Kosovo
Question de :
M. Jack Lang
Loir-et-Cher (1re circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 7 avril 1999
M. le président. La parole est à M. Jack Lang, pour le groupe socialiste.
M. Jack Lang. Monsieur le Premier ministre, au treizième jour des opérations militaires, l'Assemblée nationale souhaite connaître votre appréciation sur la situation militaire, politique, diplomatique et humanitaire.
Chacun peut constater la résolution exemplaire dont vous faites preuve avec le Président de la République. La stratégie choisie par la France et ses alliés bénéficie, vous le savez, du soutien de mon groupe et d'une large majorité de la commission que j'ai l'honneur de présider. Cette stratégie clairement définie n'a d'autre but que de mettre en échec la politique de nettoyage ethnique engagée depuis déjà dix ans par Milosevic et de permettre aux Kosovars de revenir sur leurs terres et d'y vivre en paix et en sécurité.
Notre unique ambition est donc de servir le droit et la justice. A cet égard, il serait bon qu'en permanence notre action soit reliée à sa perspective politique et à un espoir de sortie de crise.
Comment réagissez-vous, monsieur le Premier ministre, au plan présenté par le président de la commission de la défense de l'Assemblée et qui consiste à obtenir, notamment avec l'aide de la Russie, une résolution du Conseil de sécurité créant une zone humanitaire protégée sur le territoire du Kosovo ?
Sur le front humanitaire, on attend de notre pays et des pays européens une même détermination et un même sang-froid. Rappelons à ceux qui pourraient avoir la mémoire courte que Milosevic a organisé méthodiquement et cruellement l'exode massif des Kosovars. Hier, Vukovar, Sarajevo et Srebrenica, aujourd'hui des centaines de milliers de Kosovars fuyant les atrocités planifiées de forces serbes: des femmes enlevées, des vieillards brûlés dans leur maison, des infirmes brutalisés, des réfugiés battus et volés.
Nous pensons aussi à l'Albanie et à la Macédoine, confrontées à un véritable séisme humanitaire.
Une question se pose depuis quelques heures, à la suite de la proposition de la présidence allemande de l'Union européenne et de quelques autres pays: faut-il organiser, comme l'ont proposé certaines nations, l'expatriation des réfugiés kosovars vers des pays d'Occident, au risque de faire involontairement le jeu de Milosevic, ou faut-il au contraire concentrer nos moyens et nos efforts sur une action humanitaire sur place afin de mettre le plus rapidement possible un terme au calvaire qu'endurent ces réfugiés ?
Si nous voulons arracher à la mort et aux souffrances les centaines de milliers de réfugiés qui se trouvent aux frontières, nous devons alors accorder une priorité absolue à leur sauvegarde sur place.
Indépendamment de ce plan prioritaire de sauvegarde humanitaire sur place, de nombreux collègues seraient attachés à ce que notre pays ne ferme pas ses portes - ce n'est pas le cas - aux Kosovars qui souhaiteraient y bénéficier de l'asile territorial ou du statut de réfugié. Nous sommes dans cet hémicyle un certain nombre d'élus locaux à avoir déjà pris des dispositions en ce sens, ce que vous avez d'ailleurs évoqué dimanche soir.
Pourriez-vous, monsieur le Premier ministre, indiquer à l'Assemblée nationale dans quelles conditions juridiques et matérielles l'accueil de Kosovars pourrait être facilité dans notre pays ?
Pourriez-vous également nous indiquer ce que les autorités françaises ont décidé d'entreprendre afin, de manière plus générale, d'améliorer les conditions de vie des Kosavars sur les routes de l'exode ? Quels moyens seront mis à la disposition des organisations humanitaires, notamment du Haut commissariat aux réfugiés ? Combien d'hôpitaux, de dispensaires, de centres d'hébergement pour les enfants, d'installations sanitaires de citernes d'eau seront mis en place dans les prochains jours ?
Enfin, notre action sur place sera d'autant plus efficace qu'elle s'intégrera dans un véritable plan de reconstruction économique des pays riverains, notamment l'Albanie et la Macédoine, qui se sentiraient alors parties prenantes de ce combat humanitaire. Quelles sont les propositions concrètes que la France et l'Union européenne envisagent de présenter à ces deux pays pour que la lourde charge qui pèse sur eux ne compromette par leur développement économique ?
