Question au Gouvernement n° 1304 :
Corse

11e Législature

Question de : M. Philippe Douste-Blazy
Hautes-Pyrénées (2e circonscription) - Union pour la démocratie française-Alliance

Question posée en séance, et publiée le 5 mai 1999

M. le président. La parole est à M. Philippe Douste-Blazy.
M. Philippe Douste-Blazy. Monsieur le Premier ministre, quatorze mois après l'assassinat du préfet de Corse, Claude Erignac, l'Etat est de nouveau touché en son coeur, puisque ont été bafoués à la fois le droit et l'ordre républicain.
Avant de vous poser les deux questions essentielles que suscite cette affaire, et sur lesquelles les Français attendent des réponses claires et sans détour, je veux réaffirmer avec force, au nom de tous mes collègues du groupe UDF dans cet hémicycle, l'estime dans laquelle nous tenons la gendarmerie nationale, corps respecté, corps nécessaire à la République, dont l'honneur ne doit pas être entaché. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations puis applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste.)
Personne ne peut croire un seul instant qu'un lieutenant de gendarmerie, personne ne peut croire un seul instant qu'un adjudant-chef de gendarmerie, personne ne peut croire un seul instant qu'un colonel de gendarmerie, personne ne peut croire une seule minute qu'un préfet de la République (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) aient pu agir de leur propre initiative (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) dans une opération qui, vous le savez, monsieur le Premier ministre, contrevenait gravement à la loi !
Or, depuis hier, nous savons, les Français savent que le commandant de la légion de gendarmerie de Corse, dont vous venez de parler, monsieur le Premier ministre, a affirmé avoir rendu compte non seulement au cabinet du ministre de la défense, mais également au cabinet militaire de l'Hôtel Matignon.
Ma question est donc simple: allez-vous confirmer que votre gouvernement était informé ? Si tel était le cas, monsieur le Premier ministre, ce serait avouer aux Français qu'il y a eu...
M. Pierre Lellouche. Complicité !
M. Philippe Douste-Blazy. ... un mensonge d'Etat.
A l'inverse de ce que vous nous avez affirmé dans cet hémicycle il y a une semaine, il s'agirait bien alors d'une affaire d'Etat.
Monsieur le Premier ministre, ne nous y trompons pas: cette affaire n'est pas uniquement une affaire de la région Corse, elle est aussi une affaire de la République tout entière. C'est la question de l'organisation de l'Etat et du maintien de l'ordre dans le respect des droits qui est posée.
Vous avez défini, monsieur le Premier ministre, une certaine politique pour la Corse. Vous avez mis en place des liens spécifiques qui n'existent nulle part ailleurs entre un préfet de la République et un groupe de gendarmes, entre un préfet de la République et votre gouvernement. Or cette politique est aujourd'hui gravement remise en cause. Ma seconde question est donc également simple: au-delà des réponses administratives, au-delà des conséquences judiciaires, comment comptez-vous assumer politiquement cette crise ? (Applaudissements et «Démission ! Démission !» sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Je ne suis pas sûr, monsieur le député, que l'on puisse mettre sur le même plan - et sans doute n'était-ce pas votre intention - l'assassinat du préfet Erignac le 6 février 1998 et ma proposition de mettre fin aux fonctions du préfet de Corse aujourd'hui (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) dans la mesure où, placé en garde à vue, il ne peut plus assumer ses fonctions. Pour autant, je ne tranche pas quant à sa responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Je ne crois donc pas qu'il faille amalgamer deux événements de nature tellement différente. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Les faits, monsieur le député, sont assurément très graves. («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Plusieurs gendarmes du groupe des pelotons de sécurité en Corse ont en effet avoué avoir incendié une paillote dans l'île près d'Ajaccio.
M. Patrick Ollier. C'est un crime !
M. le Premier ministre. Ils ont précisé qu'ils l'avaient fait sur l'ordre du colonel commandant la légion de gendarmerie en Corse. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ils ont également mis en cause le préfet de Corse.
M. Jean-Michel Ferrand. Donc vous le saviez !
