Question au Gouvernement n° 1587 :
droits de l'homme et libertés publiques

11e Législature

Question de : Mme Marie-Hélène Aubert
Eure-et-Loir (4e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert

Question posée en séance, et publiée le 28 octobre 1999

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert.
Mme Marie-Hélène Aubert. Monsieur le ministre des affaires étrangères, depuis quelque temps déjà, la France, à commencer par le Président de la République Jacques Chirac, se veut particulièrement aimable avec les régimes les plus durs de la planète. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Hier, le président Jiang Zemin se voyait dérouler le tapis rouge par une République française bonne fille, pourtant plus sourcilleuse habituellement sur la question des droits de l'homme. Aujourd'hui, c'est au tour du Président Khatami, qui, même s'il est censé incarner une lueur d'espoir, représente un Iran théocratique, où on lapide encore les femmes, où l'on exécute et emprisonne pour délit d'opinion en permanence.
Ainsi, Ngarang Sarangdol, jeune religieuse tibétaine emprisonnée et torturée comme des milliers d'autres, le 1,8 million de paysans chinois déplacés par le délirant barrage des Trois-Gorges - garanti, entre autres, par la COFACE -,...
M. Jacques Myard. Et alors ?
Mme Marie-Hélène Aubert. ... les étudiants et les juifs iraniens menacés d'exécution, les femmes iraniennes opprimées sous la férule islamique seront certainement heureux d'apprendre l'accueil chaleureux que la France réserve à ces présidents, et de voir aussi qu'elle s'efforce d'éloigner ou de faire taire leurs opposants pacifiques dans notre pays même. C'est indigne de la patrie des droits de l'homme !
Pourtant, au printemps dernier, lors du conflit au Kosovo, tous les dirigeants européens se frappaient la poitrine en regrettant amèrement de n'avoir rien fait ou presque pendant des années pour les démocrates. Est-ce déjà oublié ?
Il paraît que cette politique «d'engagement constructif», de dialogue critique, comme on dit, qui prétend notamment que le commerce conduirait forcément à la démocratie, serait plus efficace que la politique de sanctions et d'embargo, certes contestable, prônée souvent unilatéralement par les Américains.
Pourtant, rien n'est moins sûr. La Chine promet beaucoup, mais elle se révèle mauvais payeur, et la rente du pétrole iranien ne servira qu'à asseoir encore plus le pouvoir qui l'a déjà captée. Sans Etat de droit, il n'y a bien souvent que de mauvaises affaires.
Entre embargo et sanctions, bien hypocrites, et cynisme commercial, il doit y avoir une autre voie, celle qui place le développement humain en priorité, celle qui conditionne l'octroi de crédits ou d'investissements à la mise en oeuvre d'un réel contrôle, celle qui demande le respect de normes sociales et environnementales, une politique qui lutte énergiquement contre la corruption - le palmarès récemment paru de Transparency International ne nous met pas à cet égard en excellente position, c'est le moins qu'on puisse dire -, une politique qui ne livre pas d'armes à n'importe qui, une polituque qui soutient activement les démocrates et les mouvements civiques partout dans le monde. C'est ce que nous attendons au moins de notre gouvernement !
Quelles initiatives comptez-vous prendre en ce sens, monsieur le ministre, notamment en vue de la présidence de l'Union européenne au second semestre 2000 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Madame la députée, je pense que toutes les personnes présentes dans cet hémicycle sont aussi attachées que vous l'êtes à la promotion de la démocratie et des droits de l'homme dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Il s'agit de savoir comment faire, et pas uniquement de prendre des positions ou de faire des déclarations.
Nous sommes confrontés à la question tous les jours.
Vous parlez de «cynisme commercial». Mais je ne sais pas bien ce que cela veut dire s'agissant d'un pays où un tiers des salariés travaillent pour l'exportation. Je ne vois pas en quoi la démocratie progresserait plus vite dans les pays qui achèteront des Boeing plutôt que des Airbus. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Bien évidemment, cela n'épuise pas la question.
Il n'y a aucune raison de laisser le dialogue politique et stratégique avec la Chine sur tous les sujets, y compris la démocratie et le Tibet, aux seuls Etats-Unis. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
M. Bernard Pons. Absolument !
M. le ministre des affaires étrangères. Il n'y a aucune raison pour que le dialogue avec un Président iranien qui, certes, n'a pas encore transformé l'Iran en un Iran que nous pourrions rêver, mais qui cherche des appuis dans la lutte qu'il conduit à l'intérieur de son pays avec les obstacles que vous connaissez, soit mené par tous les pays européens sauf par la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
Tous ces dialogues, nous les menons, qu'il s'agisse du Président de la République ou du Gouvernement, avec clarté, avec franchise, avec vigueur. Et à travers eux, nous visons un véritable objectif.
Vous avez rappelé l'hypocrisie des sanctions et des embargos, et vous avez raison. Vous avez demandé s'il existait une autre voie. Cette autre voie que celle des diverses pratiques que vous condamnez existe bel et bien: c'est la politique étrangère de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

Données clés

Auteur : Mme Marie-Hélène Aubert

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : affaires étrangères

Ministère répondant : affaires étrangères

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 28 octobre 1999

partager