responsabilité
Question de :
M. Michel Voisin
Ain (4e circonscription) - Union pour la démocratie française
Question posée en séance, et publiée le 13 novembre 1997
M. le président. La parole est à M. Michel Voisin.
M. Michel Voisin. Monsieur le Premier ministre, quatre-vingts ans après la révolution d'Octobre, l'histoire rejoint une nouvelle fois l'actualité.
Alexandre Soljenitsyne dénonçait hier la réalité de la machine totalitaire communiste. Il était couvert de sarcasmes. Aujourd'hui, plusieurs historiens, anciens communistes français pour la plupart, dressent le bilan effroyable des crimes communistes dans le monde: 85 millions de morts. (M. Charles de Courson brandit un livre. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
M. le président. Monsieur Voisin, posez votre question et vous, monsieur de Courson, posez votre livre !
M. Michel Voisin. J'ai deux questions à vous poser, monsieur le Premier ministre.
Premièrement, qu'avez-vous l'intention de faire pour que ces crimes confirmés par les historiens soient connus et reconnus ?
Deuxièmement, qu'avez-vous l'intention de faire pour que soient établies les responsabilités de ceux qui ont soutenu ces abominations, qui que ce soit et où que ce soit ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, il y a deux interprétations à donner à vos propos: ou bien il s'agit d'une petite intervention politicienne et, dans ce cas, elle ne mérite pas de réponse; ou bien vous souhaitez, avec sincérité et sans arrière-pensée, poser une grande question, parler d'un grand problème historique, d'un des drames de ce siècle.
M. Pascal Clément. C'est les deux !
M. le Premier ministre. C'est la seconde hypothèse que je veux bien retenir, et c'est ce qui explique que je vous réponde. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Jean-Michel Ferrand. Quel honneur !
M. le Premier ministre. Si vous ne souhaitez pas que je réponde à la question dans les termes où je l'accepte, dites-le moi franchement. Auquel cas je retiendrai la première hypothèse et me rassiérai. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Je vais donc répondre, tout en étant conscient qu'il soit très difficile pour moi, en quelques minutes, de poser les termes de telles interrogations...
M. Jean-Paul Charié. C'est très ennuyeux !
M. le Premier ministre. Ce n'est pas ennuyeux, mais c'est difficile !
M. Jean-Michel Ferrand. C'est même gênant !
M. le Premier ministre. Je vous réponds le jour même où le Président de la République est à Hanoi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert), après avoir été en Chine et en ayant l'intention d'y retourner.
M. Jacques Baumel. Cela n'a rien à voir !
M. le Premier ministre. Mesdames, messieurs, la révolution de 1917 a été l'un des grands événements historiques de ce siècle. Pendant des décennies, nos manuels en ont porté la trace, tout comme nos intellectuels et nos artistes...
M. Jean-Michel Ferrand. Pseudo-artistes !
M. le Premier ministre. Monsieur Voisin, je relève que vous avez vous-même noté que ceux qui posent aujourd'hui le problème par le biais d'un livre étaient justement des anciens communistes, comme si, à défaut de la mesurer, vous souligniez la contradiction de cette époque.
M. Pascal Clément. La repentance !
M. Jean-Michel Ferrand. La persévérance est diabolique !
M. le Premier ministre. Le mouvement, commencé en 1917 par une révolution, a joué dans l'histoire de ce siècle un rôle majeur. Il a occupé une place énorme dans nos manuels et mobilisé des millions d'hommes, des intellectuels et des créateurs dans notre pays. Il a été une référence dans notre histoire car, au moment où l'Allemagne nazie était notre adversaire, l'Union soviétique était, quoi qu'on pense sur la nature de son régime, notre alliée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Jean-Michel Ferrand. A partir de quelle date ?
M. le président. Mes chers collègues, laissez le Premier ministre s'exprimer ! Une question lui a été posée et il va y répondre.
