Corse
Question de :
M. Pierre Lequiller
Yvelines (4e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants
Question posée en séance, et publiée le 6 mai 1999
M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller.
M. Pierre Lequiller. Monsieur le Premier ministre, si j'ai bien entendu vos explications concernant la Corse (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), nous sommes passés en une semaine d'une simple affaire de l'Etat à une affaire d'Etat dont l'Etat ignore tout.
Hier, vous avez affirmé que vous-même, les ministres et l'ensemble de vos collaborateurs n'étaient au courant de rien. Vérité ou pas, cette situation traduit une scandaleuse désorganisation et une incompétence de l'Etat. (Protestations sur les mêmes bancs.) C'est vous qui avez décidé de faire du dossier corse un dossier interministériel, géré à Matignon où il faisait l'objet de réunions régulières.
C'est vous qui avez fait nommer le préfet Bonnet...
Plusieurs députés du groupe socialiste. Non, c'est Chirac !
M. Pierre Lequiller... et qui lui avez donné carte blanche.
C'est vous qui avez créé un corps d'élite d'exception au sein de la gendarmerie: le GPS.
Sérieusement, monsieur le Premier ministre, il est difficile d'imaginer, avec toutes ces recommandations et vos décisions, que votre cabinet, dont vous avez tant loué les mérites et l'efficacité hier, ignorait tout de cette opération. L'enquête éclaircira ce point.
Aujourd'hui, la transparence s'impose et je vous poserai trois questions:
Premièrement, quels étaient les objectifs de cet acte insensé du commando qui a détruit la paillote dans la nuit du 19 au 20 avril ? (Exclamations sur les mêmes bancs.)
Deuxièmement, le groupe Démocratie libérale a demandé la création d'une commission d'enquête à l'Assemblée nationale sur l'application de l'Etat de droit en Corse. Je rappelle que vous aviez déjà accepté qu'une commission d'enquête sur la Corse soit créée: la commission Glavany. J'espère, compte tenu de la gravité des faits et de la nécessité affirmée par tant de vos amis de faire la lumière sur cette affaire, que le principe de la création d'une telle commission sera adopté par votre majorité.
Quels moyens comptez-vous mettre en oeuvre pour assurer à la représentation nationale une information pleine et entière sur cette affaire ?
Troisièmement, compte tenu du nombre important de faits non élucidés, nous souhaiterions savoir si d'autres opérations de ce type ont été menées par l'organe d'exception que vous aviez mis en place. (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Nous refuserons pour réponse les propos violents que le ministre de l'intérieur a proférés hier à l'encontre de notre collègue Moyne-Bressand. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Ce que nous voulons, c'est la vérité.
M. Alfred Recours. Oh non !
M. Pierre Lequiller. Il en va de l'image de l'Etat et de votre responsabilité politique de faire la pleine lumière sur cette affaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je vais vous répondre très calmement, monsieur le député. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Si j'ai repris hier M. Moyne-Bressand, c'est parce qu'il avait employé à propos de la préfecture des expressions comme «repaire de malfrats». (Protestations sur les mêmes bancs.) Or, en tant que tuteur du corps préfectoral, je tiens à réagir fermement contre de tels propos. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Il avait également employé d'autres expressions que je juge pour le moins inappropriées.
M. Lucien Degauchy. Il citait la presse !
M. le ministre de l'intérieur. Le Gouvernement n'a rien à cacher. Si des fautes apparaissent, elles seront sanctionnées. («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Mais vous devez, nous devons tous ensemble garder sur cette affaire une prudence élémentaire et nous exprimer avec une certaine circonspection.
Je vous ai lu hier la lettre du préfet Bonnet. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Vous n'avez pas le droit de ne pas le laisser s'expliquer.
