Question au Gouvernement n° 1034 :
équilibre financier

11e Législature

Question de : M. François Goulard
Morbihan (1re circonscription) - Démocratie libérale et indépendants

Question posée en séance, et publiée le 23 décembre 1998

M. le président. La parole est à M. François Goulard.
M. François Goulard. Monsieur le Premier ministre, l'annulation par le Conseil constitutionnel du coeur du dispositif de régulation des dépenses de santé élaboré par votre ministre de l'emploi et de la solidarité n'est pas une péripétie technique. Elle pose en réalité un problème beaucoup plus grave.
La décision du juge constitutionnel n'est pas sur votre route un simple obstacle que vous pourriez contourner par quelque artifice juridique. Du reste, la ministre, qui avait envisagé d'utiliser l'arme des tarifs des actes médicaux pour aboutir aux mêmes sanctions à l'égard des médecins, a dû rapidement battre en retraite, comprenant vite qu'elle encourrait ce faisant la censure du Conseil d'Etat pour détournement de pouvoir.
Cette censure consacre sur le plan constitutionnel l'échec d'une formule dont nous avons constamment dénoncé l'injustice et l'inefficacité.
Mme Odette Grzegrzulka. Pas vous, pas ça !
M. François Goulard. Disposer à la fois d'une offre de soins de très bon niveau et d'un remboursement de ces soins par l'assurance maladie est à l'évidence une des préoccupations majeures de tous les Français, et le devoir de tout gouvernement est de chercher à y répondre.
Or la difficulté aujourd'hui est évidente, puisque le vieillissement de la population et des progrès de la médecine sont autant de facteurs de hausse des dépenses. La seule réponse jusqu'à présent apportée s'est limitée à un contrôle bureaucratique, centralisé, assorti de sanctions collectives. Elle est, nous venons de le voir, juridiquement impossible. Mais un mécanisme de sanctions individuelles, gouverné d'en haut en vertu d'objectifs de dépenses arbitraires, est tout aussi inacceptable. Fixer a priori le niveau de dépenses d'un médecin est parfaitement absurde; le sanctionner en cas de dépassement est totalement infondé.
Dès lors, monsieur le Premier ministre, allez-vous abandonner une approche de l'assurance maladie tout à la fois idéologique et technocratique pour vous tourner vers des réponses pragmatiques, autrement dit décentraliser et jouer l'initiative et la responsabilité des acteurs plutôt que de les enfermer dans un carcan ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le député, si le Conseil constitutionnel a annulé la clause de sauvegarde en tant que clause collective appliquée à tous et non à chaque médecin en fonction de son comportement, il n'en a pas moins reconnu la validité d'une clause de responsabilité des médecins en matière de sécurité sociale.
Par ailleurs - et vous devez vous en souvenir, ayant assisté à l'ensemble du débat sur la loi de financement de la sécurité sociale -, nous avons toujours considéré la clause de sauvegarde comme un ultime recours, un serre-file, alors même que nous mettions en place des dispositifs capables d'amener notre système de soins à soigner mieux, à soigner tout le monde en toute sécurité et à soigner moins cher. Dans notre esprit, nous ne devions utiliser cette clause que in fine, seulement pour le cas où les rendez-vous pris en milieu d'année avec les partenaires syndicaux et les caisses ne portaient pas leurs fruits; enfin, et nous l'avions voulue, vous le savez bien, transitoire.
L'essentiel pour moi reste que le Conseil constitutionnel ait reconnu la validité des dispositions qui nous permettront de mettre en place un mécanisme de réforme du système de santé décentralisé, négocié et concerté. Alors qu'il avait annulé les conventions qui étaient conformes aux ordonnances Juppé, il a ainsi admis la validité de la mise en réseau, de la mise en filière autour du malade, autour d'une pathologie. C'est là un élément majeur de l'évolution de notre système de soins; les généralistes et MG-France l'ont dit et reconnu en signant la convention avec la CNAM.
