commerce international
Question de :
M. Alain Bocquet
Nord (20e circonscription) - Communiste
Question posée en séance, et publiée le 13 octobre 1999
M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.
M. Alain Bocquet. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. Elle porte sur les prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce qui vont s'engager dans quelques semaines à Seattle.
Les relations commerciales dans le monde sont à revoir en profondeur, dans l'intérêt évident des peuples, alors que les écarts de développement ne cessent de s'aggraver entre le Nord et le Sud et que le Fonds monétaire international dicte sa loi financière aux pays en difficulté pour mieux les livrer aux multinationales. Les derniers accords du GATT ont conforté la position dominante des Etats-Unis dans la disposition de l'arme alimentaire. Demain, la vente des organismes génétiquement modifiés va-t-elle primer sur le droit à la santé ?
Dans ces négociations, l'agriculture, la propriété intellectuelle, l'investissement et les services sont particulièrement visés. Ainsi le danger est immense de voir, par le biais de brevets, les pays en voie de développement spoliés de leurs ressources naturelles. Sait-on, par exemple, qu'aux Etats-Unis, champions incontestés des subventions à la production et des droits de douane, une entreprise a déposé un brevet pour le riz basmati ? Les plus pauvres pourraient ainsi se retrouver à devoir payer des royalties sur des produits qu'ils cultivent traditionnellement depuis des siècles !
La spécificité des identités nationales ne peut être écrasée en vertu de l'axiome selon lequel tout, sans exception, serait marchandise. Pour les députés communistes, des questions telles que l'éducation, l'énergie, les transports doivent être mises hors négociation et l'exception culturelles reconnue dans son acception la plus large.
Nous sommes pour un développement des échanges où les pays du tiers monde seraient des partenaires actifs, ce qui favoriserait l'activité et l'emploi tout à la fois chez eux, en France et en Europe.
La récente réunion des Quinze à Luxembourg pour préparer les négociations de l'OMC vient d'échouer, tant sur la question de la culture et de l'audiovisuel que sur celles des normes sociales. C'est dire notre profonde inquiétude. La France doit, nous semble-t-il, affirmer sa détermination en refusant l'instauration d'un monde unipolaire et uniforme. Elle doit dire sa volonté de transformer une logique ultralibérale de guerre économique en outil de coopération. Toutes les entreprises privées doivent notamment respecter les clauses sociales dans les échanges. A cet égard, nous nous félicitons de l'organisation d'un débat au Parlement, comme nous l'avions demandé. Il devrait permettre de préciser les enjeux et de renforcer la position des négociateurs français. Pouvez-vous, monsieur le Premier ministre, nous indiquer quelle sera l'attitude du Gouvernement en abordant ces négociations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, nous allons effectivement engager à Seattle, à partir du début de décembre, une nouvelle phase de négociations commerciales multilatérales. Pour nous, ce cycle de négociations doit être l'occasion de mieux maîtriser ce que l'on appelle la mondialisation. Nous sommes favorables à la libéralisation des échanges, mais nous voulons que cette libéralisation s'accompagne d'un renforcement des règles du commerce international.
A cette fin, et pour éviter la tentation de l'unilatéralisme, c'est-à-dire la loi du plus fort, pour prendre en compte les préoccupations et les difficultés particulières des pays en développement, nous souhaitons que le rôle de l'Organisation mondiale du commerce, en tant que cadre international où toutes les nations se retrouvent à égalité, soit renforcé. (M. Alain Madelin applaudit.)
L'accord signé le 15 avril 1994, à l'issue du précédent cycle de négociations commerciales à Marrakech, prévoyait la poursuite des discussions sur l'agriculture et sur les services. Avec nos partenaires européens, nous avons souhaité élargir ce périmètre à d'autres préoccupations: d'abord, la mise en oeuvre, par le système commercial international, des normes sociales définies par l'Organisation internationale du travail; ensuite, une meilleure prise en compte du principe de précaution pour la sécurité sanitaire et alimentaire; enfin, la protection de l'environnement.
Nous souhaitons également une plus forte régulation, notamment dans le domaine de la concurrence, de l'investissement et des marchés publics.
Cette nouvelle négociation qui va s'ouvrir, et qui durera peut-être plusieurs années, nous la voulons transparente et respectueuse des préoccupations de nos concitoyens. (Exclamations sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Depuis plus de six mois, le Gouvernement a engagé des concertations avec les organisations syndicales, les associations et les organisations non gouvernementales.
