Kosovo
Question de :
Mme Muguette Jacquaint
Seine-Saint-Denis (3e circonscription) - Communiste
Question posée en séance, et publiée le 6 mai 1999
M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.
Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le Premier ministre, depuis quarante-deux jours, des frappes aériennes sont effectuées sur la Serbie et le Kosovo. A l'origine, cette initiative de l'OTAN a été présentée comme devant permettre, d'une part, de mettre un terme aux exactions du dictateur Milosevic, massacrant et déportant la population kosovare, et, d'autre part, de contraindre la partie serbe à revenir à la table des négociations.
Cette stratégie est aujourd'hui en échec. Chacun peut le constater. En définitive, ce qui a été présenté comme le remède s'avère pire que le mal. La communauté internationale est dans l'impasse.
Depuis le début, les députés communistes ont condamné les bombardements et préconisé une solution politique. Des enfants, des femmes et des vieillards souffrent dans leur chair de cette guerre atroce.
Plus que jamais, l'heure est à la solidarité avec les réfugiés dont le nombre ne cesse de grossir. Les élus communistes apportent leur contribution active à cet effort collectif.
Tout ce qui pourrait aider dans la voie d'une solution, toute avancée contribuant à sortir de la crise et de cette guerre, rien, vraiment rien ne doit être négligé, même le plus petit effort.
Tel est le sens des propositions des députés communistes que je rappelle ici: retrait des forces serbes du Kosovo, arrêt des bombardements, mise en place d'une force d'interposition, de sécurité et de coopération placée sous l'égide de l'ONU et de l'OSCE, tenue d'une conférence internationale sur les Balkans.
Ces jours-ci, les conditions changent: les opinions publiques évoluent, des voix politiques autorisées s'élèvent, notamment en Allemagne et en Italie, la diplomatie russe fait des efforts et des prisonniers sont libérés - même s'il n'y a aucune illusion à se faire sur Milosevic. Bref, la moindre opportunité d'avancer vers une solution pacifique doit être saisie. Le Président Clinton lui-même s'interroge sur une éventuelle pause. Tout cela constitue autant d'éléments nouveaux propres à créer les conditions permettant de trouver une issue à cette guerre.
Dans de telles conditions, la France ne saurait prendre du retard pour aider à la solution de ce conflit. Dans ces circonstances, une démarche forte et nette pèserait d'un bon poids en faveur des Kosovars et de la paix pour tous les peuples dans cette partie de l'Europe.
Ma question, monsieur le Premier ministre («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) est donc simple: compte tenu de ces conditions nouvelles, la France entend-elle, par la voix de son gouvernement, donner sa chance à la paix ? Quelle initiative en ce sens allez-vous prendre sans tarder ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Madame la députée, vous le savez, bien avant que ne commencent les frappes sur la Serbie et sur le Kosovo, la diplomatie française a consacré tous ses efforts à la recherche d'une solution de la crise par la voie diplomatique et politique. Cela a été le processus dit de Rambouillet, auquel étaient associés la diplomatie britannique et les pays membres du groupe de contact.
La voie de la diplomatie et du dialogue a donc été constamment la démarche de la France, et c'est faute que celle-ci débouche, avec l'accord de M. Milosevic, sur ce qui apparaissait à tous, pourtant, comme la solution raisonnable que les pays de l'Alliance ont dû se résoudre aux frappes.
Je me suis rendu, vous le savez, vendredi et samedi, à l'occasion d'un voyage en Egypte, en Albanie et en Macédoine. Je l'ai fait, certes, pour avoir un contact direct avec les réfugiés, les déportés, ceux qui vivent sur place et ceux qui viendront chez nous.
M. Thierry Mariani et M. Jean-Michel Ferrand. Il faut aller en Corse !
M. le Premier ministre. Mais je l'ai fait aussi pour saluer le travail extraordinaire accompli, notamment sur le terrain humanitaire, par les soldats français, en Albanie sous l'autorité du colonel Gros et en Macédoine sous celle du général Valentin.
Je l'ai fait également pour dialoguer avec l'ensemble des organisations non gouvernementales, notamment françaises, impliquées dans l'aide aux réfugiés. J'ai d'ailleurs pu transmettre aux autorités des deux pays les préoccupations des ONG pour qu'elles puissent améliorer leur efficacité.
Je l'ai fait enfin pour être aux côtés des autorités de ces deux pays, dont l'un accueille fraternellement une masse énorme de réfugiés et dont l'autre essaie de régler dans un équilibre démographique et ethnique instable le problème d'un afflux excessif.
