement synchrotron, ce n’est pas tant ses infrastructures matérielles que la somme des compétences humaines qui y est rassemblée et organisée autour des sources de rayonnement.

Les personnels du LURE, qui présentent une très grande diversité de métiers, se répartissent dans de petites équipes scientifiques et techniques très spécialisées.

Dans l’examen du pôle de compétences que constitue le LURE, le cas des personnels ITA mérite d’être traité en détail. Pour la plupart, ces derniers ont en effet, en sus de leur formation de base, des qualifications très spécifiques, qui ne peuvent s’acquérir que sur le site, aucune formation appliquée à ce domaine n’étant assurée dans l’enseignement supérieur. Compte tenu de la sophistication des techniques mises en œuvre, il faut au total de 3 à 10 années pour qu’un ingénieur ou technicien atteigne son efficacité complète.

Toute fermeture, délocalisation ou dévaluation du LURE qui ne seraient pas compensées par la construction sur le site d’une nouvelle source, d’une part entraînerait une perte de compétences impossible à reconstituer plus tard ou ailleurs, et, d’autre part, aurait un coût financier et humain considérable.

Le LURE est au centre d’un réseau scientifique issu de 25 ans d’efforts. Autour du noyau des permanents du LURE, gravitent en effet d’une part les chercheurs associés sans qui le LURE ne pourrait en réalité fonctionner, et, d’autre part les utilisateurs fréquents qui appartiennent le plus souvent à des laboratoires de l’Ile-de-France. Le troisième cercle est, lui constitué des utilisateurs ponctuels, les plus nombreux, qui apportent leurs échantillons et effectuent, avec l’assistance des personnels permanents. Les scientifiques des trois cercles ont le même accès aux sources du LURE, à travers l’évaluation des projets de recherche et leur sélection par les Comités de programmes formés uniquement de scientifiques n’appartenant pas au LURE.

Vouloir remplacer le LURE par des accès à des lignes et des temps de faisceaux au Royaume Uni ou d’autres pays européens, c’est détruire ces liens entre chercheurs nationaux, le priver de son pôle de compétences et disperser cette communauté. Une délocalisation de SOLEIL, coupé de LURE et hors de l’Ile-de-France, aurait à peu près le même effet.

Sur la question de l’importance des liens d’une communauté scientifique avoisinante avec les équipes d’un synchrotron, M. Jean GALLOT a cité son expérience à la tête de l’Unité de Recherche Associée au CNRS URA 808 de l’université de Rouen. De fait, la relation de proximité des utilisateurs avec les exploitants d’un synchrotron est essentielle pour apprécier la faisabilité d’une manipulation, pour en préparer la réalisation et en exploiter les résultats.

Par ailleurs, pour M. Pierre LEBASQUE, le rôle irremplaçable du LURE dans la formation des jeunes à l’utilisation du rayonnement synchrotron et aux techniques associées, ainsi que dans les divers domaines scientifiques concernés, serait également mis en cause, au détriment de l’Université Paris Sud et de la région Ile-de-France bien évidemment mais aussi des autres régions.

Il est à noter de surcroît que le LURE est un membre actif du réseau européen des centres de rayonnement synchrotron.

En Europe, seul l’ESRF a été construit et est exploité dans le cadre d’un contrat international entre pays européens. Tous les autres sont des centres nationaux de répondant aux besoins de leur communauté nationale et inscrits dans des collaborations européennes.

A ce titre, le LURE reçoit annuellement environ 5 millions de francs de l’Union européenne dans le cadre de contrats d’accès réciproque aux grands équipements nationaux. Les autres ressources du LURE sont d’une part une subvention ordinaire des tutelles (CEA, CNRS et MENRT) d’environ 37 millions de francs par an et d’autre part les ressources provenant de contrats de recherche européens. LURE intègre déjà une ligne franco-espagnole et une ligne franco-suisse. Il organise de nombreuses collaborations, échanges, doctorats avec les laboratoires et universités européens.

L’existence de LURE, en tant que centre de rayonnement synchrotron permet des coopérations scientifiques d’égal à égal entre les utilisateurs français et ceux des autres pays. Ce ne serait évidemment plus le cas sans le LURE et sans SOLEIL.

M. Marc SIMON a alors précisé l’information donnée aux Rapporteurs sur les travaux scientifiques réalisés au LURE. Globalement, le nombre d’utilisateurs individuels s’est élevé à 1768 en 1998, pour 900 projets animés par 600 laboratoires répartis sur tout le territoire national et à l’étranger.

On estime à cet égard que le tiers de la recherche effectuée au LURE est le fait d’équipes comportant au moins un scientifique étranger.

Les travaux scientifiques conduits par les équipes du LURE pour leur propre compte, y compris en collaboration avec des équipes d’autres laboratoires, représentent quant à eux 20 % environ du total.

Un ensemble très complet de disciplines sont concernées par le rayonnement synchrotron du LURE : la biologie représente 23 % des projets, la diffusion-diffraction 19 %, la chimie 20 %, la physique du solide 11%, les études de surface 11 %. Nul doute que la présence du LURE dans le triangle Orsay, Saclay, Palaiseau permet de tirer le meilleur parti des synchrotrons DCI et Super ACO, du fait de la densité locale en laboratoires de recherche de haut niveau.

M. Pierre POINTU a alors estimé que l’accès au LURE étant gratuit pour les travaux de recherche publiables, la mise à disposition d’un tel équipement équivaut à une " subvention de fonctionnement en nature ". Le ministère de la recherche soutient souvent qu’en finançant un grand instrument, les laboratoires sont privés de crédits de fonctionnement à due concurrence. En réalité, le cas d’un synchrotron est totalement opposé à celui d’un grand accélérateur de recherche fondamental comme celui du CERN. Le LURE travaille avec quantité de laboratoires en prenant à sa charge tous leurs frais d’accès aux lignes de lumière. Il s’agit donc bien d’une " subvention indirecte ".

Convaincu que la plupart des utilisateurs occasionnels du LURE répartis dans 600 laboratoires sont déterminés, en réalité, à aller n’importe où, en France ou en Europe, pour trouver un bon faisceau, M. Georges CHARPAK a remarqué que le LURE dispose de bons arguments pour les attirer.

Cette question est apparue fondamentale à Mme CHANDESRIS. Peut-on comparer l’accès sporadique à des lignes de lumière situées au Royaume Uni, en Suisse ou en Italie, comme cela est prévu dans le cadre du projet du ministère, avec la prestation complète offerte au LURE, où le chercheur est encadré et conseillé à chacune des étapes de sa démarche, depuis la conception de celle-ci jusqu’à l’exploitation des résultats en passant par la réalisation pratique des expériences ? La réponse de Mme CHANDESRIS est négative, en particulier parce que le LURE est aussi un " laboratoire d’organismes ", une structure commune au CEA et au CNRS, que les personnels du LURE ont à cœur de servir.

M. Georges CHARPAK a alors fait connaître que, selon ses informations, le projet du ministère ne vise en aucune façon à supprimer le LURE mais à le doter des moyens d’un laboratoire national, afin qu’il joue un rôle d’encadrement des équipes de recherche et de facilitateur pour l’accès aux sources de rayonnement les plus modernes, où qu’elles se trouvent, en tant que " laboratoire d’appui ".

A ce propos, M. Pierre LEBASQUE a fait valoir que le Directeur de la Recherche a, au contraire, demandé, par lettre datée du 2 décembre 1999, l’inscription de la discussion d’un plan social dans la perspective de la fermeture du LURE, à l’ordre du jour du conseil d’administration de ce dernier prévu pour le 1er février 2000.

Sur la question de l’importance des liens d’une communauté scientifique avoisinante avec les équipes d’un synchrotron, M. Jean GALLOT a cité son expérience à la tête du laboratoire de microscopie ionique de l’université de Rouen.

De fait, la relation de proximité des utilisateurs avec les exploitants d’un synchrotron est essentielle pour apprécier la faisabilité d’une manipulation, pour en préparer la réalisation et en exploiter les résultats.

Mais au-delà de cet avantage incontestable que procure la proximité et auquel on renoncerait en allant faire des expérimentations à l’étranger, il faudrait, pour que cette solution soit envisageable, avoir la garantie d’un accès effectif de nos chercheurs à des lignes de lumière disponibles. Or l’existence de lignes de lumière libres d’accès en Europe est un mythe.

M. Georges CHARPAK a estimé que ce point devait être éclairci en priorité par le groupe de travail. Il est indispensable que la disponibilité effective de faisceaux en Europe soit démontrée. Si elle ne l’est pas, le groupe de travail, répondant à sa vocation de " comité antimythe " devra le dire en toute clarté.

M. LEBASQUE, citant la position de la Table ronde européenne sur le rayonnement synchrotron, s’est déclaré en accord avec le point de vue de M. Jean GALLOT. Selon un recensement effectué en décembre 1999 à l’occasion du Colloque des Utilisateurs du LURE, réunion à laquelle étaient présents les directeurs des centres de rayonnement synchrotron de 3ème génération, il est apparu, après l’interrogation des responsables des principaux synchrotrons européens, que seule la Suisse pourrait effectivement attribuer deux lignes à des utilisateurs extérieurs mais ceci seulement pour une durée contractuelle maximale de deux fois quatre années.

En réalité, pour répondre aux besoins européens en rayonnement synchrotron, ce sont deux sources de 3ème génération qu’il faut aujourd’hui construire, l’une en France et l’autre au Royaume Uni. Avec la mise en œuvre concomitante de SOLEIL et de DIAMOND, l’Europe ne connaîtrait pas de surcapacité et ne disposerait que de l’équivalent des sources vieillissantes de 2ème génération du LURE et du synchrotron SRS de Daresbury.

M. Roger FOURME a confirmé le retard actuel de la France et du Royaume Uni en matière de rayonnement synchrotron. Dans le domaine spécifique de la bio cristallographie, les sept premiers pays du palmarès du secteur ont une installation nationale de 3ème génération, la France et le Royaume Uni mis à part. Une décision de lancement de nouveaux équipement est donc à prendre sans délai, sauf à accroître un retard critique dans un secteur important de la compétition internationale. Sur la question des liens, grâce à la proximité, entre les responsables des outils et les chercheurs utilisateurs, M. Roger FOURME a noté l’existence à l’ESRF d’un " continuum " entre la machine " source ", les lignes de lumière et les activités scientifiques s’y déroulant.

On ne saurait, de fait, considérer un synchrotron comme un simple " vélodrome à électrons ". Le recours à des lignes extérieures, réparties entre plusieurs machines, ne permettrait pas une cohérence d’ensemble et une adaptation continuelle des dispositifs expérimentaux au bénéfice des chercheurs.

Réciproquement, des relations épisodiques des gestionnaires d’un synchrotron avec les chercheurs mais aussi l’appropriation de certaines lignes de lumière par des groupes d’utilisateurs, comme des universités et des entreprises industrielles sur l’APS de Chicago, empêchent toute coordination du développement de l’instrumentation. C’est pourquoi l’intégration de tous les maillons à l’instar de ce qui est réalisé à l’ESRF apparaît comme la solution à reproduire pour un futur synchrotron.

S’agissant de l’apport d’un synchrotron à son environnement industriel, M. Gilles COHEN- TANNOUDJI a souligné qu’il se fait aussi par la voie des thèses effectuées sur place pour le compte des entreprises. Le nombre de 35 thésards présents en permanence dans les effectifs du LURE et le chiffre de 200 thèses soutenues, chaque année, par des utilisateurs ponctuels du LURE, est une indication intéressante sur la diffusion de savoirs et de savoir-faire par cette installation mais mériteraient d’être complétés par une évaluation du nombre annuel d’embauches d’anciens du LURE par les entreprises.

L’historique du projet SOLEIL établi par Mme CHANDESRIS a permis de mieux connaître la genèse du projet et de constater sa validation par de multiples instances.

En 1989, un colloque des utilisateurs du LURE initialise la réflexion sur les caractéristiques souhaitables d’une nouvelle source de rayonnement synchrotron. Débute alors une décennie d’études et d’expertises qui, toutes, les unes après les autres, jugeront positivement le projet. En 1993, l’argumentaire scientifique relatif au projet ainsi qu’une première étude technique sont rendus publics. En 1994, un comité d’experts indépendants conclut à la nécessité de construire SOLEIL avec les meilleures performances possibles. En 1996, le ministère de la recherche, le CEA et le CNRS mettent en place une équipe chargée d’établir un avant-projet détaillé de synchrotron SOLEIL, avant-projet achevé et rendu public en avril 1999. L’intérêt du projet SOLEIL et ses principales spécifications sont validées en 1999 par un audit international, réalisé par quatre chercheurs de haut niveau, provenant de quatre pays européens différents.

L’avis positif donné sur SOLEIL à plusieurs reprises et par des instances différentes, s’explique en premier lieu par la qualité de l’avant-projet qui elle-même résulte de l’expertise accumulée en France et en particulier au LURE sur les synchrotrons. En deuxième lieu, il s’explique par la multiplication des applications du rayonnement synchrotron dans des domaines de plus en plus nombreux.

A cet égard, Mme CHANDESRIS a cité la protection de l’environnement avec la détection de traces de polluants et la mise en évidence de leur forme chimique, les sciences de la Terre où la structure des matériaux peut être étudiée dans des conditions de pression et de température extrêmes correspondant à celle régnant dans le manteau inférieur et dans le noyau du globe terrestre, ainsi que l’étude des propriétés magnétiques des différentes composantes des supports d’enregistrement de données informatiques.

S’il fallait toutefois identifier le domaine dans lequel les applications du rayonnement synchrotron connaissent une croissance explosive, ce serait le domaine de la biologie structurale.

M. Roger FOURME a ainsi indiqué que la détermination des structures tridimensionnelles des macromolécules constitue une voie essentielle de la biologie moderne. La raison fondamentale en est que les macromolécules fonctionnent d’une certaine manière parce qu’elles ont une certaine forme : il s’agit de " micromachines " dont il est possible de bloquer l’action en en bloquant le fonctionnement par la greffe de molécules additionnelles. Cette méthode nécessite de connaître non seulement la composition chimique détaillée de la macromolécule mais aussi sa structure dans l’espace.

La contribution du LURE à la mise au point des méthodes expérimentales d’analyse structurale des macromolécules est très importante. Les travaux correspondants ont débuté en 1976 et c’est au LURE qu’a été réalisée la première résolution de structure d’une protéine inconnue par la méthode MAD, actuellement très utilisée dans les centres de rayonnement synchrotron. Aujourd’hui, nombreuses sont les méthodes qui, notamment dans le domaine de la biocristallographie, ont été mises au point au LURE et qui sont utilisées à l’étranger.

L’acquis considérable du LURE dans le domaine de la biologie structurale constitue pour la France un atout essentiel dans la course qui s’est engagée dans tous les pays pour la résolution de la structure des protéines. A cet égard, il existe 90 projets dans ce domaine déposés au LURE en 1999.

Après que le séquençage de plusieurs génomes a été mené à bien, la biologie entre dans ce que l’on peut appeler l’ère post génomique, qui est celle de la génomique structurale. L’analyse tridimensionnelle de la structure des protéines, grâce au rayonnement synchrotron et à des outils d’exploitation des résultats, constitue d’ores et déjà une " nouvelle industrie " dont on peut prévoir qu’elle s’exercera dans des " instituts spécialisés ".

Ainsi que l’a estimé en 1999 Max PERUTZ, Prix Nobel, "Le déchiffrage du génome humain, dans lequel les scientifiques français ont joué un rôle de premier plan, devrait être achevé l’an prochain. Il localisera et fournira la séquence de la majorité de ses 80 000 à 100 000 gènes mais il ne dira rien des fonctions d’une large fraction d’entre eux. Afin d’élucider ces fonctions, les scientifiques américains ont mis sur pied un programme concerté de grande envergure pour déterminer, par cristallographie des rayons X à l’aide du rayonnement synchrotron, la structure des protéines codées par des milliers de nouveaux gènes choisis parmi les plus mystérieux. Si les scientifiques français veulent être à égalité avec leurs collègues américains, ils ont besoin d’un accès aisé à une source puissante de rayonnement synchrotron qui serait idéalement située non loin du Centre de Séquençage d’Evry. Si le projet SOLEIL est abandonné, ils resteront à la traîne de cette grande entreprise ".

S’agissant de la biocristallographie, quels sont ses besoins en rayonnement synchrotron ? Tels qu’on les évalue à l’heure actuelle, ils sont de trois sections droites d’un synchrotron de 3ème génération, accueillant 9 montages expérimentaux, pour cette seule discipline, outre des centres tels que l’ESRF qui sont utilisés par la communauté française.

Au reste, il faut remarquer que la recherche universitaire française n’est pas inactive pour entamer le travail systématique de résolution des structures de protéines qui constitue le nouveau chantier de l’ère postgénomique.

Quatre projets sont en cours d’élaboration à l’université Paris Sud (Orsay-Gif-Saclay) et aux universités de Strasbourg, de Grenoble et de Marseille. Pour effectuer ce travail systématique, un instrument à temps plein sur une ligne à onduleur (section droite) sera nécessaire en accès quotidien pour le seul centre de Paris Su. A l’instar de ce qui est fait aux Etats-Unis, où les cinq projets en cours sont tous coordonnés avec un synchrotron, et ainsi que cela va être fait au Royaume Uni, où le Wellcome Trust a pour but de créer un complexe de laboratoires autour de DIAMOND, il serait particulièrement indiqué que des antennes des quatre projets se créent autour du projet SOLEIL lui-même implanté dans l’Essonne.

M. René TRÉGOUËT s’est alors interrogé sur le point de savoir si les besoins en croissance explosive de la biologie structurale étaient de nature à modifier l’utilisation globale des synchrotrons de 3ème génération, en diminuant la part des autres disciplines dans leurs applications.

Selon M. Roger FOURME, cette évolution ne devra pas se produire car il est indispensable que toutes les disciplines aient leur place sur un synchrotron.

La croissance des besoins de la biocristallographie est certes rapide puisque, de la situation actuelle avec l’équivalent d’une section droite, les prévisions sont passées, en deux ans, d’un besoin d’une ligne supplémentaire à deux lignes. Toutefois le nombre total de 3 sections droites dédiées à la biocristallographie dans les années à venir semble désormais stable, d’autant qu’il faut ajouter à ces ressources les possibilités d’accès à l’ESRF.

M. Georges CHARPAK s’est alors enquis de savoir si l’enveloppe de 7 lignes permanentes sur DIAMOND négociées par le ministère de la recherche pourrait pourvoir aux besoins de la cristallographie des protéines sans reléguer les autres disciplines à la portion congrue.

Tant M. Roger FOURME que M. Vincent MIKOL ont répondu par la négative. Il est en effet envisageable mais il serait difficile à faire accepter par l’ensemble de la communauté scientifique que 3 des 7 lignes de DIAMOND soient réservées à la seule biocristallographie.

Pour autant, précisément, peut-on espérer, comme l’a demandé M. Georges CHARPAK, que le Wellcome Trust qui devrait disposer de 7 lignes privatives sur DIAMOND, en ouvre l’accès à des équipes de recherche extérieures au noyau de celles qui bénéficient de son soutien, voire à une recherche industrielle susceptible de concurrencer le laboratoire Glaxo-Wellcome avec lequel il a des liens ? En tout état de cause, il apparaît nécessaire de poser cette question et surtout d’obtenir une réponse claire des responsables de cette fondation.

De fait, la croissance des besoins en rayonnement synchrotron de la biologie structurale est avérée. Selon M. Vincent MIKOL, elle représente d’ores et déjà 30 % des temps d’accès aux machines de 3ème génération et l’on prévoit aux Etats-Unis qu’elle passe rapidement à 50 %. Certains experts anticipent un doublement voire un triplement dans les 3 à 4 ans des temps de faisceau pour la biocristallographie. Aventis prévoit un doublement de ses besoins dans les deux ans. D’ailleurs si le Wellcome Trust est partie prenante au projet DIAMOND, c’est essentiellement pour y développer la biologie structurale. Et comme l’a souligné M. Roger FOURME, d’autres organismes, aux Etats-Unis en particulier, s’engouffrent dans cette voie en y investissant des budgets somme toute " effrayants ".

Dès lors, comme l’a observé M. Jean GALLOT, il est nécessaire de trouver des solutions au financement d’un nouveau synchrotron.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur a estimé que tous les aspects du dossier doivent être traités dans le rapport de l’Office et en particulier la fiscalité relative aux investissements en recherche et développement. A cet égard, les "charity  trusts " britanniques devront être analysés sous toutes leurs facettes, notamment en ce qui concerne leurs processus de décision, leur fiscalité et celle des dons qui leur sont faits. Peut-être faudra-t-il alors recommander des modifications de notre droit des fondations à vocation scientifique.

La parole a alors été donnée à M. Vincent MIKOL, directeur du département de biologie structurale et modélisation moléculaire chez Aventis Pharma, firme pharmaceutique résultant de la fusion de Rhône Poulenc Rorer et de Hoechst Marion Roussel.

*

Aventis est l’un des leaders mondiaux des sciences de la vie, avec deux cœurs de métiers : la pharmacie et les produits pour l’agriculture. Le chiffre d’affaires pro forma du groupe s’est élevé à 21 milliards d’euros en 1998. Les dépenses totales de recherche et développement du groupe ont atteint 17 % de son chiffre d’affaires cette même année, soit 2,8 milliards d’euros. Aventis emploie 90 000 personnes réparties dans 150 pays.

Aventis, comme tous les laboratoires pharmaceutiques, doit actuellement faire face à une révolution dans les méthodes de mise au point des médicaments. Cette révolution est celle de la génomique.

Le processus de développement d’une molécule active, c’est-à-dire d’un médicament, commence avec l’identification du constituant de la cellule qui est responsable de la maladie considérée. En moyenne, la dépense de recherche et développement correspondant à la mise sur le marché d’un nouveau médicament s’élève à 400 millions d’euros.

Or deux évolutions fondamentales bouleversent ce processus de développement. La première est d’ordre juridique, avec la brevetabilité du vivant. La seconde est d’ordre scientifique, avec le décryptage du génome, qui permettra de faire le lien entre un ou plusieurs gènes particuliers et une maladie spécifique

La Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques dispose dans son article 5 que :

" 1. Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables.

" 2. Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d’un élément naturel.

" 3. L’application industrielle d’une séquence ou d’une séquence partielle d’un gène doit être concrètement exposée dans la demande d’un brevet. "

Ainsi que l’a indiqué M. René TRÉGOUËT, la directive européenne 98/44/CE du 6 juillet 1998 n’est pas encore transposée en droit interne français, et de nombreux débats existent en France tant sur le plan de l’éthique que sur le plan juridique, différentes dispositions de la directive apparaissant au demeurant comme contradictoires.

Toutefois, pour M. Vincent MIKOL, les enjeux sont désormais clairement posés. La brevetabilité du vivant est courante aux Etats-Unis et les pays membres de l’Union européenne ont l’obligation de transposer cette directive avant le 30 juillet 2000. Au reste, il ne fait aucun doute pour les entreprises privées que la brevetabilité des gènes sera la règle dès cette année et qu’elle les oblige à se lancer sans délai dans la course.

Ainsi donc, selon la directive n° 98/44/CE, un gène sera brevetable si l’on peut prouver qu’une utilisation industrielle de ses propriétés est possible. Comment administrer cette preuve ? En mettant par exemple en évidence une fonction exercée par ce gène. La brevetabilité du gène s’exercera sur la fonction démontrée et non pas sur l’ensemble de ses fonctions, qui peuvent être multiples et liées à d’autres gènes.

L’identification d’un gène et de sa fonction s’opère principalement par le criblage d’un grand nombre de molécules.

Les protéines revêtent un intérêt central, à cet égard, en tant que macromolécules intervenant dans tous les processus biologiques. Agents essentiels de la structure et du fonctionnement des cellules, les protéines participent aussi à la synthèse de l’ADN et au contrôle de l’information génétique nécessaires pour la formation d’ARN et d’autres protéines.

L’objet de nombreuses études est donc l’identification de la structure de protéines, suivie de la sélection des molécules qui, leur étant greffées, peuvent bloquer leur fonctionnement. C’est là qu’intervient le rayonnement synchrotron, dont c’est l’utilisation principale pour Aventis, au titre de " l’optimisation des pistes pour des têtes de série chimiques ".

De fait, le rayonnement synchrotron a joué un rôle essentiel dans la mis au point de l’antiprotéase du VIH, dans celle de médicaments contre le glaucome, l’hypertension, la grippe ou le cancer.

C’est pourquoi le recours au synchrotron s’est établi à une trentaine de " runs " payants en 1999, pour une dépense unitaire moyenne de 24 000 francs par " run ", soit un budget total de 750 000 francs. 90 % de ces " runs " ont concerné la biologie structurale et 10 % la formulation des médicaments.

En réponse à une question de M. Gilles COHEN-TANNOUDJI sur l’ensemble des méthodes utilisées pour déterminer les structures de macromolécules, M. Vincent MIKOL a précisé que la structure du prion a été élucidée par RMN (résonance magnétique nucléaire). Bien que la RMN et la cristallographie rayons X produits par un synchrotron présentent des complémentarités, pour sa part Aventis a clairement fait le choix de cette dernière technique. La RMN apparaît en effet comme une méthode plus lente, nécessitant des échantillons marqués de taille limitée et donc, finalement d’une productivité plus faible. Si la RMN est impuissante pour la résolution des structures de molécules d’une masse moléculaire supérieure à 30 000, elle présente toutefois un premier avantage de ne pas exiger que le composé étudié soit sous forme cristallisée et un second avantage, qui est de permettre aisément l’étude de phénomènes dynamiques, ainsi que l’a remarqué M. Roger FOURME.

En tout état de cause, M. Gilles COHEN-TANNOUDJI, constatant que les instruments de RMN sont des équipements mi-lourds, a émis l’idée d’une complémentarité entre les deux techniques, qui pourrait prendre la forme d’un laboratoire mixte public-privé doté de différents types de moyens, RMN et synchrotron. M. Vincent MIKOL a fait observer à cet égard que la détermination des structures tridimensionnelles par RMN n’est pas stratégique pour la grande majorité des laboratoires pharmaceutiques, au contraire de la cristallographie à rayons X pour laquelle l’industrie serait prête à investir. Au reste, un consortium européen en cours de création sur la génomique structurale et rassemblant Novartis, Aventis et Glaxo-Wellcome, notamment, a explicitement exclu la RMN des techniques à mettre en œuvre.

En définitive, il faut noter que la totalité des expériences conduites par Aventis sur un synchrotron se sont déroulées à l’ESRF, parce qu’il s’agit d’une machine de 3ème génération. Aventis n’est plus client du LURE en raison de son obsolescence.

M. Vincent MIKOL a également souligné, a contrario, le caractère attractif d’un grand équipement à la pointe de la technologie comme l’ESRF. Selon toute probabilité, le consortium européen sur la génomique structurale s’établira à Grenoble, en raison notamment de la présence de l’ESRF. La qualité du tissu scientifique local dans les décisions d’implantation de laboratoires de recherche est aujourd’hui fondamentale. Il ne fait pas de doute que si les équipes de recherche de grands groupes pharmaceutiques sur la génomique sont restées en France, c’est en raison de la présence du Génopôle d’Evry. Et s’il devait se produire à l’avenir une saturation de l’ESRF, Aventis délocaliserait sans état d’âme ses moyens de recherche en biologie structurale actuellement répartis entre Paris et Francfort.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI est, à ce moment de la réunion, revenu sur l’utilisation du rayonnement synchrotron par l’industrie afin d’examiner dans quelle mesure les groupes privés pourraient envisager de participer au financement d’un nouvel équipement.

Pour M. Vincent MIKOL, la difficulté majeure à résoudre est celle de la fiscalité. Si, comme aux Etats-Unis, un crédit d’impôt était mis en place pour les investissements de ce type, il ne fait guère de doute qu’Aventis y participerait.

M. Georges CHARPAK a ainsi résumé la problématique du sujet en indiquant qu’il restait à proposer une mesure fiscale telle que " les utilisateurs payent avec plaisir ".

Selon M. Vincent MIKOL, une autre dimension ne doit toutefois pas être sous-estimée, celle de la localisation. La meilleure solution pour un synchrotron français serait sans doute de le construire à proximité des grands laboratoires de génomique. S’il devait y avoir des lignes de lumière accessibles en Grande-Bretagne dans le cadre du projet DIAMOND, l’implantation à Oxford serait préférable à celle de Manchester-Daresbury.

Abordant ensuite le sujet important des nanotechnologies en tant qu’ensemble d’outils à l’échelle moléculaire, M. René TREGOUET, Sénateur, rapporteur, a questionné les participants sur la contribution éventuelle du rayonnement synchrotron au développement de ce nouveau domaine.

M. Jean JERPHANION a estimé qu’effectivement le rayonnement synchrotron est un outil performant pour l’investigation des substrats moléculaires et pour la conception des microsystèmes. Un parallèle peut toutefois être fait avec l’emploi du rayonnement synchrotron en microélectronique, où cet outil est extrêmement précieux pour les études mais ne figure pas, contrairement aux attentes, dans la panoplie des outils industriels. Selon toute probabilité, il devrait en être ainsi pour les nanotechnologies.

M. Pierre POINTU a alors repris l’interrogation sur la place que l’industrie devrait occuper dans tout projet de nouveau synchrotron. A ce stade de l’analyse, il semble acquis que les besoins en temps de faisceau sont en croissance forte et durable pour la génomique et la microélectronique, en particulier pour le passage à la microélectronique quantique ou " microélectronique à un électron ". Dans ces deux domaines, ce sont les connaissances fondamentales qui limitent le développement économique. Les synchrotrons contribueront d’une manière sans doute décisive au développement d’activités économiques. Or, quels sont les modes d’accès à ces grands instruments ?

Au vrai, il y en a deux, correspondant à deux situations extrêmes : d’un côté l’accès payant pour des recherches dites " propriétaires " non publiées, et, de l’autre, l’accès gratuit pour les travaux publiés de recherche fondamentale. Cette situation doit être replacée dans le cadre de l’action du ministre chargé de la recherche qui s’attaque au manque de couplage entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée et à l’insuffisance des rapports contractuels entre les deux.

Ne peut-on pas penser qu’un synchrotron permet de favoriser la coopération entre ces deux mondes dont l’insuffisance est un handicap national. Le ministre agit beaucoup pour le réduire. Une piste est donc à explorer sur ce sujet. Elle met en jeu très directement les conditions d’accès à la machine et leur maîtrise.

M. Pierre LEBASQUE a, de ce fait, précisé les modes d’accès de l’industrie aux synchrotrons.

La première modalité d’accès, la plus simple, est celle de l’acquisition d’un temps de faisceau, pour des " runs " payants, le degré ultime de la simplicité étant celui où les expériences se font sur des protocoles établis voire, dans certains cas rares, sur des échantillons envoyés par les donneurs d’ordre et traités par les permanents de l’installation.

La deuxième modalité est celle du financement de lignes de lumière par des industriels ou des universités qui se les approprient, généralement dans le cadre de consortiums. Ce cas est relativement fréquent aux Etats-Unis mais rare en Europe. Deux cas seulement y sont observés, une ligne de lumière pour l’industrie microélectronique à l’ESRF de Grenoble et une autre sur le synchrotron allemand ANKA de Karlsruhe.

La troisième modalité de financement d’un synchrotron par l’industrie est celle du financement de la source elle-même. On ne connaît pas d’exemple de ce type, à l’exception du Japon où Mitsubishi aurait sa propre installation à usage privatif. Au vrai, selon M. LEBASQUE, il semble difficile d’imaginer qu’un consortium public-privé assure conjointement le financement de la source proprement dite. On peut se demander en effet si la pérennité de l’équipement ne serait pas menacée par la dépendance vis-à-vis des industriels, principalement s’il s’agissait d’un industriel unique.

M. Vincent MIKOL a ajouté à cet égard qu’il existe, pour la recherche industrielle, des solutions simples pour obtenir du temps de faisceau. La première est celle du " run " payant. Une autre solution simple est celle de la collaboration d’un post-doc attaché au site. Une autre solution simple serait sans doute l’investissement dans une ligne de lumière permettant un accès sans délai et sans limite. Les cas intermédiaires, tels que ceux qui existent par exemple à l’ESRF, sont des " cauchemars " au niveau de la propriété industrielle, dans la mesure où le plus souvent, il faut l’accord d’un ensemble de pays membres. Evidemment, si la machine considérée était gérée par un ensemble d’organismes de recherche comme le CNRS, l’INSERM et le CEA, par exemple, on peut espérer que ces cas intermédiaires soient traités avec plus de rapidité.

M. Pierre POINTU a poursuivi dans le même sens. L’industrie est de moins en moins encline à investir dans des équipements dans lesquels elle serait immobilisée pour 10 à 20 ans. La tendance est au contraire aux travaux contractuels, au financement du fonctionnement au coup par coup même à prix plus élevés ou tout au plus aux engagements à moyen terme.

Selon M. Vincent MIKOL, " la visibilité de la recherche ne dépasse pas 3 à 4 ans ". Il y a tout lieu de penser qu’Aventis serait opposé au financement de lignes de lumière, sauf en cas de pénurie manifeste et incontournable. En définitive, Aventis, qui utilise différents postes d’instrumentations pour différents types d’expérimentations, recherche toujours les meilleures performances et est prêt à payer plus cher pour une utilisation immédiate, tout en étant soucieux d’obtenir un support scientifique.

En réponse à plusieurs questions de M. René TREGOUET, Sénateur, rapporteur, portant sur les structures et le fonctionnement du LURE, M. LEBASQUE a tout d’abord confirmé que la moyenne d’âge des personnels du LURE est inférieure à la moyenne d’âge des personnels du CNRS, du fait d’une politique de remplacement systématique par le CNRS des personnels du LURE partant en retraite.

S’agissant du temps de fonctionnement annuel des installations, M. LEBASQUE a précisé que le temps de faisceau disponible pour les utilisateurs s’élèvera en 2000 à 4091 heures pour DCI et à 3726 heures pour Super-ACO. Le nombre de jours de fonctionnement est de 5,5 par semaine. Deux arrêts annuels longs sont observés. Le premier, en hiver, est consacré aux gros travaux de maintenance et de jouvence des installations que l’on programme en cette saison, notamment à cause du prix plus élevé de l’électricité pendant cette période de l’année. L’autre arrêt long est de 4 semaines en août, à quoi s’ajoutent quelques semaines d’arrêt pour maintenance, réparties tout au long de l’année. Il est à signaler que, pour les mêmes raisons, l’ESRF observe un arrêt de même durée en hiver. Si au total l’ESRF fonctionne 7 jours sur 7 et atteint une disponibilité annuelle supérieure de plus d’un tiers à celle du LURE, c’est essentiellement parce qu’il est doté des effectifs nécessaires.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI ayant rappelé que l’avant-projet SOLEIL préconise la forme de la société civile comme structure juridique, selon les propos tenus par Mme NENNER (CEA) le 22 décembre devant le groupe de travail, Mme CHANDESRIS a rétorqué que plusieurs options sont examinées dans ce document et qu’entre la forme de la société civile et celle du Groupement d’Intérêt Public, " rien n’a été conclu ". S’agissant de la durée d’utilisation des équipements et notamment de leur fonctionnement en fin de semaine, il s’agit essentiellement d’avoir les effectifs nécessaires. Toutefois, on peut s’interroger sur la rentabilité réelle d’un tel fonctionnement, l’exemple d’autres pays comme les Etats-Unis montrant que l’utilisation est moins efficace les samedi et dimanche, en raison des réticences des personnels.

Pour conclure la réunion, M. René TREGOUET, Sénateur, rapporteur, a indiqué que le groupe de travail allait examiner les conditions de fonctionnement des principaux synchrotrons dans le monde, en application de son approche objective du problème. Il a en outre estimé que la jeunesse des effectifs du LURE augure bien de sa capacité à évoluer dans l’avenir.

M. LEBASQUE a effectivement confirmé que le personnel du LURE est tout à fait prêt à voir évoluer ses conditions de travail si le besoin en est justifié et si c’est dans des " conditions acceptables ". La souplesse et des horaires de travail atypiques sont déjà habituels au LURE. L’accélérateur linéaire était autrefois exploité 7 jours sur 7, et si les installations du LURE ne le sont pas actuellement, c’est essentiellement en raison d’une situation de sous effectif dans les équipes techniques et dans les équipes de chercheurs permanents chargés d’assurer l’accueil des utilisateurs.

Sur le point des différents statuts juridiques pour un nouveau synchrotron, M. LEBASQUE a observé que si l’ESRF est un établissement à part entière, ce qui résulte logiquement de son caractère multinational, le LURE est un laboratoire commun au CEA, au CNRS et au ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie. A ses yeux, l’articulation du LURE avec ces trois entités est vitale pour assurer un bon service et celui-ci doit rester inséré au sein des organismes publics de recherche. Pour un nouveau synchrotron, le statut d’unité mixte est donc souhaité avec un rattachement fort, plutôt qu’une autonomisation qui diminuerait la cohérence actuelle.

Ainsi pourra continuer le renouvellement progressif de petites équipes rattachées au LURE grâce à une ouverture sur d’autres laboratoires appartenant aux organismes CNRS, CEA et universités. Ce renouvellement indispensable atteint actuellement 10 à 20 personnes par an et ne doit pas être empêché par des " barrages statutaires ", qui ne manqueraient pas d’apparaître si la forme juridique adoptée pour le nouveau synchrotron était celle d’une société de droit privé. En tout état de cause, " les personnels doivent rester gérés par leur organisme ".

Au reste, la France connaît à l’heure actuelle deux types de structures juridiques pour la recherche publique. La première catégorie est celle des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), à laquelle appartiennent le CNRS, l’INSERM et l’INRA. La deuxième catégorie est celle des établissements à caractère industriel et commercial (EPIC), à laquelle appartient notamment le CEA. " Il existe donc deux modèles et il n’est pas nécessaire d’aller au-delà ". En toute hypothèse, il n’y aurait aucun avantage à faire cohabiter au sein d’une éventuelle société de droit privé, des personnels à statut détachés et des personnels sous contrat de droit privé.

De plus, pour ce qui concerne l’évaluation de l’activité scientifique des chercheurs et des équipes, il est indispensable de disposer de structures d’évaluation d’un organisme plus large que le seul laboratoire, où, du fait de la pluridisciplinarité, chaque sous-domaine scientifique n’est représenté que par quelques personnes. Au reste l’évaluation externe au laboratoire permet aux chercheurs de rester en contact étroit avec leur communauté scientifique et favorise la mobilité.

A l’ESRF, dont les personnels sont employés sur la base de contrats de droit privé et où la plupart des scientifiques sont sur contrats à durée déterminée, on constate aujourd’hui qu’il est devenu difficile de reclasser au bout de 5 ans, dans les organismes nationaux, les scientifiques spécialisés dans des instrumentations particulières ou dans l’accueil des chercheurs visiteurs.

Pour clore la réunion, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a demandé la confirmation de l’existence de listes d’attente pour l’accès aux faisceaux du LURE. Mme CHANDESRIS a fait mention du fait qu’effectivement, un tiers de projets de recherche recourant au rayonnement synchrotron et soumis aux comités de programme du LURE sont rejetés, certains en raison d’un manque de qualité mais la plupart par manque de temps disponible.

M. Christian CUVILLIEZ a également demandé sous quel délai les installations, au demeurant en partie obsolètes, devraient être obligatoirement remplacées.

M. LEBASQUE a alors indiqué que les nouvelles machines de 3ème génération n’en sont qu’à leurs premiers pas. Lorsqu’elle seront totalement opérationnelles, l’arrêt des installations du LURE deviendra vite inévitable pour cause d’obsolescence.

Il a fait aussi remarquer que si le projet SOLEIL n’avait pas connu les retards enregistrés au demeurant sous plusieurs gouvernements différents, et si donc le calendrier de construction prévu au début de l’APD SOLEIL, soit en mai 1996, avait été respecté, SOLEIL aurait pu ouvrir en 2001 et des faisceaux auraient pu être accessibles aux utilisateurs en 2002.

Certains observateurs relèvent une sorte " d’acharnement thérapeutique " sur les installations du LURE et il est vrai que si son exploitation continue, c’est " faute de mieux ", et parce que les besoins d’utilisation du rayonnement synchrotron sont toujours là, en croissance d’ailleurs régulière. Au reste, on observe que certains chercheurs du LURE sont contraints d’aller sur d’autres machines pour obtenir des faisceaux plus évolués.

Après avoir remercié les participants pour leur précieux concours, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a levé la séance.

 

IV – Auditions de M. Jochen SCHNEIDER, Directeur du Hasylab (Hambourg), de M. Pierre PAPON, Président de l’OST et de M. René PELLAT, Haut commissaire à l’énergie atomique - mercredi 19 janvier 2000

Réunissant leur groupe de travail en ouverture aux auditions de la semaine, afin de faire le point sur les données déjà engrangées, d’identifier les lacunes de leur information et de parfaire leur méthode, les Rapporteurs ont confié à M. Pierre POINTU le soin d’exposer une méthodologie de l’expertise tirée de son expérience.

M. Pierre POINTU a souligné que l’expertise du dossier synchrotron ne peut se borner à un constat des besoins et à l’examen des solutions actuellement en concurrence, mais doit également inclure des propositions de sortie de crise, puisque la situation actuelle créée par le rejet de la solution SOLEIL en est bien une.

Dans la succession des différentes étapes – poser le problème -> chercher ses solutions -> choisir une solution, les dysfonctionnements les plus courants concernent l’identification du problème et le choix de solutions. A cet égard, on peut remarquer que la définition du problème lui-même peut être déplacée en cours de processus, lorsqu’une solution non optimale mais souhaitée dès le départ s’impose pour d’autres raisons que pour résoudre le problème posé.

Les opposants au projet SOLEIL font ainsi valoir que pour le remplacement du LURE, c’est le schéma de solution souhaité par les concepteurs de SOLEIL pour faire avancer la technologie des synchrotrons qui l’a emporté, au détriment de la résolution du problème tel qu’il aurait dû être posé, à savoir une offre de rayonnement synchrotron adaptée aux besoins des utilisateurs. Par ailleurs, faute de s’être mis d’accord au préalable sur la manière de poser le problème, les conflits de solutions deviennent inévitables, relayés souvent par des conflits de personnes. Au vrai, si les critères de choix ne sont pas partagés par les parties prenantes et qu’au surplus ils varient au cours du temps, nul doute que les conflits de solutions deviennent difficiles à résoudre.

Dans le cas présent, à l’instar des partisans de SOLEIL, on peut estimer que si le critère d’une coopération européenne avait figuré, dès 1996, comme priorité au cahier des charges de l’avant-projet détaillé, le profil de SOLEIL en eût été changé.

Dès lors, comment améliorer la situation actuelle ? M. Pierre POINTU a proposé de faire la liste des critères jugés importants par les différentes parties prenantes, scientifiques, ministère et élus, pour le choix des solutions et de les faire valider par les protagonistes.

L’expérience montre qu’un tel processus de validation des critères favorise une " implication douce " des protagonistes et aide à rapprocher les points de vue.

La question de l’implantation en France ou à l’étranger semble être le véritable clivage.

Dans les cas difficiles, le processus de choix d’une solution peut être amélioré en formalisant l’analyse et la discussion des solutions en deux étapes, d’une part au regard du degré de satisfaction apporté par les différentes solutions, et d’autre part, au regard de leur difficulté de réalisation.

Un dossier d’expert constitué sur ces bases contribuerait beaucoup à éviter les dérives subjectives, tant pour le travail du groupe que pour les discussions éventuelles avec le ministre et pour le débat public.

M. Georges CHARPAK a poursuivi cette réflexion en indiquant que face à une avalanche de données, il est indispensable que les " conditions aux limites " soient bien posées.

En particulier, il est indispensable de savoir à quel point l’investissement correspondant à un synchrotron, dont le montant fait au demeurant l’objet d’estimations divergentes, est contraignant pour le budget de la recherche. On doit également savoir si la décision de construire un nouvel équipement, qui repose en bonne partie sur la demande de la biologie en rayonnement synchrotron, n’est pas susceptible d’assécher les ressources budgétaires de cette discipline, au détriment de ses autres besoins, par exemple une source de neutrons.

Par ailleurs, il est souvent avancé que la France et le Royaume Uni sont les pays européens les plus en retard en Europe, dans le domaine du rayonnement synchrotron. D’où la recommandation de construire simultanément SOLEIL et DIAMOND. Or, " il est évident que si les deux pays étaient réunis et ne formaient qu’un seul Etat, on ne construirait pas les deux synchrotrons ", d’où l’intérêt probable de différencier les deux équipements.

On peut envisager, par exemple, qu’une machine haute énergie spécialisée dans l’étude des structures soit construite à Oxford et une autre de plus basse énergie – environ 1,5 GeV - en France, ce qui ne serait pas forcément un handicap pour notre pays, dans la mesure où il n’est pas acquis que les synchrotrons de haute énergie soient plus prometteurs que les machines de basse énergie.

Il faudrait alors mettre au point un financement croisé afin d’égaliser la charge financière des deux pays. Une part de la contribution française pourrait d’ailleurs correspondre à la mise à disposition du Royaume Uni de l’avant-projet détaillé de SOLEIL, dont le coût de réalisation est estimé à 80 millions de francs.

En tout état de cause, il apparaît incontestable qu’une économie est réalisée quand on construit une nouvelle machine sur un site déjà équipé. A cet égard, la décision de prendre le site du CERN comme base pour des nouveaux équipements a été fructueuse, comme l’a montré, a contrario, l’échec américain pour les machines des hautes énergies, lorsqu’un nouveau site au Texas a été préféré à Chicago où une expérience avait été accumulée dans ce domaine.

Une telle considération plaide sans conteste en faveur du site de Daresbury, au lieu d’Oxford pour DIAMOND et en faveur d’Orsay pour SOLEIL.

Sans doute, la solution double d’une machine anglo-française au Royaume Uni et d’une machine franco-anglaise en France permettrait-elle d’aller plus loin en générant les économies qu’il est indispensable de trouver pour obtenir l’accord du ministre chargé de la recherche.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a remercié MM. POINTU et CHARPAK pour leurs propositions méthodologiques et a confirmé son souci, ainsi que celui de M. CUVILLIEZ, Député, rapporteur, de réaliser une étude objective, la seule possible pour obtenir une crédibilité d’autant plus indispensable que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques exprime d’une même voix le point de vue des deux chambres du Parlement, sans les possibilités habituelles de rattrapage par le jeu des navettes.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a ensuite fait connaître son accord sur la nécessité de proposer des critères explicites pour le choix des solutions qui pourront être proposées dans le rapport.

Dans cette perspective, le critère du coût ne lui a pas semblé prioritaire, car le cadre actuel du financement des grands équipements ne saurait être considéré comme intangible.

Bien au contraire, il apparaît indispensable d’examiner de nouvelles voies comme la modification de la fiscalité des investissements de recherche ou de celle des fondations vouées à la recherche. Au vrai, il est indispensable d’imaginer des solutions acceptables par tous, en particulier par le ministère de la recherche et par les personnels du LURE.

M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a confirmé son accord avec la méthode ainsi proposée. Si le groupe communiste, auteur de la saisine de l’Office, a voulu réagir à une décision trop rapide, brutale et insuffisamment justifiée, il n’en demeure pas moins nécessaire de préparer le rapport à l’aide de méthodes exhaustives et sur la base d’une analyse scientifique du problème.

En toute hypothèse, la nécessité pour les chercheurs de disposer de ressources plus abondantes en rayonnement synchrotron, en France, en Europe et dans le monde entier, est reconnue par tous. De même, un accord existe sur le fait qu’après la prédominance des sciences de la matière dans les utilisations du rayonnement synchrotron, les besoins des sciences du vivant connaissent une croissance très forte et vont probablement supplanter toutes les autres disciplines en terme de temps de faisceau.

S’agissant de la méthode de travail pour la préparation des recommandations, une fois les critères rappelés, il faudra mettre l’accent sur les conditions des différentes solutions, en recensant leurs atouts et leurs inconvénients respectifs.

Un débat s’est ensuite engagé sur le programme des auditions. Sur la proposition de M. Georges CHARPAK, les Rapporteurs ont estimé indispensable de rencontrer rapidement, d’une part le Directeur de la Recherche, M. Vincent COURTILLOT, notamment sur la question de l’inscription d’un plan social en vue de la fermeture du LURE à l’ordre du jour de son prochain conseil d’administration, et, d’autre part, M. SOUKASSIAN, un utilisateur éminent des synchrotrons dont l’opinion sur le LURE mériterait d’être portée à la connaissance du groupe de travail. M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a demandé que soit planifiée une rencontre avec les conseillers régionaux d’Ile de France et avec les élus de l’Essonne, pour recueillir leur point de vue sur les effets structurants d’un équipement comme le LURE et les raisons pour lesquelles une aide à l’implantation de SOLEIL a été décidée.

La parole a alors été donnée à M. Jochen SCHNEIDER, Directeur du Hasylab de Hambourg, où se trouvent deux types de très grands équipements, le collisionneur HERA pour la physique des particules et l’anneau de stockage DORIS dédié à la production du rayonnement synchrotron depuis 1993.

L’Allemagne, comme l’a exposé M. Jochen SCHNEIDER, Directeur du Hasylab de Hambourg, dispose de 5 installations produisant des rayonnements synchrotrons, chacune possédant des caractéristiques et des vocations diversifiées.

A Hambourg, se trouve l’anneau de stockage DORIS de 2ème génération, utilisé avec des positrons d’une énergie de 4,45 GeV, orienté vers la recherche, et spécialisé dans la gamme des rayons X " durs ". L’anneau de stockage PETRA fait partie du système d’injection d HERA et actuellement utilisé pour la recherche, la production de rayonnement synchrotron étant accessoire. PETRA est exploité avec des électrons ou des positrons d’une énergie de 12 GeV, ce qui permet à cette installation d’être en pointe pour les X " très durs ". Les anneaux de stockage sont complétés par un laser à électrons libres, avec un Linac basé sur la technologie supraconductrice et qui est une source très puissante de rayonnement électromagnétique dans l’ultraviolet.

A Berlin, se trouvait jusqu’à la fin de l’année 1999, le synchrotron de 2ème génération BESSY I, d’une énergie de 0,8 GeV, dont le domaine d’application privilégié est la recherche et dont les applications sont celles des rayons X " mous ". Sur le même site, le synchrotron BESSY II, de 3ème génération, opérationnel depuis la fin de l’année 1999 est spécialisé dans la production de rayons ultraviolets et de rayons X " mous ". En utilisant des wigglers supraconducteurs, BESSY II produira aussi des rayons X " durs ".

Karlsruhe est le site sur lequel est construit, à l’initiative de la région, le synchrotron de 3ème génération ANKA, d’une énergie de 2,5 GeV, spécifiquement dédié à l’industrie et orienté vers les applications d’analyse et de microfabrication. Répondant à des demandes de précision de M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, et de M. Jean JERPHAGNON, M. Jochen SCHNEIDER a indiqué qu’il s’agit d’une machine conventionnelle décidée sans une demande forte de la communauté scientifique et qui a, semble-t-il, quelques difficultés, pour le moment, à impliquer l’industrie allemande.

Les deux autres installations sont à vocation universitaire et se trouvent l’une à Bonn et l’autre à Dortmund. L’installation ELSA située au sein de l’université de Bonn comprend une source continue d’électrons, d’une puissance de 3,5 GeV et un synchrotron d’une puissance de 2,5 GeV. Le synchrotron DELTA de l’université de Dortmund possède, quant à lui, une puissance de 1,3 GeV.

Pour M. Jochen SCHNEIDER, l’accessibilité d’un synchrotron est un paramètre très important pour ses utilisateurs. La situation allemande est satisfaisante à cet égard. Avec une bonne répartition d’équipements de ce type sur tout le territoire, les temps d’accès des utilisateurs sont réduits au minimum. Par ailleurs, la présence de machines au sein des universités, en permettant la formation des étudiants, est le gage de nouvelles avancées dans ce domaine.

C’est pour ces raisons que, selon M. Jochen SCHNEIDER, la France et le Royaume Uni ont l’une comme l’autre besoin d’un synchrotron national supplémentaire.

En toute hypothèse, ce besoin serait identique dans la situation limite évoquée par M. Georges CHARPAK où les deux pays seraient considérés comme ne faisant qu’un dans le domaine de la recherche. Pour autant il ne s’agit pas de construire deux synchrotrons plus ou moins identiques dans les deux pays.

Un tel projet n’aurait pas de sens car chaque synchrotron doit refléter les compétences et les besoins de la communauté scientifique auquel il est destiné. A cet égard, les points forts de la recherche anglaise ne sont pas les mêmes que ceux de la recherche française.