Sur ce point, comme sur plusieurs autres, on attend évidemment de notre pays un comportement exemplaire. Nous comptons beaucoup sur vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'apprécie comme un geste symbolique et utile le fait qu'à la suite d'une décision prise ce matin par la conférence des présidents vous ayez décidé de poser ensemble vos questions. Chacun, naturellement, l'a fait en fonction de ses analyses et de sa sensibilité, même si j'ai noté de fortes convergences. En tout cas, cela me permet, comme je m'y étais engagé, de continuer à informer le Parlement sur l'évolution de la situation au Kosovo, et de le faire de façon globale.
Je recevrai d'ailleurs demain, en fin de journée, les présidents des commissions de la défense nationale et des affaires étrangères et les présidents des groupes parlementaires des deux assemblées. Quant aux ministres des affaires étrangères et de la défense, ils s'expriment dès aujourd'hui devant les commissions parlementaires.
L'un d'entre vous m'a interrogé - vous venez d'y faire allusion, monsieur le président, - sur les modalités d'information pendant les deux semaines d'avril où le Parlement, normalement, ne doit pas siéger. Je vous confirme que le Gouvernement est à la disposition de la représentation nationale pour examiner, pendant cette période, les moyens de poursuivre le dialogue et l'échange.
Pour l'appréciation de cette crise dramatique au Kosovo, je voudrais d'abord dresser le tableau de la situation militaire et rappeler les objectifs et les fondements de notre intervention. Je voudrais ensuite évoquer la situation humaine dramatique qui s'est développée sur place et la façon dont nous y faisons face. Je voudrais enfin souligner la nécessité de rechercher une solution politique à la crise du Kosovo.
Notre engagement aux côtés de nos alliés, dans des opérations militaires en Serbie, vise depuis le début, vous le savez, à «casser» l'appareil militaire et répressif serbe, et à imposer une issue diplomatique et politique que M. Milosevic refuse obstinément depuis des mois. Nous nous y employons, depuis près de deux semaines, en mettant en oeuvre les moyens aériens des forces alliées pour frapper des objectifs bien sélectionnés. Et nous veillons, le Président de la République et moi-même, à strictement contrôler, au niveau politique, les phases des opérations et la nature des cibles.
Certains disent que ce processus est lent. Il l'est, c'est vrai, face aux souffrances. Mais je rappelle qu'au-delà des aléas météorologiques, nous avons eu le souci constant, et nous le gardons, de limiter au maximum les pertes civiles et les risques pris par nos pilotes. C'est ainsi que les coups ont d'abord été portés aux dispositifs fixes de commandement et de défense aérienne serbe. Ce préalable était militairement indispensable. Ils ont ensuite progressivement visé les forces militaires et de police engagées dans la répression au Kosovo. C'est désormais sur cet objectif que nous concentrons le maximum de nos efforts.
Devant l'obstination serbe et l'ampleur des exactions commises au Kosovo, nous avons, depuis soixante-douze heures, intensifié les frappes et détruit de nombreux objectifs d'importance stratégique. Dans les prochains jours, la destruction des forces de répression ainsi que des centres névralgiques qui les soutiennent sera poursuivie. Les engagements héliportés de notre allié américain, qui devraient survenir prochainement, s'inscrivent dans une logique d'intensification et de diversification de l'action militaire. Il s'agit là, sans changer le cadre général de notre action, de contrer par de nouveaux moyens les forces militaires et paramilitaires serbes en action au Kosovo. Nous y sommes résolus.
De quoi s'agit-il en effet ? Les autorités serbes, depuis l'arrivée au pouvoir de M. Milosevic, n'ont jamais accepté que les Kosovars soient pleinement citoyens de la République fédérale yougoslave. Elles n'ont jamais accepté le retour à un statut d'autonomie qu'elles avaient elles-mêmes supprimé en 1989. Par la répression policière et l'intimidation politique, M. Milosevic a fait des Kosovars des citoyens de seconde zone dans leur propre pays et, par là même, a poussé à un mouvement continu des Kosovars vers l'extérieur du pays.
Face à cette situation, les pays du groupe de contact, dont la Russie, ont constamment recherché une issue politique. Dès la fin des discussions de Rambouillet, et avant même que les négociateurs ne se retrouvent à Paris, le pouvoir serbe a remilitarisé la région. Son objectif est de vider le Kosovo de toute sa population non serbe. Ses forces militaires et paramilitaires, ses milices recourent à toutes les formes de violence: déportations massives, arrestations arbitraires, exécutions sommaires, destruction systématique des villages, du cadastre et de l'état civil kosovar.