M. le Premier ministre. A mon sens, ce n'est pas un hasard si la question a été posée par un député de l'UDF et non par un député gaulliste. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
J'étais à Moscou il y a dix jours et j'ai été me recueillir devant la plaque de l'escadrille Normandie-Niémen. (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean-Michel Ferrand. Cela n'a rien à voir !
M. le Premier ministre. C'est bien la preuve que, historiquement, l'URSS stalinienne, que j'ai constamment dénoncée dans mon engagement politique, a été notre alliée dans cette période tragique. C'est un premier élément.
M. Pascal Clément. Que c'est politicien !
M. François d'Aubert. C'est une honte !
M. le Premier ministre. Le deuxième élément, mesdames, messieurs, c'est qu'au-delà du rôle qu'a joué l'Union soviétique et au-delà du fait qu'en 1945, les crimes de Staline étaient parfaitement connus, des communistes appartenaient à un gouvernement issu de la Résistance et dirigé par le général de Gaulle. C'est aussi une réalité historique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Je n'ai, pour ma part, jamais mis le signe «égale» entre nazisme et communisme ou marxisme. («Très bien !» sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Le nazisme est une doctrine intrinsèquement perverse...
M. Charles de Courson. Comme le communisme !
M. le Premier ministre. ... qui n'a jamais dissimulé sa pratique derrière des affirmations contraires, qui assumait ses théories antisémites, qui assumait ses théories tendant à justifier la domination d'une élite sur une autre.
Il n'y a jamais eu de «dégradé» dans le nazisme. Le nazisme était intrinsèquement pervers, et il devait être abattu.
Il y a eu, que vous le vouliez ou non, des différences et des dégradés dans l'analyse des phénomènes du marxisme, du communisme, du léninisme et du stalinisme.
M. François d'Aubert. S'il y a eu des dégradés, c'était dans l'horreur !
M. le Premier ministre. François Furet, qui vient de mourir, établit quant à lui une liaison fatale entre le marxisme, le communisme, le léninisme et le stalinisme, considérant que le marxisme devait nécessairement aboutir au stalinisme.
M. Charles de Courson. François Furet a raison !
M. le Premier ministre. D'autres historiens français, comme Madeleine Rebérioux, présidente d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, établissent une distinction entre la déviation du stalinisme et l'idéal du communisme. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Celui qui vous parle peut le faire d'autant plus aisément que, dès 1956, alors jeune étudiant, il a rompu avec cette tentation quand a été écrasée la révolution démocratique hongroise. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur divers bancs du groupe communiste.)
Celui qui vous parle appartient à la tradition démocratique du socialisme français.
M. Jean Ueberschlag. Laissez-moi rire !
M. le Premier ministre. Si le Goulag doit être condamné totalement et le stalinisme rejeté et si l'on peut penser que le Parti communiste français, au nom duquel je ne suis pas habilité à parler, a trop tardé à dénoncer le stalinisme («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française), ainsi que je l'ai dit et que je le pense toujours aujourd'hui, il l'a néanmoins fait. («Non !» sur plusieurs bancs des mêmes groupes.)
Nous devons donc condamner le stalinisme. Nous devons donc condamner le Goulag. Pour autant, pour moi, le Parti communiste français s'inscrit dans le Cartel des gauches, dans le Front populaire, dans les combats de la Résistance, dans le gouvernement tripartite de la gauche en 1945. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Il n'a lui-même jamais porté la main sur les libertés. Même s'il n'a pas pris ses distances assez tôt avec les phénomènes du stalinisme, il a tiré des leçons de son histoire. Il est représenté dans mon gouvernement, et j'en suis fier ! (Les députés du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert se lèvent et applaudissent longuement. - Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française quittent l'hémicycle. - Huées sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Thierry Mariani. Nous venons d'assister à une offensive stalinienne !
M. Franck Borotra. 85 millions de morts passés par pertes et profits !
Auteur : M. Michel Voisin
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Droits de l'homme et libertés publiques
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 13 novembre 1997