Question au Gouvernement n° 1303 :
Corse

11e Législature

Question de : M. Michel Vaxès
Bouches-du-Rhône (13e circonscription) - Communiste

Question posée en séance, et publiée le 5 mai 1999

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.
M. Michel Vaxès. Monsieur le Premier ministre, il n'y aura pas de rétablissement de l'Etat de droit en Corse sans le soutien, en conscience et dans la durée, de ses habitants eux-mêmes, communauté dont l'immense majorité souhaite profondément que les valeurs de notre République et le droit s'imposent de la même façon sur l'île que sur le continent.
Il n'y aura pas de soutien de la communauté insulaire à l'action de l'Etat sans une totale transparence sur l'affaire qui défraie la chronique aujourd'hui comme sur toutes les autres, quelle qu'en soit leur nature ou leurs protagonistes et de quelque côté qu'elles se manifestent.
L'insupportable, l'inadmissible, le très grave manquement au droit d'un côté n'exonère certes pas les insupportables, inadmissibles et gros manquements au droit de l'autre. Cependant, seul l'argument du droit peut permettre de rétablir le respect du droit. L'Etat, de ce point de vue, doit être absolument irréprochable. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) C'est sa responsabilité et il ne peut y avoir aucune circonstance atténuante.
Les dispositifs d'exception, parce qu'ils échappent par essence à tout contrôle démocratique, sont sources des plus dangereuses dérives. Ils sont incompatibles avec la légalité républicaine.
M. Christian Bergelin. Eh oui !
M. Michel Vaxès. Il n'y aura pas de rétablissement du droit en Corse ni de soutien des Corses à l'action de l'Etat si, simultanément, les femmes et les hommes qui doivent en bénéficier ne sentent pas, dans leur vie quotidienne, une amélioration de la situation économique et sociale dans l'île.
Gagner la confiance de la communauté insulaire exige donc, pour nous, simultanément: la totale manifestation de la vérité dans cette triste affaire, la totale transparence et le plus strict respect du droit dans toutes les initiatives des services de l'Etat et des institutions de la République.
La plus étroite association des Corses eux-mêmes, tant à la mise en oeuvre du long et difficile processus de rétablissement de l'Etat de droit qu'à l'indispensable engagement en faveur du développement économique et social de l'île, est indispensable.
Enfin, personne ne pourrait admettre une quelconque confusion entre la décision d'un officier de gendarmerie et l'ensemble d'une institution qui n'a jamais démérité dans l'accomplissement de ses missions.
Monsieur le Premier ministre, quelles dispositions immédiates et de plus long terme envisagez-vous de prendre pour répondre simultanément à l'ensemble de ces préoccupations ? Cette lamentable affaire rend d'une extrême urgence les réponses à toutes ces questions. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Démission ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, un acte grave a été commis en Corse avec l'incendie d'une paillote dans la nuit du 19 au 20 avril.
Dans un premier temps, dans la chronique des attentats, des incendies, y compris de paillotes, qui se produisent malheureusement dans l'île, cela a pu apparaître comme un acte criminel comme un autre, si j'ose dire. (Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Naïf !
M. le Premier ministre. Je souhaite d'ailleurs que, dans ces circonstances, on ne s'y résigne pas, on ne considère pas cela comme normal. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. François Vannson. C'est incroyable !
M. le Premier ministre. Tout cela a changé de nature quand il est apparu que cet acte avait pu être accompli par des personnes appartenant à des services de l'Etat,...
M. Patrick Ollier. Il faut en tirer les conséquences !
M. le Premier ministre. ... en particulier la gendarmerie, chargée d'assurer la sécurité et l'ordre publics.
M. Arnaud Lepercq. Qui l'a commandé ?
M. le Premier ministre. Une enquête judiciaire a donc été lancée dès le lendemain. Le ministre de la défense, par l'intermédiaire de la direction générale de la gendarmerie, puis le ministre de l'intérieur et moi-même, informés par le ministre de la défense, avons connu cette présence d'une unité de gendarmerie à l'occasion de cette action le vendredi 23 avril.