M. Pierre Lellouche. Mais pas avec le Parlement !
M. le Premier ministre. Nous veillons à tenir le Parlement étroitement informé de la préparation de ces négociations.
M. Jean Ueberschlag. Première nouvelle !
M. le Premier ministre. C'est donc que vous étiez absent de votre banc le 23 juin dernier, monsieur le député, lorsqu'un premier débat, à notre initiative, a eu lieu ici même. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Jean Ueberschlag. C'est trop facile !
M. le Premier ministre. Je me suis engagé à ce qu'une nouvelle discussion ait lieu ici même le 26 octobre, avant l'ouverture de la conférence ministérielle de Seattle. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
M. Pierre Lellouche. Ca, c'est bien !
M. Jean Ueberschlag. Nous allons voir !
M le Premier ministre. A cet égard, je vous indique que la résolution adoptée par votre commission de la production et des échanges sur le rapport de Mme Béatrice Marre constituera un utile point d'appui pour l'action du Gouvernement. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste.)
Hier soir, à Luxembourg, M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur,...
M. François Goulard. Et Dondoux ?
M. Thierry Mariani. On veut Dondoux !
M. le Premier ministre. ... et M. Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, qui participaient à la délégation française, ont plaidé lors du Conseil «affaires générales» de l'Union européenne pour que l'approche dont je viens de rappeler les grands traits soit mieux prise en compte par nos partenaires européens. Nous avons su trouver un large accord parmi eux sur l'essentiel de nos préoccupations, notamment dans le domaine de l'agriculture. La position européenne à cet égard s'appuiera strictement sur la préservation de notre politique agricole commune. Sa réforme, telle qu'elle a été décidée à Berlin dans le cadre d'Agenda 2000, traduit notre volonté de préserver le caractère multifonctionnel de notre agriculture et accorde un rôle déterminant à l'aménagement du territoire et à la protection de l'environnement. (Exclamations sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. S'il vous plaît !
M. le Premier ministre. Je veux ajouter, mesdames, messieurs les députés, que nous proposons à l'Union européenne d'adopter pour ce secteur une attitude offensive afin d'élargir l'application des règles de l'Organisation mondiale du commerce aux pratiques commerciales critiquables d'autres pays producteurs.
M. Jean Ueberschlag. C'est du boniment !
M. le Premier ministre. Le direz-vous encore, monsieur le député, quand vous saurez que cette position a été approuvée par le Président de la République lui-même lorsque je l'en ai informé ? (Rires et applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)
Alors, mesdames, messieurs les députés, deux problèmes majeurs subsistent encore à nos yeux. Le premier concerne l'exception culturelle. Ici, nous voulons faire partager à nos partenaires européens cette idée simple et fondamentale que la culture ne peut être traitée comme une marchandise. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) C'est pourquoi nous voulons que l'Union européenne se donne un mandat qui reconnaisse à nouveau la spécificité du secteur culturel, comme cela a été admis à Marrakech. Et nous veillerons très fermement à ce que l'Union européenne et la France puissent continuer à définir et à mettre en oeuvre des politiques culturelle et audiovisuelle, librement.
La France restera inflexible sur la protection de la diversité culturelle. Je vous en donne l'assurance. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Le second enjeu a trait aux normes sociales. Le gouvernement français souhaite que le nouveau cycle permette une coopération renforcée entre l'Organisation mondiale du commerce et l'Organisation internationale du travail. Il souhaite aussi que soient trouvés les cadres institutionnels permettant que soient partout respectées les normes sociales fondamentales telles qu'elles ont été définies par l'Organisation internationale du commerce.
Je crois pouvoir vous dire que, grâce au travail accompli par les ministres en charge de ces dossiers, nos partenaires européens comprennent mieux aujourd'hui nos préoccupations. Soyez assurés de la détermination du Gouvernement à les faire partager par nos partenaires dans les discussions qui s'ouvrent. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)
Permettez-moi, enfin, monsieur le président («C'est trop long !» sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), de saisir l'occasion de la réponse à cette question pour vous dire que je ne pourrai être demain aux questions d'actualité, votre collègue sénateur, Jean Puech, président de l'Association des départements de France, m'ayant convié, avant le ministre de l'intérieur, à son congrès. Acceptez mes excuses par avance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Alain Bocquet
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Relations internationales
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 13 octobre 1999