Il n’est pas usurpé de dire que le Royaume Uni possède une compétence très forte dans le domaine de la cristallographie des protéines. Un nouveau synchrotron britannique devra apporter une contribution aux besoins de la biologie structurale. C’est pourquoi, au reste, il serait difficile de vendre l’avant-projet détaillé de SOLEIL au Gouvernement britannique car cette machine n’est pas spécifiée pour la biologie structurale.

A l’inverse, les scientifiques britanniques ne s’attacheront pas à faire avancer la technologie d’un nouveau synchrotron, par exemple en développant un laser à électrons libres, ce qui précisément figure dans le projet SOLEIL. Ce dernier est le fruit d’une communauté scientifique dont les centres d’intérêt sont différents de ceux de la communauté scientifique d’outre-Manche.

En tout état de cause, la France doit veiller à développer ses points forts. Le laser à électrons libres représente, pour M. Jochen SCHNEIDER, l’avenir de la production de rayonnements électromagnétiques à haute brillance. Or la combinaison rare d’une expertise en rayons X et en laser à électrons libres existe en France. Elle doit être non seulement sauvegardée mais cultivée.

M. Jochen SCHNEIDER a alors remarqué que si la France voulait s’équiper, à l’instar de l’Allemagne, de plusieurs synchrotrons répartis sur tout l’hexagone, alors sans doute faudrait-il élaborer une version compacte du projet SOLEIL dont la puissance fait une installation à vocation nationale.

Mais le plus important pour la France est " de ne pas perdre davantage de temps ".

La genèse du projet SOLEIL a déjà duré trop longtemps. Le développement des technologies des synchrotrons est extrêmement rapide. Il est prouvé que l’on gagne trois ordres de grandeur en brillance tous les dix ans depuis 1970. Chaque nouvelle machine a donc permis de créer des rayons X assortis d’applications nouvelles. L’idée de cohérence des faisceaux ne faisait pas partie du cahier des charges de l’ESRF. Or, grâce aux progrès technologiques enregistrés dans cette installation, il est devenu possible de construire, par contraste de phases, des images de matériaux " mous " et non cristallisés. De même, grâce à la robotisation de certains appareillages, les manipulations relatives à la biocristallographie sont presque industrialisées.

La France possède les compétences pour participer au développement des nouveaux outils du rayonnement synchrotron et pour y jouer les premiers rôles. Si d’aventure il était décidé d’aller seulement chercher de nouvelles ressources au Royaume Uni, la France " perdrait ses compétences " pour, au final, accéder à une machine optimisée pour la seule discipline de la biocristallographie et non pour servir les nombreuses autres disciplines qui ont besoin d’accéder à des lignes de lumière.

M. Georges CHARPAK s’est alors interrogé sur les changements éventuels qu’il faudrait apporter à SOLEIL, dans l’hypothèse où la France disposerait de 7 lignes de lumière sur DIAMOND. Les besoins de la biologie étant satisfaits, sans doute alors serait-on en droit d’exiger une économie correspondante sur SOLEIL en diminuant sa puissance ou le nombre de ses lignes de lumière.

M. Jochen SCHNEIDER est alors revenu sur l’importance des interactions entre les très grands instruments et le milieu scientifique environnant. Quand un synchrotron est implanté dans une zone géographique riche en laboratoires, les priorités de recherche de ces derniers se modifient fréquemment, l’ensemble des chercheurs qui se trouvent dans l’orbite du très grand équipement pouvant souhaiter l’utiliser.

On peut donc redouter une saturation rapide d’un synchrotron implanté au Royaume Uni, par le double effet de la révélation de nouveaux besoins anglais et d’un changement des priorités de recherche, ce qui pourrait remettre en cause la présence française.

M. Georges CHARPAK ayant remarqué que l’exemple du CERN, qui a attiré à lui tous les physiciens des particules d’Europe voire du monde entier, contredit l’importance du critère de proximité, M. Jochen SCHNEIDER a souligné que l’utilisation d’un accélérateur pour la physique des hautes énergies diffère totalement de celle d’un synchrotron. Un équipement tel que le CERN concerne une seule famille de chercheurs scientifiques, parlant la même langue technique et formant un réseau mondial étroitement coordonné.

Au contraire, il existe une grande variété de cultures scientifiques autour d’un synchrotron qui irrigue des disciplines très variées, d’où l’importance de disposer d’un tel équipement dans une zone de recherche en pointe dans toute une série de domaines.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a alors indiqué que la perspective d’exportation de l’avant-projet détaillé SOLEIL est " illusoire ". Ce projet s’appuie en effet sur les points forts de la France dans les technologies des synchrotrons, ce qui ne s’exporte pas.

Par ailleurs, l’industrie pharmaceutique attend d’un synchrotron qu’il lui apporte un service dans le domaine de la brevetabilité des gènes où les techniques de la RMN apparaissent à la fois trop longues à mettre en œuvre et insuffisamment performantes.

En toute hypothèse, la France n’a aucun intérêt à se livrer aux exigences d’une industrie pharmaceutique qui voit dans un synchrotron un outil pour élucider des structures " à la chaîne ".

M. Georges CHARPAK a alors estimé que le ministère de la recherche devra dire clairement si la France pourra faire ce qu’elle veut sur les 7 lignes dont elle devrait disposer sur DIAMOND.

A ce stade de la réunion, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a relevé l’importance des remarques de M. Jochen SCHNEIDER, au sujet de la complémentarité nécessaire de deux machines implantées l’une au Royaume Uni et l’autre en France. D’une part, la croissance des besoins de la cristallographie des protéines en rayonnement synchrotron est avérée. D’autre part, il paraît essentiel de développer les techniques de la spectroscopie et la technologie des lasers à électrons libres. Or une machine polyvalente risquerait d’être inadaptée à la poursuite de l’un comme de l’autre de ces deux objectifs. Il apparaît donc prioritaire de définir des caractéristiques d’avenir pour les deux synchrotrons dont la construction pourrait être recommandée simultanément.

M. Georges CHARPAK ayant observé que si la France veut être compétitive dans la génomique, il est nécessaire d’accéder au synchrotron DIAMOND, pour le nombre total prévu de 7 lignes de lumière et que réciproquement, les chercheurs britanniques pourraient se voir réserver une place sur le synchrotron français, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a demandé à M. Jochen SCHNEIDER de bien vouloir préciser, dans un document écrit, ses recommandations quant aux voies d’avenir pour deux nouvelles machines complémentaires.

Afin de commencer à répondre à cette demande, M. Jochen SCHNEIDER a alors estimé approprié que l’industrie pharmaceutique française puisse accéder au Royaume Uni à des lignes de lumière spécialisées dans l’étude des protéines. Il a aussi remarqué qu’une installation dédiée à ce type d’études doit faire preuve de fiabilité et être exploitée selon une planification rigoureuse pour satisfaire au mieux les besoins immédiats des industriels. Aucune recherche sur les technologies des synchrotrons ne peut donc y prendre place et une telle machine ne peut en aucun cas intéresser les spécialistes de cette discipline.

La typologie suivante apparaît donc adéquate : d’une part un synchrotron à vocation industrielle au Royaume Uni et d’autre part une machine certes utile pour les applications du rayonnement synchrotron dans différentes disciplines mais se prêtant aussi au développement de nouvelles technologies des rayonnements électromagnétiques. Au vrai, il paraît toutefois difficile pour le moment de porter un diagnostic sur le projet DIAMOND, dont les contours ne sont pas encore connus.

M. Guy OURISSON, Président de l’Académie des Sciences, a alors indiqué que le Wellcome Trust qui devrait être partenaire de DIAMOND est bien une structure indépendante des laboratoires Glaxo Wellcome, dont on sait par ailleurs qu’ils ont très récemment fusionné avec la firme SmithKline Beecham. Par ailleurs, si la structuration du milieu environnant par un très grand équipement est un phénomène incontestable, il faut aussi remarquer que les biologistes ont intégré dans leurs méthodes de travail la nécessité de se déplacer pour accéder aux grands instruments. C’est notamment le cas de chercheurs fixés à Strasbourg. Certes, si la machine est sur place, l’accès est plus facile mais là n’est pas l’essentiel.

Par ailleurs, M. Guy OURISSON a observé que l’éventualité de prendre une participation dans un synchrotron anglais tout en construisant un synchrotron en France, ne pouvait se faire qu’en diminuant les crédits des laboratoires, y compris ceux qui en servent pas du rayonnement synchrotron. En réalité, " ce qu’il faut faire, c’est un seul synchrotron et qu’il soit européen ".

Enfin M. Guy OURISSON a contredit l’opinion exposée au cours d’une audition précédente, selon laquelle la RMN est une méthode trop lente pour la biologie structurale Au vrai, selon M. OURISSON, cette technique a déjà fait des progrès substantiels et en fera d’autres encore plus importants à l’avenir.

Pour clore l’audition de M. Jochen SCHNEIDER, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, s’est interrogé sur le point de savoir si SOLEIL n’a pas une taille et une complexité trop importantes pour servir au mieux une communauté des scientifiques non spécialistes des synchrotrons.

M. Jochen SCHNEIDER a répondu que deux possibilités existent pour fournir un service apprécié des industriels : d’une part l’automatisation la plus poussée possible qui permet à des expérimentateurs non avertis d’opérer par eux-mêmes et d’autre par l’encadrement très étroit de ceux-ci par des permanents du site. En conséquence, tout est fonction du mode d’exploitation choisi.

La parole a alors été donnée à M. Pierre PAPON, Président de l’Observatoire des Sciences et des Techniques.

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Pour commencer son propos, M. Pierre PAPON, Président de l’Observatoire des Sciences et des Techniques, a rappelé les importants travaux du Comité des grands équipements scientifiques et de la Fondation européenne de la science sur le rayonnement synchrotron.

Quelle est l’utilisation actuelle du synchrotron LURE ? La majorité des utilisations concernent les sciences physiques et chimiques : études de structure des matériaux, études de surface, études de dynamique, en particulier de transitions de phases, optique, absorption des rayons X et spectroscopie IR etc. Par ailleurs, les travaux sur les bio-molécules commencent à prendre de l’importance.

En termes d’équipements lourds ou mi-lourds, la biologie recourt pour le moment aux sources de neutrons, comme celle de l’Institut Laue-Langevin (ILL) de Grenoble, et à la résonance magnétique nucléaire (RMN). Le rayonnement synchrotron devrait toutefois voir ses applications croître rapidement dans le domaine de la biocristallographie, comme on le constate déjà sur de nombreuses machines.

A cet égard, la Fondation européenne de la science, dans son rapport de 1998 sur l’utilisation du rayonnement synchrotron dans les sciences du vivant, confirme cette évolution, à laquelle l’ESRF a beaucoup contribué par l’excellence de ses résultats, et recommande que les synchrotrons existant en Europe ou en projet à la date de l’étude soient équipés en lignes de lumières dédiées à la biologie structurale. Les statistiques dont fait état la Fondation européenne de la science, tant pour l’Europe que pour les Etats-Unis, montrent une croissance des applications du rayonnement synchrotron en biologie et une diminution dans celui de la physique et de la chimie.

Cette croissance des besoins de la biologie est observée à l’ESRF de Grenoble comme à Hambourg (DESY) où se trouvent même des lignes de lumière dédiées financées par l’EMBL. Quant au synchrotron italien ELETTRA en fonctionnement à Trieste, la moitié de sa capacité est affectée à la biologie, avec au surplus, une possibilité réelle d’installer de nouvelles lignes.

Pour autant, il semble difficile de prévoir les besoins à 10 ans. D’autant que la RMN, jusqu’ici limitée à la résolution de structures de masses moléculaires de 20 000 à 30 000 devrait progresser.

Avec de très hauts champs magnétiques permettant l’utilisation de fréquences supérieures à 1 GHz, il sera possible, tout à la fois, de déterminer des structures de masses moléculaires de l’ordre de 100 000 et d’effectuer des études dynamiques.

" La constitution de réseaux d’équipements de RMN à très haut champ est à l’ordre du jour aux Etats-Unis et pourrait également s’appliquer à la France et à l’Europe, avec une bonne couverture du territoire ".

On peut donc estimer qu’à l’avenir, " il existera des équipements complémentaires, voire partiellement substituables aux synchrotrons ".

M. Pierre PAPON a alors détaillé la situation de l’Europe, dont les besoins, estime-t-il, justifient davantage l’installation de lignes de lumière dédiées à la biologie structurale que la construction de nouveaux anneaux de stockage au-delà de ceux prévus.

Il existe en effet un parc de 8 synchrotrons opérationnels de performances très différentes et de 4 ou 5 en cours de réalisation ou dont la construction a été décidée, dont SOLEIL-DIAMOND. La Suisse disposera d’une machine comparable à SOLEIL au terme de la construction du SLS, dont la puissance est l’ordre de 2 GeV. L’Allemagne va disposer avec ANKA à Karlsruhe d’une nouvelle source de 2,5 GeV et avec BESSY II à Berlin d’un autre synchrotron de 3ème génération. Il existe donc " un spectre de machines différentes " en Europe. Parmi les installations les plus performantes, l’ESRF figure au premier rang, suivi de celles de Daresbury, de Hambourg et de Berlin.

Il paraît difficilement compréhensible qu’aucune information ou coopération européenne n’ait précédé les décisions relatives aux derniers projets de synchrotron. Tant pour ces équipements que pour les réacteurs à neutrons et avec en perspective une source de neutrons à spallation, une stratégie commune, bilatérale ou trilatérale, est indispensable, prévoyant une répartition égale de ces installations entre les parties prenantes. La bonne politique pour la France consiste sans nul doute, pour M. Pierre PAPON, à prendre note des besoins et à élaborer d’un commun accord avec un ou plusieurs partenaires un programme de construction et d’utilisation des divers très grands équipements nécessaires avec une juste répartition géographique de ceux-ci.

La France s’est efforcée quant à elle de rationaliser sa politique en la matière avec le comité des grands équipements scientifiques présidé pendant plusieurs années par M. Pierre AIGRAIN, comité dissout par M. François d’AUBERT.

S’agissant des actions de l’Union européenne dans le domaine des grands équipements, M. Pierre PAPON a souligné l’importance du programme " Access to Research Infrastructures ", doté d’un budget de 180 millions d’euros pour la durée du Vème programme cadre et dont il préside cette année le comité des propositions. Ce programme répond bien à son objectif de favoriser la mobilité des chercheurs. Le LURE, par exemple, bénéficie d’un contrat moyennant un quota d’accès de 15 à 20 % d’étrangers. Les chercheurs français bénéficient à leur tour de ce programme notamment pour se rendre à Trieste sur le site du synchrotron Elettra. Outre l’accès à des ressources expérimentales de pointe, le programme a une autre vertu essentielle, celle de favoriser les échanges entre chercheurs européens.

M. Pierre PAPON a estimé au total que la distance du grand équipement par rapport au laboratoire originel n’est pas une question importante et que " la délocalisation n’est pas un obstacle à la recherche ", bien au contraire. Les rencontres informelles à l’ESRF ou à l’ILL de Grenoble donnent souvent naissance à des coopérations informelles puis à des projets communs.

Faisant référence à un autre domaine, M. Pierre PAPON a cité l’exemple du premier navire océanographique franco-espagnol d’un coût de 300 millions de francs, dont la construction, décidée à l’initiative de l’Ifremer pour la France, permet à la fois la mise en commun de méthodes scientifiques différentes et la décrispation de relations qui tournent souvent à l’affrontement entre marins pêcheurs des deux pays.

La construction d’un équipement en commun avec d’autres pays peut être ainsi valorisante et permettre d’aboutir à un résultat plus performant. Il a également cité l’exemple de l’Institut Laue-Langevin (ILL) dont les premiers utilisateurs dans le domaine de la biologie furent anglais, suivis ensuite par les chercheurs français stimulés sans doute par leurs collègues britanniques.

Pour ce qui est des effets d’entraînement des grands équipements, M. Pierre PAPON a remarqué que selon lui, " il n’existe aucune étude économique qui montre que les très grands équipements aient un impact économique direct sur l’économie régionale ". Bien évidemment, un équipement comme DIAMOND ou SOLEIL aurait un intérêt direct pour l’industrie pharmaceutique. Par ailleurs, le versement de rémunérations aux salariés permanents de l’installation et les contrats de sous-traitance sont évidemment bénéfiques à l’activité locale.

Mais les études sur la recherche et l’innovation, et sur la recherche dans les régions que la Commission européenne a diligentées, n’ont pas mis en évidence une quelconque corrélation entre la présence d’un très grand équipement et un dynamisme économique local fondé sur des transferts de technologie. De même les indicateurs sur la science et la technologie produits par l’OST ne permettent pas de tirer de conclusions sur ce point.

S’exprimant sur plusieurs thèmes évoqués par l’orateur, M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a fait valoir d’une part qu’il est de la responsabilité du Gouvernement de préserver la diversité scientifique du pays, d’autre part que le comité des grands équipements scientifiques a été supprimé le 2 novembre 1999 par le présent gouvernement au motif, rapporté par la presse, qu’il s’agissait d’un lobby d’une efficacité redoutable et enfin que, dans le cadre de la construction du futur LHC (Large Hadron Collider), les pays hôtes ont été " taxés " précisément parce qu’ils bénéficieront de retombées économiques.

M. Georges CHARPAK a remarqué qu’incontestablement, SOLEIL et DIAMOND présentent des différences sensibles parce qu’ils doivent répondre à des besoins locaux différents. Par ailleurs, il a estimé important de noter que le ministère s’efforce de faire entendre que la part française dans DIAMOND représenterait à peu près la moitié des ressources offertes par SOLEIL, sans qu’il soit fait allusion à une " perte de liberté " sur le type de sciences que les chercheurs français pourraient pratiquer sur les lignes de lumière dévolues à la France. Il est donc capital de tirer au clair ce qu’est véritablement le Wellcome Trust, à propos duquel les opinions divergent du tout au tout.

M. Pierre PAPON a jugé important de vérifier l’assertion selon laquelle les synchrotrons sont nécessairement spécialisés, l’important selon lui étant que les lignes de lumière le soient. Il a également confirmé que le Wellcome Trust, s’il a bien un capital " hérité " de la firme pharmaceutique Glaxo Wellcome, jouit néanmoins d’une large autonomie, et préfère implanter DIAMOND à Oxford ou Cambridge, plutôt que dans le " relatif vide scientifique " de Daresbury.

Dans la discussion qui a suivie, différents thèmes ont été abordés.

Le caractère irremplaçable du rayonnement synchrotron pour la biologie structurale a été encore une fois souligné par M. Jochen SCHNEIDER. Selon ses informations, aucun spécialiste des protéines n’est désireux de remplacer le rayonnement synchrotron par la RMN. Ainsi qu’il l’a exprimé avec force, " les biologistes veulent comprendre le fonctionnement des machines moléculaires et pour cela il faut le rayonnement synchrotron ", même si les statistiques du nombre d’utilisateurs par discipline sont à prendre avec précaution dans la mesure où un chercheur résolvant une structure moléculaire en un jour, grâce à des procédures presque standardisées, compte autant qu’un utilisateur restant quinze jours sur le site pour mettre au point une manipulation sophistiquée.

S’agissant du manque de concertation en Europe pour arrêter les projets de synchrotrons dans les années récentes, M. Jochen SCHNEIDER a pointé la grande différence qui existe entre les vitesses de développement des sources de neutrons pour lesquelles une concertation a, en effet, pu être mise en place, et celle des synchrotrons.

La technologie des sources de neutrons est stable depuis 20 ans et à cet égard, aucune installation plus performante que la source de l’ILL n’a pu être mise au point. La situation est entièrement différente pour les synchrotrons, où les progrès continuent d’être rapides. On l’a vu, à propos de la cohérence. D’autres exemples peuvent être cités, comme celui des mini-ondulateurs, mis au point il y a trois ans à Brookhaven et repris depuis dans de nombreuses installations. Dès lors, selon M. SCHNEIDER, toute planification pour des machines multinationale de 3ème génération court le danger d’être trop lente.

Mais ce qui apparaît capital à M. Jochen SCHNEIDER, c’est que dans le concert mondial des synchrotrons, la France continue d’attirer à elle les utilisateurs de ce type de rayonnement par sa " composante créative " qui permet actuellement d’y disposer de ressources introuvables ailleurs.

Si le projet SOLEIL était abandonné, la France serait rapidement réduite au rang d’un pays comme le Portugal qui n’a pas de maîtrise des technologies des synchrotrons. A cet égard, M. Pierre PAPON a, lui aussi, jugé important que la France garde ses compétences dans ces domaines.

Quant à l’impact économique d’un très grand équipement, M. Jochen SCHNEIDER a fait mention d’une étude réalisée à Hambourg préalablement à la décision d’y construire le collisionneur HERA pour un montant de 1,3 milliard de DM valeur 1990 et qui démontre sans conteste l’impact économique général d’un tel investissement de recherche.

Complétant son propos initial, M. Pierre PAPON a alors exposé les résultats d’une enquête tirée du rapport 1999 de l’Observatoire des Sciences et des Techniques et portant sur les performances scientifiques des principales villes européennes mesurées par le nombre de publications scientifiques et de brevets de leurs laboratoires de recherche publics et privés. Selon cette enquête, la première place pour les dépôts de brevets européens en 1997 est occupée par Munich et la seconde par Paris et sa petite couronne, deux villes dans lesquelles on ne trouve pas de grand équipement, alors qu’Hambourg avec les installations HERA et DORIS ne décroche que la 31ème place.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a toutefois souligné que les collectivités locales sont prêtes à suivre les efforts de l’Etat en faveur d’un nouveau synchrotron, une volonté qui repose sans nul doute sur des raisons valables.

Reprenant plusieurs des questions abordées au cours de la matinée, M. Jean GALLOT a fait alors remarquer que " l’on ne peut gommer l’histoire " à aucun des niveaux de l’analyse.

Un synchrotron est certes un équipement mais c’est aussi un ensemble des ressources humaines, celles des équipes de chercheurs dont les compétences irriguent un espace économique et les pôles d’enseignement voisins. On ne saurait à cet égard minimiser l’impact d’un grand équipement comme un synchrotron sur le niveau des étudiants des structures universitaires voisines.

Au reste, la création d’un centre de compétences change toujours la donne, qu’il s’agisse de laboratoires ou d’une université, comme on l’a constaté par exemple avec la création de l’université de Rouen. Certes, l’impact est progressif mais les exemples historiques abondent qui démontrent le rôle structurant sur une région d’équipements scientifiques de haut niveau.

Par ailleurs, même s’il est regrettable qu’une concertation européenne n’ait pas eu lieu par exemple à l’occasion de la construction de nouvelles machines en Europe comme ANKA, la priorité doit désormais être donnée au maintien et au développement des spécialités françaises de niveau mondial que sont la spectroscopie rayons X et les technologies des synchrotrons.

En toute hypothèse, la coopération européenne n’exclut pas la réalisation de projets nationaux, bien au contraire puisque, pour être invité à coopérer, il faut faire la preuve d’une qualité scientifique suffisante.

Il reste que la conduite simultanée des indispensables projets nationaux et des coopérations européennes souhaitables serait plus aisée avec un budget en augmentation significative, une augmentation dont le budget de la recherche ne bénéficie malheureusement pas depuis quelques années et en particulier pour l’année 2000.

Après cette dernière intervention, M. René PELLAT, Haut Commissaire à l’énergie atomique a été invité à s’exprimer en tant que responsable auprès du ministre de la recherche du dossier de l’accroissement des ressources françaises en rayonnement synchrotron.

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M. René PELLAT, Haut Commissaire à l’énergie atomique, a alors précisé qu’il est effectivement chargé par le ministre chargé de la recherche de piloter deux groupes de travail sur le dossier synchrotron.

Le premier groupe est chargé des dossiers SOLEIL et DIAMOND, et en particulier des négociations avec le Royaume Uni.

Le deuxième groupe a la charge de gérer la période transitoire en prenant des contacts avec les centres de rayonnements synchrotron européens comme SLS en Suisse ou Elettra en Italie. Il s’agit de coordonner les approches du CNRS et du CEA dans la perspective de la location ou de l’achat de lignes de lumière garantissant l’accès des chercheurs français à des machines en fonctionnement.

Un troisième groupe, organisé par le ministère, a la charge de réunir des compétences européennes et de faire émerger une concertation entre les pays correspondants.

Ces groupes devront conclure leurs travaux à l’horizon d’un an.

M. René PELLAT s’est félicité de l’accord de tous les organismes concernés pour la constitution des groupes de travail, qui témoigne d’un " bon esprit ".

Il a ajouté qu’intellectuellement " on va vers des machines spécialisées ".

La marche vers les hautes énergies correspondant aux rayons X exigés par la biologie structurale n’affranchit pas en effet de la nécessité de satisfaire les autres besoins qui, eux, correspondent aux basses énergies. Certes, il est possible de dégrader les rayonnements haute énergie en rayonnements basse énergie. Mais une machine haute énergie, aux caractéristiques " très pointues " coûte 3 à 4 fois plus cher qu’une machine spécialisée dans l’UV. La taille d’un synchrotron et son coût sont en effet fonction de l’énergie du rayonnement à produire. On peut estimer à cet égard que le remplaçant du LURE pourrait coûter trois à quatre fois moins cher que DIAMOND.

D’autres caractéristiques de fonctionnement différencient une machine de basse énergie d’une machine haute énergie : les biologistes font des " photos " et n’immobilisent pas longtemps une ligne de lumière alors qu’en mécanique, en chimie ou en physique, deux mois peuvent être nécessaires pour la mise au point d’une manipulation.

M. René PELLAT a également indiqué qu’une machine ne peut être séparée du développement scientifique et humain, tant les compétences sont fondamentales.

En tout état de cause, " si le choix est fait de machines dédiées, alors il faudra une machine moderne en UV ". De surcroît, si l’Union européenne se rassemble, il faudra une machine en dehors de SOLEIL et de DIAMOND.

Concernant ce dernier projet, comme les chercheurs anglais ont un niveau très élevé en biologie, il serait avantageux de mettre en place des laboratoires communs permettant de bénéficier d’un savoir plus avancé, d’où des profits indirects tirés de la participation au projet DIAMOND. L’implantation éventuelle de cet équipement à Daresbury poserait un problème supplémentaire, puisque les compétences sont à Oxford et à Cambridge, encore que pour une machine spécialisée dans les applications de la biologie structurale, l’environnement local compte moins que pour la physique.

M. René PELLAT a noté qu’au démarrage de sa mission, le climat était mauvais, sans doute en raison d’une traduction maladroite de l’argumentation des tutelles. L’idée selon laquelle " tout nouveau très grand équipement sera européen " semble toutefois mieux comprise aujourd’hui. Avec le recul et davantage d’explications, le CNRS et le CEA sont désormais d’accord pour constituer les groupes de travail et y détacher les spécialistes indispensables à l’instruction des dossiers. Une fois celle-ci terminée, " on verra quelle est l’évolution du Wellcome Trust et s’il y a des idées nouvelles ".

M. Georges CHARPAK a estimé intéressante l’idée de machines dédiées. Ainsi, sur un synchrotron anglais DIAMOND orienté vers la satisfaction des besoins de la biologie et de l’industrie pharmaceutique, la France pourrait disposer de lignes de lumière au demeurant inadéquates pour la physique. Avec une autre machine dédiée, moins coûteuse que DIAMOND, et accessible par réciprocité aux chercheurs du Royaume Uni, l’ensemble ferait " quelque chose de raisonnable ".

M. René PELLAT a confirmé que les chercheurs anglais attendent, de fait, autre chose que DIAMOND pour les faibles énergies. Au reste, cette solution serait à l’avantage de la France puisque la machine spécialisée dans les expériences de physique pour lesquelles la proximité des laboratoires est avantageuse, serait sur son sol. Au surplus, des possibilités d’accès à des machines européennes existent, comme à Trieste où le synchrotron ELETTRA est sous-utilisé actuellement par manque de potentiel scientifique et industriel local.

M. Jean JERPHAGNON s’est interrogé sur la possibilité effective de réaliser un ensemble diversifié d’expérimentations sur un synchrotron dédié et ceci grâce à l’adaptation des lignes de lumière.

M. René PELLAT a confirmé que le fonctionnement d’une machine produisant des faisceaux de forte brillance et de haute énergie peut être " dégradé " volontairement de façon à répondre aux besoins en rayonnements de plus faible longueur d’onde. Toutefois, une machine de type SOLEIL ou DIAMOND tournée vers la biologie, qui nécessite un anneau plus grand, coûte 4 fois plus cher (1,6 milliard de francs) qu’une machine de basse énergie. Or si les sources de neutrons connaissent une stagnation de leurs technologies, les progrès faits sur les onduleurs et les dispositifs de contrôle des synchrotrons ont été importants au cours des années 1990, de sorte qu’il est possible de les utiliser à bon escient pour construire des machines de basse énergie peu coûteuses. Ainsi, pour M. René PELLAT, " la philosophie globale, c’est cela. Le groupe européen conclura cela ".

Tout en ne négligeant pas les aspects locaux, il faut s’entendre sur la répartition des synchrotrons et des très grands équipements en Europe et être intransigeants dans les négociations sur la qualité et les compétences.

M. Jochen SCHNEIDER a alors donné son point de vue sur les coûts respectifs des différents types de synchrotrons. Certes un synchrotron spécialisé dans la production de rayonnements UV est moins coûteux qu’un synchrotron dédié aux rayons X. Mais ceci est vrai au niveau de l’accélérateur et des anneaux de stockage et ne l’est pas pour les lignes de lumière. Les lignes de lumière correspondant aux rayons X sont moins coûteuses que celles mises en œuvre pour l’utilisation de rayonnements UV.

En conséquence, c’est l’ensemble constitué de la machine proprement dite et des lignes de lumière qu’il faut comparer. Si l’on veut bien faire le total équipements de base et lignes de lumière, alors l’investissement total " machines + lignes de lumière " d’un synchrotron basse énergie s’approche de celui d’un synchrotron à rayons X.

A ce stade de l’intervention de M. Jochen SCHNEIDER, M. René PELLAT a fait remarquer que l’on dispose des lignes de lumière du LURE, qui pourraient être réemployées sur une autre installation. M. Jochen SCHNEIDER a ultérieurement jugé que la greffe d’équipements anciens sur une machine de nouvelle génération est une opération rarement vue dans l’histoire des techniques.

M. Jochen SCHNEIDER est ensuite revenu sur la nécessaire proximité du synchrotron par rapport à ses utilisateurs, une question qu’il juge essentielle. Il a noté que les biologistes allemands expriment désormais le besoin d’accéder à un synchrotron en remplacement de leurs équipements rayons X de laboratoire. En effet, la cristallisation de protéines est un phénomène lent, prenant de 3 à 4 semaines, de sorte qu’il leur paraît préférable de faire rapidement un cliché sur un microcristal, comme le rayonnement synchrotron le permet, plutôt que d’attendre plus longtemps pour contrôler le processus de cristallisation avec leur équipement de laboratoire, au risque de perdre un mois si ce processus n’a pas débouché. En tout état de cause, M. Jochen SCHNEIDER estime fondée cette aspiration des biologistes, tout en estimant qu’il leur appartient de réunir les financements nécessaires. Au reste, il a aussi remarqué que les groupes travaillant sur le ribosome à Hambourg, réalisent des expériences de contrôle dites de " screening " sur le synchrotron local DORIS III, puis, assurés de la qualité de leurs échantillons, vont faire des clichés de haute qualité à l’ESRF de Grenoble.

D’où l’utilité de moyens locaux, c’est-à-dire de " synchrotrons de proximité " pour la biologie structurale.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a alors établi une synthèse sur la définition technique des synchrotrons.

Grâce aux progrès effectués sur la technologie des synchrotrons, en particulier à l’ESRF, il est aujourd’hui possible de réaliser des synchrotrons " ayant des performances excellentes tout en restant modestes en énergie ". Avec des niveaux d’énergie de 2 à 3 GeV, il est possible de faire des synchrotrons de 3ème génération apportant des gains remarquables en brillance. D’où l’idée de descendre encore dans les niveaux d’énergie et d’aller vers des machines dédiées.

Cette orientation doit toutefois être examinée avec prudence, en gardant présent à l’esprit le souci de la diversité. A trop spécialiser une machine, on réduirait en effet la " diversité " de ses applications et l’on perdrait le bénéfice de " l’imprévisibilité " des améliorations obtenues grâce au progrès des technologies des synchrotrons ainsi que la capacité d’imaginer des applications nouvelles.

Au demeurant, il est indispensable de conserver en France un potentiel de compétences de niveau mondial dans la technologie des synchrotrons.

Quant à une éventuelle complémentarité entre une machine française et une machine anglaise, elle ne devrait pas être " dichotomique ", car les recouvrements entre équipements sont toujours profitables, en ce qu’ils permettent des inter comparaisons et favorisent l’émulation entre les équipes.

De surcroît, il indispensable de ne pas construire à l’économie le nouveau synchrotron. Ainsi, au début des années 1970, l’accélérateur de nouvelle génération construit au CERN l’a été avec une qualité supérieure à ce qui était strictement nécessaire à l’époque. Cette qualité dans les équipements a permis d’acquérir une avance de 10 ans sur les Etats-Unis que ceux-ci n’ont pas rattrapée depuis.

Dans le cas de SOLEIL, l’avant-projet détaillé définit une machine d’avant garde, capable de servir à la biologie structurale mais aussi à quantité d’autres disciplines, couvrant le spectre des UV jusqu’aux X " durs ", en passant par les X " mous " et prévoyant également un laser à électrons libres. Au total, " le potentiel de découvertes assuré par cette machine est considérable ".

Enfin, s’agissant de l’éventualité d’un retard de la biologie structurale française par rapport au Royaume Uni, M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a rappelé que ce n’est pas l’opinion de M. Yves PETROFF, qui constate à l’ESRF un coefficient de retour scientifique et économique pour la France supérieur à 1.

Au reste, " les besoins de la communauté scientifique française en rayonnement synchrotron ne seraient pas satisfaits avec une machine dédiée de 1,5 GeV et quelques lignes de lumière achetées ou louées ici ou là ".

En tout état de cause, même si les lignes allouées à la France sur DIAMOND devaient être au nombre de 7, il est exclu de les mettre toutes au service de la seule biologie structurale.

M. Georges CHARPAK a alors remarqué qu’effectivement les 7 lignes de DIAMOND pourraient satisfaire les besoins de la biologie structurale mais que la France aurait un handicap si elle ne disposait pas d’une machine dédiée sur son sol. Mais dans cette hypothèse, complétée par un synchrotron spécialisé au Royaume Uni, il y aurait un équilibre. " Le programme Pellat tient compte des besoins et optimise les coûts ".

M. René PELLAT a repris la parole pour compléter ses propos liminaires. " J’ai décidé une approche. Toutefois, de combien de lignes disposerons-nous ? 5,6 ou 7 ? Je n’en sais rien ". Il a noté également que le CEA veut bénéficier d’une ligne chaude. En tout état de cause, on peut se rapprocher des énergies faibles avec une machine haute énergie. Tant DIAMOND que SOLEIL peuvent remplacer le LURE.

Pour l’heure, l’atmosphère générale est bonne, le CNRS ayant récemment donné son accord pour une concertation européenne élargie. En tout état de cause, au bout d’un certain temps, il faudra investir beaucoup au LURE pour le maintenir en activité. A cette date, il est vraisemblable que le " panel européen " aura abouti à des conclusions. Pour protéger la période intermédiaire, c’est-à-dire " avant la fermeture du LURE et avant l’entrée en service d’une nouvelle machine ", une négociation va être conduite en rassemblant les besoins de tous les utilisateurs. Il s’agit de déterminer quels types et quels nombres de lignes louer en Suisse, en Allemagne et en Italie, que ce soit pour une période de " deux fois trois ans ou deux fois quatre ans ".

M. Jochen SCHNEIDER a conseillé d’accorder une grande attention au chiffrage du coût des lignes de lumière se trouvant sur une machine située à l’étranger. L’Allemagne en a fait l’expérience à l’Institut Laue-Langevin de Grenoble, où les frais de détachement et de séjour des techniciens et scientifiques allemands qui y résident se sont très élevés.

Au final, " à long terme, c’est le pays où se trouve la machine qui en profite le plus ". Il peut même arriver que le pays d’accueil puisse récupérer les infrastructures payées par le partenaire étranger, quand celui-ci ne peut suivre le rythme des dépenses de modernisation indispensables. Quant au nombre de 7 lignes de lumière sur DIAMOND pour la biologie, il paraît surévalué, un nombre de 3 semblant plus proche de la réalité, sous réserve d’une analyse précise.

La spécialisation des grands instruments est, selon M. Pierre POINTU, un mouvement général dans le domaine de l’instrumentation. " Pour améliorer l’efficacité globale, on dédie et on multiplie ". Toutefois, la nature même de la recherche exige qu’un parc de machines spécialisées soit complété par un équipement à vocation plus générale, seul adapté à des études exploratoires ou hors normes. Et s’il est un endroit où existe l’environnement scientifique indispensable à une telle machine généraliste, c’est au LURE, où toutes les disciplines sont présentes.

M. René PELLAT a insisté sur le fait que, même si une machine haute énergie peut fournir, par un processus de dégradation adéquat, des rayonnements basse énergie, il existe des tendances lourdes différenciant les types d’utilisation par les diverses sciences.

La biologie, qui se développe à une vitesse très rapide et conteste la place de la physique, a certes une expérience moins grande des grands équipements scientifiques que cette dernière. Toutefois, les finalités sont clairement différentes, même si les contraintes relatives à la préparation des échantillons devront être vérifiées. Bien entendu, la coopération européenne aurait dû se faire il y a dix ans. Mais, selon M. René PELLAT, le travail qu’il a entamé se fait sur d’une manière " dépassionnée ". Et il a ajouté que " s’il y a des décisions stupides sur le plan scientifique, on le dira ".

M. Guy OURISSON, Président de l’Académie des Sciences, a noté qu’effectivement les processus expérimentaux varient selon les disciplines. La cristallisation des protéines est difficile et se fait en laboratoire. La résonance magnétique nucléaire évite cette étape, puisque les analyses peuvent se faire avec des échantillons en solution. Ceci est une des raisons pour lesquelles le Japon nourrit le projet d’utiliser la RMN en série pour la biologie structurale des protéines, avec un réseau frontal de spectroscopes RMN à 600 MHz dans les laboratoires pour débroussailler les problèmes, avant l’accès à des spectroscopes partagés à haut champ de 1 GHz. Ce projet en est à ses prémisses, dans la mesure où la RMN à 1 GHz est pour le moment hors d’atteinte, contrairement à celle à 600 MHz.

A la question de M. Guy OURISSON sur l’éventualité de voir avec les synchrotrons un schéma analogue de frontaux et de machines de pointe, M. René PELLAT a répondu par la négative. La préparation des échantillons par cristallisation se fait dans les laboratoires et la résolution des structures sur les lignes de lumière.

S’agissant de la RMN, M. Jochen SCHNEIDER a mentionné les résultats d’une étude de la Fondation européenne pour la science sur les avantages respectifs de la RMN et du rayonnement synchrotron dans la gamme des rayons X.

Pour la majorité des spécialistes consultés, il est inconcevable que la RMN puisse résoudre les structures des " machines moléculaires ". De même, la RMN a certes la capacité de permettre de reconstituer des phénomènes dynamiques, mais ceci reste difficile et ne peut intervenir pour les grosses molécules.

En toute hypothèse, M. Jochen SCHNEIDER a appelé de ses vœux le développement de la RMN, notamment pour débroussailler les problèmes avant le passage en synchrotron. Les études préalables seront à l’évidence plus fructueuse avec des spectroscopes RMN à 600 MHz.

M. Jean GALLOT a enfin souligné la situation d’urgence dans laquelle la France se trouve. Avec le retard et les tensions accumulées, il faut certes trouver des solutions transitoires. Mais compte tenu de la qualité à la fois des équipes du LURE et du projet SOLEIL, l’urgent est de remotiver des équipes qui, sinon, pourraient se défaire, ce qui représenterait une perte scientifique irréparable.

A cet égard, M. René PELLAT a confirmé que la question de la location ou de l’achat de lignes une fois réglée, il y aurait quelques mois pour réagir, l’horizon d’une année devant permettre de traiter le problème d’ensemble.

M. Jochen SCHNEIDER a insisté en l’occurrence sur la nécessité absolue de tracer le plus vite possible des perspectives d’avenir pour les jeunes chercheurs du secteur du rayonnement synchrotron.

Pour clore la réunion, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a fait connaître que le rapport de l’Office sera publié rapidement, afin de rassurer la communauté scientifique et le monde politique, par des recommandations constructives et positives pour la recherche française.

V - Auditions de M. Jean-Pierre CHANGEUX, de M. Yves FARGE et de M. Claude COHEN-TANNOUDJI - mercredi 26 janvier 2000

La réunion a débuté par un exposé de M. Jean-Pierre CHANGEUX, Professeur au Collège de France, sur le rayonnement synchrotron et les très grands équipements en tant qu’enjeu scientifique important et sur un autre sujet essentiel de la politique de la recherche, à savoir l’amélioration des interfaces de la biologie avec les autres disciplines scientifiques.

La neurobiologie moléculaire, la spécialité du Professeur CHANGEUX, en ayant comme objectif l’analyse des processus du cerveau et bientôt des états de conscience, attache une importance croissante aux structures moléculaires pour l’étude des fonctions intégrées, d’où l’importance des très grands équipements, et en particulier des synchrotrons.

En substance, M. Jean-Pierre CHANGEUX a observé que, face à l’institutionnalisation obsolète de clivages interdisciplinaires et au pouvoir institutionnel de la physique, il est urgent et indispensable de renforcer les contacts et les échanges interdisciplinaires.

Des clivages disciplinaires obsolètes existent dans nombre de nos institutions scientifiques. Une hiérarchie implicite des disciplines, au profit des mathématiques et de la physique et au détriment de la biologie, est portée par nos écoles les plus prestigieuses comme l’Ecole normale supérieure, ainsi que par nos académies scientifiques. Parmi les grands organismes de recherche, seuls le CNRS et le CEA ont mis en œuvre des interfaces institutionnelles entre les sciences physiques et la biologie, avec toutefois des clivages budgétaires et des évolutions moins favorables à la biologie en termes de crédits. Au demeurant, la médecine et la biologie sont isolées dans des organismes spécialisés, comme l’INSERM et l’INRA ou l’Institut Pasteur, au sein desquels les interfaces avec d’autres disciplines sont complexes à mettre en œuvre.

De même, les très grands équipements scientifiques ressortissent classiquement de la physique même s’ils ont aussi des applications fondamentales dans d’autres disciplines. Au plan institutionnel, on peut dire qu’il n’y a " aucune prise en compte des immenses progrès de la biologie ". Au plan intellectuel, on peut aussi constater qu’une hiérarchie indue se perpétue, puisque aussi bien, comme l’a dit René Thom, " il n’existe pas de théorème en biologie ".

Ces réalités font obstacle à la nécessaire reformulation des relations entre la biologie et la physique qui devrait faire suite à un réexamen systématique de l’importance des différentes disciplines scientifiques dans notre pays et se traduire par une réévaluation de la place de la biologie en raison de ses progrès conceptuels et de l’importance croissante de ses applications industrielles.

Au demeurant, en droite ligne des clivages disciplinaires obsolètes, il existe dans notre pays une primauté de la physique dommageable aux autres sciences.

En premier lieu, la physique tient sa place de ses liens avec les industries de l’armement qui tirent parti, directement ou indirectement, des résultats de ses recherches et lui apportent des contributions budgétaires significatives, sans pour autant qu’une évaluation scientifique adéquate, c’est-à-dire internationale, examine la rentabilité des sommes investies.

En second lieu, la physique bénéfice aussi de ses applications nombreuses et multiformes dans les industries des matériaux, de l’électronique, de l’atome et de l’espace, en particulier.

A cet égard, la politique des très grands équipements ne peut être séparée de la politique de la défense, de l’énergie et de la politique industrielle. Dans certains cas, comme celui du CERN, le recensement des crédits alloués aux très grands équipements doit même aller jusqu’au budget du ministère des affaires étrangères. En tout état de cause, le calcul devrait être fait de l’efficacité d’une telle utilisation de " l’argent des citoyens ".

Au vrai, l’allocation de ressources budgétaires considérables à la physique et à ses applications sans contrôle de leur efficacité budgétaire, est pérennisée par le rôle éminent des physiciens dans les instances de direction de la recherche française.

Alors que les Etats-Unis ont fait leur révolution culturelle en donnant une priorité à la recherche en biologie, cette question devrait être débattue publiquement en France. En particulier, il n’est pas acceptable pour les chercheurs du CNRS en sciences de la vie de disposer de deux fois moins de crédits que leurs homologues de l’INSERM et de quatre fois moins de crédits qu’au CEA. Or, l’une des raisons invoquées par la direction du CNRS pour justifier cet écart est précisément la nécessité pour ses laboratoires de biologie de contribuer au financement des très grands équipements dont ils sont supposés se servir.

Si la domination de la physique doit être corrigée, cela signifie surtout que ses interactions avec les autres disciplines, et en premier lieu avec la biologie, doivent être multipliées.

Alors que l’achèvement du décryptage du génome est en vue, la France doit occuper une place en pointe dans le " post génome ". L’identification des séquences géniques a pour principal but la découverte du codage des protéines, dont le rôle dans les organismes vivants est fondamental. Un autre objectif est la compréhension de l’organisation du génome et de ses interactions avec les protéines.

A tous les stades de la recherche post génomique, la cristallographie des protéines joue un " rôle décisif ". Le rayonnement synchrotron est l’un des outils fondamentaux de la biologie à cet égard. Or dans notre pays, " la cristallographie des protéines est une discipline sinistrée " à cause de l’impérium de la chimie traditionnelle. D’ailleurs les travaux de Max PERUTZ, Prix Nobel ne sont pas reconnus en France comme appartenant à la chimie.

Face à ces enjeux fondamentaux, il convient de ne pas diviser la science en disciplines étanches et au contraire d’approfondir la collaboration entre la biologie, la chimie et la physique, en particulier autour des très grands équipements. " Créer des interfaces entre les disciplines de façon plus constructive " est un impératif pour l’avenir.

Il reste que, même si la question des très grands équipements ne se résume pas aux seuls synchrotrons, l’imagerie tient d’ores et déjà une place fondamentale et que, selon toute probabilité, les très grands équipements actuels ou futurs joueront un rôle critique dans l’étude de l’activité cérébrale accompagnant les fonctions cognitives et mentales. Des aménagements budgétaires seront donc nécessaires.

Pour lutter contre la myopie des scientifiques qui défendent leur discipline quelquefois sans discernement, il paraît essentiel d’avoir une conception plus large de la recherche, en premier lieu en multipliant les coopérations européennes et mondiales, et, en second lieu, en mettant au premier rang des priorités de la recherche la création d’interfaces entre les disciplines, deux démarches à placer, en tout état de cause, sous l’examen d’une évaluation scientifique rigoureuse.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a alors demandé à M. Jean-Pierre CHANGEUX de préciser si, dans sa vision du développement de la biologie, la localisation en France ou ailleurs de nouvelles ressources en rayonnement synchrotron est un paramètre important.

M. Jean-Pierre CHANGEUX a estimé que la cristallographie est une discipline sinistrée en France, non pas en ce qui concerne le niveau des équipes françaises, qui est excellent, mais pour le nombre d’équipes, inférieur à ce que l’on observe au Royaume Uni.

Or la relation structure-fonction est une question essentielle en biologie. En neurobiologie, les chercheurs de l’Institut Pasteur et du LURE ont ainsi pu mettre en évidence des phénomènes importants comme les changements conformationnels des récepteurs de neuromédiateurs, grâce à un accès aux installations du LURE. Les recherches se poursuivent sur ce thème avec les deux lignes de biologie structurale de l’ESRF à Grenoble. L’intérêt de l’ESRF est de pouvoir analyser des cristaux de très petites dimensions, un avantage essentiel, tant les processus de cristallisation de protéines membranaires sont empiriques et difficiles à maîtriser.

En toute hypothèse, il n’y a pas plus de difficultés à se rendre à Londres qu’à Grenoble, l’important étant la possibilité d’un accès effectif aux faisceaux les plus performants. Par ailleurs, la sélection des projets d’utilisation du rayonnement synchrotron doit être faite équitablement, comme à Grenoble, par un jury international. Si ces conditions sont réunies, la délocalisation de l’équipement ne présente pas d’inconvénient majeur, la question critique étant celle de la saturation éventuelle des grands équipements.

M. Georges CHARPAK a ensuite demandé à M. Jean-Pierre CHANGEUX de faire le bilan de la politique de soutien préférentiel à la biologie conduite par le ministre de la recherche, M. Claude ALLEGRE, afin de rééquilibrer sa place par rapport à celle de la physique.

M. Jean-Pierre CHANGEUX a confirmé qu’il y a un an, le ministre a annoncé publiquement que les crédits des sciences de la vie au CNRS devaient être multipliés par deux en trois ans. C’est en réalité la première fois en France que la biologie bénéficie d’une priorité. Il reste toutefois de nombreux blocages au sein des principales institutions de la recherche française, en particulier au CNRS. Cette augmentation n’a pas eu l’ampleur attendue. En l’espèce, si des décalages existent entre le CNRS et l’INSERM en termes de crédits par chercheur, ce n’est pas le budget de l’INSERM qui doit être diminué mais celui du CNRS qui doit être augmenté, l’objectif n’étant pas une modification des crédits entre les différents organismes mais une augmentation de sommes consacrées aux sciences de la vie.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, ayant noté que les crédits du Fonds pour la Recherche et la Technologie (FRT) permettent en 2000 d’augmenter les crédits de la biologie, M. Jean-Pierre CHANGEUX a estimé qu’au contraire de ces crédits dont la stabilité est sujette à caution, ce sont les crédits institutionnels qui sont les plus importants par leur régularité. Au reste, le doublement des crédits des sciences de la vie, une mesure qui serait spectaculaire, ne constituerait pas une charge impossible pour le CNRS, tant leur montant est peu élevé. En tout état de cause, la contrepartie d’un développement des très grands équipements devrait être l’augmentation des moyens donnés à la biologie pour se développer.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a alors remarqué que si l’on trouve sinistrée une discipline comme la cristallographie des protéines, il est logique alors de lui allouer davantage de moyens, en particulier dans le domaine du rayonnement synchrotron. Or le LURE étant arrivé en fin de course et la limite maximale de temps de faisceau pour la France, fixée par sa part dans le financement total, étant atteinte dans l’ESRF, on arrive donc à une butée que l’abandon de SOLEIL n’effacera pas, bien au contraire.

Pour M. Georges CHARPAK, l’important est de donner des moyens supplémentaires, qu’ils se trouvent à Grenoble ou au Royaume Uni.

M. Jean-Pierre CHANGEUX a remarqué qu’au-delà des volumes de temps d’accès, la qualité des sources est fondamentale. Tout dépend des performances des équipements. D’ailleurs, il pourrait s’avérer nécessaire de repenser le LURE et SOLEIL, pour atteindre le niveau de performances de l’ESRF. Cette réflexion devrait peut-être se faire au niveau européen pour atteindre, si nécessaire, des performances encore plus élevées.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a alors rappelé les principales conclusions de la Fondation européenne de la science quant aux besoins à moyen terme de la science européenne en rayonnement synchrotron.

En premier lieu, le panel de spécialistes de haut niveau réuni par la Fondation a conclu à la nécessité de renouveler les sources arrivées en fin de vie que sont le SRS et le LURE. En second lieu, il est indispensable, selon la Fondation, de soutenir la construction de nouvelles sources pour satisfaire les besoins futurs en temps de faisceau des différentes disciplines et en particulier de la biologie.

En définitive, la décision de ne pas construire de synchrotron supplémentaire par rapport à la situation actuelle et au surplus de ne remplacer qu’un des deux synchrotrons arrivés en fin de vie et appelés à disparaître, représentent une orientation opposée à 180 ° à l’opinion de tous professionnels de cette discipline.

M. Georges CHARPAK, à cette occasion, a rappelé que les retombées nationales d’un très grand équipement ne doivent pas être surestimées, si l’on en croit M. Pierre PAPON, et qu’en l’occurrence, la Fondation européenne de la science n’est pas dispensatrice de la " parole sacrée ", d’autres opinions méritant tout autant d’être prises en considération.

Un débat s’est engagé à cet instant sur les retombées des très grands équipements.

