construction aéronautique
Question de :
M. Pierre Lellouche
Paris (4e circonscription) - Rassemblement pour la République
Question posée en séance, et publiée le 21 janvier 1999
M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. Monsieur le Premier ministre, lors d'une interview récente accordée à un grand journal du soir, assortie, je dois le reconnaître, d'une très belle photo...
M. Jean-Pierre Brard. Jaloux !
M. Pierre Lellouche. ... qui mettait en évidence votre profil présidentiel (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), vous avez voulu montrer votre intérêt pour les questions de politique étrangère et de défense. Vous comprendrez donc que je vous adresse ma question puisqu'elle porte sur un dossier extrêmement important de politique industrielle de défense.
M. Jean-Pierre Brard. Toujours modeste, Lellouche !
M. Pierre Lellouche. Hier, vos amis politiques britanniques - décidément, vous n'avez pas de chance avec vos amis politiques, que ce soit avec les Allemands pour le nucléaire ou avec les Britanniques pour l'aéronautique (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) - ...
M. Bernard Roman. Ridicule !
M. le président. S'il vous plaît !
M. Pierre Lellouche. Hier, disais-je, vos amis politiques britanniques ont fait procéder ou ont laissé procéder à un regroupement industriel extrêmement important entre le groupe British Aerospace et le groupe GEC-Marconi. La question est vraiment opportune, étant donné la présence ici de M. Glenn, qui s'y connaît en aéronautique.
Le groupe British Aerospace - GEC-Marconi devient aujourd'hui le troisième groupe mondial et le premier groupe européen. Le seul problème, c'est que ce premier groupe européen est complètement «anglo-britannique» !
Autre problème: même si on parvient à regrouper Lagardère, Aerospatiale et Dassault, le groupe obtenu pèsera la moitié du groupe britannique et le quart du premier groupe américain, Lockheed-Martin.
Depuis 1945 et jusqu'à présent notre pays avait été aux avant-postes de la technologie européenne et mondiale en matière d'aéronautique, et nous en sommes ici tous fiers. Or ce secteur industriel, qui fait vivre des centaines de milliers de personnes, qui est une source inespérée pour nos exportations, vous êtes en train de le laisser sur le bord de la route alors que s'organisent les restructurations industrielles européennes.
Monsieur le Premier ministre, vous êtes au pouvoir depuis vingt mois.
M. Jacques Myard. Déjà !
Mme Martine David. A peine !
M. Pierre Lellouche. Ce dossier, vous ne le découvrez pas. Des industriels français, allemands et britanniques vous l'ont dit, nombre d'entre nous vous l'ont également dit, dont moi-même il y a trois mois: il est urgent d'agir, de privatiser, d'organiser un grand bloc français allié aux Européens.
Monsieur le Premier ministre, ma question est simple: pourquoi et comment avez-vous raté cet énorme rendez-vous historique ? Que comptez-vous faire pour sortir l'industrie aéronautique française de l'impasse où vous venez de l'entraîner ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, d'abord une question de méthode, je dirai même une question de principe, importante en ce qui concerne les relations entre les pays européens: je ne considère pas le Premier ministre britannique comme un ami politique, mais comme le Premier ministre de Grande-Bretagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Mme Martine David. Très bien !
M. Pierre Lellouche. Ce n'est pas une réponse !
M. le Premier ministre. Monsieur Lellouche, vous posez vos questions librement et vous vous attirez les réponses libres qu'elles méritent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
De la même manière, lorsque le Président de la République française rencontre le Chancelier allemand, il ne rencontre pas un adversaire politique mais le Chancelier d'Allemagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). C'est ainsi que nous concevons, lui et moi - et, je pense, la majorité des élus de cette assemblée -, les relations avec nos partenaires européens, dans la fidélité à nos convictions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Pierre Lellouche. On vous le rappellera à l'occasion !
M. le Premier ministre. Toute question appelle donc réponse et toute aventure conceptuelle ou verbale peut attirer une réplique.
Sur le fond, je rappelle que les entreprises privées britanniques déterminent librement leurs choix d'alliance et que ces choix ne dépendent pas des injonctions du gouvernement français.
Nous avons en l'espèce, en tant qu'actionnaire majoritaire, laissé l'entreprise Thomson, alliée avec Alcatel - parce que nous avons opéré des restructurations industrielles destinées à renforcer la main de la France dans la compétition mondiale à laquelle se livrent les secteurs de pointe - ,...
M. Georges Lemoine. Très bien !
M. le Premier ministre. ... faire une offre pour Marconi, comme l'ont fait BAE et une entreprise américaine.
Cette décision a été prise par deux entreprises à dominante britannique, sans doute parce que, dans la conception du capitalisme anglo-saxon, GEC ne souhaitait pas qu'il y ait un partenaire de référence trop puissant. Or Thomson présentait ces caractéristiques, comme la plupart de nos grandes entreprises, d'ailleurs. En effet, contrairement au capitalisme anglo-saxon, nous ne sommes pas pour une dispersion pure et simple du capital. Cet élément a été, semble-t-il, pris en considération.
M. Pierre Lellouche. Tout à fait ! Et vous resterez seuls !
M. le Premier ministre. Je n'exclus pas non plus, sans pouvoir y décerner la part des influences politiques exercées par les gouvernements, qu'un choix britannique ait été préféré à tout autre choix.
M. François Goulard. C'est contradictoire !
M. le Premier ministre. Nous ne nous réjouissons pas de cette décision. Car je pense, comme l'a rappelé le ministre de la défense, que Thomson est, en ce qui concerne la recherche et la compétitivité, tout à fait à la hauteur du nouveau groupe.
Je veux être prudent mais il y a peut-être un aspect positif dans cette affaire. Si j'en juge par les premières réactions allemandes, notamment celles de DASA, la fusion entre British Aerospace, BAE, et Daimler DASA, qu'on annonçait imminente depuis plusieurs mois, et que le Gouvernement français avait prise avec réalisme et sang-froid, ne semble pas s'en trouver facilitée.
Nous avons bien l'intention - si c'est aussi la vision qu'en ont les responsables d'entreprises, le président d'Aérospatiale notamment - de voir comment, sur le terrain de l'aéronautique, décisif pour nous, et dans la perspective du changement de statut d'Airbus, ainsi qu'en tenant compte de la volonté de construire une grande industrie européenne de défense, selon les termes de la déclaration de décembre 1997 signée par le Président de la République et par moi-même au nom de la France, ainsi que par le Chancelier allemand et le Premier ministre britannique, nous pouvons en faire un élément pour construire mais peut-être à partir d'un rapprochement franco-allemand.
Nous allons refaire des propositions en ce sens. Nous voyons en tout cas dans ce qui s'est passé des raisons d'accélérer la finalisation des discussions qui sont menées entre Matra Hautes technologies et Aérospatiale, en vue de constituer un grand groupe. Cela vous démontrera que, contrairement à l'absence de décisions constatée pendant les années précédentes, nous faisons avancer, effectivement et concrètement, les restructurations industrielles, afin de renforcer le potentiel de la France dans une perspective de construction européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
Auteur : M. Pierre Lellouche
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Industrie
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 21 janvier 1999