directeurs d'école
Question de :
M. Charles Ehrmann
Alpes-Maritimes (1re circonscription) - Démocratie libérale et indépendants
Question posée en séance, et publiée le 26 mai 1999
M. le président. La parole est à M. Charles Ehrmann.
M. Charles Ehrmann. Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.
Je suis orphelin de la guerre 1914-1918. Mon père est mort à la bataille de la Marne en septembre 1914; il avait vingt-trois ans, ma mère dix-neuf ans et deux enfants. Vingt-cinq ans après, je suis parti à la guerre de 1939-1945 dans les chars d'assaut, prêt au même sacrifice.
M. Gérard Gouzes. Ce n'est pas une question, c'est une biographie !
M. Charles Ehrmann. J'ai enseigné durant trente-huit ans comme professeur d'histoire pour faire de mes élèves des hommes et des femmes de qualité, mais aussi des jeunes aimant la France et la République et prêts, au besoin, à se sacrifier pour elle: cinq élèves du lycée Masséna, dont quatre étaient les miens depuis plusieurs années, ont ainsi été fusillés par les Allemands le 11 juin 1944 à Saint-Julien-du-Verdon en criant: «Vive de Gaulle, vive la France !»
Tous les ans, pour le 8 mai et le 11 novembre, dans de nombreuses communes de France, les élèves vont avec leurs enseignants, les anciens combattants et les autorités devant le monument aux morts pour rendre hommage à ceux qui ont donné leur vie pour la France et la République, souvent en chantant La Marseillaise.
Aussi ai-je souffert en entendant le Premier ministre parler comme il l'a fait des soldats mutinés en 1917... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Laissez le professeur d'histoire vous apprendre un peu l'histoire, si vous ne la connaissez pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
... alors que le front français était enfoncé sur trente à quarante kilomètres de profondeur et risquait de s'effondrer !
Et je souffre, au nom des fils de tués, au nom des anciens combattants et de bien de membres de l'enseignement, d'entendre Mme la ministre excuser une directrice d'école primaire d'avoir fait chanter à ses élèves devant le monument aux morts, à l'occasion du 8 mai, Le Déserteur de Boris Vian. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, que c'est là une insulte vis-à-vis des anciens combattants et de tous ceux qui sont morts pour défendre le pays ?
Plusieurs députés du groupe communiste. Mais non !
M. Charles Ehrmann. Je suis trop libéral pour ne pas vouloir que cette directrice reste dans l'enseignement. Mais en l'excusant comme vous l'avez fait, vous banalisez les valeurs de la République et de la France que les enseignants et leurs ministres se doivent de défendre. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire.
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire. Monsieur Ehrmann, je suis sensible à votre émotion. Un 8 mai, devant un monument aux morts érigé en mémoire des victimes des guerres, de toutes les guerres, c'est-à-dire de ceux qui ont donné leur vie pour la défense de la patrie, entonner Le Déserteur est en effet une erreur... (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Renaud Muselier. Une indécence !
Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire. Du reste, l'institutrice elle-même l'a reconnu.
Mais ce qui me préoccupe - et vous en serez certainement d'accord, monsieur Ehrmann, pour avoir été professeur d'histoire pendant de longues années -, c'est ce que les enfants peuvent en comprendre.
Les enfants ont un sens aigu de la justice. Il faut donc que les sanctions soient proportionnées à la gravité des erreurs. Or, les associations d'anciens combattants de Montluçon elles-mêmes, avec lesquelles j'ai pris contact, ont été, je vous l'assure, les premières étonnées par la gravité de cette sanction.
Et comme je crois que l'éducation civique doit se faire de façon vivante, par le contact entre les générations, j'ai écrit en début d'année à toutes les associations d'anciens combattants pour leur demander de venir dans les écoles. Je les connais donc bien. Aussi ai-je proposé aux associations d'anciens combattants de Montluçon de venir dans cette école pour expliquer aux élèves en quoi cette chanson pouvait les heurter, pourquoi il y avait des guerres à conduire et d'autres à ne pas conduire et quel était le sens des monuments aux morts.
Si les adultes se parlent, les enfants, tous les enfants en sortiront grandis. C'est là, me semble-t-il, qu'est le sens de l'école. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Charles Ehrmann
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Enseignement maternel et primaire : personnel
Ministère interrogé : enseignement scolaire
Ministère répondant : enseignement scolaire
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 26 mai 1999