M. Pierre POINTU a indiqué que toutes les études économiques sur l’incidence d’un très grand équipement scientifique sur le développement économique local sont positives. Pour M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, et M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, il est incontestable que l’ESRF, par exemple, a contribué au développement régional, en amont par les commandes passées aux entreprises locales, et en aval avec l’essaimage d’entreprises de haute technologie. Au demeurant, ce thème devra être traité dans le rapport. M. Guy OURISSON, Président de l’Académie des Sciences, à cet égard, a cité l’étude faite par l’université de Strasbourg sur les retombées économiques positives du CERN.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a pointé les divergences d’opinion entre les experts comme M. Jochen SCHNEIDER qui constatent que de nouvelles disciplines se développent à proximité d’un synchrotron grâce à la liberté d’accès à ses lignes de lumière à tout moment ou presque, et ceux qui considèrent que le facteur critique est l’utilisation des faisceaux, et rien d’autre.

M. Jean-Pierre CHANGEUX a confirmé que, dès que les biologistes disposent d’un cristal de très petite taille, leur souci est de le tester sur une ligne de lumière où quelle soit, la " rapidité d’accès " aux lignes étant donc très importante. Compte tenu de la lenteur du processus de cristallisation, les résultats préliminaires ont en effet une grande importance et permettent de refaire les expérimentations sans perte de temps.

Certes au départ, la cristallographie s’est développée sans grands équipements. Mais ceux-ci ont enrichi le tissu scientifique et devraient permettre, dans l’idéal, de multiplier les interfaces entre la biologie et la physique. Au reste, de nouvelles méthodes sont indispensables pour résoudre les structures des protéines non cristallisables, comme les protéines membranaires. De nouveaux champs d’étude vont se développer dans le domaine de la biologie où de nouveaux grands équipements devraient apporter des résultats intéressants, comme par exemple sur les mini-cristaux.

M. Guy OURISSON a confirmé que les biologistes produisent souvent des cristaux fragiles et de faible durée de vie, dont la fabrication est de surcroît difficile à planifier. Ainsi, " la destinée d’une protéine est de ne pas être cristallisée ". La rapidité et la souplesse d’accès, à tout moment, à un synchrotron sont donc des paramètres essentiels pour la biologie, au contraire des autres disciplines.

En tout état de cause, selon M. Jean-Pierre CHANGEUX, le processus de décision doit, si les besoins en rayonnement synchrotron ne sont pas satisfaits et s’il faut dès lors un nouvel équipement, privilégier la construction au niveau européen de machines les plus performantes possibles.

Pour M. Guy OURISSON, l’accès à un équipement international doit être garanti par des procédures rigoureuses, faisant appel à une évaluation préalable des projets par un comité de sélection international. Au reste, la localisation de la source, que celle-ci se trouve à Paris, Grenoble ou Hambourg, ne semble pas un " frein " à des équipes comme celles du Professeur Dino Moras de l’université de Strasbourg.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI est ensuite revenu sur la question de la rapidité d’accès à l’instrument. Celle-ci n’est pas conditionnée que par la localisation mais également par la longueur de la file d’attente. Il existe en effet des goulots d’étranglement et rien ne peut compenser le fait qu’un schéma à un synchrotron ne peut offrir que la moitié des lignes d’un schéma à deux synchrotrons qui permettront une rapidité d’accès plus grande, où qu’ils soient.

M. Jean GALLOT, faisant référence à l’exposé de M. Vincent MIKOL lors d’une séance précédente, a estimé, à son tour, que la proximité et la vitesse d’accès grâce à des créneaux libres sont certes des raisons importantes qui militent en faveur de l’implantation d’un synchrotron sur le sol national mais que l’effet de structuration économique et scientifique d’un tel équipement est un autre élément capital.

Il n’est pas indifférent, en effet, que l’implantation du futur synchrotron ait lieu en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Suède, pour les multinationales qui décident du lieu d’implantation de leurs laboratoires. La présence de l’ESRF à Grenoble a justifié le choix de cette région par différentes entreprises. En réalité, même si un grand instrument est européen, sa localisation a une porté économique considérable et une portée scientifique tout aussi importante sur les communautés scientifiques nationales.

M. Georges CHARPAK a ensuite estimé qu’il se dessine à l’heure actuelle, ainsi que M. René PELLAT l’a indiqué, un schéma comportant non pas deux machines identiques mais une machine dédiée à la biologie, en l’occurrence DIAMOND, et une autre machine optimisée pour les physiciens et les chimistes qui serait " quatre fois moins chère " pour une énergie de 1,5 GeV.

On pourrait même envisager de construire cette machine au LURE, en le dotant d’un nouvel injecteur, ce qui, avec d’autres mises à niveau, permettrait de parvenir à un synchrotron de 1,5 GeV " superperformant " et constituerait, à n’en pas douter, une solution rationnelle. De par l’acquisition par la France de 7 lignes de lumière qui, au demeurant ne seraient pas allouées exclusivement à la biologie, DIAMOND perdrait son caractère exclusivement britannique. Il serait en outre possible d’intéresser l’Espagne à la construction de la machine française.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a observé à cette occasion que si le Parlement s’est saisi de la question d’un nouveau synchrotron, il convient d’être objectif et d’explorer toutes les solutions, le temps des conclusions n’étant pas encore arrivé. La grandeur de la démarche de l’Office est, dans ce cas comme toujours, d’être à l’écoute de toutes les suggestions, puis de déterminer la meilleure solution pour la communauté scientifique française. Quant à une machine dédiée venant compléter les lignes acquises sur DIAMOND, il faut à tout prix éviter qu’il s’agisse d’un lot de consolation attribué pour " faire plaisir " aux utilisateurs français. La " rigueur " dans l’analyse est à la base de la grandeur de la démarche de l’Office dans ce dossier difficile.

Pour terminer sa communication, M. Jean-Pierre CHANGEUX a fait le constat que les exigences des différentes disciplines scientifiques ne sont pas les mêmes, en particulier celles de la cristallographie pour la biologie et celles de la physique du solide. La biologie nécessite en tout état de cause un accès rapide aux lignes de lumière les plus performantes possibles, la proximité du synchrotron par rapport aux utilisateurs étant un avantage décisif. Au vrai, compte tenu de la spécificité des besoins de la biologie, il convient peut-être de vérifier si le concept d’un équipement multidisciplinaire correspond toujours à la situation.

Les Rapporteurs ont, à ce stade de la réunion, passé la parole à M. Yves FARGE, conseiller de Mme Catherine BRÉCHIGNAC, directeur général du CNRS.

*

M. Yves FARGE a commencé son exposé en rappelant que de 1971 à 1980, il a été le premier directeur du LURE et a présidé la commission chargée de concevoir, de 1978 à 1986, l’ESRF, le synchrotron européen de haute énergie de Grenoble dont le bilan est un " vrai succès ".

Lors des débats du milieu des années 1970 sur la stratégie à adopter en matière de rayonnement synchrotron, il apparaissait que la demande de temps de faisceau allait croître rapidement. Les besoins en rayons X seraient, dès lors, satisfaits par l’ESRF, une machine de 5 GeV spécialement conçue à cet effet, tandis que les autres besoins de la communauté scientifique française seraient satisfaits avec le synchrotron Super ACO destiné à remplacer l’anneau DCI.

En fait, ce qui n’avait pas été prévu à cette date, c’était " l’explosion de la demande ". De fait, il est apparu impossible de fermer DCI, en raison d’une demande considérable de temps d’accès.

A titre d’exemple du progrès technique intervenu dans ce domaine, une expérimentation – théorique – qui aurait pris 15 mois avec un tube à rayons X classique, pourrait être réalisée en 10 heures sur DCI et en une milliseconde à l’ESRF. La révolution du rayonnement synchrotron, avec un gain en brillance de 1000 milliards de fois par rapport à la technologie précédente, n’est comparable à aucune autre, hormis peut-être celle des lasers, dont les dimensions sont toutefois incomparablement plus petites et les délais de mise en œuvre plus rapides.

Une question souvent soulevée doit recevoir une réponse sans ambiguïté : les besoins en qualité de rayonnement synchrotron diffèrent-ils d’une discipline à l’autre ?

Ceci n’est vrai en aucune manière. La qualité des faisceaux demandés par la physique comme par la biologie ou la chimie est absolument la même.

En tant que président du premier conseil SOLEIL, M. Yves FARGE a ensuite rappelé la genèse de ce projet.

En mars 1997, un comité stratégique piloté par le Secrétariat d’Etat à la recherche et ne comprenant pas d’utilisateurs du rayonnement synchrotron, conclut à la nécessité d’une nouvelle machine pour les chercheurs français. Le CEA et le CNRS sont alors invités par le Secrétaire d’Etat à la recherche, M. François d’AUBERT, à réaliser un avant-projet détaillé. En mars 1998, le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie rend un avis favorable au projet SOLEIL. A la mi-1999, l’équipe de l’avant-projet SOLEIL est dissoute, une fois détaillées les spécifications de celui-ci, alors que les appels d’offres peuvent techniquement être lancés pour les travaux de génie civil.

Le ministre de la recherche, M. Claude ALLEGRE, demande ensuite à M. Yves FARGE de lui établir un rapport sur les besoins en rayonnement synchrotron, rapport qu’il lui sera impossible de lui présenter de vive voix.

Quelles sont les principales conclusions de cette étude, qui résulte de nombreuses consultations et de nombreux déplacements ?

Le premier enseignement majeur est que la demande de temps de faisceau va se déplacer ver les rayons X. Par rapport à la situation au LURE, où les demandes se répartissent pour moitié entre les rayons X proprement dits et les rayons X " mous ", à l’avenir les demandes porteront à 70 % sur les rayons X proprement dits et à 30 % sur les rayons X " mous ".

La raison fondamentale de cette évolution est que toutes les disciplines font un appel croissant à des rayonnements qui puissent pénétrer dans la matière condensée (solide ou liquide), ainsi par exemple la métallurgie de transformation de l’aluminium par usinage à chaud.

La conclusion fondamentale de cette évolution est qu’un synchrotron dédié de basse énergie, construit en France pour compléter, à moindre coût, l’achat de lignes de lumière sur DIAMOND, ne satisferait que 30 à 35 % des besoins de la communauté scientifique française.

Le deuxième enseignement fondamental de l’étude réalisée par M. Yves FARGE est la croissance, quelle que soit la discipline considérée, de la demande en rayonnement synchrotron produit par des machines de 3ème génération.

Dans le domaine de la biologie, les limites d’un synchrotron comme DCI apparaissent désormais clairement. Or l’après-génome sera incontestablement le temps de la structure des protéines, de sorte que l’on peut prévoir, dans les 20 ans à venir, une multiplication par 3,5 de la demande en rayons X.

La recherche appliquée liée à l’industrie devrait voir ses besoins croître d’un facteur 1,8, tandis que les besoins des sciences de l’univers augmenteraient d’un facteur 2,2.

La recherche appliquée connaît actuellement une augmentation forte de sa demande que l’on peut vérifier au LURE comme à l’ESRF où elle représente 20 % des utilisateurs de ces équipements. Tous les domaines sont concernés, depuis l’analyse structurale pour les cosmétiques (l’Oréal), jusqu’aux techniques d’étude de l’adhésion de films polymères sur l’aluminium, en passant par la métallurgie de la transformation de l’acier et de l’aluminium.

Dans ces types de recherche, 70 % des industriels sont associés à des équipes universitaires, dans le cadre de projets de recherche amont, publiés et bénéficiant d’un accès gratuit aux synchrotrons. L’autre cas de figure est celui de recherches propriétaires, le temps de faisceau étant alors payé par l’industriel.

Il faut noter à cet égard que l’industrie exprime une demande de plus en plus forte pour l’accès à des faisceaux de rayons X qui, seuls, permettent des analyses en volume, les rayons X " mous " qui servent surtout à l’étude des surfaces ou des gaz étant moins demandés qu’auparavant.

A cet égard, il apparaît qu’un synchrotron de 1,5 GeV serait de fait optimisé pour les analyses de surface, tandis qu’une machine de 2,5 à 2,75 GeV pourrait convenir aussi bien pour les analyses en volume qu’en surface.

En définitive, la croissance de la demande devrait s’établir à 80 % dans les 20 ans à venir, après avoir atteint 100 % entre 1986 et 1998. Le léger ralentissement prévisible provient de ce que l’ouverture de nouveaux synchrotrons a été massive dans les années récentes, ce qui a conduit à une multiplication des projets soumis aux comités de programme et aussi à des taux de rejet importants en raison d’une méconnaissance de la qualité requise pour ces projets, un phénomène qui devrait s’atténuer à l’avenir en raison d’une meilleure information sur les exigences de niveau pour l’accès au rayonnement synchrotron.

En tout état de cause, les discussions actuelles sur des nouvelles ressources en rayonnement synchrotron prennent comme hypothèse que le nombre d’utilisateurs sera constant ou en faible croissance à l’avenir. Il s’agit là d’une erreur totale, car l’expérience montre que le nombre d’utilisateurs croît toujours lorsque des techniques d’analyse nouvelles sont mises au point, ce qui ne va pas manquer de se produire.

Pour autant, peut-on considérer que le parc européen actuel de synchrotrons complété par les machines actuellement en construction suffirait à satisfaire les besoins des chercheurs français ?

A cet égard, il faut impérativement distinguer les lignes de lumière sur section droite, les plus intéressantes, des lignes de lumière sur aimant de courbure, dont les performances sont largement inférieures.

Or, il n’existe aucune section droite disponible sur le synchrotron italien ELETTRA de Trieste. Il serait éventuellement possible, sous réserve de confirmation, d’acquérir 2 sections droites à BESSY II à Berlin, et 1 ou 2 supplémentaires sur le synchrotron SLS de Villigen en Suisse. Au total, on atteindrait donc 3 ou 4 lignes en section droite, qui viendraient s’ajouter aux 7 lignes en négociation sur DIAMOND. Or il s’agit bien de remplacer les 42 lignes de lumière du LURE.

Alors que le programme de remplacement du LURE par SOLEIL et de SRS (Daresbury) par DIAMOND, conduit, en Europe, à une situation satisfaisante pour les lignes de lumière sur aimant de courbure et à une situation tout juste acceptable pour les sections droites, il est manifeste que l’actuel projet du ministère conduit directement à la pénurie.

La source SRS de Daresbury est utilisée par 2000 chercheurs, de même que le LURE. Si la construction de DIAMOND était seule décidée, alors la capacité de prise en charge passerait de 4000 utilisateurs à 2400, dans une conjoncture où l’industrie n’a pas encore perçu la puissance des méthodes d’analyse en volume fournies par le rayonnement synchrotron dans les longueurs d’onde correspondant aux rayons X.

Toute solution ne prévoyant la construction que d’un seul synchrotron en substitution au LURE et à SRS, ne peut donc en aucun cas convenir, car elle aurait pour conséquence une diminution de 40 % des capacités disponibles.

En outre, selon M. Yves FARGE, le débat sur les coûts de différentes solutions en compétition, doit être lancé. En utilisant les méthodes de calcul de retour sur investissement en vigueur dans l’industrie, il apparaît que " le retour vers la Nation de l’investissement réalisé dans l’ESRF couvre totalement les dépenses du LURE ". Avec une marge d’erreur de 10 à 20 %, l’analyse économique démontre la viabilité d’un très grand équipement comme SOLEIL, ce que les élus locaux ont vérifié à plusieurs reprises dans d’autres cas. En tout état de cause, pour le Trésor public, en prenant en compte les recettes fiscales et sociales, la solution SOLEIL est la plus compétitive.

Enfin, en terme de calendrier, la solution présentée par le ministère ne paraît pas plus convaincante. Pour SOLEIL, le premier " coup de pioche " pourrait être donné dans 2 à 3 mois. Au contraire, l’acquisition de lignes sur DIAMOND nécessite des négociations de ministère à ministère et au final un accord intergouvernemental, dont la finalisation ne pourrait prendre moins de 2 ans, à compter de la signature du " memorandum of understanding ". Enfin, il n’existe pas pour DIAMOND d’avant-projet détaillé, dont il faut rappeler qu’il a pris deux et demi à réaliser pour SOLEIL. Au minimum, on peut donc considérer qu’il s’écoulera 3 ans entre la signature du " memorandum " et le premier coup de pioche pour DIAMOND.

Pour M. Yves FARGE, il faut donc retourner la situation et ouvrir le projet SOLEIL au Royaume Uni, puisque la France pourra être prête 3 à 4 ans avant ce dernier. De plus, l’équilibre financier du projet est encore amélioré par la demande de l’Espagne d’entrer à hauteur de 10 % dans le projet SOLEIL et par le souhait de la Norvège d’acquérir 1 ou 2 lignes de lumière.

Pour terminer, M. Yves FARGE est revenu sur la question du niveau d’énergie d’un synchrotron moderne. L’énergie de SOLEIL a été fixée à 2,5 GeV puis réévaluée à 2,75 GeV pour être " confortable " dans la gamme des rayons X. Ainsi cette machine satisfera tant la demande d’analyses de surface ou de gaz réalisées avec des rayons X " mous " que celle d’analyses en volume effectuées avec des rayons X. S

Si un seul nouveau synchrotron devait être construit au Royaume Uni pour les rayons X, on serait d’ores et déjà " court " pour satisfaire les besoins actuels et donc dans l’incapacité totale de satisfaire les nouveaux besoins. Or la croissance de la demande de temps de faisceau ne va pas s’arrêter en l’an 2000.

*

Dans la discussion qui a suivi l’exposé de M. Yves FARGE, M. Jean-Pierre CHANGEUX a jugé que toute réflexion sur les synchrotrons doit commencer par un bilan des résultats scientifiques obtenus par leur entremise, une telle démarche valant aussi pour les autres très grands équipements. En tout état de cause, il convient de vérifier que l’allocation des fonds publics investis dans ces installations est optimale.

Au demeurant, il faut bien constater qu’avec un potentiel scientifique équivalent, l’Europe dispose de 17 synchrotrons contre 12 aux Etats-Unis. Cet écart est encore plus important pour les sources de 3ème génération, dont, à terme, l’Europe possèdera 6 exemplaires contre 3 aux Etats-Unis.

Mais au final, les investissements dans les très grands équipements doivent être comparés aux crédits octroyés aux sciences de la vie, avec la nécessité de réintégrer dans les premiers la part des crédits alloués aux sciences de la vie mais préaffectés aux grands équipements.

A ces différentes observations, M. Yves FARGE a répondu en premier lieu que les travaux réalisés sur le LURE et l’ESRF conduisent chaque année à 1750 publications environ réalisées non pas à la suite d’une seule expérience, comme souvent au CERN, mais à la suite de nombreuses expérimentations conduites par 600 équipes différentes en moyenne.

Quant à l’affirmation selon laquelle les très grands équipements (TGE) consomment une part très importante des crédits de la recherche, les rapports du Comité des très grands instruments présidé par M. Pierre AIGRAIN montrent que les dépenses qui leur sont consacrées n’ont pas augmenté pendant toute la durée des travaux de ce comité, c’est-à-dire jusqu’en 1997 et qu’au contraire, elles ont augmenté depuis que le comité a été dissout, ce qui contredit l’idée selon laquelle celui-ci constituait un lobby très efficace. En tout état de cause, l’affirmation selon laquelle les crédits des TGE auraient augmenté de 40 %, est erronée.

M. Jean-Pierre CHANGEUX s’est une nouvelle fois élevé contre le pouvoir institutionnel de la physique et a défendu au contraire le développement des interfaces entre les disciplines. Non " pas hostile au développement des synchrotrons, bien au contraire ", à condition qu’il se fasse en collaboration entre la physique et la biologie, M. Jean-Pierre CHANGEUX s’est déclaré opposé à ce que les très grands équipements bénéficient d’une priorité budgétaire au détriment des sciences de la vie. En définitive, ce qu’il convient de faire, c’est de développer les possibilités d’instrumentation pour la physique et les interfaces entre celle-ci et les autres disciplines, tout en comparant la situation de l’Europe avec celle des Etats-Unis dans le domaine particulier des synchrotrons.

A cet égard, M. Yves FARGE a remarqué qu’il existe une grande différence entre l’Europe et les Etats-Unis en ce qui concerne les lignes de lumière. Le Japon étant mis à part en raison des capacités financières exceptionnelles de ses industriels, les Etats-Unis se caractérisent par le financement d’une part très importante de la recherche industrielle par le Department of Defense. Même s’il n’existe pas en Europe de coordination des investissements dans les synchrotrons, une certaine optimisation de facto s’est réalisée en particulier avec la construction de l’ESRF et le programme " Access to Large Facilities " de l’Union européenne.

Au demeurant, la mesure de la rentabilité des crédits budgétaires par le nombre de publications scientifiques obtenues est une méthode qui doit être appliquée à l’ensemble des disciplines scientifiques et non pas seulement aux très grands équipements.

On peut par ailleurs considérer que la répartition des rôles entre la recherche clinique, le CEA et le CNRS est loin d’être optimale dans le domaine des sciences de la vie. Par ailleurs, s’agissant de cette dernière discipline au CNRS, si les crédits internes ont effectivement diminué en valeur relative depuis les années 1970, de nouvelles sources de financement sont venues prendre le relais, la répartition étant désormais égale entre les crédits internes, les crédits d’enseignement et les crédits sur contrat, soit un tiers du total pour chacune des trois catégories de ressources.

En tout état de cause, on ne peut dire que la physique ait monopolisé les crédits internes au CNRS, puisque aussi bien, les crédits de l’IN2P3 ont diminué de 40 % en 10 ans.

A ce stade de la discussion, M. Claude COHEN-TANNOUDJI, Professeur au Collège de France, Prix Nobel, a fait remarquer que si l’on prend l’exemple de son laboratoire de l’Ecole normale supérieure, dont les crédits de fonctionnement hors salaires ne dépassent pas 500 000 F par an, il est impossible d’affirmer que la physique monopolise les crédits de la recherche dans notre pays.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, remarquant qu’il serait utile de découvrir l’origine dans notre pays des tensions entre disciplines scientifiques, a posé à M. Yves FARGE, la question de savoir s’il serait envisageable de placer un futur synchrotron sous un statut indépendant, contrairement au LURE, laboratoire co-administré par le CNRS, le CEA et le ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

En premier lieu, M. Yves FARGE a indiqué que la gestion directe d’un très grand équipement par le ministère de la recherche lui paraît à la fois inadéquate et dangereuse, tous les pays étant d’ailleurs dotés d’un système tampon dans ce domaine. S’agissant de la structure juridique et de l’organisation d’un synchrotron, M. Yves FARGE a remarqué d’une part que ce sont le CNRS et le CEA qui sont actionnaires de l’ESRF et d’autre part que le projet SOLEIL a prévu d’associer plusieurs actionnaires, français avec le CEA et le CNRS, et étrangers avec l’Espagne et la Norvège. En toute hypothèse, il est dangereux de séparer les très grands équipements de leurs utilisateurs, les communautés scientifiques devant au contraire être impliquées dans le fonctionnement du synchrotron.

A cette occasion, M. Pierre POINTU a estimé indispensable de revenir sur le calcul de rentabilité de l’investissement que constitue un synchrotron et d’appliquer, comme l’a proposé M. Yves FARGE, les méthodes qui sont appliquées dans les entreprises pour opérer une sélection entre plusieurs projets et qui permettent de sortir du piège des raisonnements exclusivement économiques ou budgétaires.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur a alors confié à MM. FARGE et PAPON le soin d’examiner les différents projets à la lumière des méthodes micro-économiques de retour sur investissement qui peuvent apporter un éclairage complémentaire aux méthodes traditionnelles.

Les Rapporteurs ont ensuite donné la parole à M. Claude COHEN-TANNOUDJI, Professeur au Collège de France, Prix Nobel, afin qu’il veuille bien leur donner son appréciation de la situation française dans le domaine du rayonnement synchrotron.

*

M. Claude COHEN-TANNOUDJI a précisé que, s’il n’est pas un utilisateur ni un spécialiste du rayonnement synchrotron, la question de nouvelles sources de rayonnement l’intéresse tout particulièrement. Les lasers, longtemps demeurés une curiosité, ont entraîné des bouleversements considérables en recherche fondamentale et des applications nombreuses dans la vie quotidienne. En tout état de cause, il faut rester attentif au développement scientifique qui peut susciter des percées quantitatives rapides. La mise au point de nouvelles sources d’UV et de rayons X voire la mise au point de lasers à rayons X se prêtent à l’évidence à de nombreuses applications nouvelles.

Pour autant, M. Claude COHEN-TANNOUDJI, qui n’est pas utilisateur de très grands instruments, est conscient de l’insuffisance des crédits de fonctionnement des laboratoires.

En cumulant les apports du CNRS, ceux de l’Ecole normale supérieure et ceux du Collège de France, les crédits de son laboratoire, même après l’obtention de son Prix Nobel, culminent à 500 000 F par an, hors salaires, en crédits récurrents de fonctionnement pour ses 20 chercheurs, un budget heureusement complété par des contrats de recherche comme par exemple sur les horloges spatiales.

Dans ces conditions, M. Claude COHEN-TANNOUDJI approuve et soutient les actions du ministre de la recherche en faveur des jeunes chercheurs et des petits laboratoires ainsi que celles tendant à la création de nouvelles équipes par de jeunes scientifiques encouragés dans cette voie par le mécanisme de " l’action incitative blanche ".

M. Claude COHEN-TANNOUDJI a par ailleurs, regretté les tensions entre physiciens et biologistes, tensions qu’il estime " artificielles ". Loin d’être " impérialiste par rapport à la biologie ", il a au contraire encouragé deux chercheurs de son laboratoire qui en avaient émis le souhait, à s’orienter vers la biophysique.

Mais, estimant devoir rester attentif à la question du synchrotron, M. Claude COHEN-TANNOUDJI a indiqué qu’en dépit de la suppression regrettable du Conseil des grands instruments par le ministre, il souhaite obtenir des réponses sur les points de savoir si le budget des très grands équipements a augmenté ou diminué dans les années récentes et, au final, s’il est plus élevé ou moins élevé que dans les autres pays.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a confirmé à cet égard, qu’après avoir traité de la question du synchrotron, l’Office entendait se forger une vision globale sur les très grands équipements, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, précisant quant à lui que les crédits alloués aux très grands équipements ont diminué dans la loi de finances pour 2000.

A cet égard, M. Claude COHEN-TANNOUDJI a estimé qu’il est indispensable de comparer les très grands instruments entre eux, notamment en ce qui concerne les crédits qui leur sont alloués. En toute hypothèse, si la suppression d’un très grand équipement devait être envisagée, il serait nécessaire de déterminer quelle communauté scientifique serait atteinte par cette suppression.

A cet égard, peut-on dire que le synchrotron devrait être le dernier grand équipement à supprimer ? Sans doute, car un synchrotron dessert de nombreux utilisateurs.

Considéré comme un rayonnement parasite lorsqu’on l’a mis en évidence pour la première fois, le rayonnement synchrotron a très vite été identifié comme une source utile de rayons UV et de rayons X. Des progrès technologiques considérables ont permis ensuite d’atteindre des brillances supérieures d’un facteur égal à 1000 milliards à celle des tubes à rayons X classiques. Aujourd’hui, avec un gain de 12 ordres de grandeurs, le rayonnement synchrotron représente un acquis de la recherche moderne, même s’il reste des progrès à faire pour les détecteurs.

Au demeurant, le rayonnement synchrotron ne peut être dissocié ni de la résonance magnétique nucléaire ni de la résonance paramagnétique électronique. Même si ces techniques sont appelées à de nouvelles applications, il s’agit là d’outils d’analyse complémentaires.

S’agissant des besoins de la recherche français en rayonnement synchrotron, les utilisateurs se trouvent dans 500 à 600 équipes de recherche. Un synchrotron est donc par essence différent d’un très grand instrument comme le CERN. Il s’agit au contraire d’un instrument qui, servant à plusieurs centaines d’équipes, apporte un " soutien aux petits laboratoires ". Au surplus, les synchrotrons favorisent la recherche interdisciplinaire, en rapprochant les physiciens, les biologistes et les chercheurs de l’industrie, ces derniers étant tout particulièrement heureux de travailler sur un tel grand instrument car ils y trouvent souvent des réponses à leurs interrogations scientifiques.

M. Claude COHEN-TANNOUDJI a estimé en conséquence que les différentes solutions en présence pour l’avenir du rayonnement synchrotron dans notre pays doivent être examinées " d’une manière sereine ". La solution DIAMOND est-elle viable ? Faut-il garder le LURE ? Le projet SOLEIL apporte-t-il des réponses adaptées aux besoins ? Dans le cas de la solution DIAMOND, le nombre de lignes dont on veut faire l’acquisition est-il suffisant ? Est-il possible de trouver des lignes additionnelles en Suisse, en Italie et en Allemagne, ou, au contraire, les installations correspondantes sont-elles déjà saturées ?

Au surplus, " pourquoi tant de pays ont-ils décidé de posséder une machine nationale ? Pourquoi existe-t-il dans le monde un seul synchrotron dont le statut soit international, à savoir l’ESRF ? Pourquoi des pays comme Taiwan ou la Corée ont-ils décidé de se doter de leur propre synchrotron ? "

" Pouvons-nous, en France, nous passer d’une source nationale ? "

Au final, il est d’une importance critique de déterminer si la solution DIAMOND suffit à elle seule, ou au contraire, si c’est à la fois DIAMOND et SOLEIL qui sont à la mesure des besoins futurs.

A toutes ces questions, il faut des réponses précises.

Au reste, M. Claude COHEN-TANNOUDJI, dont la moitié des chercheurs de son équipe sont d’origine étrangère, a estimé qu’il était, en ce qui le concerne, parfaitement convaincu de l’importance de la collaboration internationale dans le domaine de la recherche.

L’importance de la collaboration internationale ne signifie pas cependant qu’il n’est pas parfois " nécessaire d’avoir des moyens nationaux quand le domaine est prioritaire ou stratégique ". Une solution préférable serait sans doute d’insérer mieux encore SOLEIL dans le contexte international.

En conclusion, M. Claude COHEN-TANNOUDJI a appelé tous les protagonistes du débat à être " responsables ".

Si l’on critique le fonctionnement du LURE par rapport à celui de l’ESRF dont les heures de fonctionnement sont plus étendues, il faut prendre en considération les contraintes statutaires respectives des deux installations. Par ailleurs, si une gestion satisfaisante du futur synchrotron le commande, il ne faut pas hésiter à changer de statut pour parvenir à exploiter la machine 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Enfin, si la question du synchrotron doit être examinée dans le calme et la sérénité, il est indispensable qu’il existe un débat à ce sujet dans les laboratoires : " il faut un débat ouvert, accessible à tous, sérieux et responsable, un débat qui précède et non pas suive la décision sur ce sujet ".

M. Jean-Pierre CHANGEUX ayant indiqué que l’ampleur des sommes consacrées aux très grands équipements pouvait expliquer l’insuffisance de crédits de fonctionnement de laboratoires comme celui de M. Claude COHEN-TANNOUDJI, celui-ci a remarqué qu’il n’est pas le moins bien doté. Souhaitant ne pas opposer les communautés scientifiques, M. Jean-Pierre CHANGEUX a plaidé en faveur du développement des interfaces entre disciplines.

M. Claude COHEN-TANNOUDJI a alors fait état des propos de M. Max PERUTZ, Prix Nobel de biochimie, qui, dans une lettre rendue publique, a qualifié de " décision tragique " et de " mauvais coup porté à la science européenne " l’abandon de SOLEIL.

Pour M. Jean-Pierre CHANGEUX, les crédits alloués aux très grands équipements doivent être gérés d’une manière " harmonieuse ", respectueuse des intérêts de toutes les disciplines. Certes, ainsi que l’indique M. Max PERUTZ, la cristallographie est une discipline fondamentale de grand avenir. Mais l’aspect politique de la répartition des masses budgétaires ne peut être négligé, et, au demeurant, l’existence de 17 synchrotrons en Europe, contre 12 à 13 aux Etats-Unis pose une question politique.

M. Claude COHEN-TANNOUDJI a rappelé que la part des dépenses de recherche et développement dans le PNB atteint 2,8 % aux Etats-Unis et au Japon, contre 1,8 % en Europe, ce qui traduit un retard incontestable.

Concernant cette statistique, M. Guy OURISSON a estimé qu’il faut se méfier des comparaisons arithmétiques en la matière, une disparité constatée avec un tel indicateur étant davantage un indice qu’une preuve.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI est ensuite revenu sur l’impact scientifique du LURE et de l’ESRF. S’agissant de ce dernier équipement, M. Yves PETROFF, son directeur général, a indiqué que la proportion de projets scientifiques français sélectionnés par le comité de programme international, est supérieure, dans le total de projets acceptés, à la part française dans le financement de l’installation. Le même constat peut se faire pour le LURE, dont les liens avec l’ESRF sont d’ailleurs étroits. Ceci établit sans contestation la compétitivité des équipes françaises.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur ayant remarqué que s’agissant des lignes de lumière, il faut distinguer dans les comparaisons relatives à l’Europe et aux Etats-Unis, entre les lignes sur sections droites et les lignes sur aimant de courbure, M. Yves FARGE a indiqué qu’il allait faire parvenir aux Rapporteurs, un tableau comparatif détaillé à cet égard.

M. Georges CHARPAK, à ce stade de la discussion, a rappelé que l’on est confronté à des " propositions nouvelles ", par rapport à l’idée de base de deux machines de 2,5 GeV, construite l’une en France et l’autre au Royaume Uni.

Il est " évident " qu’un tel schéma n’est pas optimisé pour l’ensemble des deux pays. Un autre schéma de construction pourrait apparaître plus favorable, à savoir celui d’un synchrotron de 2,5 GeV en France et d’une machine de 1,5 GeV, " quatre fois moins chère ", implantée ailleurs, pourquoi pas au Royaume Uni, avec, au surplus, un financement européen.

En réalité, dans les propositions actuellement examinées par le groupe de travail, il s’agit d’un synchrotron de 3 GeV au Royaume Uni et d’une machine ultra-moderne de 1,5 GeV. En l’occurrence, les chercheurs anglais viendraient en France utiliser cette machine non optimisée pour la biologie, tandis que les chercheurs français effectueraient leurs travaux de biologie structurale en Angleterre. Il s’agit d’une proposition " nouvelle et incontournable ".

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur a tenu à souligner qu’effectivement ce schéma a été exposé au groupe de travail mais que des experts comme M. Jochen SCHNEIDER, directeur du Hasylab, ont mis en doute la possibilité de diminuer le coût du synchrotron de 1,5 GeV d’un facteur 4, même en réutilisant des équipements du LURE, une fois celui-ci fermé.

M. Georges CHARPAK est alors convenu que le recyclage d’équipements anciens n’apporterait vraisemblablement que des économies négligeables mais qu’il est possible d’optimiser la dépense globale britannique et française en faisant un choix rationnel des énergies des deux machines.

M. Yves FARGE, à ce moment, a reposé le problème quantitatif du nombre d’utilisateurs.

Le synchrotron britannique de 3 GeV devrait pourvoir aux besoins d’environ 2 400 utilisateurs, et la machine française de 1,5 GeV à ceux de 4 à 500 utilisateurs. En raison de la multiplication des applications du rayonnement synchrotron, le nombre de lignes apparaîtra vite comme insuffisant. Deux facteurs sont à considérer à cet égard, d’une part la croissance globale du nombre d’utilisateurs et d’autre part la répartition des besoins en rayons X et en rayons X " mous ", qui va évoluer d’une situation d’égalité pour les deux gammes de longueur d’onde à une part de 70 % pour les rayons X et de 30 % pour les X " mous ".

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur s’est en conséquence interrogé sur l’adéquation de SOLEIL aux besoins tels qu’ils sont connus aujourd’hui.

Si les concepteurs de SOLEIL devaient concevoir à présent un nouveau synchrotron, le referaient-ils identique à ce dernier ? Sans doute, certains choix peuvent-ils apparaître comme trop sophistiqués ou au contraire inadaptés aux besoins actuels, de sorte que les Rapporteurs se doivent de pointer les évolutions nécessaires.

Pour M. Yves FARGE, il n’existe " aucune raison de dire que SOLEIL n’est plus actuel ". Achevé en juin 1999, l’avant-projet détaillé a, au contraire, intégré toutes les évolutions techniques et a subi une amélioration permanente, tout au long de sa conception. Au reste, il n’existe aucune solution alternative meilleure que SOLEIL, ce qui doit conduire, en toute logique, au choix de celui-ci.

Par ailleurs, la 4ème génération des synchrotrons reste " hors du champ de vision " pour des applications de routine. Il s’agit en effet pour les lasers à électrons libres de démontrer que le gain mis en évidence dans l’UV lointain s’observe également dans la gamme des rayons X. Il s’agit donc de passer de 1000 Å à 1 Å, un progrès difficile à concevoir pour le moment.

Au contraire, l’avant-projet SOLEIL, conduit par M. Jean-Louis LACLARE, l’un des meilleurs spécialistes des synchrotrons, a été validé par les meilleurs experts mondiaux, dont M. Yves PETROFF, directeur général de l’ESRF et M. Jochen SCHNEIDER, directeur du Hasylab.

Après que l’énergie de SOLEIL a été portée de 2,5 à 2,75 GeV, il n’existe aucun élément permettant de penser que SOLEIL n’est pas adapté aux besoins exprimés.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a, par la suite, proposé que la France se tourne vers les instances européennes afin de faire évoluer la situation.

Au reste, ainsi que l’a indiqué la Fondation européenne pour la science, il y a une nécessité de mettre en place un échelon de supervision au niveau européen. Alors que de nombreux observateurs jugent indispensable une implication du budget européen de la recherche dans le domaine des synchrotrons, les chapitres de SOLEIL consacrés à l’amélioration des techniques des lasers à électrons libres apparaissent justiciables d’une aide européenne.

En effet, il s’agit d’un pari technologique dont il serait légitime que les coûts soient partagés. En définitive, il entrerait dans la vocation de sources de financement européennes de soutenir ce type de développement, en vue de l’amélioration future des performances du rayonnement synchrotron.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, tout en saluant cette proposition, a attiré l’attention sur la nécessité de ne pas voir une aide européenne s’assortir de la perte par la France de la maîtrise de son synchrotron, y compris en ce qui concerne sa localisation.

Sur ce sujet, M. Yves FARGE a, par ailleurs, observé que le 5ème Programme commun de recherche et développement (PCRD) vient d’entrer en vigueur et que les discussions sur le 6ème PCRD ont à peine commencé. Au-delà du retard que la sollicitation des fonds européens risquerait d’entraîner, il semble que le programme actuel de mutualisation des accès aux ressources nationales, grâce au programme " Access to Large Facilities " soit suffisant. Au reste, la solution d’un accord intergouvernemental retenue pour l’ESRF a permis d’éviter les lenteurs des décisions de la Commission européenne. L’autocoordination intervenue dans le cadre de la Fondation européenne de la science s’est d’ailleurs révélée utile, puisque, aussi bien, c’est au sein de cette instance qu’est né le projet de l’ESRF.

S’agissant de SOLEIL, jamais projet n’a été examiné par autant d’instances et de comités différents. Il s’agit désormais de prendre une décision qui n’a que trop traîné.

Abordant la question générale des cahiers des charges des très grands équipements conduits au niveau européen, M. Pierre PAPON a estimé nécessaire de distinguer d’une part le financement de l’investissement qui conduit à l’attribution de quotas dans le capital de la société, et, d’autre part, le fonctionnement sur le terrain qui doit aboutir à une coordination dans l’utilisation des lignes de lumière. Il faut également intégrer la dimension pédagogique des grands équipements et prévoir des dispositions à cet égard dans les cahiers des charges.

S’agissant de la méthode générale suivie par les Rapporteurs et leur groupe de travail, M. Jean GALLOT a ensuite souligné qu’il s’agit d’une approche objective qui doit s’imposer à tous et s’appliquer à toutes les personnalités auditionnées. Il semble qu’il existe, à l’heure actuelle, une proposition émanant de M. René PELLAT, responsable des négociations avec le Royaume Uni. Or, sur cette solution et en particulier sur le projet de synchrotron de 3 GeV, M. René PELLAT n’a énoncé que " trois phrases ", avec, pour conséquence, une imprécision totale par rapport à l’avant-projet détaillé de SOLEIL. Cette méthode s’inscrit au demeurant en droite ligne de l’élimination de ce projet par un rapport secret.

S’il y a effectivement une nouvelle donne qui soit suffisamment crédible pour être prise en compte, elle doit nécessairement s’assortir d’un véritable projet et non pas être caractérisée seulement " d’une phrase ". En l’occurrence, l’exigence d’une approche scientifique doit être respectée par tous.

M. Georges CHARPAK a indiqué à cet égard que M. René PELLAT, qui ne travaille pas seul, est au contraire assisté de M. Pascal COLOMBANI, administrateur général du CEA. Comme en témoigne par ailleurs une réunion récemment intervenue au plus haut niveau entre le CEA et le CNRS, une solution est en cours de préparation.

M. Yves FARGE s’est alors étonné de ce qu’aucun spécialiste du rayonnement synchrotron n’ait été contacté à cet effet.

S’il appartient au pouvoir politique de prendre des décisions et donc d’assumer les risques de celles-ci, on ne peut renvoyer une question urgente en commission sur des idées vagues et la traiter au total par des moyens qui ne sont que dilatoires, alors que se posent des questions précises telles que l’obsolescence du LURE et la croissance de la demande de temps de faisceau.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a confirmé que les prises de position ainsi énoncées sont enregistrées par le groupe de travail et que l’idée d’adresser un questionnaire " homothétique " à M. René PELLAT est retenue. En particulier, il lui sera demandé en quoi une machine de 1,5 GeV représente une économie par rapport à SOLEIL, quels sont les nombres de lignes respectifs des deux machines et surtout en quoi un synchrotron de 1,5 GeV peut être utile à la communauté scientifique française.

Au surplus, s’il se confirmait que les besoins en rayons X " mous " devaient représenter 30 % des besoins totaux, toute autre solution que SOLEIL pour équiper la France serait absurde.

M. Georges CHARPAK a de nouveau fait valoir que dans l’hypothèse de la construction en France d’un synchrotron de 1,5 GeV, des échanges pourraient avoir lieu entre la France et le Royaume Uni de façon à porter le nombre de lignes sur DIAMOND au-delà de 7.

Au demeurant, pour se convaincre de l’intérêt d’une machine de basse énergie, M. Georges CHARPAK a conseillé d’auditionner des spécialistes des applications du rayonnement synchrotron à l’étude des surfaces, comme M. SOUKIASSIAN, du CEA, dont les vues originales ne recoupent pas obligatoirement celles de sa hiérarchie. Devant la remarque de M. Yves FARGE sur la disproportion entre le jugement d’un scientifique, même éminent, et celui de plusieurs comités ministériels, M. Georges CHARPAK a indiqué que le poids de la hiérarchie pouvait conduire certains experts, y compris des membres du groupe de travail s’exprimant devant les Rapporteurs, à ne pas faire état de leur pensée profonde.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, lui ayant posé la question de la qualité scientifique des quelques 600 équipes utilisant le LURE, M. Claude COHEN-TANNOUDJI a estimé, dans une réponse qualitative, que leur niveau est excellent, ainsi d’ailleurs que celui des équipes recourrant à l’ESRF.

M. Guy OURISSON a toutefois indiqué, quant à lui, qu’une équipe de recherche comme la sienne, faisant appel au rayonnement synchrotron une fois par an, ne pouvait être considérée comme compétente dans ce domaine.

M. Claude COHEN-TANNOUDJI a tenu alors à revenir sur l’aide apportée par le LURE aux petites équipes de recherche venant utiliser les synchrotrons DCI ou Super ACO.

Le LURE apparaît bien en tout état de cause comme un " laboratoire de service " où de nombreuses équipes peuvent obtenir du temps de faisceau et le mettre en œuvre d’une manière satisfaisante, même s’ils n’ont qu’une expérience limitée du rayonnement synchrotron, et ceci grâce à l’aide des chercheurs résidents.

Ce schéma de " laboratoire de service " est en cours du duplication dans le domaine des lasers, avec la création d’un laboratoire mixte franco-indien, soutenu par M. Claude COHEN-TANNOUDJI, qui mettra des sources de haute performance à la disposition de nombreuses équipes de recherche talentueuses mais insuffisamment dotées en équipements propriétaires de qualité.

Un synchrotron constitue aussi un " laboratoire de service " permettant à des équipes venant sur place d’accéder à un rayonnement de haute qualité avec l’aide de spécialistes et " en se frottant aux autres disciplines ".

Dans ces conditions, il reste, question fondamentale, à déterminer si une machine de 1,5 GeV est obsolète ou non par rapport aux besoins.

Dans la discussion qui a suivi, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a indiqué que différents spécialistes seront consultés sur cette question, en particulier M. Jochen SCHNEIDER, directeur du Hasylab. Au reste, les indications de M. Yves FARGE sur la part de 30 % des besoins correspondant aux rayons X " mous " laisse perplexe sur la pertinence du choix d’une énergie de 1,5 GeV pour un futur synchrotron national.

Pour conclure, M. Georges CHARPAK a rejoint les opinions exprimées par M. Jean JERPHAGNON et M. Gilles COHEN-TANNOUDJI, sur l’importance stratégique de l’évaluation des besoins futurs.

Après avoir chaleureusement remercié les orateurs pour leur participation, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur et M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, ont levé la séance.

VI – Auditions de M. Jacques FRIEDEL, de M. Paul-Henri REBUT, et de M. Edouard BREZIN et Mme Catherine BRÉCHIGNAC - mercredi 2 février 2000

En tant que Président honoraire de l’Académie des Sciences et fondateur du Conseil des grands équipements, M. Jacques FRIEDEL a été invité par M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, et M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, à exposer son point de vue sur l’importance du rayonnement synchrotron pour la recherche et les moyens de satisfaire les besoins dans ce domaine.

Ainsi que l’a précisé au préalable M. Jacques FRIEDEL à la demande de M. Georges CHARPAK, le Conseil des grands équipements, créé en 1979, a ralenti ses travaux dès 1996, avant d’être dissout par le ministre de la recherche, M. Claude Allègre, sans doute peu soucieux de conserver un groupe indépendant et antérieur à sa nomination.

En tout état de cause, ce Conseil a soutenu le développement du rayonnement synchrotron en France et en particulier le projet SOLEIL, comme d’ailleurs les instances qui ont eu à en connaître.

L’intérêt de M. Jacques FRIEDEL pour le rayonnement synchrotron date des premières expériences du Professeur Yvette CAUCHOIS à Frascati. Quelques années plus tard, à la suggestion de M. Yves FARGE, opticien des solides et de M. Vittorio LUZZATTI, biocristallographe, il convainc M. André LAGARRIGUE, directeur de l’accélérateur d’Orsay d’ouvrir lui aussi son anneau de stockage. C’est le démarrage du LURE dont il suit les premiers développements comme Président de l’unité de 3ème cycle de la Faculté des sciences d’Orsay. Il suit ensuite de plus loin le développement de l’ESRF et les discussions du SOLEIL. A la retraite depuis dix ans, il se limitera à des considérations générales sur le projet DIAMOND, sur la place des Français en rayonnement synchrotron et sur le rôle d’un centre national dans ce domaine. Ses conclusions seront que le projet DIAMOND, seul ou complété par une source dans l’UV, n’est pas adapté à la situation française actuelle et que la France possède dans les technologies du rayonnement synchrotron, des atouts qui justifient le maintien d’un centre national dans notre pays.

M. Jacques FRIEDEL pensait, il y a un an, ne pas devoir intervenir dans les discussions sur SOLEIL, estimant que c’était en dernier ressort de la responsabilité du ministre de la recherche de décider l’équilibre entre très grands équipements et soutien direct aux laboratoires. Mais le choix pris dès juin 1999 pour une participation au futur synchrotron DIAMOND démontrait à la fois un avis positif sur l’importance du rayonnement synchrotron et la volonté d’y affecter les moyens budgétaires correspondants. Les considérations suivantes ont alors conduit M. Jacques FRIEDEL à réagir aux plus hauts niveaux, à commencer par le ministre de la recherche.

L’un des avantages mis en avant pour le projet DIAMOND est celui des économies faites grâce à l’implication du Wellcome Trust. Il importe de rappeler à cet égard la participation des régions dans le projet SOLEIL, qui en allégerait le poids sur le budget de l’Etat à un niveau comparable à celui du projet DIAMOND, pour autant qu’on le connaisse.

Le projet DIAMOND est aussi présenté comme une opération européenne. C’est en fait un projet binational ou plutôt tripartite, qui regroupe trois entités à directions scientifiques, programmes et budgets distincts. M. Jacques FRIEDEL est à l’origine d’un laboratoire fondé sur les mêmes principes, le centre des hauts champs magnétiques de Grenoble. Cette formule n’a pas été particulièrement favorable aux synergies scientifiques entre l’Institut Max Planck de Stuttgart et le CNRS de Grenoble, même dans le domaine des structures semi-conductrices où une collaboration aurait été utile.

Mais surtout le projet DIAMOND ne satisfait pas les chercheurs, qu’ils soient britanniques ou français. Dans une lettre publiée dans le Monde, le 29 novembre 1999, M. Max PERUTZ, Prix Nobel de biochimie structurale, déclare que les scientifiques d’outre-Manche regrettent l’absence de SOLEIL, qui, en démarrant quelques années avant DIAMOND, les aurait aidés à suivre la " dynamique de développement rapide " que connaît actuellement la biologie structurale.

Pour les biologistes français, la solution DIAMOND va à l’encontre des recommandations du récent rapport américain sur le rayonnement synchrotron (rapport Birgeneau, 1997). Pour ce rapport, il est essentiel qu’une forte proportion des recherches en biologie utilisant le rayonnement synchrotron se fasse à proximité immédiate de la source de rayonnement, pour pouvoir contrôler en cours de route les processus de cristallisation des protéines et pour pouvoir développer de nouvelles techniques sur des échantillons délicats.

Les chercheurs français, dans leur ensemble, considèrent par ailleurs avec raison que les temps d’accès offerts à la France par la solution DIAMOND sont bien inférieurs à la fois à ceux que fournirait SOLEIL et à la demande valable réelle.

On pourrait alors être tenté de compléter le dispositif DIAMOND par une petite source UV installée en France. C’était la solution envisagée en complément de l’ESRF, dès les discussions du Plan en 1979-1980. Mais cette solution n’est plus d’actualité. D’une part la demande de faisceau UV, forte au départ, a constamment décru pour atteindre 15 % du volume total aux Etats-Unis, qui possèdent pourtant des sources dédiées aux UV. La construction en France d’un synchrotron dédié aux UV ne serait donc pas d’une grande utilité. Quant à l’éventualité d’en augmenter l’énergie avec des onduleurs, elle serait presque aussi coûteuse que SOLEIL, avec des qualités de faisceau et en particulier des durées de vie bien inférieures.

Abordant le deuxième point de son exposé, M. Jacques FRIEDEL a analysé la compétitivité de la communauté scientifique utilisant le rayonnement synchrotron en France, tant du point de vue quantitatif que qualitatif.

Un peu plus de 1800 chercheurs français ont utilisé en 1999 les installations du LURE et de l’ESRF. Ce nombre est comparable en proportion à celui observé aux Etats-Unis. Par ailleurs, en France, comme dans les autres pays, la physique représente à peu près 50 % du temps total, la chimie 30 % et la biologie 20 %. Pour l’avenir, les conclusions des 9 workshops récents regroupant les utilisateurs potentiels de SOLEIL, dont deux en biologie, rejoignent les études prospectives mondiales pour conclure à une croissance générale des besoins dans ces trois grands secteurs, au demeurant encore plus marquée en biologie, pour atteindre, dans les 10-20 ans, une répartition plus équilibrée. Après avoir eu une opposition de principe vis-à-vis des très grands équipements, la biologie augmentera ses temps d’accès à la fois en volume et en pourcentage, tout en restant très loin d’être l’utilisateur principal des synchrotrons.

Quant à la valeur des recherches conduites en France sur les synchrotrons, il est certes difficile de la juger du fait de la multiplicité des projets et des laboratoires impliqués. Le ministère de la recherche a émis des doutes sur la valeur générale de cette recherche, notamment au LURE, sans qu’il soit clair sur quelles bases est fondée cette impression. Il est indéniable cependant que la France a activement participé au développement de nombreuses méthodes de pointe et dans les lignes de force prospectives du rapport Birgeneau, on trouve la plupart du temps des équipes françaises de qualité impliquées.

Pour citer quelques exemples dans la physico-chimie des matériaux, c’est M. Yves PETROFF, actuel directeur général de l’ESRF, qui a mis au point au LURE, la méthode d’étude des structures de bandes électroniques par photoémission résolue angulairement. La méthode valable même dans les métaux pour des électrons assez loin du niveau de Fermi est devenue standard. Elle a permis, notamment avec des groupes du LURE et de l’ESRF, d’éliminer, par exemple, pour les supraconducteurs à hautes températures critiques, la plupart des modèles théoriques à électrons fortement corrélés.

