G8
Question de :
M. Henri Nallet
Yonne (2e circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 25 juin 1997
M. le président. La parole est à M. Henri Nallet, qui respectera la brièveté nécessaire.
M. Henri Nallet. Monsieur le Premier ministre, au sommet des pays industrialisés, à Denver, les dirigeants américains ont manifesté leur volonté d'imposer au reste du monde leurs recettes ultra-libérales en matière d'économie. Ces recettes s'appellent déréglementation et flexibilité du travail, privatisation des systèmes de protection sociale, toutes mesures qui - on le sait - aggravent la pauvreté.
Le 24 mai et le 1er juin, les Français ont manifesté clairement qu'ils ne voulaient pas de ces recettes.
Monsieur le Premier ministre, depuis lors, en particulier lors du sommet d'Amsterdam, vous avez entrepris d'ouvrir une voie différente à l'accompagnement de la croissance, une voie plus respectueuse des hommes et plus respectueuse de leur combat pour la justice.
Ma question est la suivante: monsieur le Premier ministre, qu'allez-vous entreprendre, maintenant, dans votre bataille pour fédérer les Européens et leurs dirigeants autour de leur expérience de vie en société ? Autrement dit, qu'allez-vous faire, dans les semaines et les mois qui viennent, pour défendre ce modèle social européen qui, aujourd'hui, fait figure d'exception dans le monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Arthur Dehaine. Rien, comme d'habitude ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre, dans les mêmes conditions de briéveté.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, vous avez raison de mettre en perspective deux événements politiques internationaux qui se sont succédé: le sommet européen d'Amsterdam et le sommet du G7 ou du G8 de Denver.
L'Europe n'a pas la puissance des Etats-Unis et les règles, qui peuvent s'inscrire dans le sillage de cette puissance considérable aux Etats-Unis, ne sauraient avoir la même efficacité en Europe.
L'Europe n'a pas le même modèle que les Etats-Unis et a toujours essayé de préserver un équilibre entre l'économique et le social.
Au sommet d'Amsterdam, où j'étais aux côtés du chef de l'Etat, accompagné de deux ministres, nous nous sommes efforcés, dans un délai très bref - la réunion des ministres de l'économie et des finances se tenait cinq jours après la constitution du gouvernement en France - et en rupture avec les temps de travail de l'Union européenne, qui sont généralement très longs, de rééquilibrer un dispositif que nous avions trouvé en l'état, centré sur un pacte de stabilité presque exclusif, avec, heureusement, le contrepoint, mais dans un autre champ, de la conférence intergouvernementale que représentait l'inclusion du chapitre «emploi» dans le traité.
Dans ce laps de temps très bref, nous nous sommes efforcés de redresser les choses et, à côté des exigences légitimes de stabilité budgétaire et de rigueur monétaire, d'introduire d'autres perspectives plus larges liées à l'emploi, à la croissance et à la concertation des politiques économiques.
D'après ce qui m'a été dit très clairement par le Président de la République, la parole de la France ayant été engagée sur le pacte de stabilité avant que nous arrivions aux responsabilités, je considère que ce que nous avons pu obtenir en quelques jours constitue une ouverture pour l'avenir mettant en regard des exigences sur la stabilité des perspectives, y compris tirées du traité, sur l'emploi, sur la concertation des politiques économiques, qu'il nous revient maintenant, au cours des mois et des années qui viennent, de nourrir et de faire fructifier.
Nous voulons donc rééquilibrer le modèle européen. La France, avec son originalité, le Gouvernement et la majorité peuvent y parvenir.
Nous ne voulons pas d'une Europe qui se dilue dans la réalité mondiale. Nous ne voulons pas d'une Europe dont les mécanismes de décision ne soient pas à la hauteur des défis de l'élargissement. De ce point de vue, je ne suis pas satisfait des résultats de la conférence intergouvernementale.
Il faut savoir, comme je l'ai dit il y a huit jours, que nous avons travaillé sur les instructions du précédent gouvernement et que le seul point sur lequel nous aurions pu éventuellement les modifier pour obtenir un climat meilleur à Amsterdam était de savoir si nous acceptions la règle de la double majorité, qui aurait pour conséquence naturelle que les pondérations démographiques joueraient au profit d'un autre grand pays européen et aux dépens de notre représentation. Ni le Président de la République ni moi-même n'avons pensé que nous pouvions accepter cette règle de la double majorité. Nous sommes restés attachés à la règle précédente, ce qui a sans doute contribué à une certaine irritation. Il faudra, à mon sens, reprendre ce dispositif de la CIG.
Je n'étais pas au sommet de Denver. («Ah !» sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Je ne suis pas, mesdames, messsieurs les députés, attaché à des rôles de représentation formelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Pierre Mazeaud. Et Dominique alors ? (Rires.)
M. le Premier ministre. J'y viens, monsieur Mazeaud, sans problème !
Dominique Strauss-Kahn et le ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, ont, comme il convenait, accompagné le Président de la République que nous ne voulions pas laisser seul dans cette circonstance pas très commode pour notre pays et pour l'Europe ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Je ne suis pas satisfait des résultats de Denver. Nous ressentons, comme vous, une certaine tendance à l'hégémonie qui n'est pas forcément identifiable au simple exercice des responsabilités mondiales d'une grande puissance, fût-elle amie. Il relèvera de la volonté de l'Europe, de la capacité de la France - mon gouvernement et cette majorité y contribueront - que la prochaine fois, peut-être, les préoccupations de l'Europe soient prises en compte avec plus de force. C'est dans ce sens que je préparerai avec le Gouvernement les futurs rendez-vous internationaux européens.
Je n'irai pas là où ma place n'est pas formellement requise mais j'irai là où la politique du Gouvernement français devra être mise en place et suivie d'effets. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)
Auteur : M. Henri Nallet
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 25 juin 1997