M. le Premier ministre. Je dis ici que si ces faits sont avérés, ils sont très graves, inacceptables et seront sanctionnés avec la plus extrême sévérité. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je veux dire à quel point de tels actes choquent non seulement le citoyen que je suis, mais aussi le chef du Gouvernement que je suis également,...
M. Arnaud Lepercq. Démission !
M. le Premier ministre. ... tant ma vision de la République, ma méthode d'action, mes valeurs sont contraires à de tels manquement illégaux, fautifs et qui doivent être sanctionnés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Cela porte en outre atteinte à ce que doit être la conduite de l'Etat en Corse, qui ne peut naturellement établir la règle de droit qu'en la respectant lui-même scrupuleusement. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
La position du Gouvernement dans cette affaire...
M. Arnaud Lepercq. ... est intenable.
M. le Premier ministre. .. est de faire toute la vérité. C'est l'objet de l'enquête judiciaire en cours. Le Gouvernement laisse travailler la justice en toute indépendance. Elle oeuvre vite, bien et efficacement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Certes, par respect pour la présomption d'innocence (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du goupe Démocratie libérale et Indépendants), par esprit de responsabilité à l'égard de hauts gradés de la gendarmerie et, ensuite, d'un préfet, ...
M. Guy Teissier. Pourquoi le démissionner, alors ?
M. le Premier ministre. ... il ne convient pas que le Gouvernement précède la justice et porte des jugements à sa place. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Pierre Lellouche. Pourquoi l'avez-vous limogé ?
M. le Premier ministre. Mais vous constaterez que, dès qu'elle a éclairé des zones d'ombre, le Gouvernement en tire immédiatement les conséquences, ce qui est une attitude responsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Les trois gendarmes et le colonel Mazères ont été suspendus. Le préfet Bonnet a été démis de ses fonctions. Il sera remplacé demain en conseil des ministres. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Le GPS sera dissous aujourd'hui même.
M. François Vannson. C'est trop facile !
M. le Premier ministre. Je veux le redire ici nettement: aucun ministre, aucun de mes collaborateurs n'est en rien impliqué dans cette déplorable affaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Enfin, je dis ici clairement, parce qu'il faut prendre conscience de la gravité de ces actes et qu'il est indispensable que chacun assume les choses telles qu'elles sont: oui, cette affaire est un coup dur ! C'est un coup dur pour l'Etat, pour la République, pour le Gouvernement aussi, ...
M. Arnaud Lepercq. Et pour le PS !
M. le Premier ministre ... et, il faut le reconnaître, c'est un coup dur pour la Corse.
Mais ce n'est en aucun cas un coup d'arrêt à la politique d'établissement de l'Etat de droit et de respect de la légalité républicaine en Corse.
M. Jean Bardet. Parlons-en !
M. le Premier ministre. La détermination du Gouvernement à la faire respecter...
M. Arnaud Lepercq. Elle est disqualifiée !
M. le Premier ministre. ... et à assurer le développement économique et culturel de l'île demeure absolument entière. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Face à une situation dramatique et exceptionnelle, l'assassinat du préfet Erignac,...
M. Lucien Degauchy. Pas ça !
M. le Premier ministre. ... qui est quand même à la matrice de tous ces événements qui se sont produits dans l'île, de toutes ces tensions, nous avons décidé, dans le respect des lois républicaines, de recourir, dans le cadre des structures de la gendarmerie, à des moyens exceptionnels qui ont d'ailleurs donné des résultats significatifs. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Il faut impérativement poursuivre cette action, sans doute en modifiant certains des moyens utilisés, en s'appuyant également sur d'autres responsables en Corse, mais avec la même détermination.
Honnêtement (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), mesdames, messieurs les députés, par rapport à un certain nombre d'événements qui se sont produits en Corse à votre époque, jamais un gouvernement n'aura contribué à faire la lumière aussi vite. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Données clés

Auteur : M. Philippe Douste-Blazy

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Collectivités territoriales

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 5 mai 1999

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