La France a également joué un rôle de pionnier dans l’étude des changements de phase par fluctuations géantes dans les composés en chaîne ou en plan. M. Robert COMES, directeur du LURE, a ainsi, le premier, mis en évidence les diffractions X caractéristiques hors des pics de Bragg dans les conducteurs organiques. M. Jean-Pierre POUGET, l’actuel directeur de la physique au CNRS, a très largement développé ce genre d’études dont il est actuellement l’un des meilleurs spécialistes.

Les belles études de Mme Catherine BRECHIGNAC sur la structure et les excitations électroniques des agrégats métalliques ont également utilisé LURE, en parallèle avec des sources laser plus classique.

La méthode EXAFS (Extended X Ray Absorption Fine Structures) fournit des informations sur les atomes individuels dont un électron d’une couche profonde est excité. Mais elle renseigne surtout sur la nature et la structure de leur environnement atomique, grâce à l’interférence entre l’onde électronique qu’ils émettent et celle produites par réflexion sur cet environnement. Cette technique, très fine et bien adaptée à l’étude locale des surfaces a été lancée par un chercheur anglais résidant aux Etats-Unis. Lors de séjours répétés à Orsay, il a aidé LURE à l’appliquer de multiples façons, notamment en catalyse hétérogène, avec l’Institut français du pétrole. Cette technique est potentiellement transférable à la biologie.

Les noms cités montrent que, parmi les " Lurons " et leurs associés, qui se sont lancés dans les années 1970 dans l’utilisation du rayonnement synchrotron, certains au moins ont percé au plus haut niveau. M. Yves PETROFF rejoindra cette année l’université de Californie à Berkeley où il était déjà professeur et présidera l’Union internationale de physique pure et appliquée. Mme Catherine BRECHIGNAC organisera cette année en Suède un Colloque NOBEL sur son domaine de recherche sur les agrégats métalliques.

Des remarques analogues pourraient être faites dans les autres disciplines. En biologie structurale, M. Max PERUTZ déclare très nettement, dans sa lettre au Monde, que c’est au LURE que les biologistes britanniques ont appris à utiliser le rayonnement synchrotron pour les études structurales (la phase de diffraction, habituellement difficile à déterminer, est obtenue sur un seul cristal et par deux mesures à des longueurs d’onde appropriées, par une application originale de la diffusion anormale). On peut aussi noter l’expertise récente demandée par le Royaume Uni à M. Roger FOURME, biologiste structural au LURE, sur le management scientifique du synchrotron SRS à Daresbury. En fait, si l’effort britannique est actuellement plus important en volume, c’est que les chercheurs anglais ont développé depuis longtemps cette recherche avec des sources X classiques. Les Français, moins nombreux jusqu’ici, ont, grâce au rayonnement synchrotron, une recherche de valeur tout à fait comparable. Il semble en fait que l’école française du rayonnement synchrotron est compétitive au niveau mondial, tant pour les applications du rayonnement synchrotron que pour leur technologie (microscope X, lasers à électrons libres, etc .).

M. Jacques FRIEDEL a alors abordé le troisième point de son exposé, concernant le rôle d’un laboratoire national de rayonnement synchrotron.

On peut dès l’abord constater qu’il existe certes un centre européen de rayonnement synchrotron, l’ESRF, dont le rôle n’est pas en cause. Mais un nombre important de synchrotrons de 3ème génération sont en construction en Europe et ils sont tous nationaux. Dans les pays limitrophes, c’est le cas de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de l’Italie et de la Suisse, dont l’exemple résume parfaitement la situation. Dans son effort pour accéder à la maîtrise du rayonnement synchrotron, la Suisse a fait ses premières armes à l’ESRF puis a estimé indispensable de se doter de son propre centre national, une source de 3ème génération.

Pour quelles raisons, ces pays ont-ils choisi de se doter de sources nationales ? L’analyse de la situation actuelle du LURE l’explique, même si ses installations sont vieillissantes et son fonctionnement limité par manque de crédits. Contrairement aux autres très grands équipements comme le CERN, le rayonnement synchrotron touche un nombre très important de chercheurs. Parmi les 1800 utilisateurs du LURE en 1999, cent y travaillent à plein temps. Les autres se répartissent pour l’essentiel en petites équipes de 3 à 4 personnes, dotées chacune de leur laboratoire et de leur équipement. LURE leur offre la possibilité de mener des études complémentaires. Une fois leur projet débroussaillé, certaines équipes peaufinent leurs expériences à l’ESRF. C’est le cas de 90 % des Français qui y ont travaillé en 1999.

Les chefs de projets acceptés au LURE proviennent à 40 % de l’Ile-de-France, à 40 % des autres régions françaises et à 20 % des pays étrangers. Cette répartition correspond aux trois grandes fonctions d’un centre national.

La première fonction est naturellement de participer à l’effort général d’invention et de développement des techniques d’exploitation du rayonnement synchrotron. Loin d’avoir fini de progresser, ces techniques connaissent un développement rapide. Cette tâche est facilitée pour LURE par son environnement scientifique en région parisienne (universités Paris VI, VII et XIII) et notamment par un environnement immédiat : université Paris Sud, Ecole Polytechnique, CEA, CNRS, Gif, grands laboratoires industriels à proximité. LURE et cet environnement de haut niveau sont en interaction positive, les centres de recherche bénéficiant des compétences du LURE et injectant des idées nouvelles de manipulations.

La deuxième fonction est de participer à la formation, notamment au niveau des thèses. LURE participe pleinement à une activité qui fait de l’Université Paris Sud, la première de France en nombre de thèses soutenues par enseignant. D’une façon générale, LURE est un grand centre de formation interdisciplinaire. Les chercheurs pratiquant ces installations ont des vues sur l’évolution des thèmes de recherche les plus modernes, ce qui retentit sur leurs enseignements comme sur leurs recherches. Les retombées provinciales du LURE sont ainsi importantes. La création de ce laboratoire a vu, dès les années 1970, le lancement en physique et chimie de petites équipes dynamiques dans de nombreuses universités de province, particulièrement appréciées par les commissions du Comité consultatif des universités d’alors. Cette dynamique a continué et ne ferait que se renforcer avec le démarrage de SOLEIL.

La troisième fonction du LURE a été, dès le départ, le développement de collaborations internationales. Les relations avec Frascati, et les Italiens datent de la genèse du LURE. Les exemples des Britanniques pour les structures biologiques et des Etats-Unis pour l’EXAFS ont été notés. Comme tous les autres projets menés en commun, ces collaborations ont été menées sur un pied d’égalité, dans des domaines d’intérêt commun. Ce type essentiel de stimulation disparaîtra en l’absence d’un successeur comme SOLEIL.

Pour conclure, M. Jacques FRIEDEL voit peu de solutions à la situation actuelle. La première solution serait de construire SOLEIL tout de suite. C’est pour lui la meilleure solution. Le site d’Orsay-Saclay-Evry lui paraît le meilleur pour des raisons scientifiques, techniques et financières. Mais la question de la localisation est secondaire.

La deuxième solution est celle de DIAMOND. M. Jacques FRIEDEL a observé qu’il ne servirait à rien de construire en complément un anneau spécialisé dans les UV. Au vrai, cette solution conduit non seulement à une perte d’activité de moitié, au moins, mais aussi à la démobilisation et à la dispersion regrettables d’un grand nombre de chercheurs de qualité.

La troisième solution, peut-être la plus raisonnable au vu de l’opposition du ministre, serait de ne rien faire dans l’immédiat et d’attendre que la polémique actuelle s’apaise avant de reprendre le dossier dans deux ou trois ans.

En tout état de cause, " les très grands équipements ne se gèrent pas par des coups de baguette magique ". Les investissements dans ce domaine se préparent longuement et les décisions de programmation doivent être lissées. " Chaque projet doit s’intégrer dans une planification à 10 ou 20 ans ".

En toute hypothèse, si la décision de construire SOLEIL devait être repoussée de plus de 3 ans, la France se désengagerait de fait du rayonnement synchrotron pour 20 ans, en raison de la dispersion inéluctable des équipes de spécialistes de ces technologies.

Alors, si la biologie verrait peut-être ses crédits augmenter à la marge, elle serait en fait condamnée à progresser par ses seuls moyens, une situation hautement défavorable car cette discipline doit se développer en liaison avec d’autres pour maximiser ses efforts. A cet égard, si le rayonnement synchrotron a initialement été mis au point pour d’autres disciplines que la biologie, celle-ci en bénéficie aujourd’hui au premier chef.

Au reste, les besoins de la biologie ne sauraient se résumer à l’étude des structures de protéines. Au contraire, les études d’ordre local dans les macromolécules du vivant et la dynamique des structures sont des moyens d’étude d’une importance capitale pour l’avenir, moyens que la biologie ne peut en aucun cas développer seule.

Au contraire, c’est précisément avec un synchrotron à vocation générale et avec l’aide de la communauté des spécialistes du rayonnement synchrotron que ces méthodes peuvent être mises en œuvre.

La solution DIAMOND est bien " la pire des solutions ".

*

Dans la discussion qui a suivi l’exposé de M. Jacques FRIEDEL, M. Georges CHARPAK a rappelé que les partisans de la solution DIAMOND mettent en avant l’économie que cette solution devrait générer avec une dépense d’environ 500 millions de francs contre 2,8 milliards de francs pour SOLEIL.

Si telle est l’intention, ce schéma permettrait en effet d’allouer des crédits plus importants à la biologie et d’aider à la création de nouvelles entreprises de haute technologie dans le périmètre Orsay-Saclay. Au final, une telle option ne serait pas incompatible avec la décision de construire SOLEIL, par exemple à Lille, dans trois ans, avec une ouverture aux chercheurs britanniques facilitée par ce choix d’une implantation dans le Nord de la France.

M. Jacques FRIEDEL s’est alors interrogé sur la possibilité réelle d’une coopération européenne à l’échéance de trois ou cinq ans. En réalité, cette perspective est compromise par le fait qu’à cet horizon, tous les pays européens auront leur source nationale de 3ème génération.

Le découpage national est une réalité qui ne peut être niée dans le domaine du rayonnement synchrotron. Même si, dans le contexte international, il faut intégrer les activités des différents synchrotrons pour une efficacité maximale, il n’est pas nécessaire en l’occurrence de mettre en place une superstructure européenne toujours lourde et facteur de blocages.

En définitive, il y a tout lieu de penser que dans les dix ans qui viennent, l’Europe ne sera pas un élément moteur dans le domaine du rayonnement synchrotron.

M. Georges CHARPAK a alors souligné qu’une demande réelle de coopération existe en Europe, notamment de la part de l’Espagne et bientôt des Pays de l’Est et qu’au demeurant et qu’il n’y pas de blocage à redouter dès lors que des choix d’investissement sont clairement faits.

M. Jacques FRIEDEL est alors revenu sur la réalité des avantages attendus de la solution DIAMOND. Alors que le coût réel de la participation française à DIAMOND apparaît selon toute probabilité comme supérieur aux 350 millions de francs actuellement affichés, la contribution potentielle des régions candidates à l’accueil de SOLEIL est étrangement minimisée, notamment par l’assertion contraire à la vérité que le financement régional appartient à la même catégorie budgétaire que les crédits du ministère de la recherche.

Au demeurant, si la région Ile-de-France n’a pas dans le passé soutenu la recherche de la région parisienne, son intérêt pour SOLEIL est incontestable du fait de l’impact économique et scientifique et de la visibilité politique d’un tel investissement. Or, répondant aux souhaits du ministère, un plan à soumettre à la région en remplacement de sa participation à SOLEIL est bien en cours de discussion dans la zone Orsay-Saclay. Fait notable, ce plan très classique prévoit une " portion mineure " de la subvention totale à la biologie et au contraire un saupoudrage au bénéfice de la recherche appliquée.

M. Pierre POINTU a alors confirmé la préparation d’une telle solution de remplacement, à compter de l’annonce faite le 2 août 1999 par le ministre de la recherche d’abandonner le projet SOLEIL.

M. Jochen SCHNEIDER, revenant sur l’urgence d’une décision positive pour SOLEIL, a fait remarquer que les équipes du LURE commencent à être gravement démotivées et que si l’attente se prolongeait, elles pourraient bien se disperser aux quatre coins de l’Europe et en particulier au Royaume Uni, rendant vaine par avance toute idée de construction d’un nouveau synchrotron dans 3 ou 4 ans.

A ce point de la discussion, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a porté à la connaissance des participants, la piste de réflexion suggérée par M. Yves PETROFF, directeur général de l’ESRF, lors de la visite effectuée le 28 janvier à Grenoble. Il s’agit de comparer les coûts respectifs de deux synchrotrons similaires à SOLEIL, construits simultanément l’un en France et l’autre au Royaume Uni avec ceux d’un achat de 7 lignes sur DIAMOND et de la construction d’une machine de 1,5 GeV.

La seule duplication des machines devrait générer une économie de 25 à 30 %, tout en répondant à l’objectif d’une coopération franco-britannique accrue.

Ce que l’on pourrait appeler " l’équation de PETROFF " est en cours de résolution par son auteur et ses résultats une fois validés seront portés prochainement à la connaissance du groupe de travail.

M. Georges CHARPAK, présent aux côtés de M. TRÉGOUËT lors de la visite de l’ESRF, a salué l’idée d’une construction de deux machines " clonées " mais dotées toutefois de lignes de lumière différenciées, comme " la première proposition logique et innovante " entendue par le groupe de travail. Ainsi seraient obtenues des économies de frais d’étude et au surplus une diminution du coût global si le Royaume Uni acquérait des lignes.

M. Pierre POINTU a indiqué que la visite du LURE avait permis aux membres du groupe de travail de découvrir qu’il existe un optimum d’énergie – en l’occurrence de 2,5 à 3 GeV – pour obtenir la meilleure qualité de faisceaux. Cette contrainte s’applique à tout synchrotron, que ce soit celui du LURE ou le futur DIAMOND. Il y aurait certainement de grands avantages à standardiser les accélérateurs linéaires et les anneaux de stockage, la diversité portant sur les seules lignes de lumière.

M. Jochen SCHNEIDER, directeur du Hasylab d’Hambourg, a quant à lui constaté que la construction de toute nouvelle machine donne lieu à des innovations. L’idée de reproduire à l’identique deux synchrotrons correspondrait à l’opinion selon laquelle des progrès ne seraient pas possibles dans le temps, ce qui équivaudrait à être proche de la limite théorique de qualité des faisceaux. En raison des économies qu’il génèrerait presque certainement, un tel programme mérite toutefois d’être examiné en détail.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a alors indiqué que cette solution est examinée en tant que piste de recherche et non pas en tant que préconisation définitive. La pertinence scientifique d’une telle démarche reste à démontrer. En tout état de cause, ce qui apparaît aujourd’hui établi par les spécialistes, c’est qu’il existe un optimum d’énergie pour les synchrotrons de 3ème génération, en raison du fait que l’augmentation d’énergie après coup d’une machine sous-dimensionnée est à la fois coûteuse et décevante en termes de performances.

Reprenant la parole sur la solution consistant en la construction concertée de deux synchrotrons similaires, M. Jacques FRIEDEL a fait connaître qu’il n’est pas du tout opposé à une telle démarche si elle reste flexible mais que le Royaume Uni pourrait répugner à diminuer l’énergie de son propre équipement, DIAMOND étant dessiné pour une énergie plus élevée.

M. Jean GALLOT a rappelé à cette occasion que les négociations avec le Royaume Uni sur la duplication du projet SOLEIL ne pourraient en tout état de cause être dilatoires, puisque, comme M. PETROFF l’a indiqué, elles ne devraient pas durer plus de deux mois. Il lui paraît capital à cet égard d’accélérer la prise de décision afin de tirer parti de la bonne conjoncture budgétaire. M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a noté à cet égard qu’il s’agit bien en l’espèce d’inverser une tendance, puisque les budgets de la recherche pour 1999 et pour 2000 ont marqué que les très grands équipements deviennent une préoccupation secondaire pour le Gouvernement.

M. Jacques FRIEDEL a alors indiqué qu’il n’est pas évident que l’effort global sur les très grands équipements diminue et qu’il convient en tout état de cause de sérier les problèmes. " Il existe d’autres très grands équipements dont l’urgence est inférieure à un nouveau synchrotron ". La station spatiale habitée, par exemple, " ne sert à rien , sauf pour les biologistes ". Tout indique par ailleurs qu’en raison des difficultés du partenaire russe " elle ne démarrera pas ".

En toute hypothèse, il est nécessaire et possible de faire des économies sur certains très grands équipements " mais pas dans le domaine du rayonnement synchrotron ".

*

M. Paul-Henri REBUT, ancien directeur général du JET (Joint European Torus), et conseiller de M. René PELLAT, Haut commissaire à l’énergie atomique, chargé des négociations avec le Royaume Uni sur DIAMOND, a été invité à retracer son expérience de responsable d’un très grand équipement européen et a commencé par énoncer les conditions à satisfaire pour qu’un projet international se déroule d’une manière satisfaisante.

M. Paul-Henri REBUT a tout d’abord indiqué que, s’agissant du JET installé à Oxford, la région environnante et au total le Royaume Uni ont bénéficié de 70 % des dépenses d’investissement et d’exploitation. Certes, pour certains équipements de pointe, les commandes peuvent déborder la région voire même le pays d’accueil. Mais si l’on fait, comme cela se doit, le bilan total en intégrant sur une longue période les dépenses d’investissement et les dépenses d’exploitation, une région a un avantage évident à accueillir de très grands équipements.

Une condition essentielle à remplir pour un très grand équipement est bien évidemment sa localisation à proximité immédiate d’un aéroport international. A cet égard, M. Paul-Henri REBUT a noté qu’une distance comme celle séparant l’aéroport d’Heathrow d’Oxford, soit une heure de transport, est une limite à ne pas dépasser.

L’importance d’autres infrastructures comme des écoles internationales autour du très grand équipement doit être également soulignée. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer la taille des équipes mixtes permanentes accueillant les chercheurs visiteurs et les aidant à mettre en œuvre les équipements de l’installation, une tâche difficile pour des utilisateurs occasionnels qui doivent toujours minimiser leur temps de séjour sur le site.

M. Paul-Henri REBUT a ensuite souligné que le premier report de la décision de construire un prolongement au JET s’est traduit par un enchaînement de rejets successifs, estimant que " si on repousse une décision une fois, il est difficile de remonter la pente ". Au vrai, " un projet peut attendre deux à trois ans, au-delà on peut mettre une croix dessus, on concevra un autre projet ".

S’agissant du nombre de synchrotrons à construire pour l’avenir, M. Paul-Henri REBUT a estimé que seul le plan de charge doit apporter la réponse. En réalité, si ce plan de charge ne justifiait pas deux machines et si les conditions de site énoncées précédemment étaient réunies, alors il serait viable de collaborer avec les Britanniques.

Invité par M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, à brosser un tableau de son expérience au JET, M. Paul-Henri REBUT a remarqué que la construction du JET s’est effectuée sous le Gouvernement de Mme THATCHER. En tant qu’investissement au service d’une recherche à très long terme, le JET n’a pas été freiné par le Gouvernement mais n’a pas non plus bénéficié de son soutien, alors que la rentabilité à 5 ans était érigée en critère de décision fondamental de l’action publique.

Le JET, construit dans le cadre d’Euratom, a été décidé à l’unanimité des pays membres de l’Union européenne. Pour autant, le Royaume Uni n’a pas " joué son rôle d’hôte ", même si les spécialistes du JET ont été bien reçus dans les Collèges d’Oxford et ont bénéficié d’infrastructures locales satisfaisantes. Le contraire eût étonné dans la mesure à l’investissement global correspondant au JET représente un total d’un milliard d’euros, dont la moitié pour l’investissement initial, avec plus de 200 physiciens permanents sur l’installation et plus d’un millier d’employés de sous-traitants présents en moyenne sur le site.

Appuyant une remarque de M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, sur ce sujet, M. Paul-Henri REBUT a jugé indispensable d’établir des prévisions, non seulement pour les investissements mais pour l’exploitation des 7 lignes de lumière sur DIAMOND. A cet égard, il faut tenir compte impérativement de l’instrumentation et des dépenses en personnel de support. Au demeurant, la France doit avoir en tête qu’avec les Britanniques, " ce qui écrit n’a pas beaucoup plus de valeur que ce qui est dit " et que tout est " renégociable ".

Un débat s’est alors amorcé sur la capacité de la France à peser réellement sur les décisions dans le cas de la solution DIAMOND.

M. Paul-Henri REBUT a jugé que la faiblesse de son investissement dans DIAMOND ne placerait pas notre pays dans une position satisfaisante.

M. Georges CHARPAK a confirmé que la présence sur son sol du site du CERN a permis à la France de bénéficier de retombées plus importantes que tout autre pays. Il a suggéré enfin que, dans le cadre du clonage, on cherche à vendre au Wellcome Trust 3 lignes sur la machine française et que la France fasse participer d’autres pays au montage.

M. Paul-Henri REBUT a indiqué son accord pour donner une " couleur européenne " à un nouveau synchrotron mais a estimé qu’une telle démarche, en requérant une inscription dans le PCRD, serait ardue.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a alors estimé que la notion de " clonage " de SOLEIL pour la nouvelle machine britannique doit être compatible avec l’autonomie de choix et de décision de chacun des deux pays, grâce à une nécessaire marge de flexibilité dans les caractéristiques de la machine.

Ainsi, le projet SOLEIL comprend un Laser à Electrons Libres (LEL) qui ne doit pas être remis en cause. Par ailleurs, il convient de prévoir une souplesse et une adaptabilité suffisantes de la machine pour permettre aux Britanniques de pousser l’énergie de leur synchrotron à 3 GeV ou plus si nécessaire.

La souplesse et l’adaptabilité du futur synchrotron seraient alors une contribution très importante pour l’avenir de ces équipements en Europe, en facilitant considérablement de nouveaux investissements dans ce domaine.

*

A l’invitation de M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, M. Jochen SCHNEIDER, directeur du HASYLAB de Hambourg, est alors revenu sur le développement du rayonnement synchrotron en Allemagne.

Le premier fait marquant est la montée en énergie du synchrotron BESSY II de Berlin, réalisée actuellement grâce à l’implantation d’aimants supraconducteurs afin d’améliorer les performances de la machine pour les études structurales. A terme de cette modernisation, BESSY II pourra produire des rayons X d’une longueur d’onde de 0,5 Å.

Par ailleurs, le synchrotron ANKA d’une énergie de 3 GeV est en cours d’achèvement. Sa construction résulte de la volonté du land de Bade-Wurtemberg de développer un pôle de micro-mécanique, l’industrie tardant toutefois à s’associer à ce projet.

Par ailleurs, l’anneau de stockage DORIS de Hambourg connaît un fonctionnement satisfaisant et peu onéreux, dans la mesure où il appartient à un ensemble de 6 anneaux dédiés pour la plupart à la physique des hautes énergies. Des améliorations de DORIS sont actuellement à l’étude, dans la mesure où le projet HERA de physique des particules doit s’achever en 2005-2006, libérant de la place et des crédits pour d’autres projets. A cet égard, le HASYLAB envisage d’utiliser l’anneau PETRA d’une circonférence de 2,3 km pour produire du rayonnement synchrotron encore supérieur au rayonnement de l’ESRF.

Un des buts prioritaires à long terme du HASYLAB de Hambourg est bien la mise au point d’un Laser à Electrons Libres (LEL) émettant dans les rayons X. Actuellement un LEL V-UV est en construction et devrait démarrer en 2003.

Ainsi, au plan général, il apparaît que les efforts de l’Allemagne s’exercent dans trois directions. La première est la montée en énergie de BESSY II à Berlin afin de satisfaire les besoins en rayonnements X de la biologie structurale et d’attirer davantage d’utilisateurs. La deuxième direction est celle du maintien en fonctionnement de DORIS à Hambourg car cette machine, certes d’une brillance peu élevée, recèle un potentiel important d’applications nouvelles. La troisième direction est celle des progrès dans la voie des Lasers à Electrons Libres.

Une question fondamentale pour l’Allemagne est actuellement de déterminer s’il faudra à l’avenir construire une machine supplémentaire, alors qu’on disposera d’un LEL et qu’on continuera de pouvoir accéder à l’ESRF.

En tout état de cause si le projet HERA devait continuer au-delà de son terme envisagé de 2005-2006, la décision de construire un nouveau synchrotron serait effectivement prise.

A propos de la France, M. Jochen SCHNEIDER a remarqué qu’il lui manque un synchrotron moderne constituant une base indispensable pour la recherche, au contraire de l’Allemagne qui, avec ses nombreuses machines, dispose des infrastructures nécessaires.

M. Jochen SCHNEIDER a enfin indiqué que, pour sa part, il ne voyait pas de possibilité de construire un troisième synchrotron de type SOLEIL en Allemagne pour générer des économies unitaires additionnelles, un nouveau synchrotron de ce type n’ayant pas sa place dans le parc allemand.

Dans le débat qui a suivi cet exposé, M. Vincent MIKOL a indiqué que si la décision était prise d’opter pour DIAMOND, les entreprises " start-up " dont la création représente une priorité pour le ministère de la recherche, s’établiraient sans conteste à Oxford. Par ailleurs, l’idée d’une construction concertée et simultanée de deux machines similaires lui est apparue intéressante, en raison des économies d’échelle à attendre d’une telle démarche, même si elle va à contre-courant de la stratégie de l’industrie qui est plutôt de concentrer les moyens que de les essaimer.

Par ailleurs, M. Vincent MIKOL a réaffirmé que 90 % des structures de protéines élucidées par l’industrie le sont par cristallographie avec des rayons X produits par des synchrotrons et non pas par la Résonance Magnétique Nucléaire (RMN). Les grands laboratoires pharmaceutiques disposent tous d’équipements propriétaires de RMN mais ne déterminent plus les structures avec cette méthode. La RMN a certes un potentiel à long terme mais avec ses limites actuelles, elle n’est pas substituable dans les 5 ans à la cristallographie.

Pour conclure le débat, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a insisté sur le fait que les industriels ne sont plus désireux de participer à des investissements de recherche sur plusieurs années. La notion de retour rapide sur investissement l’emporte sur toute autre considération. Pour autant, l’accès à des instruments modernes est essentiel, ce qui a pour conséquence que le positionnement des laboratoires se fera toujours davantage autour des très grands équipements à vocation applicative.

*

M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, et M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, ont alors donné la parole à M. Edouard BREZIN, Président et Mme Catherine BRÉCHIGNAC, directeur général du CNRS.

Pour commencer son propos, Mme Catherine BRÉCHIGNAC a rappelé que le rayonnement synchrotron a permis de gagner 12 ordres de grandeur en brillance par rapport aux tubes à rayons X, et a trouvé des applications immédiates pour l’observation de la matière vivante et de la matière inerte, suscitant la création de communautés d’utilisateurs, d’abord en physique, puis en chimie et enfin en biologie.

La communauté scientifique française utilise 25 à 30 % du temps de faisceau de l’ESRF, 80 % de celui du LURE et quelques pour-cent des synchrotrons étrangers.

S’agissant de la répartition du temps de faisceau entre disciplines, les comparaisons nécessitent des précautions méthodologiques précises. En particulier, la notion de " run ", distincte d’une installation à l’autre, représente 24 heures de faisceau au LURE, et 8 heures à l’ESRF où elle prend d’ailleurs le nom de " shift ". Il faut par ailleurs distinguer les statistiques en nombre de projets et en nombre d’utilisateurs accédant à un synchrotron et celles en termes de temps machine. Ainsi, si, selon M. Yves PETROFF, la biologie représente 30 % du total, il s’agit du nombre d’utilisateurs. En tout état de cause, les sciences du vivant représentent en fait environ 20 % du temps de faisceau total mis en œuvre par les chercheurs français, avec un pourcentage similaire de 20 % pour la chimie et le restant, soit 60 %, pour la physique.

En tout état de cause, il existe d’ores et déjà un décalage entre l’offre de temps de faisceau et la demande d’accès, qui traduit une pression croissante de la demande.

A la demande du CNRS, M. Yves FARGE a étudié l’évolution prévisible du nombre d’utilisateurs de rayonnement synchrotron. Ce nombre devrait être multiplié par 2,5 pour la biologie et la chimie et par 1,5 pour la physique.

Parmi les moteurs de cette évolution, il faut citer la croissance des besoins de la biologie pour la résolution des structures des protéines, mais également, dans le domaine pharmaceutique, l’essor des techniques d’étude des poudres pour le conditionnement des médicaments. La physique a des besoins moindres pour l’étude des structures mais une demande en forte augmentation pour l’étude de la dynamique des systèmes, dans laquelle le rayonnement synchrotron couplé à l’utilisation des lasers apporte une solution de grande qualité. Au demeurant, pour le rayonnement synchrotron comme pour d’autres techniques, la physique transfère des technologies aux autres disciplines.

Si l’on compare la situation de l’Europe avec celle des Etats-Unis, on constate un nombre de projets américains plus important dans le domaine de la biologie qu’en Europe. Ceci est à mettre en parallèle avec un nombre de postes expérimentaux plus élevés aux Etats-Unis (138) qu’en Europe (128), pour des populations de chercheurs comparables.

Au reste, quels sont les besoins de la France en temps de faisceau ? Il apparaît clairement, si nous ne voulons pas diminuer le potentiel de chercheurs utilisant le rayonnement synchrotron en Europe, que le nombre de postes expérimentaux doit être maintenu. C’est ainsi que la politique générale des différents pays est de fermer les anciens synchrotrons et d’en construire de nouveaux. C’est notamment le cas aux Etats-Unis et en Allemagne. La France est confrontée au même problème avec, dans quelques années, l’obsolescence du LURE, et le Royaume Uni avec celle de la source SRS de Daresbury.

Comment y parvenir ? Mme BRÉCHIGNAC, directeur général du CNRS a alors établi un historique des solutions envisagées depuis que la question est examinée.

A cet effet, un accord cadre a été signé par le CNRS et le CEA, le 14 novembre 1997, avec le CCLRC (Royaume Uni) et le CEPF (Suisse) pour une coopération en matière de nouvelles sources de rayonnement synchrotron.

Suite au constat que la Suisse s’orientait vers une source de 3ème génération de 2,4 GeV plus petite que celle recherchée par la France, deux schémas ont alors été étudiés.

Le premier est celui de deux synchrotrons complémentaires avec une forte interaction entre les deux. La deuxième piste de réflexion est celle de deux machines jumelles construites l’une en France et l’autre au Royaume Uni, avec une complémentarité des deux synchrotrons vis-à-vis de l’ESRF.

Compte tenu des progrès technologiques des synchrotrons, il n’est point besoin d’une machine à forte énergie (6 GeV) comme celle de l’ESRF, pour produire des rayons X " durs ", une énergie de 2 à GeV étant suffisante à cet égard.

Bien que plus économique pour tous, le schéma de deux machines jumelles est toutefois abandonné au profit d’une complémentarité poussée entre les deux synchrotrons français et anglais, pour des raisons essentiellement politiques, à savoir la volonté de renforcer la coopération franco-britannique dans le domaine de la recherche.

Dès lors, une instruction ministérielle de Mme Elisabeth DUFOURCQ, confirmée par M. François d’AUBERT, demande au CEA et au CNRS l’établissement d’un avant-projet détaillé d’un synchrotron de 3ème génération et d’une énergie inférieure à celle de l’ESRF, demande qui débouchera sur l’avant-projet SOLEIL.

A ce stade de l’exposé de Mme BRÉCHIGNAC, après avoir souligné les conséquences opposées en terme de coûts du " clonage " qui peut permettre une baisse des coûts et de la " complémentarité " qui aboutit au contraire à une augmentation de ceux-ci, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a demandé des précisions sur le contenu de l’instruction ministérielle en la matière.

Selon M. Edouard BREZIN, Président du conseil d’administration du CNRS, les instructions à ce sujet ne furent pas " lumineuses ". Au reste, il s’agit d’un problème scientifique auquel il n’est pas aisé d’apporter une réponse.

La construction de deux machines identiques serait effectivement de nature à permettre une économie de 20 à 30 %. Toutefois, selon différents points de vue exprimés récemment, notamment dans un article de la revue Science d’août 1999, un équilibre harmonieux en Europe entre les différentes machines existantes voudrait qu’à côté d’un synchrotron de haute énergie comme l’ESRF, ou le synchrotron d’Argonne aux Etats-Unis, il existe des machines avec des brillances et des longueurs d’onde moins élevées, machines essentiellement dédiées à l’étude des dynamiques structurales.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur a remarqué que trois personnalités, M. Yves FARGE, M. Roger FOURME et M. Yves PETROFF ont fait état de l’existence d’un optimum en énergie, à environ 2,5 GeV, pour un synchrotron utile à toute la communauté scientifique et laissant des possibilités de développement pour le futur. Quant au " clonage ", il devrait apporter non seulement des économies d’investissement mais également de maintenance.

Mme Catherine BRÉCHIGNAC a alors indiqué que lorsque l’option de la complémentarité a été choisie, l’énergie de la machine britannique a été fixée à 3 GeV au moins, au contraire du futur synchrotron français positionné à 2 GeV. L’on sait aujourd’hui que l’énergie de SOLEIL a progressivement été rehaussée, à 2,5 GeV puis à 2,7 GeV, à la demande des sciences de la vie pour leurs études structurales.

Mais précisément, le CNRS est extrêmement attaché " à ne pas avoir de machine trop dédiée " à la satisfaction d’un seul type de besoins. En effet, les chercheurs de toutes les disciplines travaillant autour d’un même instrument, ici le synchrotron, celui-ci devient un " lieu de rencontres " d’une rare qualité.

Au demeurant, les interactions de la physique avec les autres sciences et notamment avec la biologie, sont à entretenir, puisque aussi bien c’est le travail de la physique de fabriquer des instruments pour les autres sciences.

Le débat qui a suivi a porté la pluridisciplinarité qui caractérise un synchrotron, et le renforcement des contacts entre chercheurs qu’il permet, avec " l’effet cafétaria " noté par M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, avec l’aide apportée par les résidants aux chercheurs visiteurs. Ainsi, le synchrotron et les laboratoires d’adaptation aux besoins des instruments, en particulier dans les disciplines émergentes, comme au LURE, sont indissociables, ainsi que l’a estimé M. Edouard BREZIN.

Pour Mme Catherine BRÉCHIGNAC, le rayonnement synchrotron revêt un caractère stratégique dans de nombreuses disciplines. A cet égard, on peut citer la biologie avec la structure des protéines et les études de dynamique, les composants pour les sciences de la communication avec en particulier les nano-objets, le domaine de l’énergie avec la séparation poussée et l’étude de la migration des radioéléments dans le milieu environnant, les géosciences, l’étude de l’environnement avec la conjonction du rayonnement synchrotron et des radars dans le domaine lumineux (lidars) et enfin le programme de défense nationale.

Dans l’ensemble des applications du rayonnement synchrotron, on peut également citer trois axes majeurs d’impact de cette technologie, d’une part la mise au point de médicaments, l’analyse des traces pour la protection de l’environnement et l’imagerie des objets opaques.

Mais qu’en est-il du poids des très grands équipements (TGE) sur le budget de la recherche ?

Mme Catherine BRÉCHIGNAC a précisé que trois organismes sont principalement intéressés à leur construction et à leur mise en œuvre, le CNES, le CEA et le CNRS.

S’agissant du CNRS, ses dépenses sont consacrées à hauteur de 70 % aux rémunérations et à 30 % aux investissements et au fonctionnement des laboratoires. Au demeurant, cette structure s’inscrit dans un mouvement général de croissance en valeur absolue des dépenses de recherche en France, mais de leur stagnation sinon de leur diminution en valeur relative. Par ailleurs, l’effort de recherche en Europe avec 1,8 % du PIB, est incontestablement inférieur à celui des Etats-Unis (2,3 %) et du Japon (2,7 %).

Avec un montant total annuel de 350 millions de francs, le budget des très grands équipements représente environ 12 % de ce qui est donné chaque année aux laboratoires pour leurs investissements et leur fonctionnement. Il est à noter que cette somme est consolidée pour l’ESRF, les salaires étant compris, mais non pas pour le LURE. Au reste, le poids des très grands équipements est sensiblement le même au CNRS et au CEA.

A cette occasion, M. Jean-Pierre CHANGEUX s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles les laboratoires du CNRS du domaine des sciences de la vie bénéficient de crédits inférieurs à leurs homologues de l’INSERM et s’il ne fallait pas y voir une conséquence de la " ponction " opérée sur le budget du CNRS par les très grands équipements.

Mme Catherine BRÉCHIGNAC a alors indiqué que les crédits des sciences de la vie ont effectivement baissé relativement pendant le mandat de M. François KOURILSKI, qui est un scientifique des sciences de la vie, dans le but d’inciter celles-ci à coopérer avec les autres disciplines et à développer les interfaces. Il est cependant incontestable que les laboratoires de l’INSERM ont effectivement plus de ressources par chercheur que ceux du CNRS. Cette inégalité demeure dans un rapport d’environ de 1 à 2, que l’on incorpore ou non le budget des TGE aux crédits des laboratoires. En réalité, on observe le même décalage avec le CEA et le CNRS en ce qui concerne les physiciens et entre l’INRIA et le CNRS pour les informaticiens. En toute hypothèse, " cela n’est pas une question de TGE : les TGE ne font pas plonger la machine ". La vraie question est donc l’augmentation du budget du CNRS.

Depuis une dizaine d’années, le budget annuel des TGE au CNRS évolue autour de 350 millions de francs. De surcroît, sur une vingtaine d’années, l’évolution des montants consacrés tant à leur construction qu’à leur exploitation est plus lente que celle du BCRD.

Une évolution se dessine toutefois s’agissant des TGE : c’est celle de la prédominance du spatial, en raison d’orientations politiques marquées. Les investissements pour la physique comprennent la participation française à la construction du LHC (Large Hadron Collider) du CERN et la part française au projet franco-italien VIRGO, destiné à mettre en évidence pour la première fois des ondes gravitationnelles.

Le budget du rayonnement synchrotron au CNRS consiste en une contribution de 64 millions de francs à l’ESRF et de 23 millions de francs pour le LURE (salaires non compris). Ce montant doit être rapproché du budget global du CNRS, soit environ 15 milliards de francs et surtout du montant de ses investissements annuels soit 3 milliards de francs en moyenne. Au reste, la construction de SOLEIL était programmée dans une période où devait s’achever le projet VIRGO, maintenant constante la part dédiée aux TGE dans le budget du CNRS.

Concernant les très grands équipements, certains observateurs préconisent d’allouer leurs crédits aux laboratoires, à charge pour ceux qui sont intéressés par les TGE de leur reverser les sommes correspondantes. La conception française des TGE est très éloignée de cette approche, en ce qu’elle considère les TGE comme un " service public de la recherche ", dont l’usage, comme tel, n’est pas facturé aux utilisateurs. Une telle orientation, largement partagée en Europe, présente aussi l’intérêt d’inciter les laboratoires étrangers à coopérer avec les laboratoires français pour accéder à ces instruments.

En réponse à M. Jean-Pierre CHANGEUX qui s’est demandé s’il ne serait pas possible de disposer au sein des laboratoires d’équipements plus petits dotés des mêmes performances, Mme Catherine BRÉCHIGNAC a indiqué que les grosses machines sont indispensables, tandis que M. Vincent MIKOL spécifiait que les biologistes vont toujours vers la meilleure source de rayonnement disponible.

M. Jean-Pierre CHANGEUX ayant remarqué qu’il pourrait être avantageux d’orienter en amont les projets de recherche vers les synchrotrons ou vers les lasers, Mme Catherine BRÉCHIGNAC a précisé que les études structurales en biologie ne peuvent s’effectuer avec ces instruments. Toutefois, les lasers, à qui le CNRS alloue la moitié de la somme dont dispose le LURE, font apparaître, pour ce qui concerne les lasers " femtoseconde " des perspectives intéressantes pour l’étude des dynamiques temporelles courtes. Il reste que les comités de programme du LURE ou de l’ESRF réorientent systématiquement vers d’autres méthodes expérimentales les projets qui n’ont pas un besoin strict du rayonnement synchrotron. Mais comme l’a indiqué M. Edouard BREZIN, il existe aussi un transfert vers les synchrotrons des expérimentations autrefois conduites avec des neutrons.

A cet égard, M. Jochen SCHNEIDER a estimé que la résolution temporelle constitue une des applications les plus prometteuses du rayonnement synchrotron et que les machines de l’énergie du LURE conviennent mieux que les machines de forte énergie.

Faisant observer qu’à son avis l’Office parlementaire devait avoir pour principal objectif de " mettre les choses dans le bon sens " sur le projet de nouveau synchrotron, Mme Catherine BRÉCHIGNAC a précisé les masses budgétaires en jeu.

Sur un investissement total qui se monterait à 1,6 milliard de francs, l’avant-projet détaillé SOLEIL distingue 500 millions de francs de frais de personnel, soit un coût d’équipement de 1,1 milliard de francs. Avec une contribution de 600 à 700 millions de francs de la région d’accueil, le poids de SOLEIL sur les budgets du CNRS et du CEA ressortit à 300 millions de francs pour chacun, soit 30 millions de francs par an sur 10 ans. Ces montants sont à mettre en parallèle avec les 200 millions de francs attribués par le ministère de la recherche aux sciences de la vie.

Au reste, l’abandon du projet SOLEIL, qui ne peut se justifier pour des raisons budgétaires étant donné le caractère limité de l’investissement, entraînerait des problèmes très cruciaux de réorientation de chercheurs.

Certes la discussion est normale sur les priorités respectives de la science " lourde " et de la science " légère ". Mais le synchrotron diffère en tous points d’un équipement comme le CERN où s’accomplissent annuellement deux à trois expériences difficiles. Au contraire, un synchrotron sert un grand nombre de domaines et quelques centaines de laboratoires en France, pour un total de 1600 chercheurs. En cela, un synchrotron est totalement différent des très grands équipements de la radioastronomie. Il s’agit en réalité d’une " machine de service ".

M. Vincent MIKOL a rappelé à cette occasion qu’ailleurs en Europe, le nombre de synchrotrons augmente et de nouveaux pays s’en dotent, comme la Suisse, par exemple.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI ayant demandé si le CNRS avait chiffré le nombre de lignes de lumière qui lui seront nécessaires, à l’instar du CEA qui l’a établi à 4 lignes équivalent temps plein, Mme Catherine BRÉCHIGNAC a indiqué que le recensement des besoins, organisme par organisme, est absurde dans la mesure où c’est l’ensemble de la communauté scientifique française qui est concernée par la question du renouvellement des ressources nationales en rayonnement synchrotron et qu’elle ne fait aucune différence entre un chercheur CNRS, CEA, INSERM ou un universitaire si sa recherche est de bonne qualité.

Ce qui est incontestable, c’est la pression de la demande de temps de faisceau, qui doit, bien sûr, être multipliée par deux si l’on inclut le Royaume Uni dans l’analyse. En l’occurrence, si l’on supprimait une machine sur les deux existantes, LURE et SRS, la pression ne pourrait qu’augmenter à l’avenir, même avec un synchrotron de plus grande taille. Pour répondre à cette question, une étude sur la montée des besoins a récemment été demandée au Conseil scientifique du CNRS.

Il reste que si un nouveau synchrotron devait être construit, son mode de fonctionnement serait selon toute probabilité différent tout en conservant un caractère fédérateur et convivial.

M. Georges CHARPAK ayant demandé confirmation de la réalité des efforts du ministère de la recherche en faveur de la biologie, M. Edouard BREZIN a fait état des actions incitatives du ministère en la matière pour un montant de 300 millions de francs et des efforts propres du CNRS qui, pour l’année 2000, sur les 70 millions de francs supplémentaires reçus de l’Etat, en a affecté la moitié à la biologie, tandis que, sur les 350 recrutements prévus, 101 concerneront la biologie. Mme Catherine BRÉCHIGNAC a ajouté que le coût de financement d’un synchrotron doit être mis en regard du service qu’il apporte à de multiples disciplines et de sa contribution au développement des sciences de la vie. En tout état de cause, une machine trop dédiée de basse énergie n’aurait aucun avenir.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur a conclu la réunion en soulignant la nécessité de faire de la prospective au sujet de la biologie.

Certes le souci du ministère en mettant au point une solution autre que SOLEIL est de faire des économies pour renforcer le soutien aux laboratoires, et en particulier à la biologie. Mais un synchrotron moderne est bien un équipement phare de la biologie, de sorte que le bilan de cette stratégie pourrait bien apparaître comme négatif pour la discipline même que l’on entend soutenir.

Par ailleurs, s’agissant de la création d’entreprises de haute technologie, que le ministère souhaite encourager, la localisation des centres de biologie se fera très probablement à l’avenir autour des très grands équipements, et en particulier autour des synchrotrons. En outre, il faut intégrer dans le processus de décision le fait que les entreprises industrielles ne souhaitent pas s’engager elles-mêmes dans des investissements lourds représentant une immobilisation à long terme. Dans ce cas également, la décision d’abandon du projet de synchrotron national pourrait bien s’avérer contraire à l’objectif poursuivi.

Il est donc en définitive capital d’établir une hiérarchie dans les objectifs à long terme de la politique de la recherche.

VII - Auditions de M. Niels MARTENSSON, directeur du Max Lab, et des représentants de la Société Française de Physique, de la Société Française de Biologie et de Biochimie moléculaire et de l’Association Française de Cristallographie - mercredi 9 février 2000

 

Afin de continuer à obtenir l’avis d’experts internationaux sur la situation française dans le domaine du rayonnement synchrotron, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, et M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, ont invité le Professeur Nils MARTENSSON, Directeur du Max Lab de l’université de Lund (Suède), à leur exposer les réalisations et les projets suédois en la matière.

Ainsi que l’a précisé le Professeur Nils MARTENSSON, la Suède dispose avec le Max Lab de deux anneaux de stockage opérationnels, un troisième étant en construction.

L’anneau MAX I, entré en fonctionnement en 1985, est un synchrotron de 2ème génération d’une énergie de 550 MeV (0,55 GeV).

L’anneau MAX II, entré en service en 1997, est un synchrotron de 3ème génération d’une énergie de 1,5 GeV, comparable à ELETTRA (Trieste) et à BESSY II (Berlin). Pour compenser la petite taille de l’anneau, différents moyens ont été utilisés pour atteindre un haut niveau de brillance, sans toutefois parvenir à égaler le nombre de lignes d’ELETTRA.

L’anneau MAX III, actuellement en cours de construction pour une entrée en service en 2002, sera un synchrotron d’une énergie de 700 MeV (0, 7 GeV) comparable en taille à Super-ACO du LURE mais doté d’équipements plus modernes.

Le nombre d’employés permanents du Max Lab ressortit à 55 personnes, dont 30 techniciens et administratifs, 10 chercheurs universitaires et 10 à 15 spécialistes apportant une assistance aux utilisateurs. Le nombre d’utilisateurs a atteint 450 à 500 personnes en 1999, un utilisateur étant recensé une seule fois dès qu’il fréquente une fois dans l’année le MaxLab et ceci quel que soit le nombre de ses visites ultérieures.

S’agissant de la répartition du nombre d’utilisateurs par discipline, la biologie représente à l’heure actuelle un peu moins de 30 % des utilisateurs de MAX II, avec une croissance plus rapide que celle de toutes les autres disciplines.

En raison de la croissance des besoins, l’anneau MAX I ne devrait pas être fermé dans un proche avenir, même lorsque le nouvel anneau MAX III sera opérationnel. MAX I, un synchrotron de faible énergie, est en effet utile dans le domaine de la spectroscopie infra rouge ou dans les X " mous ", en particulier pour les études de surface et la microélectronique.

En revanche, certaines lignes de lumière de MAX I pourraient être transférées sur MAX III. Etant donné que pour les lignes de lumière de basse énergie en question, le bénéfice d’un éventuel fonctionnement sur MX II ne serait que très légèrement supérieure à celui obtenu en les faisant fonctionner sur MAX III, aucun transfert de lignes de lumière de MAX I à MAX II n’est plus envisagé.

Le synchrotron MAX II de 1,5 GeV a initialement été optimisé pour des énergies inférieures ou égales à 1 keV. Il possède des lignes de lumière pour la cristallographie des protéines, pour la nanolithographie et pour la lithographie profonde à rayons X. La polarisation circulaire est également mise en œuvre pour les études de surface.

Pour faire face à l’augmentation de la demande dans le domaine de la cristallographie, MAX II subit à l’heure actuelle plusieurs transformations destinées à disposer de faisceaux de plus haute énergie. Grâce à l’installation de " wigglers " multiples et supraconducteurs sur deux sections droites, les gestionnaires de MAX II espèrent atteindre des énergies d’environ 20 keV et de flux supérieurs ou égaux à ceux obtenus sur les aimants de courbure de l’ESRF. Après ces transformations, MAX II proposera, à partir des deux sections droites, une ligne de lumière pour les sciences de la matière avec des énergies comprises entre 2,5 et 20 keV et une ligne à plusieurs stations expérimentales dédiées à la cristallographie des protéines pour des longueurs d’onde comprises entre 0,6 et 1,6 Å. A la suite de cette opération, 2 sections droites et 3 aimants de courbure restent disponibles sur MAX II.

Les principales raisons pour lesquelles la construction de MAX III a été entreprise, sont au nombre de trois.

La première raison est la pénurie de sections droites et de lignes de lumière sur MAX II, en raison de la croissance de la demande.

La deuxième raison est le constat fait par la direction du MaxLab de la fermeture en Europe de nombreuses lignes de basse énergie, qui risque d’entraîner la perte de nombreuses possibilités d’expérimentations intéressantes.

La troisième raison est que la construction de MAX III sur le site des deux premiers synchrotrons suédois permettra des économies d’investissement substantielles.

Différents équipements sont d’ores et déjà prévus, dont une ligne de lumière pour la spectroscopie de très haute résolution pour des énergies comprises entre 5 et 40 eV et une autre pour la photoémission résolue angulairement pour des énergies comprises entre 15 et 200 eV, récupérée de MAX I. Mais les lignes devant être issues de 4 sections droites et de 6 aimants de courbure ne sont pas encore financées.

Les dépenses d’investissement correspondant à l’ensemble des installations existant au MaxLab sont estimées à 60 millions d’euros. Le Gouvernement finnois a participé au financement d’une des lignes de lumière de MAX II et le Gouvernement danois financera une des lignes de lumière dédiées à la cristallographie des protéines.

Au titre de ses recettes annuelles, le Max Lab reçoit 2,2 millions d’euros du Conseil suédois de la recherche, 2,2 millions d’euros de l’université de Lund, 0,47 million d’euros d’une fondation de recherche indépendante, 0,36 million d’euros du programme européen " Access to Large Scale Facilities ". Les recettes commerciales de MaxLab provenant de la vente de temps de faisceau à l’industrie représentent pour le moment moins de 0,1 million d’euros. Une croissance de ces recettes est prévue, aussitôt que des nouvelles lignes de lumière seront disponibles.

Les utilisateurs du Max Lab sont à hauteur de 50 % des chercheurs suédois et à hauteur de 25 % des chercheurs d’autres pays de l’Union européenne. Les projets de recherche sont sélectionnés par un comité de programme indépendant. Les frais des utilisateurs européens sont pris en charge par le programme " Access to Large Facilities ". Les temps de faisceau pour les projets de recherches propriétaires sont facturés aux prix du marché.

En réponse à une observation de M. Gilles COHEN-TANNOUDJI relative au conflit existant sur un synchrotron de 1,5 GeV entre l’intensité du faisceau et sa durée ou sa stabilité, le Professeur Nils MARTENSSON a confirmé que MAX II avait été, lors de sa conception, optimisé pour les rayons X " mous ". Toutefois, il reçoit désormais de nouveaux dispositifs d’insertion pour la cristallographie des protéines, à savoir des " wigglers " produisant des faisceaux optimisés et stables autour de 20 keV, ne nécessitant qu’une injection par 24 heures et sans aucune détérioration de l’émittance de l’anneau.

M. Vincent MIKOL ayant remarqué, pour sa part, que la demande de temps de faisceau de rayons X sur les sections droites croît fortement pour la cristallographie jusqu’à devoir représenter sans doute de 40 à 50 % de l’utilisation totale dans les 5 années à venir, le Professeur Nils MARTENSSON a confirmé cette évolution, en indiquant qu’on anticipe une demande multipliée par 2 ou 3, dans le même temps, de la part des 6 à 7 laboratoires suédois de biocristallographie.