Le Conseil constitutionnel a également retenu la validité de la décentralisation des unions régionales de médecins que nous avons entendu doter de réels pouvoirs d'évaluation des médecins et des pratiques. Sur ce point aussi, nous avions travaillé sur le terrain, en concertation avec les médecins et non, comme vous venez de le prétendre, de manière bureaucratique et centralisée. Le Conseil a enfin reconnu valable l'ensemble des dispositions que nous avons mis en place pour conforter la politique conventionnelle et lui donner la possibilité de mettre en place de nouveaux modes d'exercice et de rémunération de la médecine, des critères différents de démographie médicale ainsi qu'une commission de transparence afin que chacun ait accès aux statistiques en matière de sécurité sociale.
Au total, c'est bien toute notre démarche, décentralisée, négociée, visant, avec les médecins, à faire bouger le système de soins, ce que vous n'avez pas fait, qui a été acceptée par le Conseil constitutionnel. Ne confondez pas le transitoire et le marginal avec l'essentiel. Après donc avoir rappelé l'essentiel, je reviens sur la clause de sauvegarde.
Le Conseil constitutionnel nous ayant demandé d'individualiser, nous allons devoir trouver une solution. Ce n'est pas facile et je partage sur ce point ce que vous avez dit...
Il est très difficile de dire qu'un médecin est vertueux et un autre non et de sanctionner celui-ci et pas celui-là. Bien sûr, nous connaissons ceux qui fraudent ou qui abusent; le contrôle médical de la CNAM est là pour les punir. Mais comment pouvons-nous dire qu'un bon médecin dont la clientèle s'accroît doit être sanctionné par rapport à tel autre dont la clientèle diminue ? Si deux médecins, dans une petite ville, prennent la clientèle d'un troisième parti à la retraite et voient de ce fait augmenter leur chiffre d'affaires, doivent-ils en être pénalisés ? Encore mieux: devrions-nous sanctionner des médecins au motif que leur clientèle comprend désormais des malades atteints du cancer ou du sida et que, de ce fait, le montant de leurs prescriptions s'accroît brutalement ? Nous ne voulons pas d'un système qui mettrait un gendarme derrière chaque médecin, pis, derrière chaque malade pour vérifier les pathologies et déterminer l'enveloppe correspondante. Ce serait instituer le rationnement que justement nous refusons.
Il faut donc trouver une solution. Nous le ferons avec la même détermination que celle dont nous avons fait preuve jusqu'à présent, car nous souhaitons que notre sécurité sociale soit pérennisée avec les médecins et les professionnels de santé. Nous trouverons, par la concertation, une formule qui respectera la décision du Conseil constitutionnel sans pour autant aller vers une individualisation techniquement non souhaitable et dangereuse pour les raisons que vous avez indiquées et que je partage.
Nous continuerons donc dans le même esprit, c'est-à-dire une détermination féroce, à faire évoluer notre système de soins et de santé pour que chacun puisse se faire soigner à moindre coût, mais aussi avec la volonté d'avancer de manière décentralisée, régionalisée, négociée avec l'ensemble des médecins, même si sur telle ou telle clause, certains sont parfois en désaccord avec nous. Et puisque j'ai entendu M. Madelin s'exprimer, permettez-moi d'ajouter que s'il est une chose que nous ne laisserons jamais faire, c'est mettre à bas la sécurité sociale pour laisser entrer l'assurance privée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Vous auriez tort de vous réjouir d'une telle perspective, car l'étude que nous avons menée sur l'ensemble des systèmes d'assurance privés en Europe montre clairement que non seulement cela ne coûterait pas moins cher, mais qu'il y aurait sans doute 25 ou 30 % de médecins en moins, et des malades sélectionnés sur le risque, en d'autres termes une inégalité et une inéquité totales.
Ne comptez pas sur nous pour aller sur cette voie-là ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. François Goulard

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Assurance maladie maternité : généralités

Ministère interrogé : emploi et solidarité

Ministère répondant : emploi et solidarité

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 23 décembre 1998

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