Ce qui m'a frappé à l'occasion des dialogues que j'ai noués avec ces autorités politiques, Premier ministre ou Président de la République, c'est que par rapport à une question que nous nous posons tous, dans l'opinion ou sur ces bancs, celle qui consiste à savoir si, par les frappes, nous avions eu une responsabilité dans le mouvement de déportation, ou à savoir si nous pouvions l'anticiper, c'est que les autorités de ces pays, notamment les autorités macédoniennes, en particulier le Président de la Macédoine, qui a connu M. Milosevic au sein des organismes dirigeants de la ligue communiste de Yougoslavie («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), m'ont dit de la façon la plus claire qu'ils n'avaient pas imaginé eux-mêmes une seconde que M. Milosevic pourrait procéder à des déportations massives.
J'ai assuré ces deux pays de l'aide de la France. J'ai déclaré qu'à l'occasion de cette nouvelle visite, nous allions créer un fonds pour aider la Macédoine et l'Albanie.
M. Jean-Michel Ferrand. Et pour aider la Corse ?
M. le Premier ministre. Je peux vous indiquer que les sommes que nous accordons à ces deux pays, hors les programmes de coopérations antérieurs, c'est-à-dire pour faire face aux difficultés économiques et humanitaires auxquelles ils sont confrontés, représentent aujourd'hui 980 millions de francs, soit près d'un milliard de francs !
M. François Vannson. Et pour la Corse ?
M. le Premier ministre. Quand on voit les réfugiés, quand on voit les déportés, on se rend compte qu'il faut absolument, puisqu'il n'y a pas de moyens autres aujourd'hui, conduire par les frappes et par la force M. Milosevic à la table de négociation.
Mais vous avez raison, madame la députée, il ne faut négliger aucune occasion de déboucher sur une issue diplomatique, qui, en tout état de cause, mettra fin à ce conflit. A cet égard - M. le ministre des affaires étrangères aurait pu le dire avec plus de précision que moi, mais j'ai voulu répondre à votre question et vous rendre compte également de mon voyage en Macédoine et en Albanie - la diplomatie française, je peux vous l'assurer, est au coeur des discussions.
Nous nous réjouissons certes que M. Tchernomyrdine, l'envoyé du Président Eltsine, fasse des propositions, aille à Belgrade, aux Etats-Unis et dans la capitale de l'Allemagne, pays qui assure actuellement la présidence de l'Europe. Mais nous ne pouvons pas aujourd'hui, malgré les signes positifs et les mouvements qui s'opèrent, faire preuve d'un optimisme excessif.
Cela dit, la France elle-même, au sein du groupe des 8 - les directeurs politiques ont adopté un texte qui résulte en partie de nos propositions -, en préparant la réunion ministérielle du G 8 dont nous espérons qu'elle pourra se tenir, la France est bien au coeur de ce processus diplomatique. Nous avons l'intention de le poursuivre.
Vous avez évoqué, madame la députée, un certain nombre de conditions ou un certain nombre d'évolutions en les citant dans un ordre qui m'a convenu. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Vous avez dit: retrait des forces serbes, arrêt des frappes. Mais je peux vous indiquer, madame la députée, que si M. Milosevic commençait à retirer des forces, acceptait le principe du retour des réfugiés, tous points sur lesquels vous et moi, ainsi que le Gouvernement et vous tous ici sommes d'accord, je pense - je le dis en tant que Premier ministre - que les frappes s'arrêteraient immédiatement, donnant ainsi toutes ses chances à la négociation. C'est en tout cas le point de vue du Gouvernement français (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert), et je pense que c'est aussi celui du Président de la République.
Faute de faire confiance à M. Milosevic, c'est bien dans ce sens, effectivement, que les choses doivent être faites, c'est-à-dire qu'il faut un début d'engagement pour que nous puissions passer au langage de la paix.
Je terminerai en disant que le Président de la République se rendra dans quelques jours à Moscou et qu'il pourra converser avec le Président Eltsine, que le ministre des affaires étrangères ira également dans la capitale russe où il rencontrera son homologue russe et que j'aurai l'occasion moi-même d'y aller les 24 et 25 mai, dans le cadre, il est vrai, de la commission bilatérale économique qui réunit les Premiers ministres russe et français, commission mise en place, je crois, par M. Alain Juppé. A cette occasion, nous participerons tous à ce dialogue politique qui doit permettre la paix, si M. Milosevic revient à la raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : Mme Muguette Jacquaint
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 6 mai 1999