A l’invitation de M. Guy OURISSON, le Professeur Nils MARTENSSON a en outre précisé que l’excès de demande de temps de faisceau correspond non pas à des candidatures sans valeur mais à d’excellents projets de recherche qui seraient acceptés en l’absence de pénurie.

Afin de tirer le bilan de l’évolution de MAX II, M. Pierre POINTU a interrogé M. MARTENSSON sur les choix qui seraient faits pour ce synchrotron, s’il devait être construit aujourd’hui, compte tenu de l’évolution des besoins et des technologies.

Le Professeur Nils MARTENSSON a clairement indiqué que l’énergie choisie serait de 2,5 à 3 GeV, correspondant à un anneau de stockage plus grand et à un nombre de lignes de lumière plus important.

Sur la suggestion de M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, le Professeur Nils MARTENSSON a promis de communiquer au groupe de travail une récapitulation des coûts de construction et de montée en énergie du synchrotron MAX II de 1,5 GeV.

Après avoir témoigné leur gratitude au Professeur MARTENSSON pour les informations très importantes qu’il leur a transmis, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur et M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, ont ouvert la table ronde rassemblant les représentants de la Société Française de Physique, de la Société Française de Biochimie et de Biologie Moléculaire et de l’Association Française de Cristallographie.

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M. Jean-Paul HURAULT, Président de la Société Française de Physique (SFP), a indiqué que la société savante qu’il dirige, fondée il y a 125 ans, rassemble 3000 physiciens couvrant l’ensemble des sous-disciplines, depuis la physique de la matière condensée, la physique atomique et moléculaire, la physique nucléaire, jusqu’à la physique des plasmas, la physique des particules et l’astrophysique.

Fait remarquable, la présidence de la SFP est assurée tour à tour et pour une durée de 2 ans, par un physicien universitaire, un chercheur appartenant à un grand organisme et un représentant de la recherche industrielle. M. Jean-Paul HURAULT, physicien ayant travaillé chez Philips, a souligné que la présente délégation de la SFP reflète cette diversité, avec M. Roger BALIAN, physicien théoricien au CEA, ancien professeur à l’Ecole Polytechnique, membre de l’Académie des sciences et précédent président de la SFP, M. José TEIXEIRA, directeur adjoint du laboratoire Léon Brillouin, Mme Anne-Marie LEVELUT, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des études structurales conduites avec des rayons X et Prix Robin 1999 de la SFP.

M. Jean-Paul HURAULT a souligné combien les physiciens sont concernés par le développement du rayonnement synchrotron en France, que ce soit pour les études de la matière condensée, pour la physique atomique et moléculaire ou pour la physique des plasmas.

Incontestablement, les synchrotrons sont à la pointe des méthodes permettant de mettre en évidence de nouveaux phénomènes. En réalité il existe une fenêtre d’opportunités ouvertes par le rayonnement synchrotron pour une durée d’environ 15 années, pour imaginer de nouvelles expérimentations et faire de nouvelles découvertes. Au-delà des 15-20 prochaines années, d’autres méthodes viendront sans doute concurrencer le rayonnement synchrotron. Mais, dans l’intervalle, les synchrotrons auront une importance stratégique.

Lors des premiers pas du LURE en France, les physiciens et les cristallographes furent les premiers intéressés par le rayonnement synchrotron. Depuis lors, le nombre d’utilisateurs et de disciplines concernées s’est élargi à la métallurgie, à la chimie et à la pharmacie notamment.

Aujourd’hui, la communauté scientifique servie par un synchrotron est très vaste. Les industriels, eux aussi, ont compris l’intérêt de cet équipement et sont à la base de 20 % du temps d’utilisation des faisceaux, avec une montée en régime rapide depuis deux à trois ans.

C’est à la suite de ce constat que la Société Française de Physique, conjointement avec la Société Française de Chimie et l’Association française de cristallographie a, en 1999, attiré l’attention du ministre de la recherche sur l’importance stratégique du rayonnement synchrotron et sur le caractère complémentaire de deux sources, l’une internationale, à savoir l’ESRF, et l’autre, nationale, indispensable pour la formation et la mise au point d’expériences à la pointe de la technique.

Depuis l’envoi de cette lettre, l’urgence s’est encore précisée, avec la pression croissante des industriels, des autres utilisateurs et la découverte de " nouvelles frontières dans l’imagerie ", notamment en médecine et pour l’étude de la dynamique des phénomènes.

En définitive, la question de nouvelles ressources en rayonnement synchrotron est bien à l’ordre du jour pour " la vitalité de la science française ".

Afin de disposer d’une vue complète des différentes méthodes d’étude utilisées aussi bien par les sciences de la matière que par les sciences du vivant, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a demandé aux représentants de la SFP de bien vouloir préciser les avantages et les inconvénients respectifs du rayonnement synchrotron, des sources de neutrons, de la RMN et des faisceaux d’électrons et de leurs perspectives de développement.

M. José TEIXEIRA, secrétaire général de la SFP et directeur-adjoint du laboratoire national Léon Brillouin, a alors remarqué que le rayonnement synchrotron a vu son importance augmenter grâce aux progrès apportés par les sources de 2ème et 3ème générations dans les rayons X, tant en intensité qu’en qualité.

C’est ainsi que certains domaines auparavant réservés aux études par diffusion de neutrons, comme les études de magnétisme par exemple, se sont ouverts à la diffusion de rayons X, avec des résultats certes complémentaires mais somme toute meilleurs. D’une manière générale, l’on constate que le domaine des rayons X s’est élargi d’une manière considérable et qu’il va continuer à s’étendre.

Les chercheurs ont tiré les conséquences de ces nouvelles possibilités offertes par les synchrotrons. De nombreux laboratoires constitués autour de sources propriétaires traditionnelles ont abandonné celles-ci pour se regrouper autour des équipements de haut niveau que représentent les synchrotrons, avec comme effet positif additionnel, la multiplication des contacts avec les équipes de haut niveau concevant et exploitant les synchrotrons et avec les utilisateurs d’autres disciplines. On peut ainsi dire que les synchrotrons ont un rôle " fédérateur ", concentrent les moyens de haute technologie et contribuent au développement de " compétences croisées ".

Parallèlement au rayonnement synchrotron, les autres techniques se sont aussi développées, mais moins rapidement.

S’agissant des neutrons, on peut estimer qu’il n’y a pas eu de progrès décisif dans les sources au cours des années récentes, la seule perspective importante à cet égard étant la construction de la future source européenne ESS de neutrons produits par spallation qui devrait être installée au Royaume Uni.

Les développements de la diffusion d’électrons sont quant à eux relativement modestes.

La résonance magnétique nucléaire en trois dimensions a fait, pour sa part, des progrès importants. A la suite du plan Bio 2000, différents laboratoires ont été équipés en machines lourdes. La RMN s’est ainsi révélée performante pour la résolution de petites structures comme celles des peptides ou d’autres macromolécules de dimensions réduites. En réalité, il existe une complémentarité de la RMN avec le rayonnement synchrotron qui, lui, peut élucider des structures de très grande taille.

Au total, selon M. José TEIXEIRA, le rayonnement synchrotron a connu dans les années récentes un développement explosif, la RMN un développement rapide et les sources de neutrons et d’électrons un développement " raisonnable ".

M. Guy OURISSON a rappelé toutefois qu’en cas d’impossibilité de faire cristalliser une molécule, il ne peut y avoir de résolution de sa structure par cristallographie et donc d’utilisation du rayonnement synchrotron, la RMN se substituant alors à cette dernière technique.

Pour M. Vincent MIKOL, le nombre de publications scientifiques faisant état de résultats obtenus avec la RMN est faible, traduisant des investissements limités dans cette technique et donc son impact réduit en biologie structurale. Ce point de vue a été confirmé par Mme LEVELUT, qui a souligné qu’avec la diffraction réalisée sur une gamme de longueurs d’onde étendue des rayons UV aux rayons X, le rayonnement synchrotron permet de collecter des informations sur la totalité de l’échantillon et de compléter l’image d’objets de grande taille.

Reprenant le sujet de l’action de la SFP auprès des pouvoirs publics, M. Roger BALIAN, Vice-Président et précédent président de la société savante, a rappelé qu’une lettre a été adressée fin 1998 au ministre de la recherche, après une réflexion approfondie de la part des différentes tendances de la SFP et conjointement avec six autres sociétés savantes, à savoir les Sociétés françaises de chimie, de biophysique, de neutronique, le Groupe français des polymères, l’Association française de cristallographie et la Société française de métallurgie et des matériaux. Ce texte fait le point sur les caractéristiques nationales ou internationales de divers types de très grands équipements et sur l’ouverture sur d’autres pays qu’il est nécessaire de prévoir.

Mais pour quelles raisons faut-il un synchrotron sur le sol national ?

Le premier type de raisons est qu’il existe en France une communauté scientifique de spécialistes des accélérateurs et des différents équipements nécessaires à un synchrotron, dont la qualité est de niveau mondial et permettra de conduire cette réalisation au plan national.

Le deuxième type de raisons provient des besoins d’exploration de la matière d’une communauté large et non spécialisée qui a besoin d’être " éduquée, guidée, pilotée " et qui, de surcroît pour les industriels, requiert le secret sur ses expérimentations.

Cette communauté doit avoir accès à des très grands instruments internationaux. Mais il lui faut aussi pouvoir disposer d’au moins un instrument national exploité par un laboratoire qui assurera l’accueil et la formation des utilisateurs, prendra à sa charge le perfectionnement continu de l’appareil et pourra utiliser le synchrotron d’une manière plus innovante pour des manipulations plus risquées que celles habituellement exécutées sur un grand instrument international dont le comité de programme a le plus souvent pour habitude de sélectionner des projets sans aléas, donnant lieu presque sûrement à publication dans des revues internationales de haut niveau.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a alors analysé la situation européenne dans le domaine du rayonnement synchrotron. Le parc européen de synchrotrons est disparate avec des machines dont l’énergie varie de 0,5 à 6 GeV. Il apparaît toutefois que le synchrotron idéal par le niveau élevé de ses performances et sa polyvalence a une énergie située dans la fourchette 2,5-3 GeV. Il faut en conséquence réfléchir à une harmonisation des synchrotrons de façon à parvenir à une baisse des coûts de construction. Ainsi, selon M. Yves PETROFF, la construction de deux synchrotrons de 2,5 GeV génèrerait des économies d’environ 30 %. Si un mouvement fort de coordination était engagé, alors des économies d’échelle importantes permettraient de diminuer significativement le prix des synchrotrons. L’objectif doit donc être la coordination des efforts d’investissement des différents pays, en veillant à la complémentarité des lignes de lumière.

M. Roger BALIAN a estimé qu’il s’agit là d’une " bonne direction ". Dans l’échange qui a suivi, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a estimé toutefois que " l’évolution ne se fait pas, pour le moment, dans le bon sens ". La communauté scientifique n’attend pas l’évolution des politiques pour établir des contacts. En réalité les chercheurs vont à l’étranger lorsque les instruments sont mieux adaptés à leurs besoins et qu’ils peuvent y nouer des contacts au meilleur niveau de compétence.

M. José TEIXEIRA a alors noté que les premiers très grands instruments sont nés d’accords bilatéraux, ainsi pour l’Institut Laue-Langevin (ILL), entre la France et l’Allemagne, ensuite rejointes par la Grande-Bretagne. En réalité, les pays tentent d’implanter sur leur sol des équipements utilisés par l’ensemble de l’Europe, d’où des risques de surdimensionnement de ces installations. Ainsi, le réacteur nucléaire en construction à Munich a vu sa taille déterminée non pas par les seuls besoins nationaux mais pour répondre à l’objectif d’une ouverture aux Pays de l’Est. Au vrai, entre les pays européens, il s’agit plus d’une compétition que d’une collaboration. L’absence d’une concertation politique est regrettable car elle empêche une véritable optimisation, ainsi en ce qui concerne la source ESS de neutrons froids dont le Royaume Uni souhaite qu’elle soit la plus puissante possible.

M. José TEIXEIRA a estimé que dans le domaine du rayonnement synchrotron, une opportunité a été manquée de collaborer étroitement avec l’Europe du Sud.

Il a par ailleurs observé que la fermeture par l’Italie de son dernier réacteur nucléaire d’étude a entraîné une déshérence de la communauté italienne des neutroniciens. Bien sûr les spécialistes italiens viennent réaliser des expériences à Saclay et à l’ILL de Grenoble. Mais le terreau que constitue une installation nationale n’existant plus, la communauté nationale " s’effondre ". A cet égard, M. Roger BALIAN a noté qu’une installation internationale comme l’ILL peut jouer le rôle de " pépinière " pour la communauté scientifique française sur le sol de laquelle le grand instrument est implanté mais ne remplit pas l’indispensable rôle de " maternage " pour d’autres pays.

Ainsi que l’a résumé M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, la disparition d’un grand instrument scientifique fait disparaître la communauté scientifique qui l’a utilisé.

M. José TEIXEIRA a souligné à cet égard qu’un grand instrument nécessitant la construction et la maintenance de nombreux appareils, une industrie proche des chercheurs se crée autour de celui-ci dont l’avantage revient au pays d’accueil. Le cas de la neutronique en Italie est éclairant à cet égard : s’il reste quelques spécialises italiens, ceux-ci se sont égayés en Europe et toute " vision horizontale " allant de la création de machines à la mise au point d’expériences a disparu.

A la demande de M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, le Professeur Niels MARTENSSON est revenu sur les conditions d’accueil des chercheurs étrangers sur les anneaux MAX I, II et III de l’université de Lund.

Les chercheurs étrangers sont étroitement assistés par les spécialistes résidents pour la réalisation de leurs expériences. Trois catégories de visiteurs doivent toutefois être distinguées : d’une part les chercheurs qui réalisent des projets indépendants, d’autre part les chercheurs travaillant en collaboration avec des chercheurs suédois et enfin, les chercheurs de pays qui ont participé au financement des installations et qui bénéficient de prestations et de possibilités d’expérimentations dépassant de loin leur investissement.

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Après avoir entendu le point de vue des représentants de la Société française de physique, les Rapporteurs ont donné la parole au Professeur Claude LECOMTE , Président de l’Association française de cristallographie.

L’Association française de cristallographie fondée en 1945 par le Professeur CURIEN, fédère les chercheurs spécialistes des rayons X qu’ils soient physiciens, chimistes, biologistes ou minéralogistes. Cette association, par nature interdisciplinaire, comprend 400 membres répartis en différents groupes thématiques, dont le plus actif est celui de la biologie.

Pour l’étude de la structure de la matière, les rayons X s’avèrent être la sonde idéale, utilisée tant pour les matériaux, les molécules chimiques que pour les protéines et les ensembles supramoléculaires. Les cristallographes sont de fait de gros consommateurs de rayonnement synchrotron dans des gammes d’énergie situées entre 60 keV et 5 keV et de longueurs d’onde situées entre 2,5 et 0,2 Å, pour des analyses de structure, de densité électronique et de topographie. Parmi les méthodes nécessitant le rayonnement synchrotron, figurent actuellement les méthodes utilisant la dispersion anomale permettant soit un phasage des facteurs de structure, soit un contraste meilleur entre éléments de numéros atomiques voisins.

La communauté française du rayonnement synchrotron fait preuve d’un savoir-faire unique. La transmission de ce savoir-faire aux jeunes chercheurs exige un synchrotron national. Sur les grands instruments internationaux comme l’ESRF ou le synchrotron d’Argonne, aux Etats-Unis, les chercheurs restent peu longtemps, une journée pour les biologistes et de un à deux jours pour les physiciens, et sont étroitement encadrés par les chercheurs résidents. Ce qui présente un avantage en terme de rapidité d’exécution constitue une limite en terme d’élargissement des compétences des chercheurs visiteurs. En réalité, les utilisateurs extérieurs ont peu de marge de manœuvre pour infléchir une expérience dans une direction donnée.

Au surplus, le comité de programme de grandes installations comme l’ESRF a tendance à sélectionner des projets de recherche certes d’un excellent niveau mais aussi d’une faisabilité certaine et immédiate, susceptibles de surcroît de donner lieu à publication dans des revues scientifiques de haut niveau international comme " Nature " ou PRL.

On programmera, en conséquence, une expérience difficile et risquée dans un synchrotron national plutôt qu’à l’ESRF. Ceci n’empêche pas par ailleurs des publications dans des revues prestigieuses.

Un centre national de rayonnement synchrotron est également indispensable en ce qu’il associe à des moyens matériels, des équipes de recherche autour de ceux-ci, un enseignement de haut niveau et un nombre important de chercheurs " doctorants " ou " post docs ". En outre, un synchrotron est par essence un équipement multidisciplinaire qui permet le meilleur transfert de connaissances de la physique à la biologie, en particulier.

Enfin, un équipement national est indispensable car il permet la non-dépendance vis-à-vis de l’extérieur.

Ceci ne veut pas dire que la coopération internationale ne soit pas nécessaire, mais signifie qu’une idée puisse être explorée et mise en œuvre en France, en toute liberté. Les exemples sont à cet égard nombreux d’initiatives et de nouvelles méthodes qui ont pu aboutir ou être mises au point grâce au LURE.

Or les progrès enregistrés dans le domaine du rayonnement synchrotron sont très importants et ne devraient pas ralentir dans les prochaines années. Grâce aux synchrotrons, on sait déterminer la structure de poudres avec 100 atomes par maille et celle de cristaux de quelques microns de longueur. On sait également étudier les structures cristallines de surface, mettre en évidence les défauts de cristaux par topographie X, examiner la diffusion de nanoparticules, obtenir des détails subatomiques comme la densité électronique, ou analyser des réactions in situ en temps résolu.

De plus, la résolution de structures biologiques classiques et celle de structures supramoléculaires (résolution de 1 à 3 Å) et aussi d’amas de protéines de (quelques millions d’atomes) à la résolution de 3 à 15 Å fait l’objet d’une demande en croissance exponentielle.

Pour toutes ces études, une seule méthode existe, l’utilisation de rayons X produits par des synchrotrons.

Dans ces conditions, ce que veulent les cristallographes, c’est une source de rayonnement synchrotron de 3ème génération, de haute énergie, délivrant des faisceaux de photons stables dans le temps et dans l’espace, avec des énergies de 5 à 60 keV, dotés d’excellentes optiques focalisantes et d’un accès facile et rapide, ce que l’ESRF n’assure pas en raison des délais de 6 mois à 1 an entre la soumission d’un projet et l’accès aux faisceaux pour réaliser l’expérience.

En outre, autour de l’équipement qui ne saurait se résumer à un centre de services, il faut aussi des laboratoires auprès desquels les chercheurs trouvent une assistance non seulement à la réalisation d’une expérience mais aussi à la conception de celle-ci. Au surplus, le futur synchrotron doit s’inscrire dans un centre universitaire, être assorti d’une informatique très puissante et être accessible très rapidement, certains échantillons ayant une durée de vie inférieure à une journée.

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La parole a ensuite été donnée par les Rapporteurs au Docteur Richard GIEGÉ, Président de la Société française de biochimie et de biologie moléculaire.

Ainsi que l’a indiqué le Dr. GIEGÉ, la Société française de biochimie et de biologie moléculaire (SFBBM), créée en 1914, rassemble deux mille membres, appartenant tant au secteur privé qu’académique.

La biologie structurale est " omniprésente " dans les manifestations et les congrès de la SFBBM, qui accorde un intérêt ancien à l’étude des structures en trois dimensions. A cet égard, la communauté scientifique française a joué un rôle important dans le domaine de la cristallogenèse, un domaine d’une importance croissante en physico-chimie et en biologie. La SFBBM anime des groupes thématiques notamment dans les domaines émergents, comme par exemple la recherche et l’ingéniérie des protéines, les métalloenzymes ainsi que la structure et la biologie de l’ARN. La question des acides nucléiques constitue un problème important pour la cristallographie. La connaissance de leurs interactions avec les protéines pour la traduction du code génétique s’est améliorée et le sera encore davantage à l’avenir.

Au vrai, il existe de plus en plus de laboratoires " fournisseurs " de biomolécules et demandeurs d’analyses cristallographiques, afin de comprendre leurs fonctions grâce à la connaissance de leur structure.

Si la RMN est une technique est importante, elle n’a d’utilité que pour des structures de petite taille, telles que celles de petites protéines ou des fragments d’acides nucléiques. Cependant à l’avenir, la recherche portera de plus en plus sur des protéines de grande taille et sur les assemblages de macromolécules et les complexes entre protéines, de sorte que, déjà indispensable, le rayonnement synchrotron le sera encore davantage à l’avenir.

Les données de diffraction issues du rayonnement synchrotron sont obtenues avec une qualité et une rapidité de plus en plus grandes. Si la France veut rester compétitive, elle doit suivre cette tendance.

Au reste, la biologie structurale " se démocratise " et devient quasiment une routine. Bien sûr, il est nécessaire de disposer de bons cristaux et c’est pourquoi la cristallogenèse doit se développer. Mais le mouvement actuel est que la résolution des structures ne se fait plus uniquement dans le cadre des laboratoires de biologie structurale, avec leurs moyens propres de cristallographie. Au contraire, la maîtrise de la cristallogenèse permet de plus en plus facilement de faire des clichés sur des synchrotrons, de telle sorte que des laboratoires de biochimie et de biologie de plus en plus nombreux vont résoudre des structures cristallographiques.

Une autre tendance fondamentale est la croissance de la génomique structurale. Avec des méthodes éprouvées de cristallisation et l’enregistrement rapide des données que permettent les synchrotrons à haute brillance, un travail systématique de résolution des structures est désormais possible, sans connaître a priori les fonctions des protéines. Ainsi, les Etats-Unis se sont fixé comme objectif de connaître dans les 15 à 20 prochaines années, les structures de toutes les protéines. La justification de ce travail gigantesque est qu’à partir de la connaissance de la structure des protéines, il sera possible de connaître leurs fonctions.

A ce stade de l’exposé du Dr. Richard GIEGÉ, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur a remarqué que la communauté des biologistes français donne l’impression de se sentir mal traitée, à la fois par l’insuffisance des crédits de la biologie au CNRS et par les déclarations de certains hauts responsables de la recherche qui voient dans l’accès à un synchrotron britannique, l’occasion pour la biologie française d’élever son niveau.

En réponse, le Dr. Richard GIEGÉ a estimé que si les besoins scientifiques sont réels, alors il faut " envisager des solutions ".

Il est vrai que les cloisonnements entre disciplines sont trop grands en France, par rapport à ce qu’ils sont aux Etats-Unis, par exemple. Mais les applications futures des biotechnologies et de la pharmacie exigent la résolution de structures, aussi bien en ce qui concerne les protéines natives et les protéines mutantes.

Les biologistes peuvent en effet fabriquer des acides nucléiques artificiels et des protéines mutantes, qui pourraient avoir des applications très importantes à l’avenir. Une protéine comprenant environ 500 acides aminés, si l’on en change 2 ou 3, celle-ci peut devenir inactive ou devenir active dans un autre domaine. Or, une maladie peut être due à une protéine mutante, ainsi dans le cas de l’hémoglobine falciforme, dont un acide aminé muté provoque un changement de structure et de fonction. Pour l’étude de ces protéines mutantes, le rayonnement synchrotron est indispensable. Au total, la demande est croissante pour la diffraction de haute résolution et pour la très haute résolution qui apporte des détails atomiques voire subatomiques, dont la France détient d’ailleurs le record mondial avec une résolution de 0,64 Å.

A l’initiative de M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, un débat s’est engagé à ce moment sur les avantages respectifs de la RMN et du rayonnement synchrotron.

Pour le Dr. Richard GIEGÉ, ces deux méthodes ne doivent pas être opposées, car elles sont complémentaires. Pour M. Guy OURISSON, dans les conditions actuelles, la RMN ne permet l’étude des structures des protéines que dans le cas où leur nombre d’acides aminés ne dépasse pas 150. Mais, si des percées technologiques sont faites sur les aimants, alors la RMN permettrait l’étude de structures de plus grande taille, avec l’avantage de pouvoir étudier des structures non cristallines ainsi que les interactions en solution. Au reste, " il n’y a pas de compétition entre le rayonnement synchrotron et la RMN mais une complémentarité ".

En tout état de cause, pour le Dr. Richard GIEGÉ, la RMN à 1 MHz avec ses applications en biologie structurale constitue un rêve à long terme. Pour M. Guy OURISSON, les Etats-Unis et le Japon investissent de sommes importantes dans le développement de cette technique dont l’horizon est toutefois de quelques dizaines d’années – 50 ans peut-être -.

M. Vincent MIKOL estime, quant à lui, qu’à terme, ces efforts déboucheront sur des résultats, mais que, pour le moment, les " start up " américaines qui se lancent dans l’étude systématique des protéines, utilisent toutes le rayonnement synchrotron et aucune la RMN.

A l’initiative de M. Vincent MIKOL, une deuxième discussion s’est alors amorcée sur la préférence que donneraient les laboratoires de biologie à l’augmentation de leurs crédits ou à la mise en service de nouvelles ressources en rayonnement synchrotron.

Pour le Dr. Richard GIEGÉ, le débat ne pose pas dans ces termes. Bien sûr, si la construction d’un nouveau synchrotron devait entraîner la division par un facteur 3 ou 4 de leurs crédits, les laboratoires de biologie refuseraient un tel équipement. Mais pour les biologistes, la proximité d’un synchrotron et un accès rapide à la machine avec des durées d’expérience très réduites sont des critères essentiels, notamment dans la perspective de pouvoir réaliser des essais sur des cristaux de très petite taille.

A cet égard, comment la communauté des biologistes français ressentirait-elle l’obligation de devoir se rendre sur une machine étrangère pour faire ses clichés, a demandé M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur ?

Pour le Dr. Richard GIEGÉ, il ne s’agit pas de vouloir " bétonner ". La science est ouverte par essence, et des collaborations existent dans tous les domaines. Mais, " dans un certain nombre de domaines, il faut un savoir-faire de proximité ". Ainsi dans le cas de la cristallisation du ribosome, un domaine que la France a " raté ", des années d’essais sont nécessaires avant d’obtenir des résultats, de sorte que c’est un avantage indéniable de pouvoir faire des manipulations de contrôle à proximité et sans passer par des systèmes drastiques de sélection des projets par des comités de programme.

Pour préparer l’avenir et permettre à la communauté des biologistes de croître, il est ainsi indispensable d’avoir un accès souple et rapide à un synchrotron, donc à un synchrotron national.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a remarqué à cet égard que la rapidité d’accès provient de la proximité de l’installation par rapport aux utilisateurs mais résulte aussi de l’absence de pénurie de lignes, auquel cas les délais d’accès ne peuvent qu’augmenter.

A cet égard, le Dr. Richard GIEGÉ a noté qu’il existe dans de nombreux pays, des projets de construction de synchrotrons, y compris de synchrotrons régionaux. Dans les arguments en faveur de ces projets, la notion de lieu de rencontres interdisciplinaires vient en bonne place. Les synchrotrons sont en effet des installations où germent des idées nouvelles.

" Ce savoir-faire, où la France a été pionnière, s’il est détruit, sera difficile à reconstituer ". En tout état de cause, il s’agit d’un choix stratégique. La biologie structurale a pris naissance au Royaume Uni, avec le premier cliché obtenu dans un laboratoire de zoologie par Mme Hodgkin. La mise au point des méthodes de la cristallographie a été longue. Il a fallu plus de 20 ans à Max PERUTZ pour mettre sur pied les techniques actuelles de résolution des structures des protéines. De fait, c’est au Royaume Uni, leader de ces techniques, que se sont formés les pionniers.

Mais, alors qu’elle avait été, elle-même, pionnière dans la cristallographie minéralogique, pourquoi la France a-t-elle pris du retard dans la biologie structurale, il y a trente ans ?

Au vrai, " il y a 30 ans, les décideurs de la politique de la recherche ont jugé que la biologie structurale était trop chère et exigeait des moyens trop lourds ". Alors que la génétique et la biologie cellulaire se développaient d’une manière satisfaisante à cette période, les moyens alloués à la biologie structurale ont été jugés suffisants, malgré leur faible poids.

Il y a trente ans, on parlait déjà des nécessités du développement des laboratoires. En réalité, la culture de la cristallographie était peu étendue en France. Ce sont les chercheurs français ayant séjourné à l’étranger qui, à leur retour et à leur initiative, ont relancé cette discipline. Qu’on dise aujourd’hui qu’il est nécessaire de détacher des chercheurs français à Oxford pour relever le niveau de cette discipline est " dégradant " pour les pionniers qu’ils furent.

Au reste, les responsables de la politique de la recherche qui ont estimé préférable de développer d’autres disciplines, ont commis une lourde erreur qu’il ne faut pas renouveler. En réalité, il fallait investir dans tous les domaines et ne pas abandonner une discipline particulière dont l’importance stratégique peut se révéler ultérieurement.

Sur ce point, M. Guy OURISSON a ajouté que le point de départ des études des structures des molécules a été le laboratoire central des poudres, un centre non ouvert sur l’extérieur, ce qui n’a pas contribué à la vitalité scientifique de la discipline, notamment parce qu’il s’agit d’un centre peu ouvert sur l’extérieur et spécialisé dans les " petites " molécules. Autre cause des difficultés françaises en cristallographie, figure, selon M. LECOMTE, l’impossibilité de disposer à l’époque d’une informatique performante, en raison du monopole de Bull pour les commandes des administrations françaises.

En tout état de cause, pour le Dr. Richard GIEGÉ, la France a aujourd’hui rattrapé son retard en biologie structurale. Dans le domaine stratégique du rayonnement synchrotron, " si l’on ne suit pas la tendance, on risque de tout perdre ".

M. Jean GALLOT a souligné combien il est nécessaire de distinguer les besoins proprement nationaux des nécessités d’une coopération internationale ciblée. En tout état de cause, il faut garder la maîtrise des accès aux lignes de lumière, non seulement pour pouvoir les faire évoluer, mais aussi pour réaliser des expériences " exotiques " à la limite des technologies existantes et enfin pour assurer la formation des jeunes chercheurs.

En réalité, ce dernier point est d’une importance capitale. Une communauté scientifique peut disparaître par éclatement et également par manque de jeunes chercheurs renouvelant ses cadres.

Le Dr. Richard GIEGÉ a confirmé, à cet égard, qu’un tel phénomène peut aller très vite. Le problème de la formation est absolument crucial. Les chimistes français ne se sont spécialisés en biochimie que très récemment. Les thèses en cours dans ce domaine exigent un environnement satisfaisant. Au reste, la cristallographie va " se démocratiser " dans le futur, notamment si les méthodes de cristallisation font des progrès. De plus, un nouveau domaine d’étude se profile à l’horizon, avec l’étude temporelle des réactions enzymatiques au sein des cristaux, qui conduiront à des images quasiment " cinématographiques " de l’action des protéines.

M. José TEIXEIRA est ensuite revenu sur la remise en cause actuelle des très grands équipements. Un ensemble de physiciens, emmenés par M. Pierre-Gilles de GENNES, mettent l’accent sur l’observation et l’invention d’expériences originales conduites avec peu de moyens. En tout état de cause, il ne semble pas opportun d’opposer cette démarche à la physique des mesures, qui représente le gros des travaux de cette discipline. Même la physique appliquée nécessite des mesures et dans certains domaines, il faut des très grands équipements pour les réaliser. Ces deux visions de la physique en réalité cohabitent et ne sont pas contradictoires.

Au vrai les très grands équipements ont un défaut majeur, celui de nécessiter la sélection des projets d’expériences, ce qui entraîne d’une part une lourdeur dans la conduite de la recherche et d’autre part un privilège de fait donné aux expériences " marchant à coup sûr ". Dans ce cas également, l’exigence de rentabilisation d’équipements lourds ne doit pas être exclusive de l’accueil d’expériences plus originales et donc plus aléatoires : " il y a certes de la place pour des expériences géniales sur les très grands équipements ".

M. Roger BALIAN a approuvé cette idée de complémentarité de la physique de l’observation et de l’imagination et de la physique des mesures, en tant que théoricien et membre du Conseil des très grands instruments. Ce conseil, dont les attributions devraient être reprises par le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie avec le même mode de fonctionnement, présentait l’avantage de rassembler un petit nombre de scientifiques de tous bords, siégeant à titre personnel et non pas en tant que représentant d’une communauté particulière.

L’une des conclusions majeures du Conseil a été l’importance de maintenir un équilibre entre les différents investissements de la recherche.

Le premier équilibre à respecter est celui qui doit exister entre les sous-disciplines. Ainsi, dans le domaine de la biologie, s’il existe une compétence particulière dans un domaine, il faut veiller à ne pas abandonner pour autant les compétences dans les autres.

Le deuxième équilibre à respecter est celui qui doit exister entre les différentes techniques. Ainsi, il est nécessaire de développer à la fois le rayonnement synchrotron, la RMN et les sources de neutrons. Il faut éviter de souscrire aux modes qui peuvent inévitablement se produire. En tout état de cause, le rayonnement synchrotron " n’est pas une mode ".

Le troisième équilibre à respecter est celui d’une répartition égale entre le recours aux moyens internationaux et la mise à disposition de moyens nationaux. Sensible en 1994-1996 à la nécessité de développer des coopérations européennes, le Conseil des grands instruments a recommandé que des contacts soient pris à cet effet avec la Suisse et l’Italie. Cette concertation n’a malheureusement pas abouti, alors qu’elle aurait probablement permis d’atteindre une bonne complémentarité entre les synchrotrons européens.

A la demande de M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, qui s’est enquis de savoir si la réalisation de l’avant-projet SOLEIL s’était accompagnée d’une ouverture sur l’extérieur, M. Roger BALIAN a indiqué que, si les utilisateurs, au demeurant nombreux et peu structurés, étaient prêts à coopérer, la communauté des concepteurs de synchrotrons, concentrée pour sa part et compétente, n’était pas prête à renoncer à construire la machine par elle-même.

Le quatrième équilibre est celui qui doit exister entre les équipements de base des laboratoires et les très grands instruments, étant admis que les deux sont souvent complémentaires, les équipements propres servant notamment à préparer les expériences sur les très grands instruments. Au reste, l’avantage d’un synchrotron doit être noté en ce qu’il est partagé par une multitude de laboratoires. On a pu calculer à cet égard que l’équipement des laboratoires français en appareils de rayons X au demeurant bien moins performants coûterait beaucoup plus cher que la construction d’un synchrotron.

S’agissant des discussions intervenues avec d’autres pays pour une coopération dans le domaine des synchrotrons, M. Vincent MIKOL, membre du conseil scientifique de SOLEIL de 1996 à 1998, a précisé que l’Italie avait déjà entamé la construction d’ELETTRA et que la Suisse avait déjà pris la décision de construire sa propre machine. Des discussions ont eu lieu avec le Royaume Uni mais le projet SOLEIL était beaucoup plus avancé que les premières réflexions britanniques.

Répondant à une remarque de M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, sur l’importance des rencontres entre les utilisateurs, M. Roger BALIAN a estimé que sans doute, en 1994, alors que le projet semblait acquis, les partisans de SOLEIL n’ont pas sans doute suffisamment popularisé le rayonnement synchrotron.

Il reste que, pour le Dr. Richard GIEGÉ, l’existence d’un centre comme le LURE est importante non seulement pour la réalisation d’expériences concrètes mais aussi pour l’émergence et le développement d’une communauté scientifique. En tout état de cause, l’accès à un tel centre doit être facile et rapide. La proximité de laboratoires permet le meilleur plan de charge pour la machine, en permettant des remplacements de dernière minute en cas d’échec dans la préparation des échantillons, par exemple.

Mme LEVELUT a insisté, à cet égard, sur le fait que les coopérations entre disciplines, même si elles peuvent se faire à l’étranger, sont plus faciles à mettre en œuvre entre laboratoires français.

En conclusion à ce débat, M. Jean GALLOT a souligné que la coopération européenne qui semble la plus intéressante pour l’avenir du rayonnement synchrotron, est d’une conception nouvelle, en ce qu’elle vise non pas la construction d’un équipement commun mais l’obtention d’économies d’échelles dans des réalisations nationales coordonnées certes, mais non uniformisées.

Approuvant cette orientation, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a demandé toutefois que l’on vérifie si le Royaume Uni est demandeur d’une telle coopération.

Pour M. Jean GALLOT, il apparaît que le Gouvernement britannique est convaincu de la nécessité d’un nouveau synchrotron national et que, du fait des pressions du Wellcome Trust, l’implantation à Oxford plutôt qu’à Daresbury semble l’emporter. Mais, en tout état de cause, M. Jean GALLOT estime qu’il ne faut pas opposer équipements des laboratoires et très grands équipements.

M. Roger BALIAN a également estimé qu’il peut apparaître des synergies entre les différents pays partenaires. L’exemple de VIRGO, projet relatif à la mise en évidence des ondes gravitationnelles, montre qu’une coopération tripartite, en l’occurrence entre la France, l’Italie et indirectement les Etats-Unis, peut être profitable pour tous les partenaires. Il en est de même pour la coopération franco-américaine sur le laser MégaJoule. Toutefois, il convient de ne pas oublier que les négociateurs britanniques sont parmi les meilleurs et que si le Royaume Uni décide de s’associer à la France dans ce domaine, il faudra veiller à ne pas lui offrir sans contrepartie l’avant-projet détaillé SOLEIL.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, et M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, ont ensuite levé la séance, après avoir remercié l’ensemble des participants pour leur précieux concours.

VIII - Auditions des représentants du LURE, de M Philippe LAREDO, de M. Paul CLAVIN et de M. Jean-Claude LEHMANN - mercredi 23 février 2000

Après s’être proposé de rendre compte de son déplacement au Royaume Uni au fur et à mesure des discussions, M. Christian CUVILLIEZ, Député, Rapporteur a ouvert la réunion en remerciant les représentants du LURE d’avoir bien voulu étudier, à l’invitation du groupe de travail et dans des délais très brefs, " les déterminants du coût des synchrotrons et les moyens de limiter les dépenses d’investissement et de fonctionnement afférentes ".

Au nom des représentants du LURE, M. Jean DAILLANT a alors commencé d’exposer les résultats de cette importante étude.

En se basant sur les calculs réalisés pour l’avant-projet détaillé SOLEIL, M. Jean DAILLANT a indiqué que le coût de construction hors salaires du cœur d’un synchrotron, c’est-à-dire le coût de l’injecteur, de l’anneau de stockage, des dispositifs d’insertion et des têtes des lignes de lumière, représente 32 % du coût total de construction hors salaires d’un synchrotron.

Les expériences, c’est-à-dire les lignes de lumière proprement dites avec leur optique, les stations expérimentales et les laboratoires associés, comptent, quant à elles, pour environ 28 % du total.

Le complément à 100, soit 40 %, est constitué des bâtiments et des infrastructures, en particulier les équipements informatiques, ordinateurs et réseaux.

La question de l’influence de l’énergie de la machine sur son coût final a aussi été examinée en détail par l’équipe du LURE. Plusieurs cas de figure ont été distingués.

Le premier est celui d’une machine figée à 1,5 GeV. Selon sa taille déterminée par le nombre et la longueur de ses sections droites, son coût varie entre 820 et 1180 millions de francs.

Les points de repère pour le calcul sont les synchrotrons MAX II (Suède) d’une circonférence de 90 m et l’ALS (Berkeley) d’une circonférence de 210 m. Il ressort de l’analyse que l’on peut conduire sur ces exemples, qu’il existe une taille optimale pour une machine de 1,5 GeV, avec une circonférence de 260 m, la circonférence constituant une variable explicative pertinente.

Selon la taille réduite ou optimale de l’anneau de stockage, le coût de construction – investissement et fonctionnement hors salaires - d’un synchrotron de 1,5 GeV s’élèverait donc à 1 milliard de francs ± 150-200 millions de francs.

Ce coût est à mettre en regard de celui de SOLEIL, qui, suivant les mêmes bases de calcul, atteint 1,35 milliard de francs. Au reste, une telle machine de 1,5 GeV ne correspond à aucune demande de la communauté scientifique. Elle ne correspond pas en particulier aux normes d’une machine moderne. Ses caractéristiques de fonctionnement seraient très dégradées. La durée de vie des faisceaux serait réduite d’un facteur 10 environ et la brillance s’effondrerait pour les photons au-dessus de 3 keV.

Au surplus, son apport devrait de toute façon être complété par des accès à des machines étrangères, en l’occurrence 7 lignes de lumière sur DIAMOND, ce qui augmenterait la dépense totale de près de 36 % par rapport à celle de SOLEIL.

Si l’on prend l’hypothèse d’une machine de 1,5 GeV susceptible d’être portée à 2,5 GeV, il faut alors d’entrée construire un anneau de 337 m comportant les 16 cellules d’une machine de 2,5 GeV. La réduction de coût serait dans ces conditions de 3 % par rapport à la construction d’un synchrotron de 2,5 GeV. Au reste, cette différence de 3 % serait annulée par les dépenses ultérieures d’augmentation d’énergie de la machine.

Un autre point important pour l’évaluation des différents projets en cours est celui du coût des lignes de lumière. Généralement, le coût du dispositif d’insertion, qui est de 1,7 à 2 millions de francs, et celui de la tête de ligne, soit environ 1 million de francs, sont compris dans celui de l’anneau de stockage proprement dit. La nature du dispositif d’insertion, aimant de courbure, " wiggler " ou onduleur influe sur le coût de l’aval, dans la mesure où l’on implantera une optique de la meilleure qualité possible pour tirer parti des qualités d’un faisceau provenant d’un onduleur et obtenir la meilleure focalisation pour corriger l’étendue horizontale du pinceau produit par un aimant de courbure.

Sous réserve de ces précisions et en considérant les différentes méthodes expérimentales associées aux différentes longueurs d’onde, le coût d’investissement hors salaires d’une ligne de lumière varie de 13 à 18 millions de francs. A ce montant, il faut rajouter les salaires correspondant à la période des 4 années nécessaires à la construction et à la mise au point de la ligne.

Une autre question avait été posée par le groupe de travail, portant sur la possibilité effective d’étaler dans le temps la charge d’investissement. Il s’agit en l’occurrence de différer l’équipement de certaines sections droites et l’installation de diverses lignes de lumière. Cette stratégie a été adoptée lors du lancement de l’ESRF, avec un étalement sur une période de 11 ans de la construction des lignes dites publiques et des lignes CRG (" collaborative research group "). En raison de son efficacité pour répartir les dépenses, la méthode a été reprise dans l’avant-projet détaillé SOLEIL, selon une programmation des investissements sur 8 ans. Pour M. Jean DAILLANT, le choix d’une période plus étalée conduirait à un " gâchis ".

En raison de son importance à la fois en terme de coopération européenne et en termes budgétaires, il avait été enfin demandé par le groupe de travail un chiffrage des économies d’échelle susceptibles d’être dégagées par les effets de série résultant de commandes multiples et regroupées, une situation correspondant à la construction concertée, dans deux pays différents, de plusieurs synchrotrons similaires ou dotés d’équipements voisins.

Le premier constat fait par l’équipe du LURE est qu’évidemment les frais de construction des bâtiments et des infrastructures ne peuvent être significativement réduits par un quelconque effet d’échelle, étant par nature confiés à des entrepreneurs locaux. En revanche, pour certains équipements comme les radiofréquences, des baisses de coûts d’environ 10 % pourraient résulter d’effets de série.

Au reste, les équipements comme les aimants et les multipôles d’un seul synchrotron excèdent les capacités de fabrication d’un seul fournisseur. Il paraît difficile, dans ces conditions, d’obtenir une baisse des coûts par effet de volume.

En définitive, les seules économies d’échelle significatives qui pourraient être faites concernent la recherche et développement, lors de la conception de la machine et au cours de son exploitation. Ces économies ont été observées dans le cadre de collaborations du LURE avec la source suisse SLS ou à l’occasion de la fourniture de dispositifs expérimentaux à d’autres centres de rayonnement synchrotron. Il s’agit alors de prestations de services voire de la fourniture d’équipements, qui constituent des recettes pour le fournisseur et abaissent son prix de revient.

Dans la discussion qui a suivie sur ce dernier point, M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a précisé qu’effectivement, dans le cas des aimants hexapôles ou quadrupôles utilisés sur un même synchrotron, la commande s’assortit de délais courts. Mais si l’on construit de manière concertée une deuxième machine, des économies d’échelle pourraient apparaître. Sur ce point, tant M. Jean JERPHAGNON que M. Jean GALLOT ont insisté sur la nécessité de jouer sur la gamme des temps et de prévoir un plan de charge pour dégager de telles baisses de coûts.

Mme Marie-Paule LEVEL précise que la fabrication des dipôles, quadrupôles, hexapôles s’étalent sur plus de deux ans pour chaque type.

M. Pierre POINTU a, quant à lui, indiqué que les spécialistes du Rutherford Appleton Laboratory (CLRC) rencontré à Didcot, le 22 février, estiment que le nombre réduit de fournisseurs aurait plutôt pour conséquence de leur permettre d’augmenter leurs prix, à moins d’un étalement dans le temps susceptible de conforter leur activité sur longue période.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI s’est interrogé par ailleurs sur la validité scientifique du concept de synchrotron dédié. Dans la mesure où toutes les disciplines scientifiques ont besoin de faisceaux stables, bien focalisés et d’une énergie suffisante, l’on ne voit pas à quoi pourrait correspondre une machine spécialisée.

Pour sa part, M. Georges CHARPAK a fait état de sa perplexité quant aux affirmations entendues de différents côtés. Les uns estiment qu’une énergie de 1,5 ou de 1,7 GeV est suffisante. Pour autant, les biologistes britanniques souhaitent plutôt une machine de 3 GeV. D’où, sans doute, l’opinion de certains sur le fait que l’énergie prévue pour SOLEIL, soit 2,5 GeV, représente l’optimum pour toutes les disciplines, à mi-chemin des exigences de chacun. Il n’en reste pas moins que si le Royaume Uni et la France ne formaient qu’un seul pays, deux machines identiques de 2,5 GeV ne seraient sans doute pas construites.

Pour faire le tri entre ces différents points de vue, M. Roger FOURME a estimé qu’il était nécessaire de reprendre les données de base. La cristallographie des protéines requiert des faisceaux d’une énergie de 12 keV, correspondant à des longueurs d’onde d’environ 1 Å. Pour obtenir des faisceaux de ce type, de surcroît monochromes et parallèles, il faut un synchrotron dont l’énergie soit suffisante pour permettre l’emploi des onduleurs modernes, bien supérieurs aux " wigglers " multipôles utilisés dans les premières machines de 3ème génération. Il en résulte la nécessité de disposer de sections droites et d’onduleurs suffisamment longs pour produire les faisceaux voulus.

Or ces dispositifs peuvent perturber la stabilité des faisceaux, sauf si l’énergie de la machine est suffisante. En conséquence, tous calculs faits, l’énergie doit être supérieure à 2,4 GeV, avec une gamme optimale située dans l’intervalle 2,5-2,75 GeV, les chiffres précisément choisis pour SOLEIL.

M. Roger FOURME a indiqué avoir participé aux discussions initiales concernant la spécification de DIAMOND. La gamme 3-3,5 GeV a bien été retenue dès le départ, contrairement à ce qui a pu être dit sur une évolution récente à la hausse de l’énergie de DIAMOND. Depuis cette date, qui correspond d’ailleurs aux premières réflexions sur DIAMOND, la technologie des onduleurs a évolué à grande vitesse vers la mise au point d’onduleurs à faible " gap " sous vide, qui donnent naissance à des faisceaux de grande qualité.

Au reste, la gamme d’énergie de 2,5-3 GeV retenue pour SOLEIL conduit à des brillances de 1019-1020 comparables à celles de l’ESRF et de l’APS, largement suffisantes au point que les faisceaux doivent être atténués et que ce sont plutôt les performances des détecteurs que l’énergie des faisceaux qui constituent la principale limitation des machines. En tout état de cause, M. Roger FOURME a déclaré " engager sa responsabilité " de scientifique en confirmant l’adéquation de la gamme 2,5-3 GeV aux besoins de la cristallographie des protéines.

Par ailleurs, la gamme 2,5-2,6 GeV représente la limite supérieure de ce qui convient pour les travaux réalisés à basse énergie, les énergies plus élevées entraînant des performances dégradées, compte tenu de la puissance thermique des lignes de lumière. Au surplus, la zone des 2 GeV correspond à des durées de vie des faisceaux plus basses et en fait insuffisantes.

En définitive, la zone 2,5-2,75 GeV constitue une zone de compatibilité de la plage de 2,5-3 GeV optimale pour la cristallographie avec celle de 2-2,5 GeV optimale pour les autres disciplines.

Il est apparu également important à M. Roger FOURME de souligner que la biologie structurale n’est pas la seule discipline à utiliser la gamme de longueurs d’onde des rayons X, puisque aussi bien les deux tiers des expériences de physique sur les synchrotrons y recourent également. De fait, la physique a aussi besoin des photons de haute énergie, par exemple pour toutes les expériences se déroulant dans des conditions extrêmes de température et de pression.

M. Georges CHARPAK ayant encore souligné que cette position contredit des affirmations entendues par ailleurs, M. Vincent MIKOL, directeur de recherche chez Aventis, a confirmé qu’une énergie de 3 GeV est jugée suffisante par les cristallographes.

M. Roger FOURME a pour sa part rappelé que les cristallographes sont satisfaits par une énergie nominale de 2,5 GeV, parce que l’on sait aujourd’hui utiliser les machines d’énergie moyenne.

Comme l’a indiqué Mme Marie-Paule LEVEL, avec un synchrotron de 2,5 GeV, un onduleur moderne ayant un " gap " de 4 mm et une période très courte produit des faisceaux de 20 keV, ce qui correspond aux besoins. Au contraire, avec cette énergie de 2,5 GeV, pour produire des photons de basse énergie, il faut des onduleurs de grande période et des sections droites relativement longues pour obtenir des fortes brillances. En l’occurrence, l’avant-projet détaillé SOLEIL a choisi une énergie de 2,5GeV et a prévu des sections droites de 7 m et de 14 m, ce qui convient aussi bien pour les photons de basse et haute énergie et permet une bonne durée de vie des faisceaux, ceux-ci étant prévus pour durer 20 heures.

M. Paul MORIN, sur le même thème de la spécification des synchrotrons, s’est attaché à son tour à montrer la diversité des besoins des différentes disciplines.

Ainsi, la biologie met en œuvre non seulement des rayons X pour la résolution de structures mais également des faisceaux de basse énergie pour les études de déclin de fluorescence. De la même façon, en physique, on peut avoir besoin de faisceaux de basse énergie, comme, au contraire, de faisceaux d’une énergie comprise entre 1 et 10 keV pour les études relatives aux propriétés magnétiques de différents supports.

Au total, le concept de machine polyvalente apparaît bien meilleur que le concept de machine de haute ou basse énergie.

Pour autant, s’est interrogé de nouveau M. Georges CHARPAK, si deux machines devaient être construites sur le même site, il serait difficile d’admettre que la solution optimale consiste à construire deux machines identiques. Au contraire, dans cette perspective, sans doute faudrait-il construire un synchrotron de 3 GeV pour la biologie et un autre de 2 GeV pour la physique et certaines méthodes d’analyse utiles à la biologie. On peut à ce sujet imaginer que le Wellcome Trust, au-delà de son financement de DIAMOND, soit intéressé par une prise de participation dans le synchrotron français de 2 GeV.

M. Jochen SCHNEIDER, Directeur du HASYLAB, a, pour sa part, tenu à poser le problème dans des termes différents.

Selon lui, les deux paramètres devant guider le choix de l’énergie sont d’une part la durée de vie des faisceaux qui doit être assez longue pour ne pas compliquer et renchérir l’exploitation, et d’autre part la brillance qui doit atteindre le niveau de 1020 de l’unité classiquement utilisée en la matière.

Or les progrès récents des onduleurs sont décisifs et ne sont d’ailleurs pas terminés, de sorte que l’énergie doit être définie de façon que leur utilisation soit possible.

En fait, le paramètre de la durée de vie est décisif : " la différence entre des faisceaux d’une durée de vie de 18 h et des faisceaux de 2h est la même qu’entre un rêve et un cauchemar ".

Selon M. Jochen SCHNEIDER, les discussions sur les gammes d’énergie sont en réalité oiseuses, une position qu’a approuvé M. Vincent MIKOL. Au vrai, ainsi que l’a estimé M. Jochen SCHNEIDER, la position exprimée devant le groupe de travail par le Professeur Nils MARTENSSON, le 9 février 2000, emporte définitivement la question : " si le synchrotron MAX II devait être construit aujourd’hui, compte tenu de l’évolution des besoins et des technologies, l’énergie choisie serait de 2,5 à 3 GeV ".

