Kosovo
Question de :
M. Jean-Michel Boucheron
Ille-et-Vilaine (1re circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 31 mars 1999
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Boucheron.
M. Jean-Michel Boucheron. Monsieur le ministre de la défense, pendant cinq ans, en Bosnie, nous avons assisté au nettoyage ethnique: 200 000 morts; cinq ans de guerre; des centaines de milliers de réfugiés terrorisés, déracinés; des négociations interminables où, à de multiples reprises, la communauté internationale a été trompée, trahie par le Président serbe.
Depuis un an, nous assistons au même processus, à la même escalade de la répression, cette fois au Kosovo où M. Milosevic applique toujours la même recette: quand on ne peut déplacer les frontières, on déplace les peuples.
Depuis un an, le groupe de contact essaie, par de multiples initiatives, d'arrêter cette logique raciste. Les négociations de Rambouillet ont échoué, alors que la diplomatie internationale avait réussi à convaincre la partie albanaise que le Kosovo, où les Albanais représentent 90 % de la population, reste en Serbie. Nous apprenons aujourd'hui même que des membres de cette délégation ont été assassinés. Visiblement, une fois de plus, le Président Milosevic utilise le temps des négociations pour mettre en place son dispositif militaire et paramilitaire.
La communauté internationale, comme la communauté nationale, souhaite mettre fin à ces exactions. L'intervention militaire menée actuellement est la seule méthode pour convaincre M. Milosevic qu'il est dans l'impasse. Le peuple serbe est un peuple ami qui vit sous la dictature, et nous sommes, ici, tous malheureux d'être dans l'impossibilité de l'informer de la réalité des choses.
Monsieur le ministre, la deuxième phase qui desserrera l'étau peut-elle intervenir rapidement ? Quelles sont aujourd'hui les perspectives pour que le Kosovo soit un espace pluricommunautaire sécurisé, pour que l'Europe soit un espace politique où les conflits se règlent par le vote et le respect des minorités ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le député, vous avez eu raison de rappeler ce qu'ont été il y a quelques années les événéments de Bosnie car, en les examinant avec le recul, nous pouvons au moins en tirer la leçon que la détermination, la volonté politique commune et persistante de la communauté internationale a pu, à force de temps, faire reculer la guerre et rétablir, certes laborieusement, certes de façon précaire, la possibilité de vivre ensemble pour des communautés différentes. Il faut nous en souvenir maintenant.
Les frappes aériennes en cours ne prennent leur sens que si l'on se rappelle comment elles ont été conçues et comment a été prise la décision de les mettre en oeuvre.
Leur conception remonte à l'automne dernier, lorsque les Etats membres de l'Alliance ont décidé ensemble - chaque gouvernement, chaque chef d'Etat responsable - d'exercer sur M. Milosevic une pression crédible, fondée sur la résolution 1199 du Conseil de sécurité qui demandait la fin des violences au Kosovo et la reprise de négociations équitables. Il s'agissait alors de faire venir le Président yougoslave à la table de négociation, chacun prenant sa part de responsabilités: le groupe de contact, l'Organisation des Nations unies, l'Union européenne, pour offrir un cadre politique; l'Alliance, pour exercer la nécessaire menace. Toutes les tentatives employant tous les canaux possibles ont échoué depuis lors: toutes. Le processus de Rambouillet a été une ultime et courageuse tentative, qui est à l'honneur de notre pays, des Européens et des deux autres grands partenaires.
Il a donc fallu en venir à la mise en oeuvre des frappes, mercredi dernier, pour deux raisons principales: parce que la partie serbe a opposé, jusqu'au bout, à toutes les tentatives de solution pacifique, une attitude de refus buté et de préparation cynique de la violence; parce que M. Milosevic avait, à ce moment-là, pris toutes les dispositions nécessaires à l'engagement de la brutale répression qu'il développe actuellement. C'est pour cela que nous avons agi.
Le résultat de cette action, après six jours de frappes, est que la première phase de la planification approuvée par tous les Etats membres de l'Alliance est largement mise en oeuvre. Les capacités de la défense aérienne serbe sont profondément entamées: plus de 50 % de son potentiel, tant de défense que de combat, étaient hors d'usage ce matin.
Le processus est certes long, parce que nous prenons toutes les précautions indispensables pour préserver la population civile. Les Etats ont néanmoins décidé d'accentuer la pression sur les autorités serbes, en mettant en oeuvre la deuxième phase, qui traite une gamme plus vaste d'objectifs militaires. C'est en effet en exerçant une véritable pression sur les instruments militaires dont le régime serbe a un besoin vital que nous obtiendrons des résultats politiques. C'est ce que nous faisons actuellement: frapper les forces elles-mêmes, en prenant ainsi un risque important, dans un contexte qui n'est pas sécurisé pour nos pilotes. J'irai d'ailleurs les rencontrer demain pour leur apporter le message de votre soutien.
Nous savons que nous n'arrêterons pas aussi vite que nous le souhaitons les actions de répression qui se déroulent actuellement. Mais, je vous le demande, la répression à Pristina est-elle plus facile ou plus difficile après la destruction, hier, du quartier général de la police serbe dans cette ville ?
Nous ne perdons pas de vue le fait que notre objectif est politique, comme nous le redisons depuis le début. Il n'y a pas de but militaire en soi. Toute perspective permettant de ramener l'autorité serbe sur le terrain politique et diplomatique doit être examinée. Nous suivons à ce titre avec le plus grand intérêt la démarche russe en cours.
Mais ceux qui comptent sur l'irrésolution de nos démocraties pour trouver une solution non conforme à nos valeurs se trompent. Il est de notre devoir de le leur rappeler. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance.)
Auteur : M. Jean-Michel Boucheron
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : défense
Ministère répondant : défense
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 31 mars 1999