langues et cultures régionales
Question de :
M. Jean-Yves Le Drian
Morbihan (5e circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 24 juin 1999
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Drian.
M. Jean-Yves Le Drian. Monsieur le Premier ministre, en jugeant contraires à la Constitution le préambule et l'article 7 de la charte européenne des langues régionales et minoritaires, le Conseil constitutionnel rend sans effet sa signature récente par le Gouvernement français en mai dernier à Budapest.
Vous aviez pourtant précisé que l'application de cette charte en France serait assortie d'une déclaration liminaire interprétative montrant clairement que celle-ci ne saurait porter atteinte à l'unité du peuple français, conformément du reste à la décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991 sur le statut de la Corse.
Monsieur le Premier ministre, vous avez souhaité, à plusieurs reprises, valoriser les langues régionales et estimé qu'elles faisaient partie du patrimoine de la République. Avez-vous l'intention de prendre une initiative pour sortir de l'impasse dans laquelle la décision du Conseil constitutionnel place notre pays après la ratification de cette charte ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai toujours adopté à l'égard des langues et cultures régionales une attitude de compréhension et de confiance. Cela a été le cas lorsque, ministre de l'éducation nationale, j'ai contribué au développement de l'enseignement de ces langues; cela l'est tout autant depuis que je dirige le Gouvernement.
J'ai demandé, au cours de l'année 1998, à Nicole Péry, puis à Bernard Poignant de me présenter un rapport sur cette question et de formuler toutes propositions utiles pour le développement harmonieux et concerté des langues et cultures régionales.
Le Gouvernement a décidé de mettre en oeuvre la proposition symbolique et forte du rapport Poignant visant à ce que, à l'instar de dix-huit autres pays européens, la France signe, puis ratifie la charte européenne des langues régionales minoritaires.
J'ai été soutenu dans cette démarche par un mouvement d'opinion, relayé depuis plusieurs années par de nombreux élus nationaux et régionaux, toutes tendances politiques confondues, qui a souhaité que notre pays s'engage dans ce processus.
La charte européenne des langues régionales et minoritaires a donc été signée, assortie d'une déclaration interprétative, le 7 mai dernier par Pierre Moscovici au nom de la France, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la création du Conseil de l'Europe.
Le 20 mai dernier, le Président de la République a décidé de saisir le Conseil constitutionnel, en application de l'article 54 de la Constitution, afin qu'il tranche la question de la compatibilité de la charte avec la Constitution, question sur laquelle des spécialistes de droit constitutionnel avaient exprimé des positions divergentes.
Un député du groupe du Rassemblement pour la République. Il y a de quoi ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
M. Yves Fromion. Langue de bois !
M. le Premier ministre. Il y a le bois, il y a le petit bois et il y a les copeaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Yves Fromion. Et la sciure ! (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. S'il vous plaît !
M. Yves Fromion. Sans oublier les cendres des paillotes !
M. le Premier ministre. Je ne vois pas en quoi la fraction d'un tout pourrait être différente du tout.
M. François Vannson. C'est pitoyable !
M. le Premier ministre. Le Conseil constitutionnel a estimé que la charte comportait des clauses contraires à la Constitution. Il a en revanche admis, il est intéressant de le noter, qu'aucun des trente-neuf engagements que le Gouvernement avait accepté de prendre n'était contraire à la Constitution.
M. Jacques Myard. Oh !
M. le Premier ministre. Tirant les conséquences de cette décision, conformément à l'article 89, alinéa 1, de la Constitution qui dispose que l'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République, sur proposition du Premier ministre, et aux membres du Parlement, j'ai proposé ce matin au Président de la République de prendre l'initiative d'une révision de la Constitution. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Edouard Landrain. Très bien !
M. Jacques Myard. Scandaleux !
M. Jean-Michel Ferrand. N'y avait-il rien de plus urgent ?
M. le Premier ministre. Il m'avait pourtant semblé, en prenant cette initiative, répondre, mesdames et messieurs les députés de l'opposition, à la demande exprimée par certains de vos amis, tel M. Josselin de Rohan-Chabot, et d'autres encore. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)
M. Edouard Landrain. C'est vrai !
M. le Premier ministre. Telle que je l'ai proposée, cette révision pourrait prendre la forme d'un article 53-3 nouveau de la Constitution, ainsi rédigé: «La République peut adhérer à la charte européenne des langues régionales ou minoritaires signée le 7 mai 1999.»
M. Jean-Michel Ferrand. Faites plutôt un référendum sur la sécurité. Cela intéresse davantage les Français !
M. le Premier ministre. Comme le Parlement l'a fait récemment pour le traité d'Amsterdam ou la Cour pénale internationale...
M. Pierre Lellouche. Et vous allez réviser la Constitution pour ça ?
M. le Premier ministre. ... vous pourriez ainsi autoriser la ratification de la charte sans mettre en cause les principes auxquels se réfère le Conseil constitutionnel.
M. Jacques Myard. N'importe quoi !
M. Pierre Lellouche. Quelle est la langue de la République, monsieur le Premier ministre ?
M. le Premier ministre. Je sais à quel point cette question est sensible et n'ignore pas les débats parfois vifs auxquels elle donne lieu.
M. Jacques Myard. Et ce n'est pas fini !
M. le Premier ministre. Nous sommes tous ici profondément attachés à l'unité du peuple français et à l'indivisibilité de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Cette unité s'est forgée au fil de l'histoire.
M. Yves Fromion. Le peuple corse, c'est vous !
M. le Premier ministre. A travers la reconnaissance des langues et des cultures régionales, il ne nous est pas demandé de remettre en cause ces valeurs fondamentales mais de reconnaître - et parfois même de sauver - un patrimoine dont la diversité enrichit la France. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Jacques Myard. N'importe quoi !
M. le Premier ministre. Je suis convaincu que la France est suffisamment forte pour garantir le développement de ces langues et de ces cultures qui font partie de son histoire.
Ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ce n'est ni mettre en cause la République ni porter atteinte à l'unité nationale, ni même affaiblir la langue française qui est la langue de la République.
M. Pierre Lellouche. Ah, quand même !
M. le Premier ministre. Nous vivons tous ensemble avec la même loi, nous sommes égaux en droit mais nous ne sommes pas tous identiques. Reconnaître cette richesse au sein de la République, voilà la démarche que je souhaite pour notre pays. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Jean-Yves Le Drian
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Culture
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 24 juin 1999