Prenant en considération les éléments fournis par le LURE, M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a souligné combien le choix du seul critère économique pour définir l’énergie du futur synchrotron serait erroné, d’autant que les économies réalisées avec une machine de basse énergie seraient très faibles.

M. Jochen SCHNEIDER a alors estimé, pour tenter de clore la discussion, qu’une énergie de 2,5 GeV est le minimum à avoir et présente le double avantage d’entraîner des économies et de mettre à disposition des rayons X " mous " de qualité.

M. Jean DAILLANT a précisé à cet égard que le même onduleur qui délivrerait des photons de 4,75 keV sur un anneau de 2 GeV – ce qui est notoirement insuffisant pour un grand nombre d’applications – fournira au contraire des photons de 10 keV sur un anneau de 2,5 GeV, ce qui constitue " un rêve " pour les expérimentateurs.

Dans le débat qui s’est ensuite engagé, M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a indiqué en substance qu’il ne saurait y avoir deux synchrotrons identiques, tant il est vrai que la diversité des besoins doit se refléter dans la diversité des lignes de lumière et de leur instrumentation, ce qui devrait d’ailleurs ouvrir la voie à une diversification des financements.

M. Michel BESSIERE a appuyé ce point de vue en citant la demande d’accès à des faisceaux de rayons X de 8 keV émanant des chimistes qui souhaitent réaliser des études sur les catalyseurs, la métallurgie, les semi-conducteurs ou les défauts de structure.

Assurément, la biologie n’est pas la seule discipline à avoir besoin de rayons X.

Si l’on traduit ce constat en terme d’énergie de la machine, il est clair qu’il n’existe pas sur le marché d’onduleur permettant de produire de faisceaux de 8 keV sur un synchrotron de 2 GeV.

De même, les études de dynamique en temps réel se multiplient où l’on recrée pour l’expérience les conditions industrielles. Ceci nécessite des faisceaux petits et à forte brillance. Il ne faut pas oublier à cet égard que la chimie représente au total près du tiers des expériences réalisées au LURE, avec des énergies situées entre 5 et 15 keV.

Il s’agit, au final, de ne pas se tromper de question : " une bonne machine est une machine qui fournit des photons de qualité ".

La pluridisciplinarité introduite par les synchrotrons a ensuite été détaillée par M. Roger FOURME. Les synchrotrons constituent depuis longtemps des lieux de contact essentiels entre les disciplines, analogues aux instituts américains récemment créés sur une base interdisciplinaire. Au surplus, les synchrotrons permettent l’émergence de nouvelles communautés scientifiques.

La plus mauvaise solution pour un nouveau synchrotron serait sans aucun doute la construction d’une machine dédiée dans un lieu entièrement spécialisé dans une discipline particulière. Au contraire, un outil comme un synchrotron doit être au plus proche des communautés scientifiques, y compris nationales, et contribuer au renforcement de leurs interactions.

Pour le nouveau synchrotron, il faut impérativement conserver le pluralisme de la science qui s’y fera et donner une polyvalence à l’installation. SOLEIL est un synchrotron polyvalent, par définition capable de répondre au " tout venant " des recherches. Les questions auxquelles il ne pourra répondre et qui pourront au contraire être résolue sur une installation comme PETRA II, ne représenteront pas plus de 1/1000ème du total.

Pour M. Jean DAILLANT, l’optimum à 2,5-2,75 GeV est validé par l’exemple de la source suisse, dont la définition est la plus récente et qui a bien une énergie du même ordre (2,4-2,5 GeV).

Les gestionnaires des sources anciennes de 1,5-1,9 GeV sont au contraire placés devant l’obligation impérieuse de modifier leurs installations.

M. Roger FOURME a pointé à cette occasion la fuite en avant des responsables de ces installations sous-dimensionnées à la base. Des dispositifs de plus en plus complexes et coûteux, comme des " wigglers " de nouvelle génération, doivent leur être adjoints, pour des performances somme toute limitées.

Au demeurant, le Canada et l’Australie, qui mettent la dernière main à leurs projets, ont conservé des énergies supérieures ou égales à 2,5 GeV, choisissant à des fins d’économie plutôt la réduction de taille de l’anneau que la baisse de son énergie.

Pour M. Pierre POINTU, l’idée de pluridisciplinarité est absolument essentielle. Au reste, tant les représentants du Wellcome Trust que ceux du Central Laboratory for Research Councils (CLRC), rencontrés au Royaume Uni par les Rapporteurs, ont abondé dans ce sens, estimant que " les gisements de progrès se trouvent moins dans les différentes disciplines scientifiques que dans l’interdisciplinarité ".

Or les très grands instruments sont réellement " des supports concrets pour des échanges abstraits ". L’on comprend en conséquence l’idée du CLRC de rassembler différents outils sur un même lieu, en particulier en installant le futur DIAMOND sur le site du Rutherford Appleton Laboratory à Didcot, où se trouvent déjà la source de neutrons pulsés ISIS, le laser de puissance Vulcain et bientôt sans doute la source européenne de neutrons produits par spallation (ESS).

M. Jean GALLOT, à cette occasion, a souligné l’importance des notions de spécificité ou de variété et de polyvalence d’un synchrotron, en distinguant la machine des recherches qu’elle permet d’accomplir. Si l’on voulait absolument avoir des biologistes à Oxford, il n’en resterait pas moins indispensable de disposer d’une machine polyvalente en France afin de satisfaire la demande relative à différents domaines de recherche et permettre l’interdisciplinarité.

Un tel équipement est également indispensable pour défendre les positions de la communauté scientifique française dans la compétition internationale, en particulier avec le Royaume Uni. Enfin, il faut faire le choix d’une machine à fort potentiel de développement, puisque ce sont les demandes des 20 prochaines années et non pas des 20 dernières qu’il s’agit de satisfaire.

S’agissant des économies d’échelle, M. Jean JERPHAGNON a suggéré que pour en générer de plus importantes, la coopération prévue avec la Grande-Bretagne fût étendue à la Suisse.

Selon M. Michel BESSIERE, cette solution est difficilement envisageable, dans la mesure où les Suisses ont non seulement arrêté leur ingénierie de base pour leur synchrotron mais pratiquement achevé sa construction, tandis que ni la France ni le Royaume Uni n’ont pris de décision. Toutefois, si une démarche concertée semble de fait exclue pour les anneaux de stockage, en revanche un travail commun pourrait être engagé sur les lignes de lumière.

Mme Marie-Paule LEVEL a indiqué que les trois laboratoires, français, britannique et suisse, avaient des plans différents au départ. Au surplus, les scientifiques suisses ont reçu le feu vert pour leur projet de synchrotron alors qu’ils ne l’attendaient plus. Une coopération franco-suisse a alors démarré, notamment par la fourniture par le LURE de " kickers " et de soufflets. Par ailleurs, le projet SOLEIL a seul rapidement opté pour des cavités accélératrices supra-conductrices qui permettent d’éviter les oscillations multipaquets handicapantes pour la durée de vie et la brillance des faisceaux.

Ce choix s’est avéré judicieux puisqu’il est maintenant envisagé par le Royaume Uni pour Daresbury et par l’ESRF qui l’avaient pourtant rejeté au départ. Par ailleurs, SLS et ELETTRA ont commandé au CEA des cavités supraconductrices harmoniques. Des coopérations existent donc, portant sur des équipements spécifiques et se déroulant souvent à l’avantage de la France grâce à sa maîtrise technique des synchrotrons.

A la demande de M. Jean JERPHAGNON poursuivant ses interrogations sur les économies d’échelle, M. Paul MORIN a estimé qu’il existe des économies potentielles, à condition de " changer les manières de faire ". Même si, comme l’a indiqué Mme Marie-Paule LEVEL, il est difficile de changer les habitudes, la véritable source d’économies, selon M. Michel BESSIERE, se trouve dans la recherche et développement à conduire sur les machines et les lignes de lumière, notamment en valorisant le réseau européen qui existe déjà.

Approuvant l’idée d’économies grâce à une R & D appropriée, M. Vincent MIKOL a toutefois souligné que l’objectif de parvenir à des économies d’échelle grâce à des programmes de commandes étalées dans le temps ne devait pas négligé. Au contraire, un contrat de fourniture d’un nombre important d’onduleurs sur 8 ans devrait, en étant bien négocié, conduire à des remises de 25 à 30 %.

Un débat s’est alors engagé sur la coopération européenne en matière de recherche et développement consacrée aux synchrotrons.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI ayant fait valoir qu’avec l’avant-projet détaillé (APD) SOLEIL, la France dispose d’un atout exportable et valorisable, M. Roger FOURME a indiqué que les experts britanniques disposent déjà de l’APD, obtenu sans contrepartie.

M. Jochen SCHNEIDER a confirmé à cet égard que les laboratoires européens de rayonnement synchrotron travaillent ensemble. Le HASYLAB a ainsi coopéré avec l’institut suisse chargé de la construction de la source SLS. Il existe également une coopération formelle entre la France et l’Allemagne sur les cavités supra-conductrices. Au reste, la France ne tirera pas " un sou " de l’APD SOLEIL puisque tous les chercheurs l’ont déjà entre leurs mains. Selon M. Michel BESSIERE, cette coopération est au demeurant institutionnalisée au sein de la Table ronde européenne pour le rayonnement synchrotron.

M. Roger FOURME a poussé plus loin l’analyse en remarquant que l’on se trouve à une période où " les machines marchent bien ". Si l’on veut gagner en efficacité sur les synchrotrons, c’est sur les lignes de lumière qu’il faut se concentrer en encourageant les travaux de développement qui s’y rapportent, ainsi en ce qui concerne la cristallographie où l’on pourrait gagner beaucoup en performances avec de meilleurs détecteurs.

En définitive, des progrès plus importants seront générés par des efforts consacrés aux lignes de lumière plutôt qu’aux anneaux de stockage eux-mêmes, compte tenu du niveau déjà atteint par ces derniers. M. Vincent MIKOL a déclaré souscrire totalement à cette analyse, tant des progrès lui paraîtraient utiles sur l’instrumentation, l’automatisation des manipulations et les détecteurs des lignes de lumière.

M. Jean GALLOT a remarqué qu’il est important de chiffrer les différentes solutions techniques sur la base d’une évaluation incontestable du nombre de lignes nécessaires aux chercheurs français. A ce sujet, nul doute qu’une bonne planification et une coopération intensive permettraient de diminuer les coûts. Mais, ainsi que l’a clairement dit le directeur du MAXLAB, M. Nils MARTENSSON, son choix aurait été une machine de 2,5 GeV s’il avait disposé des crédits nécessaires, ce qui définit avec précision la machine requise. En tout état de cause, la polyvalence du synchrotron est une exigence prioritaire.

Par ailleurs, M. Jochen SCHNEIDER a fait connaître qu’au cours de ses fréquents contacts avec le Royaume Uni, de nombreux chercheurs britanniques lui ont indiqué qu’ils ne comprennent pas la démarche française actuelle.

Pour ceux-ci, puisqu’il existe une coopération franco-britannique dans de nombreux domaines et en particulier pour le rayonnement synchrotron, il est logique de continuer. Mais la raison d’une accélération brutale de la coopération leur semble obscure, la France disposant de ressources propres importantes dans ce domaine.

M. Christian CUVILLIEZ, Député, Rapporteur, a alors communiqué aux participants à la réunion quelques-uns des enseignements de ses rencontres de la veille avec des responsables du Wellcome Trust et du Central Laboratory for Research Councils (CLRC), directement intéressés par le projet DIAMOND.

Pour les représentants du Wellcome Trust rencontrés à Londres le 21 février, et notamment pour le Professeur Sir Michael RUTTER, vice-président du " Board of Governors " du Wellcome Trust, la participation de la France au projet DIAMOND apparaît seulement- et pas davantage - comme l’opportunité de diminuer la charge financière du Royaume Uni dans ce projet.

A la question d’une participation croisée dans un synchrotron français, ces représentants ont opposé un refus clair, d’ailleurs teinté d’un certain étonnement qu’une telle question puisse être posée.

Au-delà de l’affichage d’une stratégie sans frontières, la vocation du Wellcome Trust semble bien de soutenir une recherche médicale essentiellement britannique, dans la droite ligne d’un sentiment national fort et, bien entendu, légitime. En l’occurrence, l’adhésion de la France au projet DIAMOND ne trouble pas le Wellcome Trust mais ne l’intéresse pas au-delà de son intérêt financier.

Au surplus, il ressort des autres contacts avec la direction du synchrotron SRS de Daresbury et avec les principaux responsables du CLRC, qu’il n’existe aucune volonté britannique de coopérer avec la France pour la conception de DIAMOND ou l’ingéniérie du projet.

En définitive, il semble probable que le Royaume Uni se fixe comme objectif de construire DIAMOND en tirant tout le parti possible non seulement de la contribution financière française mais aussi de l’avant-projet détaillé SOLEIL, voire en recrutant des techniciens français. Au final, en droite ligne de la supériorité britannique traditionnelle dans les négociations, on peut redouter que les chercheurs français, n’utilisent DIAMOND sans qu’aucune contrepartie particulière ne vienne diminuer les coûts d’accès.

M. Pierre POINTU, présent aux côtés du Rapporteur lors de ces différents entretiens, a confirmé que, pour le Wellcome Trust et le CLRC, la candidature de la France est une aubaine dont l’intérêt ne saurait être réduit par un quelconque engagement en retour. Il a estimé par ailleurs qu’avec des subventions de recherche de 4 milliards de francs versées en 1998, le Wellcome Trust peut considérer avec sérénité l’avenir de la participation française à DIAMOND.

M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a précisé par ailleurs que le projet DIAMOND est très en retard par rapport au projet SOLEIL. La mise au point de l’avant-projet détaillé devrait prendre encore de 18 mois à 2 ans, à quoi il faut rajouter au minimum 5 années correspondant à la signature des accords et à la construction proprement dite. Au surplus, selon M. Jochen SCHNEIDER, la structure et l’organisation du projet ne sont pas encore définies.

M. Georges CHARPAK ayant estimé que l’intérêt du Royaume Uni eût été de participer plus tôt à SOLEIL, M. Jochen SCHNEIDER a estimé qu’une coopération internationale et en particulier européenne n’est nécessaire que là où l’on en a besoin, faute de ressources nationales suffisantes. Pour les Britanniques qui disposent déjà de la source SRS à Daresbury, opter pour une participation à SOLEIL eût été difficile et le serait toujours, d’ailleurs, alors qu’il leur suffit, plutôt que d’aller en France, d’attendre quelques années pour avoir accès à des lignes nationales.

M. Jean DAILLANT a précisé que le synchrotron suisse SLS est sur le point de démarrer et que la France y étudie les conditions d’une utilisation permanente de deux lignes de lumière.

S’agissant du synchrotron SRS de Daresbury, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a noté que la coopération actuellement envisagée trouve son origine au niveau politique et ne semble pas au contraire le prolongement de contacts étroits entre les deux communautés scientifiques.

S’agissant de la coopération internationale, M. Guy OURISSON a exposé que l’intérêt de l’ensemble de la communauté scientifique européenne eût été de disposer d’un calendrier sur 20 ans pour les investissements dans les synchrotrons. Il s’est demandé à cet égard si un délai de 5 ans pour une décision serait dommageable ou, au contraire, utile.

M. Michel BESSIERE a insisté sur le fait que la construction d’un synchrotron national doit démarrer immédiatement, pour remobiliser les concepteurs et éviter le dépôt de bilan des entreprises de haute technologie dont l’activité est liée à celle des synchrotrons. Au demeurant, s’il existe, ainsi que l’a souligné M. Paul MORIN, un optimum pour l’énergie de l’anneau de stockage, ce que M. Jochen SCHNEIDER a approuvé une nouvelle fois, de nombreux progrès restent à faire sur l’instrumentation, qui exigent un travail continu et donc une mise en chantier rapide d’un nouveau synchrotron.

M. Jochen SCHNEIDER a, pour sa part, estimé que la France doit s’engager rapidement dans un projet valable pour les 20 ans à venir, faute de quoi elle sera absente des réseaux mondiaux qui travaillent à faire progresser des technologies fondamentales pour l’analyse de la matière et du vivant, notamment parce que ses équipes seront démantelées et ses spécialistes attirés par d’autres pays, et ceci beaucoup plus rapidement qu’on ne le pense.

A cet égard, M. Jean GALLOT a rappelé que l’abandon par l’Italie d’une source nationale de neutrons a été suivi d’un affaiblissement rapide et durable de son école de neutronique, démontrant qu’en l’absence d’un outil d’expérimentation national, il se produit une disparition progressive de la communauté de spécialistes.

Or aujourd’hui, chaque pays d’Europe " se bat pour lui-même " dans le domaine des très grands instruments, comme l’ont d’ailleurs, observé les Rapporteurs au Royaume Uni. Au vrai, " personne ne comprend la décision française ". S’agirait-il d’un manque de pédagogie ? Alors des explications plus approfondies permettraient d’en comprendre les raisons. Or, en réalité, c’est tout le contraire qui se produit : " plus on approfondit la question et ‘plus on ne comprend pas’ ", pourrait-on dire pour résumer la situation. En définitive, la décision ne paraît pas être dictée par des raisons scientifiques. Mais, précisément, comment dans le domaine des très grands instruments ne pas prendre en compte des raisons scientifiques ?

Pour terminer ces échanges de vues, M. Jochen SCHNEIDER a estimé qu’il faut aussi faire preuve de réalisme et examiner avec précision les paramètres économiques. En tout état de cause, dans le cas d’un synchrotron, l’investissement pèse moins lourd que l’exploitation. Or d’une part, des crédits d’investissement alloués à un projet particulier et ensuite annulés restent rarement alloués à la recherche scientifique, et, d’autre part, les dépenses de fonctionnement sont notablement alourdies par l’exploitation d’un très grand instrument situé à l’étranger.

Après avoir souligné qu’il s’agit aussi pour la France de s’inspirer de l’exemple britannique de constitution au plan national d’une masse critique de grands instruments, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a remercié les représentants du LURE pour leurs contributions écrites et leurs présentations orales, toutes deux très précieuses pour l’analyse du dossier.

M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a ensuite donné la parole à M. Philippe LAREDO, chercheur au Centre de sociologie de l’innovation de l’Ecole nationale supérieure des Mines de Paris, pour une communication consacrée à " une analyse internationale des interactions entre les très grands instruments et la recherche publique et privée ".

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M. Philippe LAREDO a, dans un premier temps, mis l’accent sur les difficultés créées par les insuffisances de la comptabilité publique pour le traitement des investissements quels qu’ils soient, et en particulier dans le domaine des très grands instruments.

Au demeurant, les crédits annuels en jeu pour le synchrotron représentent un montant limité qu’on peut par exemple mettre en rapport avec les investissements pratiqués chaque année par le CEA.

Tout se passe comme si, du fait de techniques comptables inadaptées, l’administration et les grands organismes créaient eux-mêmes des obstacles à leur propre action.

En effet, dans les cadres comptables actuels, aucun amortissement n’est possible. Quand arrive le moment de remplacer le grand instrument, il est alors obligatoire de " faire de la politique ". Ainsi, dans le cas du LURE, s’il avait été possible d’amortir l’investissement de départ, le CNRS et le CEA auraient disposé de montants financiers accumulés tout au long de l’exploitation de l’équipement et auraient donc pu décider par eux-mêmes de ce qu’il convenait de faire pour son remplacement.

Pourtant, dans le cadre actuel de la comptabilité publique, un système de constitution de réserves financières a été mis en place pour les navires océanographiques à partir de 1984-1985, permettant ainsi de les renouveler sans heurt.

Sans attendre une hypothétique réforme du système de comptabilité publique, des solutions existent donc qui peuvent assurer une continuité dans les grands équipements, sans toujours faire remonter la décision à un niveau politique qui ne devrait pas nécessairement avoir à en connaître.

L’absence d’amortissement ou de constitution de réserves a un autre effet très important qui concerne la tarification de l’usage des équipements. " Quand on n’amortit pas un équipement, on ne sait calculer ses tarifs d’utilisation qu’au coût marginal ". D’où des tarifs sans rapport avec les réalités économiques et financières de l’investissement et l’absence de repère pour fixer des niveaux de redevances qui reflètent réellement ses coûts de fonctionnement et d’accès.

M. Philippe LAREDO a en deuxième lieu estimé que pour des décisions dont l’impact scientifique et économique dépasse largement le cadre disciplinaire promoteur du projet, il est souhaitable que la décision soit préparée à plusieurs niveaux et au crible de différents critères. Si chaque organisme disposait de ses propres réserves d’investissement, cela favoriserait d’une part l’expression de stratégies à long terme. Cela permettrait d’autre part une concertation entre grands organismes qui permettrait de mieux mesurer l’intérêt inter-organismes et inter-disciplinaire d’un équipement. L’absence d’amortissement fait immédiatement remonter la préparation de la décision au niveau de la tutelle.

On est donc face à un processus de décision qui ne distingue pas clairement responsabilités scientifiques et techniques et responsabilités politiques. Cela limite d’autant la capacité des promoteurs de projet à faire vivre, comme d’autres innovateurs, leurs projets et notamment à agréger sur lui des acteurs institutionnels différents.

S’ajoutant à l’absence d’amortissement, un autre défaut de méthode hypothèque la validité du processus de décision. Les activités de recherche ne sont pas considérées comme une activité économique, ce qui empêche de mettre en face de la colonne dépenses, les recettes correspondant aux retombées économiques et fiscales ainsi que les effets d’entraînement sur l’activité économique et scientifique.

En fait, les collectivités locales sont au plan des méthodes de choix d’investissement et au plan du financement de ceux-ci, beaucoup plus avancées que l’Etat. Celles-ci considèrent en effet qu’un investissement dans la recherche scientifique génère des contreparties qu’il s’agit logiquement d’agréger pour avoir une appréciation correcte de son intérêt. On peut citer à cet égard les retombées sur les PME locales de haute technologie.

Un autre élément est souligné par M. Philippe LAREDO. Il s’agit de la cohérence d’ensemble du système d’innovation. Peut-on à la fois pousser à la création de sociétés de haute technologie dans le domaine des sciences du vivant et se désintéresser de leurs conditions d’accès à un instrument de caractérisation qui peut s’avérer central ? Auront-elles aussi facilement accès aux instruments éloignés ? On peut voir au Japon une multiplication d’instruments, y compris promus par des régions.

Parmi les autres traits caractéristiques de la question de très grands instruments, il faut également citer, selon M. Philippe LAREDO, le rôle croissant des fondations de financement de la recherche médicale et des associations de familles de malades.

A cet égard, il lui apparaît établi que le Wellcome Trust n’a " rien à voir " avec la société Glaxo Wellcome. On peut certes se demander pourquoi une fondation choisit d’investir dans un domaine ou pour tel ou tel projet. Au vrai, les fondations semblent constituer les portes-parole et les acteurs d’une politique de la santé souhaitée par la société.

Enfin, les méthodes globales de la gestion publique doivent être réexaminées à l’occasion d’une réflexion sur la question d’un nouveau synchrotron. La responsabilité de déterminer les investissements nécessaires pour la recherche ne pourrait-elle pas revenir aux chercheurs et aux organismes de recherche ?

On peut, sur ce thème, imaginer que le ministère n’apporte qu’une contribution marginale au financement des très grands instruments, manifestant sa préférence par son soutien à tel ou tel projet mais ne pouvant bloquer les autres qui seraient considérés comme vitaux par les acteurs de la recherche.

Dans ce cadre, les acteurs de la recherche pourraient se voir confier le soin d’opérer leurs propres montages, une méthode parfaitement justifiée dans le cadre d’une programmation pluriannuelle.

Mais, ces approches supposent une capacité d’agir que seule permet la disponibilité de ressources financières. D’où il ressort que l’impossibilité de pratiquer des amortissements et sa conséquence, à savoir des tarifications aberrantes en l’absence de repères économiques valables, sont bien au cœur des difficultés rencontrées par les très grands instruments dans notre pays.

Un débat s’est ensuite amorcé sur la place du Wellcome Trust dans les structures économiques et scientifiques britanniques.

M. Christian CUVILLIEZ, Député, Rapporteur, a indiqué que la participation de celui-ci dans DIAMOND, devrait s’élever, selon son vice-président, le Professeur Sir Michael Rutter, à 110 millions de livres, soit 16 à 17 % du total, répartis entre 70 millions de livres de participation à la construction de la machine et 40 millions de livres de participation aux frais de fonctionnement.

M. Georges CHARPAK a jugé que le Wellcome Trust ne possède aucun lien avec les industriels, suivi en cela par M. Vincent MIKOL qui a souligné son statut de " Charity Trust " et sa direction par un " Board " constitué de personnalités indépendantes.

M. Roger FOURME a estimé, quant à lui, que, même si la nature réelle du trust n’est pas fondamentale pour la question d’un synchrotron implanté sur le sol français, il ne faut pas tomber " dans un excès de naïveté ". La recherche contemporaine s’effectue en réseaux couvrant tous les pays. L’accès à des informations cruciales sur les politiques de santé et les politiques de recherche des pays et des laboratoires pharmaceutiques représente un atout capital.

Une organisation telle que le Wellcome Trust fournit à ses dirigeants des postes d’observation privilégiés où les " bonnes idées " peuvent être saisies, qui " percoleront " naturellement dans un ensemble de structures publiques ou privées. Il s’agit là certes d’un système subtil adapté aux spécificités britanniques mais posant un problème d’équilibre politique aux autorités françaises.

M. Vincent MIKOL, en désaccord avec cette approche, a estimé que les industriels mettent au premier rang de leurs priorités le critère du retour sur investissement et sont particulièrement soucieux du droit à l’exclusivité pour les découvertes qu’ils ont financées, ce qui est à l’opposé de la pratique du Wellcome Trust de financer des recherches publiées.

M. Pierre PAPON, qui a participé aux visites des Rapporteurs au Royaume Uni, a rendu compte du souci, au demeurant légitime, exprimé par l’ensemble de ses interlocuteurs de défendre les intérêts britanniques par une préférence nationale. M. Roger FOURME, qui a souhaité voir réaliser des études approfondies sur les fondations, a souligné que le système industriel prend en compte de nos jours la recherche au niveau le plus élevé.

Pour M. Philippe LAREDO, le financement à hauteur d’un milliard de dollars par Bill Gates de recherches sur les maladies orphelines n’a pas d’impact direct sur la diffusion de Windows et les autres produits de Microsoft. L’histoire du Wellcome Trust montre qu’il a été créé en toute indépendance. Au reste, sa masse critique en terme de revenus annuels le met à égalité avec le budget de l’agence britannique de financement de la recherche publique, ce qui lui permet aussi d’être indépendant de l’industrie. Le programme britannique Forsight en est un exemple. La France, quant à elle, " fait la même chose localement  mais pas globalement", avec par exemple dans le cadre du programme Bioavenir, une subvention de 400 millions de francs accordée à Rhône Poulenc.

M. Jean GALLOT a insisté toutefois sur le poids que le Wellcome Trust a dans la conduite du projet DIAMOND, alors que sa participation ne dépasse pas 17 %. Ainsi, le choix d’un autre site que celui d’Oxford aurait été présenté comme un " casus belli " par ce " charity trust ". On peut certes avancer une analyse sur l’indépendance du Wellcome Trust mais force est de reconnaître son poids potentiel dans les décisions.

M. Philippe LAREDO a alors rappelé que le débat sur les très grands instruments dure depuis 15 ans dans notre pays et a répété que si l’on amortissait ces équipements, il n’y aurait plus de débat, avec de surcroît une clarification des relations public-privé grâce à des tarifications ayant une base économique sérieuse.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a alors souligné que certaines lignes de lumière sur différents synchrotrons sont financées et exploitées en commun par plusieurs universités. Il a alors proposé que l’on fasse une distinction plus claire entre les infrastructures de base des synchrotrons, c’est-à-dire l’anneau de stockage, et les lignes de lumière proprement dites qui représentent en réalité des investissements mi-lourds finançables sur des fonds d’intervention. Il a appelé enfin à multiplier les partenariats entre organismes de recherche.

Selon M. Philippe LAREDO, pour sortir du blocage actuel sur la question du synchrotron, " il faut que chacun donne une partie de la solution ". La communauté scientifique pourrait accepter la délocalisation. Le ministère pourrait apporter une contribution supérieure au financement initialement prévu pour de nouvelles ressources en rayonnement synchrotron. Mais, en définitive, il s’agit de mettre au point un montage recourant à l’emprunt et à l’amortissement. L’exemple de l’ESRF devrait être médité à cet égard.

Après avoir remercié M. Philippe LAREDO pour sa contribution au débat, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a invité à M. Paul CLAVIN à prendre la parole.

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M. Paul CLAVIN, en préambule à son exposé, a retracé la genèse des propos qui lui ont été attribués. Ayant été invité par le ministre de la recherche à lui rendre un " rapport confidentiel ", et des commentaires sur ce document ayant été diffusés sur Internet par M. Yves PETROFF, M. Paul CLAVIN a été autorisé par le ministre à répondre par le même canal à ce dernier. Ce sont les considérations correspondantes qui constitueront la trame de son exposé.

En tant que responsable de la physique et des sciences de l’ingénieur au ministère de la recherche, M. Paul CLAVIN a été saisi par le ministre d’une étude sur la possibilité de mettre en place une solution européenne pour le rayonnement synchrotron.

Ayant précisé qu’il n’est pas un expert du domaine, M. Paul CLAVIN a toutefois conclu rapidement au cours de son étude que le rayonnement synchrotron est amené à poursuivre son expansion, avec toutefois un glissement des utilisations depuis les basses énergies vers les hautes énergies. Une explosion des besoins est même prévue par les Anglo-saxons pour la diffraction réalisée avec des faisceaux d’une énergie supérieure à 7 keV.

Selon les responsables britanniques et américains, les besoins en rayons X - X " durs " dans les 20 ans à venir devraient croître jusqu’à occuper 80 %de l’activité totale en rayonnement synchrotron, et ceci au détriment de la gamme UV – X " mous ", l’essentiel du glissement devant être le fait des utilisations pour la biologie structurale. Au reste, selon un rapport publié aux Etats-Unis, les utilisations pour la biologie structurale sont déjà passées de quelques pour-cent en 1990 à environ 30 % en 1997. Cette expansion va se poursuivre.

A cet égard, si aucune machine supplémentaire n’était construite en Europe, le manque déjà constaté en Europe dans la gamme des énergies de 7 à 10 keV s’approfondirait, les demandes d’énergies supérieures à 10 keV étant quant à elles satisfaites par l’ESRF de Grenoble.

L’Allemagne et d’autres pays se sont dotés pour leur part de machines d’énergie inférieures à 2,5 GeV. Avec les technologies récentes des " wigglers ", on peut utiliser des machines de basse énergie pour produire des rayons X, ainsi que le montre l’exemple de l’ALS dont l’énergie ne dépasse pas 1,9 GeV.

Au demeurant en Europe, la situation est différente de ce que l’on entend souvent. Au début de son étude, on avait rapporté à M. Paul CLAVIN que les machines européennes étaient saturées et qu’en conséquence il n’y avait pas de place pour les utilisateurs français. Or des contacts noués avec la Suisse, l’Allemagne et l’Italie, il est résulté que tous ces pays pouvaient proposer des solutions à la France.

A quel niveau se sont effectués ces entretiens ? Au niveau des directeurs de la recherche et de leurs staffs de spécialistes, c’est-à-dire au niveau des responsables politiques et des responsables des machines. Ces contacts ont été positifs, en ce sens que des discussions ont pu s’engager, la possibilité d’utiliser des machines existant concrètement.

Les interlocuteurs allemands de M. Paul CLAVIN ont effectivement chiffré les opportunités existantes.

Quant aux responsables britanniques, ils ont fait preuve d’une " grande ouverture " et d’une " volonté de collaborer avec la France ". La première raison en est que le groupe technique constitué pour réaliser l’avant-projet détaillé SOLEIL leur est apparu comme de grande qualité et que la France dispose de compétences de premier niveau dans ce domaine.

La deuxième raison est que l’objectif des Britanniques, rejoignant ceux d’autres pays, est de disposer tout de suite de faisceaux supplémentaires pour la biologie. Le Wellcome Trust, dont " l’argent vient des industriels de la pharmacie " ayant la même volonté, le Royaume Uni veut au total satisfaire au premier chef les besoins de la biologie avec DIAMOND.

M. Paul CLAVIN a noté, à cet égard, une différence entre DIAMOND et le projet SOLEIL dans sa version initiale, encore que ce dernier ait évolué ensuite.

Après avoir quitté le ministère de la recherche le 1er janvier 1999, M. Paul CLAVIN a poursuivi les discussions avec les différents pays européens en tant que " représentant et conseiller " du ministre. Considérant les propositions britanniques intéressantes, M. Paul CLAVIN a estimé que ni l’intérêt national ni l’intérêt européen ne commandaient de construire SOLEIL en parallèle à DIAMOND et qu’il convenait au contraire de " décaler dans le temps la construction de la deuxième machine ", en particulier parce que " les choses évoluent très vite ", ainsi que le montre l’exemple du projet canadien qui a subi une évolution radicale portant son énergie d’un niveau inférieur à 2 GeV en 1995 à 2,5 GeV aujourd’hui.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI ayant précisé que le niveau d’énergie finalement retenu au Canada atteint 3 GeV, M. Paul CLAVIN a poursuivi en indiquant que le niveau de DIAMOND est, quant à lui, passé de 3 à 3,2 GeV. Toutefois, plus le niveau d’énergie monte, et plus le coût s’élève.

Dans ses premières versions, " SOLEIL n’était pas adapté aux besoins en augmentation " au contraire de DIAMOND, dimensionné d’entrée pour répondre à la demande des biologistes. Mais pour faire son travail de conseiller, M. Paul CLAVIN a jugé nécessaire d’avoir des données chiffrées et celles communiquées par le Royaume Uni sont apparues intéressantes. C’est ainsi que le Royaume Uni, à la pointe des technologies mises en œuvre en biologie structurale, estime que les besoins quantitatifs en temps de faisceau de cette discipline vont s’accroître très rapidement.

Au reste, il existe un intérêt scientifique à coopérer avec le Royaume Uni et, au-delà, à favoriser la constitution d’une Europe scientifique.

M. Paul CLAVIN a rapporté qu’en conséquence il a conseillé au ministre de la recherche de travailler avec le Royaume Uni pour la construction d’une nouvelle machine franco-britannique, qui ne serait pas située sur le sol français puisque la France accueille déjà sur son sol l’ESRF. Il ne serait toutefois pas exclu que, dans un deuxième temps, une autre machine soit construite ailleurs en Europe, en temps utile. En effet, " il n’est pas indispensable de mettre tous les œufs dans le même panier ".

Le contexte de cette préconisation est qu’elle doit se faire sans entraîner d’augmentation de la part du rayonnement synchrotron dans le budget civil de la recherche et développement (BCRD). Dans ce cadre, l’on doit pouvoir satisfaire les besoins français avec une coopération avec les Britanniques ainsi qu’avec la Suisse, l’Allemagne et l’Italie.

Au final, le schéma proposé représente les ¾ du potentiel de SOLEIL pour les sections droites sans compter les lignes sur aimant de courbure. Or en terme de rayonnement synchrotron, l’effort de la France est supérieur à celui des autres pays. L’Allemagne dont la politique n’est d’ailleurs peut-être pas optimale dans ce domaine, doit être mise à part. Avec le nouveau schéma, la part du rayonnement synchrotron dans le BCRD resterait au niveau de celle observée dans d’autres pays.

Faisant état de sa participation au Conseil scientifique du projet SOLEIL, M. Vincent MIKOL a objecté que, dès après les premières études de 1994-1995, l’énergie de ce synchrotron a été portée dès 1996 à 2,5 GeV et que le projet SOLEIL, avec 8 lignes pour la biologie, correspond depuis cette date à ce qu’attendent les biologistes. Sur le sujet des comparaisons des coûts, M. Vincent MIKOL a insisté sur la nécessité de bien étudier l’influence, sans doute importante, de l’expatriation et des niveaux de vie au Royaume Uni, en Allemagne, en Suisse et en Italie, sur les salaires et les primes à verser aux chercheurs français détachés.

Pour M. Paul CLAVIN, l’impact financier des frais de mission n’a pas été chiffré en détail.

Mais, en tout état de cause, la construction de SOLEIL aurait pour effet de majorer de 40 % sur 20 ans la part du rayonnement synchrotron dans le BCRD, qui est approximativement de 250 millions de francs par an. Au demeurant, s’il apparaissait impossible de mettre en place une coopération européenne, il faudrait bien entendu construire SOLEIL.

M. Georges CHARPAK s’étant fait l’écho des doutes entendus de différents côtés sur la possibilité réelle d’accéder à des lignes complémentaires sur des machines européennes, M. Paul CLAVIN a souligné que l’Allemagne, qui au demeurant investit " tous azimuts " dans les synchrotrons pour des raisons qui ne sont pas toutes scientifiques, a fourni des précisions sur les conditions financières d’utilisation de certaines de ses lignes, en particulier à BESSY II et que la Suisse et l’Italie ont fait de même. Il est certain qu’il faut rajouter à ces chiffres les " dépenses de mission ".

Pour M. Jochen SCHNEIDER, il existe des déterminants régionaux forts dans la politique scientifique allemande. La construction de la source ANKA en est une illustration. Mais, en tout état de cause, il n’est pas vrai que l’on soit encore aujourd’hui dans une dynamique de développement des machines de 3ème génération.

Au contraire, il existe une convergence de la communauté scientifique internationale sur l’énergie de 2,5 GeV considérée comme une énergie optimale pour avoir une brillance de haut niveau, des faisceaux d’une durée de vie suffisante, une émittance suffisamment réduite et qui permette également de mettre en application les nouvelles idées sur les onduleurs.

L’exemple de BESSY II à Berlin est éclairant à cet égard. Ce synchrotron de 1,7 GeV initialement voit son énergie rehaussée à 2,1 GeV mais est condamnée à utiliser des " wigglers " qui ne constituent pas une source optimale. Les responsables préfèreraient de beaucoup disposer d’une énergie de 2,5 GeV pour implanter des onduleurs de dernière génération. Aujourd’hui, il est clair que les responsables allemands ne construiraient pas un synchrotron de faible énergie, même de 1,9 GeV.

S’agissant de l’accueil des autres pays contactés par la France, il est vrai qu’il soit ouvert dans la mesure où la France apporte des idées compétitives pour l’utilisation des lignes de lumière, bien que les projets allemands suffisent à occuper toutes les installations disponibles.

M. Paul CLAVIN a alors indiqué que la France ne demande à être un simple client. Ainsi, il s’agit d’obtenir une exclusivité française sur des sections droites, même si dans certains cas il serait nécessaire de rétrocéder 30 % du temps pour des utilisations publiques. La volonté de la France est bien de participer au développement technologique et de collaborer avec des machines de plus haute énergie, mais dans le cadre européen.

M. Jochen SCHNEIDER a confirmé l’offre par Berlin de deux sections droites à BESSY II, conditionnée toutefois, comme l’a indiqué M. Paul CLAVIN, par des dates limites.

Mais, selon M. Jochen SCHNEIDER, la solution SOLEIL apportera la flexibilité nécessaire pour l’avenir. Les applications des rayons X représenteront-elles 80 % du total, comme certains le disent ? En réalité, la cristallographie des protéines dont on escompte la croissance la plus rapide, fera l’objet d’une automatisation qui pourrait accroître d’un facteur 2 le nombre de structures obtenus par unité de temps.

Par ailleurs, d’autres questions devront être résolues dans les 20 prochaines années en biologie, de sorte que les applications du rayonnement synchrotron ne se limitent pas à celles des rayons X.

Au reste, il existe en France des compétences de premier rang mondial pour la spectroscopie et la résolution temporelle des structures qu’il lui faut absolument conserver.

M. Pierre POINTU a demandé ensuite des précisions à M. Paul CLAVIN en premier lieu sur le poids financier de l’anneau de stockage par rapport aux lignes de lumière, en deuxième lieu sur ses déclarations relatives au fait que la France aurait " raté les trains suisse et allemand " en matière d’opportunités de coopération et en troisième lieu sur le bien-fondé de l’idée de suivre le " train anglais " alors qu’il existe un actif important en France en matière de rayonnement synchrotron.

M. Paul CLAVIN a confirmé ses déclarations sur les opportunités manquées dans le passé.

Il a souligné le fait qu’aucune coopération internationale n’était prévue par l’APD SOLEIL en 1998 et que celui-ci ne bénéficiait d’aucun soutien concret de l’industrie. S’agissant de l’ESRF, la France " a payé plus " que ses partenaires comme c’était normal puisque la machine a été construite sur le sol français.

Certes le Royaume Uni a déclaré ses intentions de construire un synchrotron plus tardivement que la France mais il en fait désormais une priorité irrévocable.

Dans ces conditions, est-il rédhibitoire de devoir traverser le Channel ? M. Paul CLAVIN a indiqué qu’il envisagea de faire aux Britanniques la proposition que la future machine franco-britannique fût construite sur le sol français. Mais cette proposition lui est apparue irréaliste dans la mesure où le Royaume Uni avait déjà pris sa décision.

Le conseil de M. Paul CLAVIN au ministre de la recherche a donc été de continuer la négociation avec le Royaume Uni si l’intérêt national se trouvait là. Or l’idée de base de la participation française à DIAMOND complétée par des locations de lignes en Europe est que l’on pourra parvenir à une économie de 2 milliards de francs sur 20 ans tout en bénéficiant de ¾ du potentiel de SOLEIL.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI, à ce moment de la discussion a demandé si l’une des critiques faites à SOLEIL n’était pas une énergie insuffisante.

M. Paul CLAVIN a indiqué avoir effectivement posé la question à M. Yves FARGE qui invoqua alors la question de prix et indiqua qu’avec un budget sans contrainte, une énergie plus élevée aurait été choisie. Toutefois, les technologies des synchrotrons évoluant à grande vitesse, il est possible d’obtenir des performances intéressantes pour une énergie de 2,5 GeV. Au reste, l’idée d’une machine plus petite et plus spécialisée construite en France ne figure pas dans son rapport.

Une discussion s’est ensuite engagée sur l’avenir de la communauté française du rayonnement synchrotron. Pour M. Jochen SCHNEIDER, si on disperse cette communauté en Europe, son potentiel d’innovation sera modifié. Or il s’agit d’un domaine dynamique. A l’heure actuelle, la France est à la limite. Sans machine, elle perdra sa compétence. Si la décision de construire SOLEIL était prise dans 5 ans, alors les équipes nécessaires ne seraient plus disponibles car leurs membres seraient partis utiliser leurs compétences ailleurs en Europe.

M. Paul CLAVIN a alors indiqué que, s’il avait partagé ce point de vue, les conclusions de son rapport n’auraient pas été celles qu’il a proposées. Au fond des choses, M. Paul CLAVIN est convaincu qu’il est indispensable de conduire la politique des très grands instruments au plan européen. L’exemple du CERN montre qu’une coopération européenne n’a pas été dommageable pour l’IN2P3.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a souligné à cet égard, que s’il existe environ 60 synchrotrons dans le monde, un seul est international et qu’il s’agit de l’ESRF. Au vrai, en matière de rayonnement synchrotron, il est plus commode de construire et d’exploiter une machine nationale.

M. Georges CHARPAK a estimé qu’on peut retourner cet argument dans la mesure où l’on admet aujourd’hui que la décision de construire Saturne à l’échelon national a été une erreur.

Selon M. Paul CLAVIN, il est prouvé que " l’on a raté une coopération européenne ". Des propositions ont été faites à la France, auxquelles la communauté nationale n’a pas répondu. Dans un même ordre d’idée mais dans d’autres temps, selon M. Georges CHARPAK, le CERN a eu du mal à être accepté, notamment par Orsay, qui s’y était opposé.

M. Guy OURISSON, à ce moment, a estimé que l’orateur avait tenu des propos contradictoires sur la question de l’évolution technologique des synchrotrons. D’un côté, il a été dit que l’on est sur un plateau pour l’évolution de cet instrument. D’un autre, il a été avancé qu’il serait avantageux de décaler la décision dans le temps pour intégrer les derniers perfectionnements.

M. Jochen SCHNEIDER a alors fait le point sur cette question. S’agissant de la technologie des anneaux de stockage, même s’il existe peut-être encore un facteur 10 ou 100 à gagner, " on est à peu près à l’optimum ". En revanche, des progrès restent à faire, très importants ceux-là, sur les lignes de lumière. Par ailleurs, et sur un plan différent mais complémentaire, des idées nouvelles existent qui ne concernent pas les anneaux.

Ainsi au laboratoire DESY de Hambourg, des travaux sont menés sur les accélérateurs linéaires dans la perspective de la mise au point de lasers à électrons libres. Certes, plusieurs étapes seront nécessaires pour aller vers des longueurs d’onde courtes correspondant aux rayons X. Mais une expérience récente a démontré la validité du concept pour une longueur d’onde de 109 nm. Bien sûr, des délais importants seront nécessaires pour atteindre la fiabilité de tels dispositifs expérimentaux mais il s’agit là du développement à terme de nouveaux moyens d’analyse. Dans l’intervalle, il faut bien évidemment des anneaux de stockage pour produire des rayons X.

M. Philippe LAREDO a alors remarqué qu’environ 250 millions de francs par an provenant du BCRD sont consacrés au rayonnement synchrotron. Cette dépense serait plus élevée de 40 % si l’on amortissait les machines, ce qui démontre a contrario qu’avec ce mécanisme, le renouvellement du LURE n’aurait pas posé de problème de financement.

De fait, pour M. Paul CLAVIN, le BCRD n’étant pas extensible, il est nécessaire de faire des choix et d’établir des priorités.

S’agissant de l’avenir de la communauté française des concepteurs de synchrotrons dont la qualité est reconnue, M. Philippe LAREDO a souligné que la vie de cette communauté dépend de ses travaux de conception et d’exploitation du LURE et qu’après s’être encore " affutée " lors de la création de l’ESRF et de l’APD SOLEIL, elle doit avoir de nouveaux objectifs.

Selon M. Paul CLAVIN, la communauté française devrait participer de manière active à la conception de la machine franco-britannique, comme le demande la partie anglaise.

A la demande de M. Philippe LAREDO, il a par ailleurs été précisé par M. Paul CLAVIN qu’à son avis, le chiffre de 350 millions de francs présenté comme le montant de la participation française au projet DIAMOND ne comprend pas les salaires du personnel français et ne représente donc que l’investissement en capital sur le sol britannique pour construire la machine et les laboratoires français.

M. Jochen SCHNEIDER a rendu compte de ses contacts avec de nombreux chercheurs britanniques dont aucun ne comprend la position française.

A la demande de M. Philippe LAREDO portant sur l’hypothèse de deux machines d’énergies différentes et sur la localisation de la machine française, M. Paul CLAVIN a indiqué que " son rapport comportait d’autres études ".

Après avoir remercié M. Paul CLAVIN pour sa contribution à l’information du groupe de travail, M. Christian CUVILLIEZ, Député, Rapporteur a accueilli M. Jean-Claude LEHMANN, Directeur de la recherche du groupe Saint Gobain.

*

M. Jean-Claude LEHMANN a commencé par rappeler ses anciennes fonctions de directeur scientifique du CNRS au moment où la décision de construire l’ESRF a été prise, sa participation au Conseil des grands instruments et sa présidence du conseil d’administration de l’Institut Lauë-Langevin de Grenoble.

Ce sont ces différentes fonctions, sa spécialité de physique atomique et moléculaire et ses responsabilités de directeur de la recherche du groupe Saint Gobain depuis 12 ans auxquelles s’ajoutent sa vice-présidence du conseil supérieur de la recherche et de la technologie et son appartenance au Conseil national de la science, qui sont à la base de son appréciation de la situation française dans le domaine du rayonnement synchrotron.

Pour M. Jean-Claude LEHMANN, la situation actuelle est trop émotionnelle, alors que, pour prendre des décisions dans ces domaines, il faut disposer d’éléments les plus objectifs possibles. Ceci est d’autant plus vrai qu’une controverse malsaine s’est développée entre les lobbies de la physique et de la biologie autour de la question des grands instruments.

Au reste, l’absence du Conseil des très grands instruments se fait cruellement sentir, en laissant le champ libre aux approches émotives. En tout état de cause, il serait nécessaire de créer de nouvelles structures, par exemple un comité des très grands équipements européens qui traiterait en permanence de cette question.

S’agissant du point de vue de l’industrie sur l’importance du rayonnement synchrotron, on retrouve un paradoxe français. Alors que les installations comme le LURE et l’ESRF et les spécialistes français du domaine sont excellents, l’industrie française ne tire pas suffisamment parti des avantages que ces deux atouts pourraient lui apporter, contrairement à ce que l’on observe dans d’autres pays.

Mais ce paradoxe français va encore plus loin dans d’autres domaines, puisque la France qui, dans les rangs de son industrie, compte pourtant avec Saint Gobain le premier verrier mondial, n’a pas de centre de recherche sur le verre sur son sol. En tout état de cause, " il faut que la France garde un apport intellectuel à offrir aux industriels ".

Les industriels sont toutefois conscients que le rayonnement synchrotron devient un outil parmi d’autres pour l’étude des matériaux, le traitement de surface, la pharmacie où il est d’une grande utilité pour l’analyse des structures, les analyses dynamiques et l’imagerie. L’industrie est consciente du fait qu’il lui faut des outils de plus en plus performants et qu’il lui faut apprendre à les utiliser.

Au reste, le monde académique n’a pris que tardivement conscience de la nécessité de collaborer avec l’industrie. Quant aux industriels, ils n’ont pas l’habitude de travailler sur les très grands instruments et ont tendance à les considérer comme des outils au service de la recherche publique, principalement.

Comment améliorer cette situation ?

L’industrie française ne s’impliquera que difficilement dans des investissements relatifs à des grands instruments, contrairement à ce que l’on observe de la part de l’industrie dans d’autres pays. Le raisonnement invoqué est le niveau des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les entreprises empêche leur implication, alors qu’avec les niveaux inférieurs que l’on trouve dans d’autres pays, les entreprises peuvent trouver naturel de participer à des investissements dans des machines comme les synchrotrons. A ceci s’ajoute sans doute une meilleure vision de la part des entreprises étrangères de ce que des investissements de ce type peuvent leur apporter. Des facteurs psychologiques, culturels et sociaux font qu’en France, " tout doit passer par l’Etat ".

M. Jean-Claude LEHMANN a rappelé qu’il a suggéré dans diverses instances que les investissements dans les très grands instruments bénéficient d’un avantage fiscal, puisque aussi bien la fiscalité est une des seules armes de l’Etat dans nos économies ouvertes. Au demeurant, l’avantage fiscal est attrayant pour les entreprises comme le démontre le crédit d’impôt recherche, car il permet de convaincre que la recherche " apporte quelque chose " à court terme. Il est donc important d’avoir une réflexion dans ce domaine.

En tout état de cause, l’intérêt des entreprises pour les grands instruments ira croissant car lorsqu’il faut mener des développements de plus en plus rapidement, il faut des quantités d'information importantes dans des délais de plus en plus courts. Dans le cas de l’industrie verrière, le paradoxe est que, si " l’on ne sait pas ce qu’est le verre ", il faut aussi mettre au point des produits de plus en plus complexes.

M. Jean-Claude LEHMANN a exprimé la conviction que le rayonnement synchrotron sera de plus en plus nécessaire parce qu’il apporte une réponse rapide pour l’acquisition des données. S’il est difficile de savoir le nombre de lignes de lumière nécessaires pour la France, il est toutefois clair que " l’on ne s’en sortira pas seulement en faisant le projet britannique ".

En tout état de cause, quels que soient les projets, il faut d’emblée intégrer la dimension des relations avec l’industrie.

Une critique a été faite à SOLEIL, celle de ne pas intégrer la dimension européenne. Sur ce point, M. Jean-Claude LEHMANN adhère à la position du ministre de la recherche. Il faut effectivement une politique européenne au niveau des très grands instruments, de même que les Etats-Unis ont une politique globale en la matière. La dimension européenne doit s’ajouter aux projets nationaux, car les industriels sont désormais européens. Au demeurant, " l’implantation a désormais une signification au niveau européen ". Le projet SOLEIL a souffert en tout état de cause de présenter des lacunes en ce qui concerne le " raisonnement européen qu’il est souhaitable d’avoir ".

Toutefois, compte tenu de leur expérience avec l’ESRF, il est clair que les industriels auront besoin de davantage d’accès directs aux lignes de lumière, sans passer par les filtres des comités de programme et les collaborations avec les universitaires.

