Question au Gouvernement n° 1559 :
physique nucléaire

11e Législature

Question de : M. Pierre Lasbordes
Essonne (5e circonscription) - Rassemblement pour la République

Question posée en séance, et publiée le 20 octobre 1999

M. le président. La parole est à M. Pierre Lasbordes.
M. Pierre Lasbordes. Monsieur le Premier ministre, je souhaite vous interpeller sur la décision prise par votre ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie pendant la période estivale. En effet, il a décidé, contre l'avis unanime de la communauté scientifique française et de tous les élus locaux de toutes sensibilités politiques, y compris certains membres de votre Gouvernement, de renoncer au projet Soleil en s'appuyant, semble-t-il, sur un rapport curieusement tenu secret, qualifié de bâclé, imprécis et en partie faux.
Cet abandon très courageusement annoncé par un bref communiqué de presse le 2 août au profit d'une simple participation minoritaire française à une installation en Angleterre, dite Diamond, a surpris beaucoup de monde, en particulier vos amis socialistes M. Jean-Paul Huchon, président du conseil régional d'Ile-de-France et M. Michel Berson, président du conseil général de l'Essonne, qui n'ont pas été avertis en décembre 1998, malgré ce que semble affirmer M. Claude Allègre dans sa note du 20 septembre dernier. Cette décision met en péril la recherche française qui, je tiens à le souligner, n'a jamais été opposée à une coopération européenne.
Face à la colère de la communauté scientifique française et des élus locaux, M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie a ressenti le besoin de justifier sa position en adressant aux parlementaires, principalement, une note le 20 septembre dans laquelle il présente sa politique en matière de recherche.
Si l'on ne peut qu'être d'accord sur les deux principaux axes de votre politique en matière de recherche, monsieur le ministre, à savoir redonner à la recherche française une place de premier plan dans tous les domaines et faire de la recherche un moteur de l'essor de l'économie et de la lutte contre le chômage, il n'en demeure pas moins que l'exemple du projet Soleil va à l'opposé de ces deux objectifs. Je ne vois pas comment, en participant à la réalisation en Grande-Bretagne d'un équipement synchrotron de troisième génération, on va favoriser l'économie et l'emploi en France. Que penser ensuite du futur de la plupart des PME-PMI qui s'étaient spécialisées dans les équipements pour le LURE et qui vont perdre une partie de leur marché ? Que penser de l'éloignement entre la recherche publique et l'industrie qui ne manquera pas d'être induit par cette décision alors que ce rapprochement a toujours été considéré comme une nécessité ?
En outre, la décision prise cet été est techniquement et économiquement mauvaise. Techniquement, la solution retenue ne répond pas à la demande exprimée par les chercheurs britanniques et français, sachant que dans ce domaine, on a toujours sous-estimé les demandes. Economiquement, la solution Diamond est sous-estimée. Pourquoi avoir oublié les coûts des lignes et des stations expérimentales et le coût du personnel français installé en Grande-Bretagne ?
Monsieur le Premier ministre, Soleil est d'une importance telle pour la France que le Président de la République lui-même l'a défendu devant le comité 2000 de l'Académie des sciences, je le cite: «Le projet Soleil est très certainement le plus bel équipement scientifique que la France peut, dans les années à venir, réaliser avec sa communauté scientifique pour la recherche et le progrès, notamment dans les domaines de la santé et de l'industrie.»
Monsieur le Premier ministre, face à tous ces faits, il apparaît évident que la solution retenue ne convient pas. Dès lors, quelle réponse allez-vous apporter aux chercheurs français, dont le prix Nobel anglais Max Perutz a reconnu qu'ils étaient la référence en Europe dans leur discipline, pour les aider à faire progresser la France dans les domaines de la santé et de l'industrie, permettant ainsi à notre pays de conserver une place de premier plan, ce que simplement nous souhaitons tous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le député, le Gouvernement a fait connaître, lors de deux comités interministériels de la recherche, quelles étaient ses priorités en matière de recherche scientifique: le recrutement de chercheurs, l'innovation, les transferts de technologie et le rétablissement des crédits des équipes.
L'analyse du budget a fait apparaître une dérive graduelle dans notre pays au profit des gros investissements et au détriment des crédits de laboratoire.
Voici des chiffres qui le montrent. Les crédits du CNRS sont actuellement consacrés pour 86 % aux salaires et pour seulement 15 % au travail (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) - je veux parler des crédits de fonctionnement ! En extrapolant, cela signifie qu'en 2015, il n'y aurait plus d'argent pour le fonctionnement. (Mêmes mouvements.)
M. le président. Un peu de silence, mes chers collègues !
M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Autres chiffres: tandis que les crédits finançant de gros équipements s'élèvent à 4,5 milliards, les crédits alloués au fonctionnement des laboratoires ne représentent que 1,5 milliard.
Nous avons par conséquent décidé, après avis du Conseil national de la science, que tous les gros équipements seraient désormais européens, cela afin de ne pas priver la communauté française d'équipements qu'elle ne pouvait pas se payer.
Je reviens du CERN, qui est un exemple magnifique de la coopération européenne en matière de grands équipements.
Le projet Soleil représentait deux milliards d'investissement. Nous allons investir au cours du plan quelque cinq milliards pour la recherche. Etait-il raisonnable de consacrer deux milliards sur cinq à un seul projet, alors que la France est déjà le pays du monde qui dépense le plus pour le rayonnement Synchrotron - 300 millions par an ?
En outre, le projet qui était présenté n'était pas européen et n'impliquait pas les industriels. Nous risquions donc de n'avoir pas du tout de projet Synchrotron - car personne n'aurait pu arbitrer en sa faveur et, d'ailleurs, les gouvernements précédents n'y avaient pas mis un centime. («Ce n'est pas vrai !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Le projet de coopération avec les Britanniques est une chance exceptionnelle pour la France et pour l'Europe. Il nous permet de participer au projet Diamond. N'oublions pas que les Britanniques sont les meilleurs du monde dans ce domaine où ils ont huit prix Nobel.
M. Yves Fromion. Ils vous ont roulé dans la farine !
M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Nous y sommes associés pleinement. D'ailleurs, la première réunion se tiendra à Paris. (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Au surplus, mesdames, messieurs les députés, la construction de l'Europe, à laquelle ce gouvernement est attaché, et de l'Europe scientifique, en particulier, implique la réalisation de projets communs. Le projet du Synchrotron européen est localisé à Grenoble, de même que celui de la pile à neutrons; l'ESA est en France. Il est bien normal, dans un esprit de coopération scientifique, que les Britanniques, dont nous voulons qu'ils participent pleinement à l'Europe, disposent aussi d'un équipement européen sur leur sol. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Données clés

Auteur : M. Pierre Lasbordes

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Recherche

Ministère interrogé : éducation nationale, recherche et technologie

Ministère répondant : éducation nationale, recherche et technologie

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 20 octobre 1999

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