Permettez-moi de vous dire que le souci d'une justice équitable doit conduire à écouter les uns et les autres, le lieutenant-colonel Cavalier comme le préfet Bonnet. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
M. Michel Herbillon. C'est vous le ministre !
M. le ministre de l'intérieur. J'essaierai de répondre à votre première question en resituant cet événement dans le contexte de ce qu'on a appelé l'affaire des paillotes. Il est vrai qu'en Corse, comme nulle part ailleurs, la plage fait l'objet d'appropriations privées par des paillotes, des cabanons, des hangars et que ce que l'on tolère en Corse depuis fort longtemps, on ne le tolérerait pas à Carnac ou à Saint-Tropez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.) Des décisions de justice existaient, dont certaines depuis plus de dix ans.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Gardez votre calme !
M. le ministre de l'intérieur. Je suis très calme, et je rappelle la réalité. Le préfet Bonnet, qui a tenté de ramener un certain ordre dans plusieurs domaines, a essayé, en matière de préservation du littoral maritime, de faire exécuter les décisions de justice (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), soit par la voie amiable (Rires sur les mêmes bancs),...
M. Lucien Degauchy. Les pieds dans le tapis !
M. le ministre de l'intérieur. Je tiens à votre disposition la liste des engagements qui ont été pris. (Protestations sur les mêmes bancs.)
M. le président. Un peu de silence, je vous prie !
M. le ministre de l'intérieur. Vous me demandez de répondre calmement et je le fais. Je vois que la passion n'est que d'un côté ! (Exclamations sur les mêmes bancs.)
M. le président. Un peu de calme, mes chers collègues ! Une question a été posée et, sauf à faire un procès d'intention, il faut écouter la réponse dans le silence.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Renaud Donnedieu de Vabres. C'est un dossier brûlant !
M. le ministre de l'intérieur. Lorsque cela n'a pu se faire à l'amiable, il est vrai que le préfet a eu recours aux moyens du génie civil ou du génie militaire. (Exclamations et rires sur les mêmes bancs.) Laissez-moi aller jusqu'au bout ! Vous me posez une question sérieuse.
Le 9 avril, il devait être procédé à certaines destructions, mais l'assemblée de Corse a voté, à l'unanimité moins quelques abstentions, une motion demandant qu'il soit sursis à la démolition de ces paillotes. Je vois que M. Rossi opine du chef et reconnaît que, ce jour-là, l'assemblée de Corse a demandé que des décisions de justice ne soient pas appliquées, tandis que M. Léotard demandait la même chose. Le préfet a accepté.
Que s'est-il passé ensuite ? Deux interprétations sont possibles. Ou bien il y a eu un «excès de zèle» de la part des gendarmes (Rires et exclamations sur les mêmes bancs), ou bien il y a eu un emportement. C'est à l'enquête judiciaire qui a été ouverte qu'il appartiendra de le déterminer. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je vous ai resitué les faits tels qu'ils se sont produits, mais je vois que vous mettez une passion malsaine dans l'exploitation de cet événement.
Alain Richard vous a donné les statistiques concernant les homicides jusqu'en 1997, et il s'agit bien là de votre bilan. Je vous rappelle qu'en 1998 les attentats par explosifs ont chuté de 69 %, qu'ils sont tombés de 315 à 98, que les incendies volontaires ont régressé de 39 %, que les vols à main armée sont passés de 160 à 61. Quant aux homicides et tentatives d'homicides, ils ont chuté de moitié en cinq ans et la plupart de leurs auteurs sont désormais identifiés. Cet effort ne doit pas se relâcher, malgré l'exploitation que vous faites de cet événement déplorable ! Il faudra continuer ! (Mêmes mouvements.)
La création d'une commission d'enquête relève de l'Assemblée nationale, pas du Gouvernement. Quant aux autres faits non élucidés, monsieur le député, il est trop facile de reprendre l'argumentation des nationalistes qui, dans un tract, revendiquent dix attentats et accusent l'Etat d'en avoir commis quatre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Auteur : M. Pierre Lequiller
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Collectivités territoriales
Ministère interrogé : intérieur
Ministère répondant : intérieur
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 6 mai 1999