Au reste, " nous n’avons pas été au bout de nos réflexions sur la nature de la recherche ", en dégageant les caractéristiques spécifiques de la recherche fondamentale, de la recherche appliquée, de la recherche technologique et de la recherche industrielle. Mais il est un autre problème plus grave aujourd’hui.

La recherche fondamentale, indispensable pour accroître le capital de connaissances humaines, est une démarche qui appartient au fonds culturel de l’humanité. A côté de la recherche fondamentale, une grande partie de la recherche, y compris celle qui est effectuée dans les laboratoires publics, a une vocation d’application, en réponse à des demandes sociales très différentes. Or, à l’image du fonctionnement du cerveau tel qu’il est décrit par les biologistes, le même chercheur peut faire les deux mais en faisant probablement appel à des régions différentes de son cerveau. La recherche n’a certainement pas mené assez loin la réflexion sur cette question, un sujet au demeurant difficile.

Ce problème se pose avec le rayonnement synchrotron. L’industrie qui a des objectifs finalisés, peut certes traiter différents sujets dans le cadre de collaborations avec des laboratoires publics, mais le passage obligé par des comités de programme pour l’accès aux lignes de lumière rallonge les délais et met en évidence des différences de logique en terme de rapidité d’exécution des recherches.

M. Jean-Claude LEHMANN a déclaré son accord à une participation de l’industrie aux frais de fonctionnement des grands instruments, y compris aux frais d’amortissement de ceux-ci mais il a fait remarquer que les entreprises choisissent toujours la solution la plus économique. La collaboration avec les laboratoires publics qui permet de ne payer que le coût marginal, revêt un intérêt évident. En prolongement de ce qui est fait à l’ESRF, une réflexion préalable sur tous ces aspects est donc nécessaire si la décision est prise de construire un nouveau synchrotron en France.

S’agissant de la nécessité d’une ou deux machines, M. Jean-Claude LEHMANN a estimé que DIAMOND ne semble pas pouvoir répondre à tous les besoins de l’industrie. Certes, les conditions d’accès ne sont pas encore connues mais il apparaît nécessaire de trouver la voie de construire une deuxième machine, soit " clonée " soit complémentaire, ce qui reste à déterminer.

Mais l’on ne saurait passer sous silence le problème des personnels du LURE. Une telle question ne se résout pas par un coup de baguette magique. L’expérience montre que les coûts d’une catastrophe humaine sont énormes. A cet égard, le LURE est un " cas d’école ". Le LURE comprend un ensemble de personnels dont un grand nombre ont des compétences rares. Quel avenir leur est-il proposé ?

Le surcoût de la catastrophe humaine qui se dessine ne semble pas pris en compte, ce qui est inacceptable du point de vue d’un industriel.

Au vrai, le problème majeur de la recherche publique est celui de la gestion des ressources humaines, qui, si elle était plus performante, permettrait de générer des économies considérables.

L’industrie consacre des moyens importants à la gestion de ressources humaines, pour écouter, former et mobiliser notamment les personnels. Dans la recherche publique, on ne sait qu’évaluer. L’exemple du CNRS est éclairant, avec un entretien par carrière et par chercheur, alors que l’industrie en réalise un par an. Compte tenu du poids de la recherche publique, il faut affecter des moyens importants à la gestion des personnels, ce qui peut générer un retour important.

S’agissant de la deuxième machine, si elle ne doit pas nécessairement être à Orsay, la question de sa localisation se pose néanmoins.

Le siège des activités de Saint Gobain se situe pour un tiers en France, un tiers dans les autres pays d’Europe et le dernier tiers ailleurs dans le monde. Pour autant, en l’état actuel des choses, une entreprise a besoin de posséder un fonds culturel, un besoin dont on ne peut d’ailleurs être sûr qu’il perdurera.

De quoi une entreprise a-t-elle besoin pour rester française ? Elle a certes besoin qu’une part importante de son capital soit française et que son président soit français, comme c’est le cas pour Saint Gobain.

Mais les conditions de production n’étant pas toujours compétitives en France, les produits pouvant être transportés sont d’ores et déjà produits ailleurs, ce qui laisse sur le territoire national les autres produits et les activités de distribution.

Dans ces conditions, l’un des apports essentiels de la Nation à ses entreprises est l’apport intellectuel que constituent l’éducation et la recherche. Une entreprise internationalisée comme Saint Gobain comprend certes des personnels de différentes nationalités mais détache beaucoup de salariés français à l’étranger.

Concernant la recherche, le groupe Saint Gobain, s’il n’a pas décidé d’externaliser sa recherche comme l’industrie pharmaceutique qui la confie de plus en plus à des " start up ", crée de plus en plus de laboratoires à l’étranger.

Toutefois Saint Gobain construit en France à l’heure actuelle un laboratoire de 150 personnes, après avoir mis deux ans – un délai au demeurant inacceptable – pour obtenir un permis de construire.

En tout état de cause, c’est bien la recherche " la plus précieuse " qui sera faite en France, la recherche sur la technologie de base qui permet de garder des positions de compétitivité par rapport aux concurrents, dans des métiers qui se rationalisent au plan mondial. Pour cette raison essentielle, le groupe Saint Gobain tient à garder sa recherche d’importance majeure en France mais cette décision ne se justifie que si des compétences existent dans notre pays et si les moyens de la recherche publique sont accessibles.

A cet égard, la collaboration de proximité reste un avantage non négligeable, à la fois pour des contacts quotidiens et la confidentialité. Alors que Saint Gobain travaille en permanence avec 100 à 150 laboratoires universitaires dans le monde, il lui faut un point d’ancrage fort en France. A cet effet, d’une part la connivence avec la recherche française doit être renforcée, d’autre part il est nécessaire que ses chercheurs disposent de tous les moyens nécessaires, y compris le rayonnement synchrotron et que la recherche publique prenne en compte les objectifs de la recherche technologique. Même si le groupe Saint Gobain n’est pas un grand utilisateur du rayonnement synchrotron, l’existence d’un instrument national rentre dans ce cadre général.

M. Jean-Claude LEHMANN a conclu sa présentation en indiquant qu’il est certes possible d’aller au Royaume Uni voire en Allemagne mais ce n’est pas une décision neutre. En tout état de cause, " il faudra probablement sortir de là avec deux machines dont une en France, dont le lieu ne devra pas obligatoirement être Orsay ".

Faisant état des informations rassemblées par le groupe de travail, M. Pierre POINTU a indiqué qu’elles convergent pour établir que le synchrotron constitue un très instrument d’une nature particulière. Il s’agit d’un outil interdisciplinaire, utilisé par plus de 500 laboratoires en France pour des recherches dont 30 % seulement sont non appliquées ou fondamentales mais déboucheront sur une application à un horizon plus ou moins éloigné. Au demeurant, les synchrotrons constituent également un support précieux pour favoriser la collaboration entre l’industrie et la recherche publique.

Dans ces conditions, les critères d’accès à la machine et le management des lignes de lumière apparaissent-ils comme des éléments déterminants pour l’industrie ?

M Jean-Claude LEHMANN a fait connaître son accord avec cette analyse du rôle des synchrotrons. Même si leurs adversaires disent le contraire et soulignent l’importance supérieure du soutien aux petites équipes, les synchrotrons, de même d’ailleurs que les sources de neutrons, sont des équipements pluridisciplinaires et des lieux de rencontre dont le fonctionnement doit être optimisé à cet égard. Les synchrotrons ont ainsi un rôle structurant sur la recherche.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a alors souligné que les propos de M. Jean-Claude LEHMANN corroborent les indications du rapport américain " Unlock our future ". Pour les auteurs de ce dernier, il existe trois types de recherche : la première est la " understanding driven research ", la deuxième est la " targeted basic research " et la troisième est la " mission targeted research ". La recherche conduite avec les synchrotrons a son centre de gravité sur les deux dernières catégories, à savoir la recherche de base ciblée et la recherche sur objectifs. Au demeurant le synchrotron est un lieu privilégié pour la recherche académique et la recherche industrielle ainsi que pour leur collaboration.

M. Georges CHARPAK a alors indiqué avoir été frappé par les propos de M. Jean-Claude LEHMANN sur la gestion des ressources humaines. On peut à cet égard se demander s’il serait possible, compte tenu des résistances actuelles, d’implanter une nouvelle machine de 2,5 GeV ailleurs qu’à Orsay.

M. Jean-Claude LEHMANN a indiqué que l’on rencontre toujours des difficultés pour déplacer un laboratoire, fût-ce de quelques kilomètres comme le montrent les obstacles rencontrés par Saint Gobain pour le déplacement d’un de ses laboratoires du Pontet vers Cavaillon, deux lieux pourtant proches l’un de l’autre. Tout montre que les personnels concernés acceptent de tels transferts à condition que des délais soient prévus, que des moyens importants permettent des dédommagements et que des aides soient fournis pour résoudre les problèmes de scolarité et de mutation des conjoints.

A ce propos, M. Pierre POINTU a remarqué qu’un tel déplacement d’activité engendre des craintes naturelles qui se traduisent par des protestations et qu’il faut prendre en compte en aidant les personnels à être mobiles, par un travail de fond. Au demeurant, si la solution était retenue d’une dispersion des équipes du LURE, le problème ne se résumerait pas aux scientifiques pouvant retrouver une affectation sur la base de leurs compétences spécifiques mais concernerait également les personnels d’accompagnement. En tout état de cause, si l’on ne construit pas de machine en France, les coûts de continuation ou de fermeture du LURE devront être incorporés à ceux de la solution DIAMOND.

M. Philippe LAREDO a souligné que les conseils régionaux accordent souvent des aides à la mobilité et que moyennant une approche professionnelle, il est possible d’obtenir l’adhésion des personnels. Il reste la question des équipes d’accompagnement et celle des jeunes chercheurs dont la rupture avec le projet est d’autant plus facile qu’ils sont plus brillants. Par ailleurs, même s’il existe des traditions et des cultures scientifiques fortes dans notre pays, il est néanmoins possible de faire changer les choses. On peut regretter à cet égard qu’un consortium d’industriels n’ait pas accepté d’investir même 40 millions de francs dans le projet SOLEIL car cette participation l’aurait sans aucun doute fait avancer.

Une discussion s’est alors engagée sur la question des consortiums. M. Jean-Claude LEHMANN a remarqué à cet égard qu’à la différence des entreprises américaines, les sociétés européennes ont des difficultés à constituer des consortiums. Parmi les facteurs de blocage, on peut citer la crainte des autorités de la concurrence et les obstacles juridiques ou fiscaux mis en avant tour à tour par les juristes ou les fiscalistes de l’entreprise. Il est sûr que la création de consortiums devrait progresser en Europe.

M. Vincent MIKOL a précisé à cet égard qu’Aventis est engagé dans des consortiums européens qui fonctionnent d’une manière satisfaisante mais qui sont souvent initiés par des sociétés britanniques. Il semble effectivement qu’il y ait là une différence culturelle et fiscale par rapport au monde anglo-saxon.

M. Jochen SCHNEIDER a donné, pour sa part, des apaisements sur cette question. Des sociétés allemandes ont, en effet, racheté récemment des parts du consortium que 11 sociétés américaines ont créé pour accéder à des lignes de lumière d’Argonne dédiées aux sciences de la vie.

M. Jean-Claude LEHMANN a précisé également que Saint Gobain participe à des consortiums d’entreprise aux Etats-Unis. Au reste, pour M. Vincent MIKOL, certaines de ces sociétés ne se lanceraient pas, si elles devaient aujourd’hui prendre position, dans un engagement à long terme sur des lignes spécifiques. Plutôt que d’avoir un accès permanent à des faisceaux de qualité moyenne, le choix serait aujourd’hui d’acheter du temps machine aux synchrotrons disposant des meilleures lignes sur le marché.

Par ailleurs, M. Pierre POINTU a estimé nécessaire que les choix relatifs aux investissements de recherche prennent en compte leurs retombées fiscales et sociales. La même dépense faite pour la construction d’une machine en France ou au Royaume Uni génère un retour d’un tiers pour le Trésor Public, en France ou chez nos voisins britanniques. En tout état de cause, il faut que l’Etat raisonne dans ses choix d’investissement pour le synchrotron en intégrant ce facteur, c’est-à-dire en élargissant le cadre d’analyse du BCRD au budget total de la France.

Après avoir remercié les participants pour le nouvel éclairage qu’ils ont porté sur la question du synchrotron M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a levé la séance.

Annexe (page suivante) :

Note remise aux Rapporteurs par les représentants du LURE

 

 

Note demandée par l'O.P.E.C.S.T. dans le cadre de la saisine

"Les conditions d'implantation d'un nouveau synchrotron"

sur :

"les déterminants du coût des synchrotrons et les moyens de limiter

les dépenses d'investissement et de fonctionnement afférentes"

 

 

Rédigée par M Bessière et J. Daillant avec le concours de D. Chandesris, R. Comes, R. Fourme, P. Lagarde, MP. Level, L. Mélard, P. Morin, M. Sommer, A. Tadjeddine, F. Wuillemier

Contacts: M. Bessière 0164468125 bessiere@lure.u-psud.fr

J. Daillant 0164468225 daillant@lure.u-psud.fr

 

  1. les différents postes de coûts dans un synchrotron et notamment la répartition des coûts entre l'injecteur, l'anneau de stockage et les lignes de lumière (question 1)

Les chiffres donnés sont tirés de l'APD SOLEIL (voir tableau 3.2.1-1 du chapitre IX) et comprennent les aléas. Les coûts de construction hors salaire peuvent se répartir en trois gros postes, les pourcentages étant comparables d'une machine à l'autre :

- bâtiments et infrastructures : 437 MF 40%

- sources : 345 MF 32%

- expériences : 306 MF 28%

Remarques:

  • le poste bâtiments et infrastructures comprend les moyens centralisés en informatique (réseau notamment)
  • le poste sources comprend en plus de l'injecteur (80 MF) et l'anneau (190 MF), les éléments d'insertion pour les 14 lignes possibles de ce type (1.7MF en moyenne * 14) et les 24 premières têtes de lignes de lumière (1 MF en moyenne * 24)
  • le poste expériences comprend la partie ligne de lumière (optique essentiellement), la partie station expérimentale et les laboratoires associés (préparation d'échantillons), évalué pour 24 lignes.

 

 

  1. l'influence de l'énergie de la machine sur son coût final et les coûts d'une montée en énergie après la construction initiale (questions 2 et 5)

Deux cas peuvent être considérés :

  • une machine conçue pour 1.5 GeV pouvant évoluer vers 2.5 GeV

SOLEIL est pris comme référence de la machine 2.5 GeV.

Pour disposer in fine du nombre optimal d’insertions pour la machine de 2.5 GeV, l’anneau construit au départ pour fonctionner à 1.5 GeV comportera le nombre de cellules prévu dans une telle machine (16 cellules) et aura donc la circonférence nécessaire (337 m). Le bâtiment sera de taille très similaire à celui prévu sur SOLEIL. Le linac de 100 MeV reste inchangé, le booster garde la même circonférence mais fonctionne entre 100 MeV et 1,5 GeV.

  • La seule économie sera sur la puissance des éléments magnétiques et des cavités accélératrices, donc en conséquence sur les infrastructures : électricité, refroidissement, climatisation. Elle peut être évaluée à 24MF d’investissement et 15 MF d’économie de fonctionnement sur 8 ans ( en fait 4 ans de construction et 4 ans de réel fonctionnement) soit un total de 39 MF (voir détail du calcul en Annexe 1).

  • Quand on passera de 1.5 GeV à 2.5 GeV le coût sera alors de 43.7 MF.

  • Soit un surcoût final de 5 MF par rapport à construire dès le départ la machine à 2.5 GeV

(rappel : coût de construction (investissement + fonctionnement sur 8 ans) hors salaire = 1350 MF).

 

Remarque: pour le poste expérience aucune économie n'est à attendre, le nombre de lignes de lumière constructibles étant équivalent.

 

  • une machine conçue pour rester figée à 1.5 GeV

Il existe pour chaque énergie de machine une taille minimale et un nombre de cellules optimum, donc de sections droites où l'on met les insertions. Ce nombre est de 10 à 12 pour une machine de 1.5 GeV. Le nombre possible de lignes de lumière va donc aussi diminuer avec l'énergie et in fine le coût peut être évalué en première approximation en prenant une loi linéaire en fonction de la taille de la machine.

L'investissement de 80 MF correspondant à l'APD SOLEIL sera perdu.

La perte de temps et le coût liés à une nouvelle APD est à considérer.

  • En partant des coûts connus de l'ESRF (6 GeV) et avancés pour SOLEIL (2.5 GeV) on arrive à un coût de construction (investissement + fonctionnement sur 8 ans) hors salaire de 1180 MF (voir détail du calcul en Annexe 2)

  • Cette machine aurait des performances analogues à SOLEIL opérant à 1.5 GeV. Elles restent très inférieures à SOLEIL opérant à 2.5 GeV (voir Annexe 3).

 

Récapitulatif:

 

 

SOLEIL 2.5 GeV 1350 MF

Machine 1. 5 Gev pouvant évoluer à 2.5 GeV 1355 MF !!!

(économie = 39 MF; montée à 2.5 GEV = 44 MF)

Machine figée à 1.5 GeV

Avec une taille optimale 1180 MF

Avec une taille réduite 820 MF

 

Rappels importants:

  • SOLEIL a été optimisé pour 2,5 GeV, énergie choisie après une large concertation de la communauté scientifique à travers des ateliers (voir réponse à la question 10 "Les raisons du choix de l'énergie de SOLEIL à 2.5 GeV" dans le document "Réponse aux questions de l'OPECST février 2000").

 

  • L'idée de construire une machine de 1,5 GeV ne correspond à aucune demande de la communauté scientifique. La structure de base de cette machine hypothétique n'a été évidemment proposée par personne : des éléments importants comme la taille, l'énergie des faisceaux et surtout la brillance n'ont fait l'objet d'aucune définition.

 

  • Une machine de 1.5 GeV ne répondrait ni à l'ensemble des besoins de la communauté des Sciences des Matériaux ni à ceux de la communauté des Sciences de la Vie : les deux communautés ont à la fois besoin des basses énergie (<1 KeV) et des moyennes énergies (>5 KeV). De plus cette énergie ne constitue pas un optimum pour satisfaire les besoins en basse énergie (voir l'exemple de l'ALS).

 

  • Une machine de 1.5 GeV devrait être complétée en plus par un accès à une machine d'énergie de 2.5 GeV ou plus, et donc le coût réel d'une telle stratégie est :

machine de 1.5 GeV : 1930 MF (budget consolidé salaire compris sur 8 ans

7 lignes onduleurs en Angleterre par exemple (chiffres comparables à ceux donnés par Y. Petroff):

350 MF (machine et infrastructures, chiffre annoncé par le ministère; pour 7 lignes de lumière sur éléments d'insertion ce chiffre paraît très sous-estimé à tous les experts)

100 MF (7 lignes avec insertions et têtes de lignes comprises)

480 MF (fonctionnement et salaires sur 8 ans)

sous-total: 930 MF

total: 2860 MF à comparer à SOLEIL 2100 MF

Voir en annexe 4 quelques remarques sur l'ALS (passage de 1.5 GeV initial à 1.9 GeV) et Doris (passage de 3 GeV à 4.5 GeV)

 

  1. la fourchette de coûts pour les types de ligne de lumière sur aimant de courbure, sur onduleur ou sur wiggler et les grandes catégories de coûts pour les différents types de postes expérimentaux, selon les techniques mises en œuvre (questions 3 et 4)
  2. D'une manière générale les prix des lignes de lumière sont comparables quel que soit le type de source insertion (onduleur, wiggler) ou aimant de courbure. Dans le cas des onduleurs le coût de l'optique serait dû au fait que l'on cherche à utiliser les performances ultimes de la source en terme de focalisation ou résolution, pour les aimants de courbure au fait de corriger l'étendue horizontale de la nappe. Cette affirmation se comprend hors coût de l'élément d'insertion qui est compris dans le poste sources.

    Par contre le prix d'une ligne de lumière va pouvoir fortement varier suivant la thématique menée sur la station expérimentale : dans le cas des études de surface la mise en place d'une MBE (Molecular Beam Epitaxy) va augmenter le budget jusqu'à 4 M, de même l'utilisation d'un détecteur CCD performant pour les études cristallographiques par exemple en Sciences de la Vie va aussi donner un coût additionnel de l'ordre de 4 MF.

    Compte tenu d'une remise à jour du chiffrage de l'APD SOLEIL lié notamment aux gains en performance sur l'optique (alignement automatique, robotisation) et à la remarque précédente, nous avançons un coût d'investissement hors salaire pour une ligne de lumière, y compris la station expérimentale mais sans la tête de ligne (environ 1MF) et l'élément d'insertion (en moyenne 1.7 MF), de 13 à 18 MF (contre 12 MF dans l'APD SOLEIL). Ce prix est donné à partir d'exemples concrets empruntés à ELETTRA, à l'ESRF et aux lignes de LURE transférables sur SOLEIL (voir détail en Annexe 5).

    Le chiffre de 20 MF pour une ligne de lumière avancé par certains part de l'évaluation à 12 MF auquel on ajoute les salaires du personnel nécessaire pendant la période de construction et de réception (4 ans).

     

  3. la possibilité réelle de se limiter dans un premier temps à des équipements de base et de programmer dans le temps des équipements additionnels, afin d'étaler la charge d'investissement sur plusieurs années (équipement différé de sections droites; installation progressive des lignes de lumière) (question 6)

Dans le cas de l'APD SOLEIL cette stratégie a été proposée avec dans la phase de construction et de début d'exploitation (8 ans en tout) la mise en service :

  • en phase 1 (années 1 à 4, avec en année 4 démarrage de la machine pour les utilisateurs) de 10 lignes de lumière (dont 4 venant de LURE) essentiellement sur élément d'insertion

  • en phase 2 (années 4 à 8) 14 lignes supplémentaires (les 14 éléments d'insertion possibles seront alors occupés)

  • en phase 3 (au delà de la 8ème année) construction des 16 lignes restantes sur aimant de courbure

Remarques:

- Cet étalement correspond aussi à ce qui a été fait à l'ESRF où la construction de 30 lignes de lumière dites publiques et sur élément d'insertion a été étalé sur 11 ans avec en plus la réalisation d'une dizaine de lignes CRG sur aimant de courbure.

- Construire encore moins de lignes dans la phase 1 et 2 serait un vrai gâchis comme l'a montré la mise en service d'autres installations où le programme expériences avait été réduit.

  1. les économies d'échelle en cas de regroupement de commandes en Europe pour différents équipements très onéreux et les économies d'échelle en cas de construction concertée de plusieurs machines similaires (questions 7 et 8)

Répondre directement à ces questions nous paraît difficile sans avoir une définition plus fine des projets à réaliser. Par contre nous pouvons donner quelques faits concrets:

- SOLEIL nécessite 32 aimants dipolaires, 160 quadripolaires et 108 hexapolaires. Il n'est donc pas possible de passer la commande à un seul constructeur car aucun n'a la capacité pour les réaliser de front!!

- Si on construit 2 radio-fréquences identiques on peut tabler sur une économie de l'ordre de 10%.

- Sur les bâtiments aucune économie est envisageable, vu qu'ils feront sans aucun doute appel à des entrepreneurs nationaux

- sur l'infrastructure cela est difficile à chiffrer, peut-être peut-on obtenir des prix au niveau du réseau informatique par exemple.

- sur les lignes, presque toutes sont différentes mais on peut imaginer un gain marginal sur une commande de plusieurs composants. A l'heure actuelle en Europe un consortium MULTEX (FMB, BESTEC, VARIAN, CABURN, IRELEC, ANKA) offre un catalogue comprenant un grand nombre de composants pour les lignes de lumière allant jusqu'aux miroirs et monochromateurs. De même la société britannique OXFORD a un tel catalogue. Les économies que l'on peut attendre sont de l'ordre de 15 à 25% sur les prix catalogues si on commande en grand nombre (une dizaine d'unités).

 

Rappel important : Des économies d'échelle sont envisageables en partant de la R et D quelle soit au niveau des machines (radiofréquence, magnétisme, vide, etc…) ou au niveau des lignes de lumière (optique adaptative, pilotage, alignement automatique, robotisation des prises de données, standardisation de certains éléments, etc….).

Il faut bien considérer de plus que dans la vie d'une installation synchrotron, la machine reste relativement figée, alors que les expériences sont essentiellement évolutives. Les collaborations et échanges à l'échelle de l'Europe, tant scientifiques que techniques, sont donc primordiales pour minimiser les coûts et assurer un développement harmonieux et efficace.

Des exemples existent déjà de collaborations européennes dans ce domaine de la R et D: via l'accord tripartite entre la Grande Bretagne, la Suisse et la France (kickers de SLS développés avec LURE), avec le développement par le groupe SOLEIL-CEA-CNRS d'une cavité supra pour la radio-fréquence qui va être reprise par d'autres centres, par le prêt de bancs de mesure des éléments magnétiques par ELETTRA à SLS, etc…

 

 

 

Annexe 1:

 

Détail du coût d’une machine ayant la même structure que SOLEIL

mais fonctionnant à 1,5 GeV avec possibilité de monter à 2.5 GeV

rédigé par MP Level

Investissement

Anneau et booster :

  • Eléments magnétiques : Pour les dipôles, le champ passera de 1,57 T à 0,936 T. (rappelons qu’ils ont été optimisés aussi pour ce champ). On pourrait modifier légèrement l’épaisseur de la culasse et la dimension des bobines mais la différence de coût serait marginale car le coût de la matière ne représente que 10% du coût. De plus il serait exclu de changer ensuite l’énergie, enfin le coût des salaires de l’APD serait perdu, perte qui dépasserait certainement le gain.
  • Les alimentations : Le courant étant dans le rapport des énergies, la puissance des alimentations de l’anneau va être x 0,36.

Le coût des alimentations étant proportionnel à la racine carrée de la puissance (évidemment cela dépend aussi de la technologie) on aura une diminution de coût de 28.484 MF x (1- 0,6) = 11.395 MF.

  • Système RF (anneau):

Le cryomodule et le système cryogénique restent inchangés tandis que la puissance de l’émetteur est réduite de 600 kW à 80 kW. Le coût passe de 9.4 MF à 2.3 MF

  • Sytème RF booster :

L’émetteur passe de 1 MF à 0.200 MF

La diminution de coût est donc :10.4 – 2.5 = 7.9 MF

Infrastructures :

Il y aura une répercussion sur les infrastructures : L’alimentation électrique, le refroidissement :

Anneau : Elements magnétiques : 2200 kW passera à 792 kW

RF 1800 kW 400 kW

Booster : Elements magnétique : 1250 kW passera à 450 kW

L'ensemble du process passera de 5365 kW à 1642 kW alors que les autres besoins restent toujours à 3613 kW.

Le total est donc de 5255 kW et 6655 kW (avec le chauffage) au lieu 8441 et 9841 kW.

On pourra donc diminuer les capacités de l’installation :

Au niveau des postes électriques : économie de 1 MF

Au niveau du groupe de froid : économie de 1,6 MF

Au niveau de la tour de refroidissement : économie de 2,2 MF

Le total de l’économie à l’investissement est donc de 24 MF

Fonctionnement :

L’économie par an sur l’électricité est de 3,5 MF et sur l’eau de 0,2 MF soit au total  3,7 MF.

Pour monter en énergie à 2.5 GeV, il faudra changer les alimentations soit 28.484 MF, changer les émetteurs soit 10,4 MF et augmenter la puissance des infrastructures soit 4,8 MF. Le coût total de l’opération sera de 43.7 MF

 

 

Annexe 2:

 

Coût d'une installation en fonction de la taille de la machine

Nôtre estimation du coût ( C ) comprend le coût d'investissement et de fonctionnement hors salaires sur 8 ans pour la construction et l'exploitation à partir de l'année 4.

Remarque: Il existe pour chaque énergie de machine une taille et un nombre de cellules optimum, donc de sections droites où l'on met les insertions.

 

Deux types de calculs peuvent être fait:

  • C fonction linéaire de la taille de la machine : C = a * circonférence de l'anneau + b

(dans cette hypothèse le nombre de cellules varie avec la taille conformément à la remarque précédente)

ESRF (6 GeV, 866m, 30 lignes): 2.5 milliard de francs = a * 0.866 + b

SOLEIL (2.5 GeV, 337m, 24 lignes): 1.35 milliard de francs = a * 0.337 + b

Donc en GF C = 2.17 * circonférence en km + 0.62

    • Le nombre optimal de cellules est de 10 à 12 pour une machine de 1.5 GeV ce qui conduit à une machine de 260m et donc à un coût :

C (1.5 GeV, 260m) = 1.18 GF

    • Si on prend l'exemple de MAX2 de 90m de circonférence et donc avec une émittance, une brillance et une durée de vie dégradées on arrive à:

C (1.5 GeV,90m) = 0.82 GF

 

  • C fonction linéaire de l'énergie de la machine : C = a * E + b

ESRF (6 GeV, 30 lignes): 2.5 milliard de francs = a * 6 + b

SOLEIL (2.5 GeV, 24 lignes): 1.35 milliard de francs = a * 2.5 + b

Donc C = 0.33 * E + 0.52

Soit C (1.5GeV) = 1.015 GF

 

  • le coût d'une telle machine doit donc être estimé dans la fourchette 800 MF à 1.2 GF avec des performances plus ou moins dégradées par rapport à SOLEIL opérant à 2.5 GeV.

 

Annexe 3:

 

Performances des sources à 2,5 GeV et 1,5 GeV

 

Energie

(Gev)

Haute brillance

Tous les paquets remplis

SOLEIL 500 mA dans 396 paquets

Structure temporelle

SOLEIL

9 x 10 mA

   

Durée de vie

Brillance

Durée de vie

     

10 eV

1 keV

10 keV

 

SOLEIL

2,5

20 h

1017

2 1020

1019

18 h

1,5

1,8 h

1017

7 1019

6 1015

Wiggler*

1,8 h

ALS

1,5

1,6 h

1017

5 1018

1015

Wiggler

20 min

 

*La puissance délivrée par le faisceau sur les optiques est de 7 kW.

 

 

Annexe 4 :

 

 

Exemples de l'ALS et DORIS

 

En ce qui concerne l'ALS, tous les éléments de la machine étaient prévus pour l'énergie finale. La montée en énergie de 1,5 à 1,9 a seulement nécessité l'installation d'un nouveau système RF d'accélération, coût: quelques % du total machine.

En ce qui concerne DORIS on est passé d'un collisionneur e+e- double (2 x 3 GeV)(démarrage en 1973), à un seul collisionneur d'énergie 6 GeV, utilisant les éléments magnétiques initiaux reconstitués, puis à une source de rayonnement synchrotron (dédiée en1993). En ce qui concerne la machine de rayonnement synchrotron, l'énergie de fonctionnement est de 4,5 GeV. Une des deux longues sections droites a été modifiée en " by-pass " équipé d’insertions magnétiques séparées par de légères déviations pour la sortie de faisceaux de lignes onduleurs.

 

 

Annexe 5 :

 

Exemples de coût de lignes de lumière

Rappel: Les coûts de l'élément d'insertion et de la tête de ligne sont comptés dans celui de la machine. Ceci ne serait probablement pas le cas dans l'hypothèse d'achats de lignes sur des machines étrangères, il conviendrait alors de majorer les coûts donnés ci-dessous de 1MF pour les lignes sur aimant de courbure et environ de 2.7 MF pour les lignes sur élément d'insertion.

  • Ligne dans le domaine X (4-30 keV) :

    • Evaluation faite à partir de la construction au LURE de la ligne H10 calculée pour être transférable sur SOLEIL (aimant de courbure):

Ligne (y compris l'infrastructure) 3.7 MF

Optique (monochromateur, miroirs) 4.3 MF

Station expérimentale 5 à 10 MF suivant le type de goniomètre (de 2 à 3 MF) et de détecteur CCD ou non (4MF)

______

Total : 13 à 18 MF

 

    • Coût de la ligne D2AM/matériaux de l'ESRF (aimant de courbure) :

Coût total de l'ordre de 13 MF dont 3 MF pour les miroirs et 2 MF pour le monochromateur

    • Coût de la ligne ID1 de l'ESRF (onduleur) :

Coût total de l'ordre de 14.2 MF sans le coût de l'onduleur avec une partie de l'optique étudiée et réalisée en interne

 

  • Ligne dans le domaine X-mou (> 1 keV) :

    • Coût de la ligne APD d'ELETTRA (onduleur) :

Coût total de l'ordre de 13 MF sans le coût de l'onduleur et avec des développements en interne de façon à tirer les prix

    • Evaluation faite à partir de la construction au LURE de la ligne SU5 calculée pour être transférable sur SOLEIL (onduleur):

Version LURE : 10MF avec station expérimentale mais sans l'onduleur (2.5 MF)

Adaptation pour SOLEIL: + 4 MF

Donc coût total de 14 MF

 

 

Nous avançons un coût d'investissement hors salaire pour une ligne de lumière, y compris la station expérimentale mais sans la tête de ligne (environ 1MF) et l'élément d'insertion (en moyenne 1.7 MF), de 13 à 18 MF.

IX – Auditions de M. Vincent COURTILLOT, de M. Pascal COLOMBANI, et de M. Giorgio MARGARITONDO - mercredi 1er mars 2000

 

Pour accueillir M. Vincent COURTILLOT, Directeur de la recherche au ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a précisé que, depuis le début de l’étude de l’Office parlementaire sur les conditions d’implantation d’un nouveau synchrotron, de nombreux intervenants ont été entendus mais que " l’éclairage " du responsable de la recherche en France est essentiel pour comprendre la motivation du ministre lorsqu’il a annoncé le 2 août 1999, l’abandon du projet SOLEIL et la signature d’un accord entre la France et le Royaume Uni sur DIAMOND.

M. Vincent COURTILLOT a commencé son intervention en rappelant que la décision citée par le Rapporteur avait été précédée par deux conseils interministériels de la recherche scientifique et technique (CIRST) à la mi-1998 et la mi-1999. L’abandon de SOLEIL est donc une décision du Gouvernement dans son ensemble et du Premier ministre. Elle résulte de l’établissement de priorités et de choix effectués à l’intérieur du budget de la recherche, ce qui a conduit à revoir les équilibres entre les différents postes de dépenses.

Au demeurant, trois orientations majeures caractérisent la politique du Gouvernement dans le domaine de la recherche : d’une part la priorité à l’emploi de jeunes scientifiques, doctorants et post-docs notamment, d’autre part un soutien aux crédits de base des laboratoires et enfin, l’encouragement à l’innovation, qui s’est traduit par la loi Allègre sur l’innovation votée à l’été 1999. Pour atteindre ces objectifs, le Gouvernement dispose du BCRD (budget civil de recherche et développement), auquel il faut ajouter les crédits de l’enseignement supérieur relatifs à la recherche.

S’agissant des très grands équipements, dont les crédits ont atteint 4,6 milliards de francs en 1999, après une augmentation de 250 millions de francs de 1998 à 1999, la décision a été prise en 1998, confirmée et appliquée en 1999, de ne pas accepter pour l’année 2000 la continuation de la dérive de 200 millions de francs annoncée pour cette année, le spatial connaissant au demeurant les augmentations les plus fortes de ces dernières années.

Selon la nomenclature française, il existe en France environ 40 très grands instruments, en n’incluant pas encore, comme on le devrait peut-être, les grands équipements de l’informatique et de la biologie. Sur la recommandation du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, le ministère a amorcé une réflexion pour redéfinir l’enveloppe budgétaire des très grands équipements.

L’ampleur de l’investissement correspondant à un synchrotron classe ces derniers dans la catégorie des grands équipements. Le dossier d’un nouveau synchrotron a été abordé par le ministère dès 1997. C’est à la demande des ministres de la recherche que le CEA et le CNRS ont constitué un groupe de travail qui a délivré un rapport sur un nouveau synchrotron, l’avant-projet détaillé SOLEIL (APD).

L’analyse qui a été faite du projet SOLEIL par le ministère de la recherche a fait apparaître des points positifs et des points négatifs.

En premier lieu, la nécessité scientifique du rayonnement scientifique est acquise et il n’y a pas de remise en cause du fait que des besoins existent et doivent être satisfaits.

En second lieu, la qualité de l’APD SOLEIL et les mérites de l’équipe qui l’a conduite, en particulier ceux de M. J-F LACLARE, sont reconnus par les experts.

En troisième lieu, tous les avis recueillis sur l’APD SOLEIL sont positifs.

Toutefois le projet comportait des lacunes.

La première était la nécessité que la communauté scientifique considère les instruments d’analyse dans leur ensemble, en n’isolant pas le rayonnement synchrotron des sources de neutrons, des lasers de puissance et de la résonance magnétique nucléaire (RMN). Ceci répond d’une part à la réalité des meilleures expérimentations qui combinent souvent plusieurs méthodes d’analyse fine de la matière et d’autre part au souci du ministère de ne pas voir remonter des demandes de crédits indépendantes et concurrentes.

La deuxième lacune de SOLEIL était relative à sa prise en compte des différents champs scientifiques. L’avant-projet, au moins dans sa première version, ne dégageait pas suffisamment bien les développements scientifiques qu’il visait, avec en particulier une place au départ insuffisante – mais corrigée par la suite - accordée à la biologie.

La troisième lacune était celle d’un engagement industriel totalement absent du projet, sans perspective d’un engagement ultérieur.

La quatrième lacune était celle d’une dimension internationale insuffisante, alors que la nécessité avait été posée dès 1997 que les très grands équipements " soient au moins réfléchis dans un cadre international et européen ", même si chaque décision ultérieure ne doit pas obligatoirement être prise de construire le grand équipement à ce niveau, cette contrainte valant pour le CEA, le CNRS et le CNES.

Enfin, le Gouvernement a jugé que les groupes mandatés par le CEA et le CNRS n’avaient pas " clairement établi l’ampleur des besoins en rayonnement synchrotron de la communauté scientifique " et en conséquence le nombre de lignes et les caractéristiques de la machine à mettre à disposition des chercheurs dans un bref délai.

En conséquence, le choix du Gouvernement a été de segmenter le problème et d’apporter une réponse en plusieurs tranches. L’objectif a donc été " de décider tout de suite la construction de nouvelles lignes et de fragmenter  le complément nécessaire, tout en recherchant d’autres partenaires ", pour " mieux connaître les besoins et faire évoluer les réponses au plan technique ".

Dans cette approche, la coopération européenne occupe une place centrale. Dès la fin 1998, le ministre de la recherche est convenu, avec son homologue britannique, de l’opportunité d’étudier une solution commune susceptible de faire " se rencontrer " les projets SOLEIL et DIAMOND.

Les négociations conduites par les directeurs de la recherche, tant au Royaume Uni qu’à Paris, ont débouché sur la décision de construire une machine ensemble, avec au surplus la participation du Wellcome Trust.

Un groupe de travail a alors été formé par la Direction de la Recherche avec des représentants du CEA et du CNRS, groupe composé de 6 personnes dont deux représentants du CEA, deux du CNRS et deux du ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, et présidé par M. René PELLAT, par ailleurs Haut-commissaire à l’énergie atomique. Ce groupe a déjà tenu plusieurs réunions à Paris et à Londres, et a reçu, comme c’est la règle dans les négociations internationales, un mandat de négociation confidentiel comportant un plafond des sommes à engager et un nombre de lignes minimal à obtenir en contrepartie. Les négociations devraient aboutir dans les mois qui viennent, et rien n’indique qu’un échec soit prévisible. Au demeurant, le chef du projet SOLEIL, M. Jean-Louis LACLARE fait partie du groupe de négociation.

En prenant comme référence les caractéristiques de SOLEIL en terme de prestations, " on compte obtenir l’équivalent de la moitié de SOLEIL dans le cadre du projet franco-britannique " alors que " l’on est parti du tiers ". L’idée est donc de " mettre dans un premier temps à la disposition de la communauté scientifique la moitié de ce qu’elle avait réclamé à travers SOLEIL ".

Une deuxième tranche est simultanément étudiée, sous la forme de la mise à disposition de lignes de lumière obtenues ailleurs.

M. Vincent COURTILLOT a rappelé que la première priorité scientifique retenue par le Comité interministériel de la recherche scientifique et technique est la biologie et les sciences de la vie. Une recherche de lignes complémentaires nécessaires dans cette perspective a donc été conduite en Italie, en Allemagne et en Suisse. Aucune possibilité n’existe aujourd’hui en Italie. Il existe des lignes en Allemagne mais leur prix, pour le moment, est jugé trop élevé. C’est en Suisse que la négociation est la plus avancée autour de la source SLS. Par ailleurs, il existe une (voire deux) lignes disponibles à l’ESRF et la France a fait savoir son intérêt pour cette ligne, éventuellement dans le cadre d’un arrangement triangulaire avec l’Espagne. Il y aura donc un complément de lignes.

L’ensemble de la première et de la deuxième tranches représenteront environ 60 à 75 % de la solution SOLEIL.

Pour la suite, M. Vincent COURTILLOT a estimé " ne pas avoir une information suffisamment claire pour savoir s’il faut acquérir des lignes en plus ou construire une machine supplémentaire en France ou ailleurs, ou une machine complémentaire d’une autre nature (laser, source de neutrons) ".

D’où une autre décision, celle de constituer un groupe de travail européen, dont les derniers développements datent de la dernière semaine de février 2000.

Sur le point de très grands équipements, la décision du ministre de la recherche est que la réflexion se fasse à l’échelle européenne, ne coïncidant pas obligatoirement avec l’Union européenne.

L’idée de " coopérations à géométrie variable " dans les discussions est privilégiée par le ministre, comme elle le sera d’ailleurs, au plan général, lors de la Présidence de l’Union par la France au 2ème semestre 2000. Au demeurant, cette approche recoupe les orientations de M. Philippe BUSQUIN, Commissaire européen à la recherche, telles qu’il les a exposées dans son document " Vers un espace européen de la recherche ".

C’est ainsi qu’a été formé récemment un groupe formé des Directeurs de la recherche de 5 pays – France, Royaume Uni, Allemagne, Italie, Espagne –, porté à 6 avec le Portugal pour la flotte océanographique, auquel s’ajoutent un représentant de la Fondation européenne de la science et un représentant de la Commission européenne. Ce groupe de travail (" senior officials ") est chargé de mettre en place 3 sous-groupes techniques chargés de réaliser une analyse des besoins dans 3 secteurs.

Le premier groupe technique traitera des besoins en méthodes d’analyse fine de la matière, au premier chef le rayonnement synchrotron mais aussi les sources de neutrons, les lasers de puissance et la résonance magnétique nucléaire. Ce groupe a reçu une lettre de mission adoptée il y a 10 jours. M. Vincent COURTILLOT a demandé au CEA et au CNRS de lui proposer une liste de noms d’experts susceptibles de siéger dans ce groupe, liste au sein de laquelle il choisira les candidats à soumettre aux autres pays.

Le deuxième groupe technique fera une analyse de la flotte océanographique européenne, avec la participation du Portugal, très engagé dans ce domaine avec sa proposition de création d’une Agence européenne de la mer.

Le troisième groupe étudiera les cas de l’astronomie et de l’astrophysique.

Les travaux de ces groupes techniques se dérouleront sur une période de 6 mois à 2 ans. Il s’agit de groupes temporaires auxquels est assigné un programme précis. Leur fonction est de faire des recommandations, dont chaque pays " fera ultérieurement ce qu’il veut ". En tout état de cause, cette démarche donne la garantie qu’une réflexion " multi-techniques " et " multi-pays " aura été conduite au préalable.

Parallèlement à ce programme à 5 (ou 6 pour la flotte océanographique), un groupe de travail sur les très grands équipements rassemblant l’ensemble des pays de l’Union européenne a été formé en février 2000 par la Commission européenne. Ce groupe a lancé une série de travaux qui seront au centre des échanges prévus dans 8 différents forums, et la séance finale se déroulera en septembre 2000 à Strasbourg. Le sous-groupe technique formé par les 5 pays sur les méthodes d’analyse fine de la matière, se réunira en mars, avril et mai, présentera un pré-rapport en juin 2000 à Rome, à la réunion des directeurs de la recherche scientifique et technique et participera au séminaire de Strasbourg en septembre.

Au-delà de cette réflexion sur les grands équipements, le Gouvernement a arrêté les axes prioritaires de sa future action à la Présidence de l’Union européenne au deuxième semestre 2000, étant établi que le contenu du 6ème PCRD (programme communautaire de recherche et développement) ne sera pas décidé avant 2001.

En ce qui concerne le MENRT, la première priorité de la présidence française sera le renforcement de la mobilité des chercheurs. La deuxième sera l’application du principe de subsidiarité à la recherche, les actions communautaires devant s’attacher d’abord à coordonner les initiatives nationales, à les rendre complémentaires et éventuellement à les compléter. La troisième priorité de la présidence française sera que les crédits du PCRD continuent d’alimenter non seulement le programme " Access to Large Infrastructures " mais également participent au financement de la conception et de l’exploitation des très grands équipements.

Après avoir remercié M. Vincent COURTILLOT, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur a estimé qu’après trois mois d’investigations sous forme d’entretiens approfondis avec des spécialistes de tous horizons et de visites sur le terrain, notamment en Allemagne et au Royaume Uni, les synchrotrons ne semblent pas être des grands instruments comme les autres.

Les synchrotrons apparaissent comme des éléments " fédérateurs " de communautés scientifiques différentes, leur permettant d’accéder à des capacités de recherche énormes.

Par ailleurs, comme l’a démontré la visite des installations de DESY à Hambourg, les jeunes chercheurs sont impliqués dans le fonctionnement des synchrotrons, ce qui fait aussi de ces grands instruments très particuliers des outils de formation.

Enfin, la proximité du synchrotron par rapport aux utilisateurs joue un rôle important et les visites effectuées en Allemagne et en Grande-Bretagne ont montré l’ardeur de ces pays à développer ces machines dont ils ne voudraient pour rien au monde se départir.

Il y a là un élément important qui dénote sans doute un changement. Le fait qu’il y ait des grands équipements dans un pays et qu’au surplus ils soient concentrés sur une plate-forme dotée d’un ensemble de moyens – synchrotron, lasers, source de neutrons – semble jugé essentiel.

La coopération internationale est évidemment une nécessité et l’on ne saurait avoir une démarche nationaliste dans ce domaine. Toutefois, comme on l’a constaté à Hambourg, la coopération internationale ne se décide pas au somment mais doit être initialisée par les chercheurs eux-mêmes.

Au reste, un accord est nécessaire au plan européen, ne serait-ce qu’en raison du fait que de nouvelles orientations existent dans les très grands équipements. Ainsi les lasers à électrons libres méritent-ils toute notre attention et justifient-ils d’une coordination internationale car il s’agit d’un champ de " recherche à risque ", en ce sens que les investissements y sont lourds pour des résultats aléatoires.

Au contraire, le rayonnement synchrotron est stabilisé et s’ouvre d’ailleurs à des applications industrielles de plus en plus nombreuses, s’éloignant de la notion d’aléas habituelle pour d’autres très grands équipements.

Tout en étant ouverts à une coopération, les Rapporteurs de l’Office ont ressenti avec acuité que tous les pays ont la volonté d’avoir des sources nationales dans le domaine du rayonnement synchrotron. La France, pour sa part, semble faire d’autres choix. Toutefois, M. René PELLAT a indiqué, lors de son audition par l’Office qu’il y aurait peut-être en France, une source additionnelle différente de SOLEIL, d’une énergie de 1,5 GeV.

Or les exemples sont nombreux de synchrotrons construits avec ce niveau d’énergie et dont il a été ultérieurement indispensable de hausser l’énergie. Tous les experts consultés par le groupe de travail se retrouvent pour estimer qu’il existe un optimum d’énergie à 2,5 GeV, où se trouve la plénitude des potentialités du rayonnement synchrotron.

Au demeurant, sans avoir d’a priori sur la question, force est de constater que la solution DIAMOND ne répond pas à l’ensemble des besoins du Royaume Uni et donc encore moins à ceux de l’ensemble anglo-français et qu’il existe logiquement un mouvement général en Europe en faveur des sources nationales.

M. Vincent COURTILLOT a alors déclaré n’avoir " aucun problème " avec les propos du Sénateur TRÉGOUËT. Le plan énoncé en début de réunion est " valable aujourd’hui ".

Concernant les difficultés à résoudre pour les très grands instruments, M. Vincent COURTILLOT a exposé l’exemple des sources de neutrons dont les spécialistes soulignent l’insuffisance par rapport à la demande. Or il s’est produit un surinvestissement dans le passé. La France dispose de deux sources, l’une en propre au Laboratoire Léon Brillouin (LLB), l’autre en coopération internationale avec l’Allemagne et le Royaume Uni à l’Institut Lauë Langevin (ILL) de Grenoble. Or, des difficultés de financement sont apparues au LLB en 1999, avec la demande adressée à l’Etat de pallier à hauteur de 60 millions de francs l’impossibilité arguée par ces organismes de couvrir toutes les dépenses.

Alors même que des discussions ont été lancées avec ces deux organismes, le ministère de la recherche a dû lui-même tenter de trouver des solutions de remplacement, en proposant ¼ de la machine au Portugal, qui a rapidement renoncé, et à l’Espagne, qui semble réellement intéressée, et un autre ¼ aux Pays de l’Est dans le cadre d’une coopération financée par la France.

Au surdimensionnement des sources de neutrons, correspond " une dérive importante des synchrotrons ". Il est symptomatique que la communauté de base ne puisse accepter qu’on ne satisfasse pas ses demandes dans leur totalité. La demande de la base est certes légitime mais il faut une " contre-réaction ". Si l’on considère que lorsque la base scientifique s’exprime, l’Etat doit automatiquement et intégralement satisfaire sa demande, alors on confond le fond et l’amplitude finale à satisfaire. Or, des incertitudes existent sur les besoins estimés, comme le montre la différence du simple au double entre le chiffrage de certains experts et celui du CNRS.

Comme il a été rappelé plus haut, les orientations actuelles expriment une volonté politique. La première priorité choisie par le ministre de la recherche a été de prendre en compte les besoins des laboratoires avec le renforcement du soutien de base qui leur est accordé. En fait, une méthode envisageable dans ce cadre serait de demander aux laboratoires à quelle hauteur ils seraient désireux de financer les très grands équipements, en distrayant à leur profit une part de leurs crédits.

Par ailleurs, le Royaume Uni ne possèdera pas de machine nationale après la fermeture du synchrotron de Daresbury, alors que la France dispose sur son sol de l’ESRF et de plusieurs autres grands équipements.

En tout état de cause, le recours à une machine européenne " copossédée " avec le Royaume Uni n’a rien de " scandaleux ". D’ailleurs les meilleurs chercheurs français vont déjà travailler en Allemagne ou aux Etats-Unis sur d’autres machines. Au reste, il n’est que de se rappeler les " combats " survenus à propos de la localisation de l’ESRF à Strasbourg ou Grenoble et la décision de dernière minute en faveur de cette dernière ville, pour constater que les décisions sur des problèmes de type suscitent toujours des protestations.

S’agissant d’une deuxième machine de rayonnement synchrotron, qui serait installée en France, " la question reste ouverte ".

A cet égard, le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et la réflexion demandée au CNRS enrichiront la réflexion du groupe technique des 5 pays européens.

Quant à la question de savoir quelle devrait être l’énergie d’une seconde machine, les points de vue sont contradictoires et le ministère n’a pas conclu en l’espèce. S’il est démontré qu’une machine de 1,5 GeV au demeurant moins onéreuse n’est pas une bonne chose, alors " on attendra ". Il faudrait alors examiner la compatibilité de la construction d’une machine de 2,5 GeV sur le territoire national avec l’enveloppe totale du rayonnement synchrotron (et de l’ensemble des grands équipements) dans notre pays. Au demeurant, en fonction de l’approche globale du Gouvernement, s’il est établi que le rayonnement synchrotron avec une machine de 2,5 GeV doit être la première priorité en France, alors il faudra qu’il soit bien compris que ni la RMN haut champ ni les lasers de puissance ne seront au premier rang.

Au reste, l’évolution prévisible du budget de la recherche à partir de 2001 n’est pas sans influence. En prolongement des efforts faits au niveau des contrats de plan Etat-régions, le ministère de la recherche demandera une forte augmentation de son budget, après la croissance modérée des années précédentes.

M. Vincent MIKOL a rappelé à cette occasion la volonté du Gouvernement de développer la génomique autour de génopôles. On peut se demander à cet égard si la post-génomique sera développée autour d’Evry ou non et si l’option d’installer les ressources en rayonnement synchrotron au Royaume Uni ne conduira pas à l’installation au Royaume Uni et non pas en France du tissu de jeunes entreprises ou " start up " que le Gouvernement appelle par ailleurs de ses vœux.

