Corse
Question de :
M. Bernard Grasset
Charente-Maritime (2e circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 29 avril 1999
M. le président. La parole est à M. Bernard Grasset.
M. Bernard Grasset. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Madame la ministre, un climat passionnel souvent teinté de démagogie et d'hypocrisie entoure l'annonce de la mise en examen en Corse de militaires de la gendarmerie nationale pour «destruction volontaire d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'un incendie commis en bande organisée», ainsi que pour complicité.
L'information judiciaire étant ouverte et malgré le principe de la séparation des pouvoirs nié par ailleurs par ceux qui, déjà, jugent, condamnent et choisissent au gré de leur fantaisie les responsables (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), il est urgent et nécessaire que la vérité soit rétablie,...
M. Francis Delattre. C'est nul !
M. Bernard Grasset. ... que les provocateurs, les inspirateurs et les auteurs soient clairement identifiés, nul ne devant s'affranchir des principes de la loi républicaine.
Je vous serais très reconnaissant, madame la ministre, de faire diligence afin de ne pas laisser prise à la rumeur et de préserver l'Etat de droit dans cette affaire comme dans d'autres - je pense à l'assassinat de Claude Erignac -, dans ce département comme sur le reste du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, ainsi que vient de le rappeler M. le Premier ministre, la justice est saisie de cette affaire et les juges travaillent. Ils ne travaillent pas seuls, mais avec une équipe d'enquêteurs de la gendarmerie qui est mobilisée depuis le premier jour sur cette tâche éprouvante, délicate mais nécessaire: parvenir, comme vous le souhaitez, à la manifestation de la vérité.
Cette enquête a été et continuera à être conduite en toute indépendance, conformément à la loi et à la procédure pénale sans que rien ne vienne freiner, détourner ou entraver l'action de la justice. Nous devons en effet à l'Assemblée nationale des informations sur l'état de cette enquête. Je vais donc en rappeler les étapes.
Une enquête initiale s'est déroulée en trois étapes sous l'égide du procureur compétent, celui d'Ajaccio, et a concerné trois services judiciaires de la gendarmerie en Corse.
Au niveau local d'abord, dès le mardi 20 avril, le procureur a confié l'enquête à la brigade de gendarmerie locale et à la brigade des recherches d'Ajaccio.
Au niveau régional, le jeudi 22 avril, devant les premiers doutes apparus sur la version initiale des faits, le procureur d'Ajaccio a saisi la section des recherches de Corse, qui dispose de moyens plus importants en hommes et en matériel. Les investigations menées par cette unité durant des heures ont conduit à poursuivre les recherches vers des officiers de gendarmerie.
Au niveau national ensuite, le procureur a donc saisi, le vendredi 23 avril, l'inspection technique nationale de la gendarmerie qui a procédé à des auditions sous le régime de la garde à vue. C'est cette enquête initiale qui a conduit à la saisine du juge d'instruction qui a été désigné à Ajaccio, le lundi 26 avril.
C'est maintenant sous la seule autorité du juge d'instruction désigné à Ajaccio que l'instruction judiciaire proprement dite se déroule. Vous le savez, des mises en examen ont eu lieu parce que le magistrat instructeur a jugé qu'il y avait suffisamment d'indices laissant présumer la participation de certains gendarmes comme auteurs ou complices à cette opération. Deux officiers ont donc été mis en examen pour «destruction de biens appartenant à autrui en bande organisée», qualification criminelle. Le colonel commandant la légion de gendarmerie en Corse a pour sa part été mis en examen pour complicité de ces mêmes faits.
Ces personnes ont été placées en détention provisoire, car il a paru important au juge d'instruction de pouvoir procéder en toute sérénité aux expertises, interrogatoires et confrontations nécessaires. Je précise qu'un débat contradictoire avec la défense des officiers concernés sera organisé demain, à Ajaccio, sur la prolongation de la détention provisoire.
Cette mise en examen n'implique bien sûr pas la culpabilité des personnes en cause - je tiens à le souligner. Elle est nécessaire à ce stade de la procédure pour garantir les droits des parties et assurer un déroulement normal de l'instruction en raison des actes à accomplir, notamment les auditions de témoins et la reconstitution des faits. Voilà où nous en sommes aujourd'hui.
Ce que je peux dire c'est que sur cette affaire, pourtant exceptionnelle, la justice agit rapidement selon les règles habituelles du droit pénal et de la procédure pénale, qu'elle continuera dans cette voie sans aucune entrave d'aucune sorte, en toute indépendance à l'égard de toutes les personnes qui pourraient être concernées.
Cela dit, je rappelle à l'Assemblée nationale que, parmi les règles de la procédure pénale, figure la présomption d'innocence: tant que les faits ne sont pas établis par la justice, les personnes mises en cause ne sont donc pas considérées comme coupables.
M. Laurent Dominati. Ce ne sont pas n'importe quelles personnes ! Il s'agit de gendarmes ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Didier Boulaud. Ca suffit !
Mme la garde des sceaux. Je voudrais rappeler deux autres règles essentielles: les droits de la défense et le secret de l'instruction. Je recommande à chacun de se défier des accusations malveillantes, des soupçons non étayés, des attraits pervers de la fausse information et de la désinformation.
Dans cette affaire, la justice avance en toute indépendance et sans entrave, quelle que soit la qualité des personnes soupçonnées et, comme vient de le dire le Premier ministre, le traitement de cette affaire par la justice montre que l'Etat de droit s'applique (Vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), qu'il est notre objectif et la réalité de notre action. S'agissant des enquêtes judiciaires, il n'en a pas toujours été de même lorsque vous étiez aux responsabilités, messieurs de l'opposition ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - «Rainbow Warrior !» sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Claquements de pupitres.)
Auteur : M. Bernard Grasset
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Collectivités territoriales
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 29 avril 1999