Ces violations massives et volontaires des droits de l'homme, ces pratiques d'un autre âge qui nous renvoient aux pires heures de l'histoire de l'Europe, justifient à elles seules que tout soit mis en oeuvre pour les arrêter. Les auteurs de ces crimes contre l'humanité doivent savoir qu'ils n'échapperont pas à la justice internationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur divers bancs du groupe communiste.)
Le tribunal pénal international a déjà engagé des procédures en application des résolutions du Conseil de sécurité. Cela s'inscrit dans le développement constant de la justice pénale internationale, dont une nouvelle étape sera franchie dans votre hémicycle, aujourd'hui même - coïncidence historique tragique, mais significative -, avec l'examen de la révision constitutionnelle nécessaire à l'établissement d'une Cour pénale internationale à compétence générale.
C'est au nom des valeurs de liberté, de démocratie et de respect des droits de l'homme qui, depuis cinquante ans, assurent à nos peuples la stabilité et auxquelles adhèrent désormais les autres pays d'Europe, à l'exception du régime serbe de M. Milosevic, que nous intervenons aujourd'hui. Il faut que les forces politiques serbes, les forces démocratiques serbes, ce peuple, qui dans le passé ont revendiqué ces valeurs, prennent conscience qu'en soutenant un tel régime ils mènent leur pays à une impasse.
J'en viens maintenant à l'immense drame humain que représentent la déportation et l'exode des populations du Kosovo, et qui appelle une puissante réaction sur le plan humanitaire.
Nous devons montrer une solidarité sans faille à ceux qui ont fui la terreur et ont trouvé refuge dans les pays voisins. Vous le savez, la communauté internationale se mobilise, et tout particulièrement la France. Aujourd'hui, des centaines de volontaires civils et de soldats de nos forces armées acheminent et distribuent des produits de première nécessité, dans des conditions difficiles, en Albanie et en Macédoine. Ils participent également à la prise en charge sanitaire et à l'installation provisoire de ces centaines de milliers d'hommes et de femmes. Je ne pense pas, mesdames, messieurs les députés, que nous pouvions ouvertement anticiper le risque de création de ce désastre humanitaire, sauf à indiquer à M. Milosevic qu'il pouvait lâcher ses sbires, ses troupes, commencer les exactions, entreprendre les déportations, puisque nous serions là, prêts à accueillir les victimes. A tous ces hommes et femmes, militaires ou civils, qui interviennent sur le terrain, je veux, comme vous, rendre hommage.
Le Gouvernement français a mis en oeuvre, dès la semaine dernière, un premier plan d'urgence, qui a notamment permis d'organiser un pont aérien entre Istres, Tirana et Skopje. Nos forces armées ont été les premières à assurer la dépose par hélicoptères, à Kukës, de produits de première urgence. Elles sont renforcées dès aujourd'hui par des unités de sécurité civile.
Aujourd'hui, j'ai décidé de tripler le montant de notre aide, en la portant à 225 millions de francs. Ces fonds devraient permettre, en étroite liaison avec nos partenaires de l'Union européenne et de l'Alliance, comme avec les agences compétentes de l'ONU, notamment le HCR, d'organiser et de sécuriser des lieux d'accueil et de vie décents pour les réfugiés de Macédoine et du nord de l'Albanie, ainsi que de soutenir les efforts du HCR et du Comité international de la Croix-Rouge en Bosnie et au Monténégro.
A cela, nous ajouterons une première aide économique d'urgence pour soulager ces deux pays, qui payent un lourd tribut en recevant sur leur sol ces réfugiés. Nous soutiendrons également les efforts multilatéraux en leur faveur, tant dans le cadre du FMI, en ce qui concerne la dette, que dans celui de la Banque mondiale, en ce qui concerne la reconstruction.
Au-delà de cet effort essentiel de solidarité à l'égard de ces hommes et de ces femmes martyrisés, au-delà de notre devoir de protection, nous devons leur assurer un droit au retour dans leur pays d'origine. C'est là d'ailleurs un enjeu fondamental de la confrontation qui se déroule aujourd'hui. Mme Ogata, Mme Bonino, Médecins du monde, Médecins sans frontières, le Président albanais partagent cette vision. Nous sommes bien sûr attentifs au problème particulier qui se trouve posé pour la Macédoine.