A cette occasion, M. Vincent COURTILLOT a dit son étonnement vis-à-vis du fait que les industriels ne prennent aucun engagement sur le projet SOLEIL et a porté un jugement " sévère " sur leur attitude, une attitude que M. Vincent MIKOL a expliquée par l’absence de crédit d’impôt pour une participation dans un tel projet.

Pour M. Vincent COURTILLOT, les conditions du succès de la post-génomique ne se limitent pas à la question du rayonnement synchrotron, une idée approuvée par M. Vincent MIKOL.

M. Vincent COURTILLOT a ajouté que le succès dans ce domaine dépend aussi de la création d’un véritable réseau de génopôles et d’autres centres, ce vers quoi le Gouvernement se dirige avec détermination. Si les urgences en matière de génomique ont encore à être précisées, ce domaine est celui qui bénéficie du plus gros programme financé par le FRT et le FNS sur le BCRD. Au demeurant, contrairement à ce qu’une vision nationale voudrait faire croire, le choix du Royaume Uni ne rend pas impossible le post- génomique en France. Avec une mobilité accrue, la France bénéficiera de possibilités très importantes à Oxford.

En réalité, il est nécessaire de " séquencer " le problème en matière de rayonnement synchrotron. La solution actuelle est une solution non fermée. M. Vincent COURTILLOT a également jugé " sévèrement " le fait qu’une coopération européenne n’ait pas été mise en œuvre avant le présent Gouvernement, en particulier par une coordination entre les directeurs de la recherche scientifique et technologique européens. Il est vrai, à cet égard, que la Commission européenne était alors défavorable à une coordination à géométrie variable.

Au reste, selon M. Vincent COURTILLOT, le Wellcome Trust envisagerait, le cas échéant, de financer des opérations de recherche en France, avec même la possibilité de participer au financement de la construction d’un synchrotron en France, si le Gouvernement britannique optait pour le site de Daresbury. En tout état de cause, tant le directeur de la recherche britannique que les représentants du Wellcome Trust ont estimé que si la question d’une machine binationale avait été posée il y a 4 ans, le Royaume Uni aurait pu donner son accord à une installation en France. Or la communauté française du rayonnement synchrotron a refusé à l’époque à la fois l’offre britannique et la proposition suisse d’un travail en commun. M. Vincent COURTILLOT a jugé ces deux points " dommageables ", tout en rappelant que la communauté britannique du rayonnement synchrotron avait également repoussé cette orientation.

M. Georges CHARPAK a estimé importante cette information et indiqué être " gêné " par des informations contradictoires. Ainsi, il ressort du compte rendu du voyage récent des Rapporteurs en Angleterre que le CLRC n’est pas intéressé par une coopération avec la France sur SOLEIL.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a alors précisé qu’au cas où des commandes groupées seraient passées pour bénéficier d’économies d’échelle, à la suggestion de M. Yves PETROFF, directeur général de l’ESRF, le Royaume Uni serait alors évidemment intéressé.

Sur ce point de l’intérêt du Royaume Uni pour une coopération avec la France et sur ses modalités, M. Vincent COURTILLOT a indiqué que la position du CLRC est énoncée in fine par le seul directeur général des Research Councils, son homologue, M. John TAYLOR.

Revenant sur la question d’un deuxième synchrotron, M. Vincent COURTILLOT, qui a jugé " astucieuse " la solution PELLAT, a souligné que la solution présentée par M. PETROFF de deux machines identiques n’a pas de " sens " dans le calendrier actuel et qu’il s’agit d’une façon théorique d’aborder le problème.

En effet, en décembre 1998, la décision a été prise par la France et le Royaume Uni de construire une machine en commun, une décision confirmée par des travaux ultérieurs et annoncée le 2 août 1999. Depuis lors, selon M. J-L LACLARE, le projet DIAMOND a fait des " progrès ". La France est avancée dans ce calendrier.

En tout état de cause, la construction d’un deuxième synchrotron pour générer des économies d’échelle de 20 à 30 % entraînerait des dépenses supérieures à ce que le Royaume Uni et la France peuvent allouer au rayonnement synchrotron.

En conséquence, il faudrait aussi reconstruire un deuxième projet conjoint, avec la participation additionnelle d’autres pays, comme l’Espagne, peut-être, et de l’Union européenne. Le délai serait en toute hypothèse d’un à deux ans, alors même que personne ne demande qu’on attende davantage.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, ayant suggéré qu’une telle proposition soit faite au Gouvernement britannique, M. Vincent COURTILLOT a avancé que le Royaume Uni travaille depuis 6 mois sur la coopération avec la France et que le projet qui résultera des efforts communs est déjà bien au-delà de SOLEIL et de DIAMOND, dont il ne portera d’ailleurs pas le nom.

Faisant part de ses interrogations, M. Georges CHARPAK a alors stipulé qu’on peut considérer avec faveur un laboratoire central avec une coopération entre physiciens et biologistes, dans la mesure où l’accès à des lignes de lumière " à droite à gauche " ne semble pas satisfaire les besoins. Puisque le LURE existe, on peut souhaiter que le LURE devienne l’équivalent du Rutherford Appleton Laboratory de Didcot. Un synchrotron de 1,5 GeV serait séduisant dans cette perspective, mais cette solution de 1,5 GeV est rejetée par la communauté des synchrotrons.

Dans la discussion qui a suivi sur l’éventualité d’un synchrotron de 1,5 GeV, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a rappelé que les Etats-Unis ont augmenté de 1,5 GeV à 1,9 GeV-2 GeV l’énergie de leur machine de Berkeley. M. Georges CHARPAK a ensuite précisé alors qu’il s’agit de la meilleure machine du monde, pour la seule biologie structurale toutefois, selon M. Vincent MIKOL.

Devant l’espoir émis par M. Georges CHARPAK que ce synchrotron puisse constituer le pivot d’une coopération internationale, M. Vincent COURTILLOT a jugé fondamental d’avoir un centre internationale à l’ESRF de Grenoble et un centre européen à Didcot, la France rejoignant la position du Wellcome Trust sur ce point de la localisation de la future machine.

Au surplus, la France est intéressée par la disposition d’un laboratoire en plus de l’accès à une machine, Oxford fournissant un ensemble exceptionnel de laboratoires et de chercheurs auxquels les chercheurs français " se frotteraient " avec profit. En tout état de cause, il faut mettre en place un équilibre européen pour la recherche.

S’agissant d’une machine à 1,5 GeV, M. Vincent COURTILLOT a assuré entendre les mêmes arguments. Certes, le passage de 1,5 à 1,9 GeV améliore les performances. Mais il a appelé les membres du groupe de travail à replacer les propos qui leur sont tenus dans le cadre de stratégies particulières visant à tirer parti du poids de l’Office parlementaire.

En tout de cause, M. Vincent COURTILLOT a précisé que ses propos retracent " ce qui se fait et est décidé ".

Au reste, M. Vincent COURTILLOT a fait le pronostic, si tant est qu’une telle décision eût été prise, que, lorsque des machines de 2,5 GeV seraient en construction, une certaine communauté dirait qu’une machine de 1,5 GeV eût été fondamentale.

S’agissant de la formation des jeunes chercheurs, la localisation du synchrotron à Evry, Strasbourg ou Lille n’a pas d’importance.

S’agissant du LURE, il n’est pas question de le fermer du jour au lendemain. Il existe en effet des compétences remarquables. Quand on connaîtra la carte des machines en Europe, ses compétences pourront être utilisées d’une part pour construire des expériences dont les mesures seront faites ailleurs, et d’autre part pour assurer la formation des jeunes. Une fois connue la carte des machines en Europe, on saura s’il faut une énergie de 2,5 ou de 1,5 GeV, la troisième tranche étant ouverte.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, s’étant interrogé sur l’existence d’une lettre adressée aux responsables du LURE et évoquant la fermeture de celui-ci, M. Vincent COURTILLOT a fait part de son étonnement devant le fait que la direction du LURE n’ait pas demandé de rendez-vous au ministère, ait refusé une rencontre proposée par M. Olivier KAHN à M. COMES et rejette l’idée du partenariat avec le Royaume Uni.

M. Georges CHARPAK a alors exprimé sa stupeur et jugé qu’il s’agirait d’une faute professionnelle si cela était établi. Au reste, le débat est " parasité " par des affirmations contradictoires - ainsi par exemple en ce qui concerne la dépendance du Wellcome Trust envers le laboratoire Glaxo Wellcome, attestée par certains et démentie par d’autres – ainsi que par le fait les interlocuteurs de l’Office " n’assument pas " toujours leurs positions publiquement.

S’agissant des relations entre le ministère et le LURE, M. Vincent COURTILLOT a donné des indications sur leur évolution récente. Le conseil d’administration tel qu’il devait se tenir début janvier avait un ordre du jour " routinier ", sans " référence à l’avenir " du laboratoire. En conséquence, M. Vincent COURTILLOT a écrit à l’administrateur général du CEA et au directeur général du CNRS pour leur rappeler qu’il ne lui paraissait pas opportun que le conseil d’administration ne se pose pas la question de l’avenir du LURE et que ses propositions comportent deux volets.

Le premier volet de ce plan relatif au LURE consiste, compte tenu de l’obsolescence de la machine, à maintenir les contrats pour une durée de 2 à 3 ans. Un biseau de 2 à 3 ans supplémentaires serait alors envisagé, le temps que les autres lignes soient disponibles (DIAMOND, Suisse). Le deuxième volet se rapporte à l’élaboration d’un plan de mobilité ou d’arrivée progressive à la retraite pour les ingénieurs et chercheurs les plus âgés, plan complété par une affectation des équipes à d’autres centres, afin de maintenir les compétences autour d’un appareillage. Le troisième volet est celui d’un recentrage sur la construction d’expériences, déjà évoqué précédemment.

En conséquence, le conseil d’administration prévu initialement en janvier 2000 a été repoussé à février 2000.

Au demeurant, il s’agit d’un plan sur environ 7 ans avec un financement des coûts prévisibles. En tout état de cause, il n’a jamais été question de fermer le LURE du jour au lendemain.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a souligné que les perspectives assignées au groupe de travail des 5 Européens paraissent prometteuses parce qu’il lui est fixé comme objectif de conduire une analyse multi-techniques et multi–pays. Il s’est réjoui du fait que les réflexions de l’Office parlementaire, au demeurant très riches, viennent alimenter la réflexion de ce groupe, démontrant ainsi que ce n’est pas perdre du temps que d’aller au fond des problèmes.

Pour M. Vincent COURTILLOT, la nomination et les convictions de M. Philippe BUSQUIN, Commissaire européen à la recherche, sont des points extrêmement positifs. Son intérêt pour le projet franco-britannique est réel, de même que son intention d’examiner la possibilité d’une aide à lui apporter.

Par ailleurs, M. Vincent COURTILLOT a tenu à faire le point sur les réflexions quant au " devenir " d’Orsay. Il est un fait que la perspective d’arrêter le LURE a entraîné beaucoup d’inquiétudes et de désarroi. Mais il s’agit d’un " plan social d’évolution scientifique ".

Le travail confié au directeur de l’Ecole supérieure d’électricité, M. J-J DUBY sur l’avenir du plateau de Saclay s’ajoute au plan de contrat quadriennal présenté par le Président de l’université de Paris Sud Orsay pour constituer un plan ambitieux de développement d’Orsay et de sa région. L’objectif est d’affirmer la vocation de cet ensemble dans l’optoélectronique, les micro et nano technologies, en accompagnement du centre national de recherche technologique de Marcoussis, ainsi qu’en informatique avec l’INRIA et l’Ecole polytechnique, et enfin de lancer Orsay dans la génomique structurale pour devenir, avec l’Institut Pasteur et l’université Paris V, des éléments de la génopôle Ile-de-France dont la tête de réseau est Evry.

Les retombées de ce plan rendu possible par des crédits importants et une coordination efficace, dépasseront celles qu’aurait permise la construction de SOLEIL à Orsay.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a souligné une nouvelle fois que toutes les disciplines scientifiques utilisent un outil commun, le synchrotron, fondamental pour conduire leurs recherches. En outre, cet outil est un élément important de la politique de la recherche, en tant qu’instrument de proximité et de formation. Que le devenir du plateau de Saclay-Orsay soit tenu pour important est une bonne chose. Mais les Rapporteurs de l’Office ont constaté au cours de leurs déplacements qu’il existe en Europe un mouvement de fond en faveur de la constitution de centres possédant plusieurs sources fédérées autour de synchrotrons, ce que l’avenir devrait confirmer.

M. Vincent COURTILLOT a alors rappelé que les deux premières priorités fixées par l’Etat en matière de recherche sont la biologie et les technologies de l’information. En réalité, il appartiendrait à la communauté des biologistes dotée de 600 millions de francs par an supplémentaires et à celle des sciences et techniques de l’information et de la communication qui reçoit quant à elle 250 millions de francs additionnels, de voir si elles souhaitent spontanément en allouer, le cas échéant, une partie au rayonnement synchrotron (ou à une autre technique), sur la base d’une évaluation de leurs besoins. Si, au surplus, l’optoélectronique décidait d’en faire autant, le budget d’une deuxième machine serait bouclé avec une contribution d’une centaine de millions de francs de l’industrie.

Abordant d’autres dimensions du problème, M. Jean GALLOT a souhaité revenir sur les contraintes de la décision. Les auditions réalisées par le groupe de travail des Rapporteurs de l’Office, ont montré des divergences sur les économies réalisées dans le cadre du plan du ministère grâce à la location de lignes, ainsi que des points de vue contrastés sur la possibilité réelle de diminuer les coûts de construction d’un synchrotron grâce à une diminution de son énergie. Au regard de ces incertitudes sur le coût du plan du ministère, la dépense annuelle additionnelle pour le CNRS, correspondant à la construction de SOLEIL, ressortit à 30 millions de francs par an.

De surcroît, en regard de l’imprécision actuelle du projet DIAMOND, il existe un avant-projet détaillé SOLEIL, celui-ci bien réel, qui permet un démarrage immédiat de la construction d’un synchrotron moderne.

De fait, l’on ne peut que s’interroger sur les avantages économiques et financiers de la solution DIAMOND par rapport à SOLEIL.

Pour conclure ce débat, M. Vincent COURTILLOT a estimé qu’un " problème de fonctionnement de l’Etat " est posé à l’occasion du dossier synchrotron. Bien sûr, le Parlement a à connaître, a priori, du programme du Gouvernement mais ne peut entrer en discussion avec celui-ci à ce niveau de détail. Dans le cas contraire, il ne serait pas possible de prendre des décisions " avec un jugement permanent ". M. Vincent COURTILLOT a en outre considéré qu’il lui appartient de décider et qu’il revient au Parlement de juger. Pour sa part, en tant que géophysicien, il estime qu’il n’a pas à " rentrer dans des querelles techniques ".

S’agissant des très grands équipements dont les crédits atteignent 8,5 % du BCRD, il faut avoir à l’esprit que la station spatiale européenne ISS consomme 600 millions de francs par an et nécessitera la même somme de nombreuses années. Avec un total de 3 milliards de francs, ce dernier programme coûte à lui seul près de deux synchrotrons SOLEIL. En même temps, comme on l’a vu précédemment, il manque 60 millions de francs par an pour le financement de la source de neutrons Orphée du Laboratoire Léon Brillouin.

Après avoir remercié M. Vincent COURTILLOT, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, et M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, ont accueilli M. Pascal COLOMBANI, administrateur général, pour qu’il leur expose la position du CEA sur la question d’un nouveau synchrotron.

*

M. Pascal COLOMBANI, administrateur général du CEA, a expliqué son souhait de rencontrer les Rapporteurs et leur groupe de travail à la fin du cycle de leurs auditions, afin d’avoir le temps de se former une opinion pendant le court laps de temps séparant cet entretien de sa nomination et d’apporter des éléments complémentaires de ceux fournis par M. René PELLAT, Haut commissaire, déjà auditionné.

M. Pascal COLOMBANI a indiqué vouloir traiter des interactions entre la question du rayonnement synchrotron et les objectifs généraux du CEA.

Les objectifs généraux du CEA sont d’assurer la pérennité de la force de dissuasion et de la propulsion nucléaire, de contribuer au développement de l’électronucléaire civil, d’accroître ses travaux sur les sources d’énergie alternatives, de jouer un rôle fédérateur en matière de techniques nucléaires et de participer au développement de certaines nouvelles technologies constitutives de la nouvelle économie par les applications de ses propres recherches.

Pour le CEA, le synchrotron est une " affaire importante ", en raison de l’intérêt des techniques qui sont mises en œuvre pour leur construction, en raison des applications nombreuses du rayonnement synchrotron pour les recherches du CEA, et de ses besoins spécifiques en " lignes chaudes " et pour des applications militaires. En bref, l’intérêt du CEA pour les synchrotrons est un intérêt de " physicien et de concepteur ", ainsi qu’un intérêt d’ " utilisateur ".

Au reste, la recherche, en tant qu’activité " globalisée ", est une activité sans frontière. Ceci vaut autant pour la recherche fondamentale que pour la recherche technologique. Il existe incontestablement une concurrence entre la France et les pays du monde entier, en particulier avec les Etats-Unis qui bénéficient, pour leur part, d’effets d’échelle, avec le Japon et de plus en plus avec d’autres pays comme l’Inde et la Chine où la formation est excellente et où il est possible de " court-circuiter " certaines étapes de développement. Dans ces conditions, il est indispensable que l’Europe et la France restent compétitives.

Les membres de la direction du CEA ont déjà été appelés à témoigner devant l’Office, ainsi que le Haut commissaire M. René PELLAT, chargé par le ministre de la recherche d’une réflexion sur la question du synchrotron. Les besoins du CEA en termes de lignes de lumière ont d’ailleurs été précisés dans une note précédente remise aux Rapporteurs.

Le CEA, pour sa part, a pris acte de la décision du ministre, jugeant par ailleurs " futile " de faire des actions de " guérilla ". Dans cette décision, l’administrateur général ne voit globalement que des avantages et juge que pour les chercheurs du CEA, les avantages contrebalanceront largement les inconvénients temporaires.

Le premier avantage est la volonté d’européaniser les très grands équipements. L’Europe doit apprendre en effet à tirer parti d’économies d’échelle. Avec un Commissaire européen attentif à la question, c’est incontestablement une bonne chose de voir l’Europe envisager d’investir dans les très grands équipements, au-delà de son action présente consistant à favoriser les échanges de chercheurs.

Au vrai, la mobilité existe déjà à grande échelle, comme le montrent les exemples du CERN, de l’ESRF ou de l’ILL. Cette mobilité est avantageuse, en ce qu’elle accroît la créativité et la productivité des chercheurs. En toute hypothèse, la communauté scientifique doit s’habituer à se déplacer plus fréquemment et à considérer qu’il est tout aussi normal d’aller à Londres qu’à Marseille.

Le deuxième avantage que voit l’administrateur général à la décision du ministre est que celle-ci est sous-tendue par une " rupture thématique ". Le projet franco-britannique a en effet une orientation marquée " biotechnologies ", ce qui se justifie par les résultats obtenus par le Royaume Uni, notamment à Oxford et Cambridge, alors qu’il est vrai, là aussi, qu’il existe encore en France une priorité à la physique. Il est à cet égard logique que, pour atteindre un nouvel équilibre entre les domaines de recherche, il soit fait recours à la coopération franco-britannique.

Le troisième avantage provient de l’évolution du mode de financement. Qu’une association comme le Wellcome Trust finance la recherche est un concept plus familier à l’étranger qu’en France, et ce type d’intervention est d’ailleurs plus fréquent dans le domaine de la recherche médicale qu’en physique.

En tout état de cause, " nos chercheurs ont besoin de ruptures dans leur mode habituel d’opérer ".

Il existe donc une logique dans la décision qui apparaît être sa vertu essentielle, la possibilité additionnelle de faire des économies apparaissant comme positive mais " pas essentielle ". En toute hypothèse, l’important est de savoir " ce que l’on veut faire, pourquoi et à quel endroit ".

Par ailleurs, M. Pascal COLOMBANI a rappelé que le Haut commissaire a émis l’idée d’une machine dédiée et a indiqué " qu’il y croit beaucoup ". Tant pour les biotechnologies et les recherches sur les matériaux, l’important, en particulier pour les applications industrielles est la souplesse et le retour sur investissement. " L’idée d’une machine dédiée, plus légère mais bien adaptée à un domaine particulier est une idée porteuse ".

Une telle machine pourrait être accessible en " self service ", avec la possibilité de " venir " et " de s’en aller ", sans autre formalité. " C’est cela qui intéresse les industriels ", sans pour autant supprimer le besoin d’accéder en plus à un grand synchrotron, pour des recherches plus amont ou nécessitant des moyens différents.

En substance, le raisonnement du Haut commissaire est que si l’on dispose d’une machine de " grande énergie ", il en faut aussi une de " petite énergie ". Dans ces conditions, pourquoi ne pas considérer une machine dédiée à des marchés particuliers et si possible implantée en France, même si le caractère international de sa mise en œuvre doit être reconnu ?

A cette occasion, M. Pascal COLOMBANI a fait part de sa surprise de voir le nombre de synchrotrons construits de toute part et s’est interrogé sur la logique d’un tel phénomène.

Quant au CEA, il a recensé ses besoins, tout en étant prêt à s’installer " n’importe où ". S’agissant de sa participation financière, " le CEA contribuera à hauteur de la satisfaction de ses besoins ".

M. Pascal COLOMBANI, qui a participé au conseil d’administration du CNRS mais n’a pas eu de contact avec le LURE, a ajouté être " frappé par les aspects émotionnels et un dogmatisme difficile à admettre " de la part de la communauté du synchrotron qui, considérant qu’elle a un synchrotron, en demande un autre " sans qu’on prenne en considération les besoins réels ".

A cet instant de l’exposé de M. Pascal COLOMBANI, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a souligné l’effet passionnel renforcé par l’esprit d’équipe du LURE, une communauté menacée de disparaître. En effet, les équipes de chercheurs qui se sont constituées, se sentent menacées de dissolution, ce qui représente un préjudice grave non seulement pour elle-même mais également pour la communauté scientifique dans son ensemble.

Pour M. Pascal COLOMBANI, " cette communauté forte doit essaimer ". " Pour que les choses progressent, il faut qu’elles évoluent ". Dans le domaine scientifique, " une communauté qui n’essaime pas disparaît ". Un exemple existe en physique nucléaire, de laboratoires " réduits à leurs murs ".

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, est intervenu pour signaler que les Rapporteurs sont à quinze jours d’énoncer leurs recommandations. Or il apparaît que le rayonnement synchrotron joue un rôle spécifique par rapport aux autres très grands équipements. La preuve en est que des synchrotrons sont demandés par les communautés scientifiques respectives de l’Allemagne, du Royaume Uni, de l’Italie et de la Suisse.

Il s’agit en effet d’un lieu " fécond " pour des " fertilisations croisées ". Grâce à cet outil se produisent des rencontres fréquentes et fructueuses, ce que les communautés nationales comprennent parfaitement.

Au demeurant, ce qui est préparé pour Orsay est important, mais sa communauté scientifique aura besoin d’un outil comme le synchrotron, ainsi que le montrent les exemples de Hambourg et de Didcot.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a estimé qu’en toute hypothèse, la coopération internationale doit se placer à un " niveau supérieur ", correspondant à des " machines non normalisées " comme par exemple les lasers à électrons libres dont l’importance a été notée lors de la visite effectuée au laboratoire DESY de Hambourg. Il existe au contraire des machines d’application du rayonnement synchrotron qui correspondent à un besoin national.

En définitive, s’est interrogé M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, " la France positionne-t-elle le travail entre Européens à son bon niveau ? ".

M. Georges CHARPAK a répondu que les succès de l’ESRF, un synchrotron de 6 GeV utilisé à 3 GeV, démontrent qu’il est " fécond que ce soit une machine européenne ". Le choix d’une énergie de 3 GeV permettait que ce fût une machine européenne.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a par ailleurs souligné que plus de 1100 étudiants travaillent sur les accélérateurs et les synchrotrons de Hambourg. En tout état de cause, il serait impossible d’envoyer ces 1100 étudiants à Didcot, ceci démontrant que " la proximité est nécessaire ".

M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a ensuite souligné qu’il entre dans les fonctions du CEA des missions confidentielles, notamment en matière de défense, pour lesquelles la coopération avec le Royaume Uni nécessiterait des précautions dont on ne peut être sûr d’ailleurs de l’effectivité.

M. François GOUNAND, directeur des sciences de la matière au CEA, a indiqué que le CEA qui utilise les installations du LURE et opère sur les lignes chaudes de synchrotrons américains, résout déjà ce genre de problèmes. Il a estimé en outre qu’il n’est pas acquis qu’il y ait un blocage du Royaume Uni vis-à-vis de l’installation d’une ligne chaude sur le quota demandé.

M. François GOUNAND a par ailleurs estimé que la réflexion sur une nouvelle politique européenne en matière de très grands instruments s’impose pour une autre raison. La France possède en effet deux laboratoires nationaux possédant des grands équipements largement ouverts sur l’extérieur, d’une part le LURE d’Orsay avec ses synchrotrons DCI et Super ACO et d’autre par le Laboratoire Léon Brillouin de Saclay avec la source de neutrons Orphée.

Si ces trois grands équipements comprennent environ 30 % d’utilisateurs étrangers, la France n’est dédommagée de cette contribution européenne qu’à hauteur des sommes reçues dans le cadre du programme européen " Access to Large Facilities ", soit 6 % environ et par le biais de l’accès gratuit de ses propres chercheurs à des installations étrangères. Il ne semble pas que ce manque à gagner soit supportable longtemps.

Un échange s’est ensuite amorcé sur l’importance de la proximité d’un synchrotron pour ses utilisateurs. M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur a estimé que cette proximité est nécessaire pour les chercheurs. M. Georges CHARPAK a estimé à cet égard que " Paris n’est pas la France ".

Une autre question a ensuite été traitée, à savoir quel type de grand instrument doit faire l’objet d’une coopération internationale.

Pour M. Pascal COLOMBANI, il convient en effet de se demander quelle répartition adopter entre la " science à risque " et la recherche industrielle. Il semble bien qu’en matière de rayonnement synchrotron, il soit nécessaire d’avoir à la fois des grandes machines et des machines dédiées susceptibles d’accueillir les industriels et les étudiants.

M. François GOUNAND a par ailleurs signalé la difficulté actuelle pour avoir, sur des machines " top niveau ", des lignes peu sophistiquées jouant le rôle de " passeurs d’échantillons ".

M. Jean GALLOT a estimé quant à lui qu’il est aujourd’hui indispensable en France de pouvoir utiliser des machines " top niveau " mais aussi d’avoir une liberté d’accès à une machine de qualité. Au demeurant, le lieu d’implantation d’un tel synchrotron d’accès direct n’est pas " innocent ". Certes, il serait souhaitable que le financement de ce synchrotron bénéficie d’une contribution européenne. Mais qui pourrait nier que la proximité soit " utile " pour les étudiants et les industriels ?

Au surplus, il existe une tendance pour les entreprises à implanter un établissement ou un laboratoire, voire même à se créer aux environs immédiats des très grands équipements et de leur communauté de recherche.

S’agissant du groupe de travail formé par les Rapporteurs, il a dépassé la stricte défense, au demeurant légitime, d’un instrument particulier pour réfléchir à ce qu’il est opportun de faire pour les 20 prochaines années dans le domaine du rayonnement synchrotron.

En tout état de cause, la seule réponse européenne est " biaisée ", car il existe de nombreux pays européens qui investissent dans de très grands instruments.

Ainsi le Royaume Uni est déterminé à avoir de grands instruments sur son sol. Le lieu d’implantation apparaît en définitive comme fondamental au plan économique et universitaire.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a ensuite fait valoir que l’appel aux différentes communautés scientifiques pour le financement des très grands instruments suppose une diversification préalable des crédits de la recherche, un objectif difficile à atteindre au demeurant en France. Si les recettes des organismes de recherche provenaient de sources réellement diversifiées et indépendantes, pourquoi ne pas vouloir, en effet, que l’INSERM, par exemple, participe directement au financement des grands instruments ?

M. Pascal COLOMBANI a avancé, à cet égard, qu’à la différence de l’INSERM qui aurait sur ce sujet un point de vue d’utilisateur et pourrait en tant que tel participer au financement d’un synchrotron, le CEA a un rôle différent de " fédérateur ", qui va au-delà de sa responsabilité de s’assurer que des accès sont possibles pour ses propres chercheurs.

M. Vincent MIKOL a alors fait remarquer la participation du NIH (National Health Institute) à la construction de synchrotrons américains. Il a estimé par ailleurs, que, si la biologie structurale représente 30, puis 40 voire 50 % de l’utilisation des synchrotrons, il serait logique de voir l’INSERM jouer un rôle dans leur financement.

M. Pascal COLOMBANI a noté par ailleurs que dans le sillage du NIH, un dispensateur de crédits plutôt qu’un organisme de recherche, les instituts de recherche américains, qui se gèrent eux-mêmes, font preuve d’une souplesse et d’une adaptabilité très grandes.

A ce moment de la discussion, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur a demandé à l’Administrateur général si l’organisation britannique des grands instruments avec un Laboratoire central concevant et exploitant ces derniers pour le compte de l’ensemble des organismes de recherche lui paraît pertinente.

M. Pascal COLOMBANI a répondu que, de son point de vue, la Direction de la Recherche en France " fait son travail ". Elle a " les moyens de proposer des décisions et de les faire avaliser par les organismes ". L’organisation française ne lui paraît pas mauvaise, avec, au surplus, la possibilité de constituer des groupements d’intérêt public, comme celui construit par le CNRS et le CEA.

M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, a remarqué que la formation de groupements présenterait l’avantage de permettre une mutualisation des fonds nécessaires à la construction des très grands instruments et faciliterait sans doute la nécessaire mise en place d’un mécanisme d’amortissement.

La question des études portant sur la matière radioactive a fait l’objet des échanges ultérieurs.

M. Christian NGO a évoqué les contraintes des travaux conduits dans le domaine du nucléaire, que ce soit pour la défense ou pour l’électronucléaire civil. Dans le schéma d’une participation française à DIAMOND, il sera nécessaire d’une part que ce synchrotron soit doté de lignes dites " chaudes " adaptées à l’étude d’échantillons radioactifs et d’autre part de les y transporter. Or s’il est possible de transporter des échantillons radioactifs à l’étranger, comme le fait déjà le CEA, notamment aux Etats-Unis, les formalités administratives sont toujours complexes et les coûts de transport élevés.

En conséquence, M. Georges CHARPAK, tout en soulignant qu’il s’agira là d’un domaine limité par rapport au total des emplois de la machine, a jugé souhaitables d’une part une participation du ministère de la Défense dans un grand instrument comme le nouveau synchrotron qui complètera utilement le laser MégaJoule, et d’autre part une implication de COGEMA dans son financement.

S’agissant des besoins du CEA en temps d’accès pour l’analyse d’échantillons radioactifs nécessitant des lignes " chaudes ", M. François GOUNAND a rappelé qu’ils s’élèvent à 0,8 ligne de lumière équivalent temps plein, soit 20 % du total de 4 lignes de lumière correspondant à l’ensemble des besoins du CEA.

En conclusion à ce débat, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a alors rappelé aux participants, les recommandations de M. Yves PETROFF, rencontré à plusieurs reprises par les Rapporteurs, à Paris et à Grenoble, sur le site de l’ESRF.

Pour ce spécialiste reconnu mondialement et recruté par l’université de Californie à Berkeley pour y être bientôt professeur de physique des particules, il existe incontestablement des besoins parallèles en France et au Royaume Uni. Pour lui, par ailleurs, l’existence d’un optimum d’énergie à 2,5 GeV ne fait aucun doute. Enfin, grâce à une programmation judicieuse de la construction de deux machines, l’une en France et l’autre au Royaume Uni, il serait possible de dégager des économies de l’ordre de 20 à 30 %.

Cette approche apparaît pertinente. Avec des machines " normalisées ", il sera sans doute possible de diminuer sensiblement les coûts de construction. En tout état de cause, il devrait être possible de bénéficier d’économies d’échelles si l’on programmait " tous ensemble " la construction de machines reposant sur des mêmes " standards ".

Pour autant, il faut noter que ces arguments ont été balayés " d’un revers de la main " par les interlocuteurs de l’Office au Royaume Uni.

En réponse, M. Pascal COLOMBANI a confirmé que les prix diminuent toujours avec des effets de série. On peut toutefois estimer qu’avec un nombre total de 2 machines, l’économie serait faible et ne porterait guère que sur les coûts d’étude. La situation serait bien sûr différente si l’on construisait un grand nombre de synchrotrons identiques. Mais au demeurant, la question centrale est celle des besoins. Deux machines identiques sont-elles nécessaires ou au contraire faut-il faire une " grande " machine et une machine différente ? M. Pascal COLOMBANI a alors exprimé de nouveau son souhait " d’aller vers des machines dédiées. Par ailleurs, le concept de deux machines identiques situées l’une en France et l’autre en Grande-Bretagne, irait contre tous les avantages d’européanisation, thématiques et autres précédemment cités ".

Après avoir remercié M. Pascal COLOMBANI et ses collaborateurs pour leur participation à leurs travaux, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, et M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, ont invité M. Giorgio MARGARITONDO à exposer son point de vue sur la question d’un nouveau synchrotron en France.

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M. Giorgio MARGARITONDO, Coordinateur de la Table ronde européenne sur le rayonnement synchrotron, a indiqué que cet organisme a été créé spontanément à l’initiative des directeurs de synchrotrons européens, afin de réfléchir aux conditions d’une utilisation transnationale des synchrotrons et à la coordination des initiatives pour éviter toute duplication inutile. Financée par la Commission européenne, elle rassemble au plan européen tous les laboratoires nationaux de rayonnement synchrotron ainsi que ceux dont les efforts portent sur les lasers à électrons libres.

Initiative décentralisée, la Table ronde est aujourd’hui utilisée par les institutions européennes, notamment dans le cadre du programme européen " Access to Large Facilities ", dont l’objectif est, comme on sait, d’aider les chercheurs européens à accéder aux très grands instruments du continent.

Pour la Table ronde européenne, la double question de SOLEIL et de DIAMOND est une question capitale.

La disparition sans remplacement des sources du LURE et de Daresbury serait un changement radical en Europe.

Le constat fondamental fait par la Table ronde est en effet qu’il existe un " déficit " en Europe en termes de lignes de lumière disponibles.

Si l’on considère l’ensemble de l’Europe, la demande de temps d’accès à des lignes de lumière est en moyenne supérieure de 190 % à l’offre disponible. Dans des cas particuliers, par exemple ELETTRA, la demande d’accès atteint même 260 % de l’offre.

C’est pourquoi la Table ronde, d’une part, a clairement soutenu SOLEIL et a d’ailleurs adressé des lettres dans ce sens au Premier ministre, M. Lionel JOSPIN, au ministre de la recherche, M. Claude ALLEGRE, et, d’autre part, s’inquiète du devenir du LURE.

Telles sont les positions officielles de la Table ronde européenne du rayonnement synchrotron.

A titre personnel, M. Giorgio MARGARITONDO a toutefois estimé qu’il faudrait " avoir un cadre précis pour les besoins français ". Il est utile de noter qu’en matière de cristallographie des protéines, il serait certes important de pouvoir disposer de lignes de lumière au Royaume Uni. Toutefois, dans des domaines de pointe comme la spectroscopie à haute résolution et la méthode EXAFS, la France dispose d’équipes occupant une place privilégiée dans le monde.

S’agissant de l’opportunité de deux machines de même énergie, il faut " examiner les besoins réels ". Au demeurant, si la France se lance dans un programme de pointe dans le domaine de la cristallographie des protéines, il lui faut aller au-delà des moyens nécessaires en rayonnement synchrotron et mettre en place un programme général.

Pour ce qui concerne le niveau d’énergie souhaitable pour une éventuelle deuxième machine, les besoins en faisceaux de très haute énergie sont déjà satisfaits par les accès à l’ESRF. En tout état de cause, une machine intermédiaire de 2 à 3 GeV permettrait sans aucun doute de répondre aux besoins de la cristallographie des protéines, qui requiert des faisceaux d’énergie de 12 à 20 keV.

Toutefois, si l’on veut faire de la spectroscopie à haute résolution, M. Giorgio MARGARITONDO a estimé que les onduleurs à grande énergie produisent des harmoniques supérieures qui rendent une machine d’énergie de 2 à 3 GeV difficile à utiliser.

Explicitant les propos de M. Giorgio MARGARITONDO, M. Georges CHARPAK a estimé qu’ainsi " on parasite le rayonnement en dégradant son énergie ". Le raisonnement distinguant les synchrotrons de 2,5 à 3 GeV de ceux de 1,5 GeV a donc une " consistance ".

Dans le débat qui a suivi sur ce point, M. Vincent MIKOL a estimé que la communauté scientifique de la méthode EXAFS comprend environ 300 personnes en France.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur a rappelé l’évolution constatée sur le synchrotron de Berkeley, dont l’énergie a été portée de 1,5 à 2 GeV. Il semble établi, à cet égard, qu’une optimisation de l’énergie d’un synchrotron est possible, de façon à permettre de mettre en œuvre un ensemble de méthodes d’analyse satisfaisant une vaste gamme de besoins. Au demeurant, le coût réel d’une machine dédiée devrait être étudié avec soin, notamment en prenant en compte les dépenses à engager pour augmenter son énergie.

En tout état de cause, il existe un historique des synchrotrons dans le monde dont il faut tenir compte.

A propos de l’augmentation de l’énergie d’un synchrotron de 1,5 GeV, M. Georges CHARPAK a noté que, si la France était " copropriétaire " d’une machine britannique à hauteur de 7 lignes de lumière, la question ne se poserait pas. Il a par ailleurs demandé à M. Giorgio MARGARITONDO son point de vue sur les différences entre les synchrotrons de 3ème et de 4ème génération.

M. Giorgio MARGARITONDO a estimé que " l’on sait faire aujourd’hui des machines plus performantes " que celles de 3ème génération actuellement en service.

A cet égard, M. Giorgio MARGARITONDO a expliqué que les temps de faisceau de la cristallographie sont notamment diminués, avec des manipulations qui pourraient au demeurant faire l’objet d’automatisation, notant ultérieurement que, dans les autres types de recherche, " les temps de faisceau sont souvent de quelques semaines ".

Au reste, les deux types de recherche de pointe – travaux nécessitant des faisceaux de haute ou de basse énergie – semblent à M. Giorgio MARGARITONDO, d’égale importance.

Ainsi, les nanotechnologies et les systèmes électroniques à très faible densité font intervenir des phénomènes dont la compréhension est encore " primitive ". Leur étude est toutefois possible avec des rayonnements de basse énergie, quelques électrons volts. Il s’agit là de voies nouvelles de recherche pour lesquelles une haute résolution est impérative.

Dans le même ordre d’idées, il convient également de remarquer que pour un autre domaine, celui de la supraconductivité à haute température, les recherches ne sont pas conduites à Berkeley (2 GeV) ou à Argonne (7 GeV) mais sur les synchrotrons de Stanford ou du Wisconsin, deux synchrotrons de la génération précédente et d’une énergie peu élevée.

M. Georges CHARPAK a continué les propos de M. Giorgio MARGARITONDO en relevant qu’une machine de 1,5 GeV qui n’est pas optimisée pour faire de la cristallographie, peut quand même en faire. Ainsi, le LURE accueille des biologistes qui ne travaillent pas avec des faisceaux de haute énergie.

Poursuivant sa description des recherches menées dans le domaine des basses énergies, M. Giorgio MARGARITONDO a souligné les nouvelles applications du rayonnement synchrotron dans le domaine médical. Les progrès effectués permettent de passer de l’analyse d’échantillons de petite dimension à la résolution de 1 µm, ce qui ouvre de nouveaux champs en néobiologie et en écologie.

Au final, dans le domaine du rayonnement synchrotron, la biologie ne se résume pas aux rayons X. De surcroît, il convient de ne pas sacrifier les autres communautés scientifiques en ne satisfaisant que les seuls besoins de la cristallographie.

En toute hypothèse, la France aura accès aux ressources du Royaume Uni pour la cristallographie des protéines. Si tel n’était pas le cas, alors il conviendrait de construire un synchrotron de 2,5 GeV.

En réponse à une question de M. Gilles COHEN-TANNOUDI sur les relations entre la Table ronde européenne du rayonnement synchrotron, la Fondation européenne de la science et le groupe de travail cité par M. Vincent COURTILLOT dont l’importance va croître à l’avenir, M. Giorgio MARGARITONDO a indiqué qu’il n’y a pas de relation officielle mais une collaboration informelle.

M. Giorgio MARGARITONDO a par ailleurs estimé qu’il n’y a pas d’idée précise actuellement sur les besoins de la cristallographie des protéines, et que " personne ne sait ce que sera le domaine nouveau de la génomique structurale ". Mais, en tout état de cause, il se pourrait que une " crise " apparaisse, car " il n’y aura pas de spécialistes en nombre suffisant ". M. Giorgio MARGARITONDO a par ailleurs appelé à " ne pas perdre de domaine de recherche en France ".

Un dialogue s’est alors développé entre M. Georges CHARPAK et M. Giorgio MARGARITONDO. M. Georges CHARPAK lui a demandé de préciser, dans la mesure où il aurait encore des liens avec le projet helvétique, si la Suisse serait intéressée à participer à un synchrotron de 1,5 GeV.

M. Giorgio MARGARITONDO a alors indiqué que, si la Suisse avait finalement choisi le niveau de 2,5 GeV, c’était parce qu’on avait considéré qu’il était impossible d’ignorer les besoins de l’industrie pharmaceutique nationale dans un projet d’une telle envergure. S’agissant de l’intérêt d’autres communautés scientifiques que celle des rayons X pour une machine française de 1,5 GeV, il convient de poser la question aux intéressés. Il a ajouté qu’au demeurant, l’industrie pharmaceutique suisse ne participe pas au financement de la construction de l’anneau mais va probablement participer à celui de différentes lignes de lumière.

M. Vincent MIKOL, directeur de recherche chez Aventis, après avoir travaillé pour un laboratoire pharmaceutique suisse, a confirmé que des entreprises suisses ont bien participé au financement de lignes de lumière sur le synchrotron ESRF (ligne suisse-norvégienne).

M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, se référant à sa visite du Deutsche Elektron-Synchrotron (DESY) de Hambourg, a indiqué que pour un projet de collisionneur linéaire comme TESLA, il faut une coopération européenne.

Quant aux synchrotrons d’application, il s’agit d’un tout autre problème, la seule question étant celle de leur répartition en Europe. A cet égard, les effets de synergie et de proximité sont essentiels.

M. Giorgio MARGARITONDO a ensuite rapporté sa récente conversation avec M. Jochen SCHNEIDER, qui lui a indiqué que " le laser TESLA a fonctionné " la semaine dernière, une information importante à ses yeux. Au reste, la source TESLA est une source à impulsion différente des synchrotrons habituels. En réalité, si le projet TESLA est indispensable pour développer les lasers à électrons libres, ces derniers sont justiciables d’une coopération européenne.

Au demeurant, un modèle ressort de l’expérience de la Table ronde européenne. " Des sources nationales gérées indépendamment sont indispensables jusqu’à une certaine taille, les besoins pour les énergies les plus élevées étant satisfaits par l’ESRF ".

La raison en est que le poids de la bureaucratie est moins " dangereux " au niveau d’un synchrotron national, " la gestion nationale garantissant plus de souplesse et d’efficacité ".

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a abondé dans ce sens, en estimant que les sources nationales sont à même de mieux fonctionner grâce à une direction unique, ce que M. Georges CHARPAK a contesté.

M. Giorgio MARGARITONDO a souligné par ailleurs l’utilité du programme " Access to Large Facilities " de la Commission européenne. Il a cité également le programme de coopération sur les instruments, dans le domaine de la polarisation circulaire, qui met en jeu des sommes faibles et permet un partage des résultats fructueux.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI, a fait alors un retour sur les propos de M. François GOUNAND du CEA qui soulignait, en début de réunion, l’avantage de l’ouverture du LURE sur l’étranger mais l’inconvénient que la France ait à sa charge le financement des dépenses correspondantes. Il s’est demandé si les procédures de collaboration internationale distinguent d’une part entre le financement de la source et d’autre part celui des lignes de lumière et des stations expérimentales et s’il serait possible de trouver des améliorations dans ce domaine, en imaginant des " tours de table " spécifiques pour ces équipements périphériques.

M. Giorgio MARGARITONDO a répondu par l’affirmative. Il a également pointé la réciprocité qui existe dans les accès aux synchrotrons européens. Si, lorsque les chercheurs espagnols viennent au LURE, c’est bien la France qui paye le coût d’utilisation de la machine, c’est en revanche l’Allemagne qui assume la charge du coût correspondant aux travaux réalisés sur des synchrotrons allemands par des chercheurs français. " Si des mécanismes rigides de compensation devaient être introduits, cela créerait de la bureaucratie en plus ".

Analysant au fond des choses les processus de coopération internationale, M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a estimé qu’avec la construction d’un synchrotron anglo-français au terme de discussions serrées entre la France avec le Royaume Uni et le Wellcome Trust, " on fera reculer de fait la coopération internationale ".

En effet, alors que le partage des lignes de lumière se sera probablement fait de haute lutte et que le nombre de celles-ci sera inférieur aux besoins de deux pays, on peut redouter que les partenaires anciens de la France, comme l’Espagne au LURE, se voient exclus de DIAMOND, alors qu’ils pouvaient bénéficier auparavant de temps de faisceau.

M. Giorgio MARGARITONDO a jugé qu’effectivement, " on le craint ". Il existe en effet actuellement un réseau européen comportant deux ensembles de synchrotrons, ceux du LURE et la source SRS de Daresbury. On s’attendait que ces deux machines soient remplacées. Or au lieu des deux synchrotrons espérés, il ne pourrait y en avoir qu’un, alors même que la croissance des besoins continue.

M. Jean GALLOT a fait remarquer que, si un accord n’avait pas été signé avec le Royaume Uni, l’énergie du synchrotron français aurait été fixée à 2,5 GeV.

Comme M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, qui a estimé que rien d’irréversible n’a été signé pour le moment entre la France et le Royaume Uni, M. Jean GALLOT a noté qu’il existe une possibilité d’échec à ce sujet, si le rapport qualité-prix obtenu n’est pas satisfaisant. Au demeurant, M. Jean GALLOT a rappelé les propos du Professeur Nils MARTENSSON, selon lesquels, s’il devait construire une nouvelle machine aujourd’hui, il choisirait une énergie de 2,5 GeV.

M. Giorgio MARGARITONDO a par ailleurs évoqué la nécessité de considérer les " conditions aux limites ". Si la France devait construire un seul synchrotron, au surplus sans avoir de " liaison " avec d’autres machines, il conviendrait de construire un synchrotron de 2,5 GeV. La position officielle française ayant changé, M. Giorgio MARGARITONDO a indiqué que la Table ronde européenne ne saurait prendre position contre la participation française au projet DIAMOND.

M. Georges CHARPAK a ensuite repris le cas d’une copropriété franco-anglaise de DIAMOND à laquelle s’ajouterait un synchrotron de 1,5 GeV implanté sur le sol français.

Prenant l’hypothèse que la France et le Royaume Uni ne constituent qu’un seul pays, il a demandé à M. Giorgio MARGARITONDO ce qu’il conviendrait de faire, deux machines de 2,4 et 2,4 GeV ou bien une machine de 3 GeV et une machine de 1,5 GeV.

La réponse de M. Giorgio MARGARITONDO a été qu’il " faudrait 3 GeV et 1,5 GeV ".

Sur ce point, M. Vincent MIKOL a estimé que tout dépend des communautés et de leurs besoins. Or c’est la biologie structurale qui va évoluer le plus vite. Il a rappelé par ailleurs que les Etats-Unis disposent de 40 lignes de lumière pour la biologie structurale et l’Europe 18 seulement. Pour ces deux raisons, c’est au contraire un synchrotron de 3 GeV qu’il faut construire en France.

M. Georges CHARPAK a alors repris la parole pour indiquer qu’il faut décider la construction d’un autre synchrotron mais " pas forcément " au LURE. En réalité, à l’échelle européenne, " on peut conclure des accords pour avoir 10 lignes de lumière ou 20 " de plus que les 7 projetées sur DIAMOND pour la cristallographie à rayons X.

En revanche, on peut espérer que la communauté scientifique européenne se structure autour de la France pour les applications ouvertes par un synchrotron de 1,5 GeV.

M. Giorgio MARGARITONDO a considéré que, s’il existe un déficit en Europe pour les lignes de lumière adaptées à la cristallographie des protéines, le problème est plus général. Dans le cas particulier de la France, si celle-ci a besoin d’accéder à des faisceaux, il lui faut aussi mettre en place un programme cadre plus important pour le soutien des laboratoires.

A l’initiative de M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, un débat s’est alors produit sur les caractéristiques des synchrotrons construits aujourd’hui. M. Giorgio MARGARITONDO a confirmé que les machines actuellement en construction n’ont pas une énergie de 1,5 GeV. M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, a relevé que les Etats-Unis, en particulier, ne font pas ce choix.

M. Giorgio MARGARITONDO a ensuite indiqué que l’évolution de Berkeley, où la recherche à haute énergie a augmenté, cause une distorsion dans l’appréciation de la situation. Ainsi, le synchrotron implanté dans le Wisconsin, une machine au demeurant de faible énergie, s’avère très utile et produit de nombreux résultats donnant lieu à publication dans des revues prestigieuses.

Il a également insisté sur la nécessité d’un plan global en faveur de la biologie structurale, comprenant des aides pour la mise au point de méthodes de cristallisation, de techniques d’examen préliminaire des cristaux dès leur formation et de moyens d’étude des protéines membranaires que l’on ne sait pas actuellement cristalliser.

M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, est revenu sur le handicap que subirait l’industrie pharmaceutique nationale si la France ne disposait pas sur son sol de ressources en rayonnement synchrotron dédié à la cristallographie. Au reste, la biologie est sans doute le domaine où le " frottement " entre la recherche et l’industrie est le plus fort. Comment accepter que ce qui a été jugé nécessaire en Suisse pour les besoins de l’industrie pharmaceutique locale, à savoir la source SLS de 2,5 GeV, ne le soit pas pour l’industrie pharmaceutique française ?

Sur la question de la source suisse, M. Giorgio MARGARITONDO a confirmé qu’à cette occasion, il avait fallu logiquement tenir compte des besoins de l’industrie pharmaceutique suisse, qui n’aurait pas pu se passer d’accès à des faisceaux. Au demeurant, si le synchrotron DIAMOND n’était pas une installation ouverte, " cela poserait problème ".

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a alors noté qu’il existe un potentiel d’amélioration des lignes de lumière, en particulier avec la robotisation pour la biologie structurale. On peut imaginer de privilégier en France la spectroscopie mais " il faut entretenir nos compétences ". A cet égard, la position de la Table ronde européenne du rayonnement synchrotron, recommandant la construction de deux nouveaux synchrotrons, prend fidèlement en compte les besoins.

En revanche, la position prise au cours de la présente audition par M. Giorgio MARGARITONDO, sur l’intérêt d’un synchrotron de 1,5 GeV complétant en France l’apport de DIAMOND, ne préviendrait en rien l’apparition d’un " gros problème " en Europe pour les faisceaux de haute énergie utilisés en cristallographie.

M. Giorgio MARGARITONDO confirme la prise de position officielle de la Table ronde européenne en faveurs de deux nouveaux synchrotrons.

M. Gilles COHEN-TANNOUDJI a alors poursuivi en considérant que ce débat complexe pourrait connaître une évolution importante si l’Union européenne confirmait l’engagement plus fort au service des grands instruments annoncé par M. Vincent COURTILLOT au cours de la présente audition.

Au reste, les problèmes de financement sont du deuxième ordre par rapport à l’enjeu scientifique du rayonnement synchrotron. Il est important, en tout état de cause, que M. Giorgio MARGARITONDO ait confirmé la position de la Fondation européenne de la science, selon laquelle, en l’absence d’un nouveau synchrotron au Royaume Uni et en France, il apparaîtrait un " manque en France et en Europe ".

Pour terminer, M. Giorgio MARGARITONDO a attesté avoir fait parvenir des lettres dans ce sens au Premier ministre, M. Lionel JOSPIN, et au ministre de la recherche, M. Claude ALLEGRE.

Après ces échanges, M. Christian CUVILLIEZ, Député, rapporteur, et M. René TRÉGOUËT, Sénateur, rapporteur, ont levé la séance, non sans avoir remercié les participants pour leur contribution.