M. Jean Bardet. Quel aveu d'impuissance !
M. le Premier ministre. Dès la semaine dernière, le Gouvernement a suspendu les responsables de la gendarmerie impliqués dans cette affaire. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Patrick Ollier. C'est vous qui devriez être suspendu !
M. le Premier ministre. Depuis, l'enquête judiciaire a progressé. Les officiers du groupement des pelotons de sécurité, et notamment leur capitaine, ont reconnu hier...
M. Patrick Ollier. Avoir obéi aux ordres !
M. le Premier ministre. ... avoir conduit cette action criminelle. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Arnaud Lepercq. Sur ordre !
M. le Premier ministre. Ils ont dit l'avoir fait sur l'ordre de leur supérieur hiérarchique («Ah !» sur les mêmes bancs), le colonel de la légion de la gendarmerie en Corse. Certains d'entre eux ont même mis en cause le préfet de Corse. («Oh !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Il ne m'est pas possible, aujourd'hui, d'affirmer si la responsabilité directe de celui-ci peut être invoquée; l'enquête en cours l'établira. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Jean-Michel Ferrand. Pourquoi le révoquer alors ?
M. le Premier ministre. Il a été placé en garde à vue, ainsi que son directeur de cabinet.
Dans ces circonstances exceptionnelles, j'ai proposé hier soir au Président de la République de mettre fin aux fonctions en Corse de M. Bernard Bonnet et de le placer en position hors cadre. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Il sera donc remplacé demain, au conseil des ministres, par un nouveau préfet de Corse. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. Pierre Lellouche. Et s'il n'a rien fait ?
M. le Premier ministre. Alors même que des officiers du GPS, ce groupement des pelotons de gendarmerie, sont mis en cause...
M. Pierre Lellouche. Où est votre honneur ?
M. Jean-Michel Ferrand. Il serait à votre honneur de démissionner !
M. Patrick Ollier. Assumez vos responsabilités ! Démissionnez !
M. le Premier ministre. ... j'ai demandé au ministre de la défense de procéder à la dissolution du GPS (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...
M. Pierre Lellouche. Tartufe !
M. le Premier ministre. ... en veillant à ce que les missions qu'il assume - missions de protection de personnalités menacées, missions d'interventions dans des affaires difficiles, missions de renseignements - et qui doivent continuer à être assumées, le soient par les formations traditionnelles et habituelles de la gendarmerie.
M. François d'Aubert. Il fallait s'en apercevoir avant !
M. Jean-Michel Ferrand. Démission !
M. le Premier ministre. Je précise à nouveau ici, solennellement, qu'aucune autorité politique de l'Etat...
M. Philippe Auberger et M. François Vannson. Mensonge !
M. le Premier ministre. ... - ministre de l'intérieur, ministre de la défense, garde des sceaux, Premier ministre - et aucun collaborateur de mon cabinet, à Matignon, n'a donné la moindre instruction ni reçu la moindre information concernant cette action criminelle et fautive avant qu'elle ne se soit produite. (Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Une autre attitude aurait été d'ailleurs contraire à l'esprit même et au but de l'action que mène le Gouvernement dans l'île, à savoir l'établissement de l'Etat de droit. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Quels que soient les manquements individuels qui ont pu être commis...
M. Pierre Lellouche. Cessez d'accuser des lampistes !
M. Arnaud Lepercq. Démission !
M. le Premier ministre. ... le Gouvernement continuera, avec opiniâtreté, à maintenir ou à restaurer la règle républicaine. Cela devra se faire, monsieur le député, je le pense comme vous, avec les Corses.
C'est à quoi le Gouvernement va continuer à travailler. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations puis huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants; claquements de pupitres.)

Données clés

Auteur : M. Michel Vaxès

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Collectivités territoriales

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 5 mai 1999

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