Avant que ce droit au retour puisse être assuré, notre pays est naturellement disponible pour accueillir temporairement sur son sol un certain nombre de ces personnes déplacées.
M. Hervé de Charette. Très bien !
M. le Premier ministre. Mais il souhaite que ces mouvements de réfugiés s'effectuent sur la base du volontariat et sans que les familles soient séparées, conformément au droit humanitaire international. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert, sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur divers bancs du groupe communiste.)
N'ajoutons pas un transfert contraint à une déportation. («Très bien !» sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Comme je l'ai dit dimanche soir - mais il semble qu'une partie de mes propos n'ait pas été reproduite - au terme d'une réunion de travail que j'avais organisée à Matignon, nous pourrons accueillir, utilisant pour cela l'asile territorial institué il y a quelques mois par le Parlement sur proposition du Gouvernement (Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), des réfugiés qui en feraient la demande.
En outre, nous sommes décidés à conduire une action particulière en faveur des blessés et des personnes malades ou handicapées. Nous sommes prêts également, en liaison avec les associations, à favoriser les conditions d'un accueil en France par des familles qui le souhaiteraient.
Si la France ne saurait accepter la politique du fait accompli de M. Milosevic, elle se tient au premier rang de l'action humanitaire sur le terrain et entend rester fidèle à sa tradition d'accueil.
Je voudrais maintenant, mesdames et messieurs les députés, évoquer les perspectives politiques et diplomatiques qui, quelles que soient les difficultés, restent présentes à notre esprit.
Notre objectif n'est pas de détruire ni d'occuper, ni de démembrer la Serbie; il n'est pas de faire la guerre au peuple serbe. Tout en continuant les opérations militaires que M. Milosevic nous impose, nous restons persuadés qu'une solution politique au conflit est souhaitable.
Les frappes peuvent s'arrêter, dès que les conditions suivantes seront remplies: fin de la répression contre les populations civiles au Kosovo, retrait des forces militaires et paramilitaires serbes, retour des réfugiés, acceptation des négociations.
Arrêter unilatéralement les frappes sans que nous ayons atteint nos objectifs reviendrait à accepter les conditions de M. Milosevic et à sacrifier le sort des Kosovars.
Mais la poursuite des frappes, inévitable aujourd'hui, ne doit pas nous interdire la recherche de solutions politiques et diplomatiques. Je sais que c'est une conviction que partage le Président de la République. A cette fin, il est essentiel que tous ceux qui croient comme nous à la primauté du droit et aux valeurs démocratiques puissent être associés à la recherche de la paix pour le Kosovo. C'est pourquoi, au-delà des importantes rencontres qui doivent préparer le moment, que j'espère proche, où les alliés et la Russie - partenaire déterminant à mes yeux - retravailleront ensemble à une solution politique, je suis convaincu que l'Organisation des Nations unies devra jouer son rôle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)
Au moment où a été décidée la participation de la France aux opérations militaires, nous nous sommes référés aux résolutions et aux exigences du Conseil de sécurité. C'est aux Nations unies et au Conseil de sécurité, avec l'appui des organisations régionales, que devrait revenir la responsabilité première de la mise en oeuvre des solutions qui auront été définies.
L'ONU devrait, à mon sens, coordonner les opérations de soutien aux réfugiés, puis assurer le retour de ceux-ci, une fois la paix revenue. Elle devrait aussi garantir leur sécurité dans un Kosovo autonome et conférer sa légitimité à la force multinationale qu'il faudra vraisemblablement déployer à cette fin. Ce sera le point ultime d'un processus qu'il faudra engager dès que possible et auquel le Gouvernement travaille dès à présent. C'est le sens de certaines propositions parlementaires - notamment du président de la commission de la défense nationale - que nous avons notées avec beaucoup d'intérêt et qui convergent avec nos préoccupations. Il nous faut travailler assidûment, notamment au plan diplomatique, pour leur permettre de déboucher.
Mesdames et messieurs les députés, notre détermination ne doit pas fléchir, mais elle doit être tendue vers une paix respectueuse de la personne humaine et du droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur de nombreux bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur divers bancs du groupe communiste.)
Auteur : M. Jack Lang
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 7 avril 1999