Question au Gouvernement n° 1608 :
magistrats

11e Législature

Question de : M. Pascal Clément
Loire (6e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants

Question posée en séance, et publiée le 4 novembre 1999

M. le président. La parole est à M. Pascal Clément.
M. Pascal Clément. Madame la garde des sceaux, depuis deux ans et demi que vous êtes au Gouvernement, vous vous faites le champion de la morale, de la transparence et de l'indépendance de la justice (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants), à tel point, du reste, que vous souhaitez sceller cette attitude et cette volonté politique par une réforme de la Constitution qui prévoit l'indépendance des magistrats du parquet.
Vous y tenez d'ailleurs tellement que personne n'ignore en France qu'à la suite de votre insistance et de celle du Premier ministre auprès de M. le Président de la République, nous serons réunis au mois de janvier pour une réforme de la Constitution.
Mme Odette Grzegrzulka. Il était temps !
M. Pascal Clément. On peut se demander si cette réforme n'a pas été brutalement menacée à la fois par le comportement d'un certain nombre de magistrats et par vos déclarations d'hier. Vous n'ignorez pas qu'un grand nombre de parlementaires, que ce soit ici même ou dans la Haute Assemblée, n'ont voté l'indépendance du parquet que du bout des lèvres, si je peux m'exprimer ainsi (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste), et ce qui vient de se passer ne les incite pas à confirmer ce vote.
Hier, à notre collègue Henri Plagnol, vous avez répondu - et j'admire votre culot - que Mme Anne-José Fulgeras, chef de section des affaires financières du parquet de Paris, qui a été brutalement dessaisie de ses responsabilités, souhaitait une mobilité professionnelle, dont vous avez vanté les mérites. Or, ce matin, la presse nous apprend qu'elle est profondément affectée, troublée de cette sanction.
Mme Odette Grzegrzulka. Il faut lui donner du Prozac !
M. Didier Boulaud. Ce n'est pas la presse, c'est Le Figaro !
M. Pascal Clément. Pour parler comme l'un de mes électeurs qui m'a appelé à ce sujet au téléphone, elle a été proprement virée. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. Un peu de silence !
M. Pascal Clément. Comment peut-on parler d'indépendance de la justice, alors que vous avez fait nommer un procureur ami, ancien directeur de cabinet du garde des sceaux Henri Nallet, qui, d'une seconde à l'autre, peut dessaisir l'un des responsables qui a l'une des tâches les plus difficiles, délicates qu'il y ait en France au niveau de la justice et que, jusqu'à preuve du contraire, Mme Fulgeras n'a aucune affectation ? On ne parle pas de mobilité, elle n'a rien à faire. A-t-on déjà vu un tel précédent ?
Plusieurs députés du groupe socialiste. Oui !
M. Pascal Clément. A ma connaissance, nous n'en avons jamais vu. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Mme Fulgeras est aujourd'hui l'illustration de l'interventionnisme politique dont, à travers vos proches, vous êtes capable de faire preuve au niveau du ministère de la justice, tout cela en vous habillant du plus bel apanage de la vertu et de la morale.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Clément.
M. Pascal Clément. Je pense, madame la garde des sceaux, que le voile de l'hypocrisie se déchire.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Très bien !
M. Pascal Clément. Vous voulez une indépendance formelle, une indépendance hypocrite du parquet, et vous comptez sur vos procureurs, très solidement tenus, pour faire le ménage quand il le faut. Le départ de Mme Fulgeras tombait tout de même bien à pic, au coeur même de l'affaire de la MNEF, qui concerne tant de vos amis politiques !
Ma question est simple: comment pouvez-vous mettre en accord vos déclarations et vos actes ? Il y va de la crédibilité de votre gouvernement sur un sujet aussi sensible, celui de la morale, qui, jusqu'à preuve du contraire, soutenait politiquement le gouvernement de M. Jospin auquel vous appartenez. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. Madame la garde des sceaux, M. Clément ayant utilisé presque tout le temps de parole dont dispose son groupe, il va vous falloir répondre brièvement, comme vous savez le faire.
Vous avez la parole.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Je serai brève, en effet.
D'abord, monsieur Clément, cela fait un an que la réorganisation du parquet de Paris est en cours, et celle-ci a même fait l'objet d'une conférence de presse au mois de mai dernier.
Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Et alors ?
Mme la garde des sceaux. L'objectif de cette réorganisation, dont j'ai approuvé les principes, est de faire en sorte qu'il n'y ait pas seulement des sections verticales au parquet de Paris mais également des sections...
M. Jean-Louis Debré. Horizontales ! Couchées !
Mme la garde des sceaux. ... territoriales, pour que le parquet de Paris soit mieux articulé avec la police judiciaire qui vient de territorialiser ses actions. Si nous voulons être plus efficaces dans la lutte contre la délinquance, qui empoisonne la vie quotidienne de nos concitoyens, il faut que le parquet de Paris, en liaison avec la police judiciaire, soit plus efficace dans son action de terrain. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
En vertu de cette réforme dont j'ai approuvé les principes, ont eu lieu des changements de personnes que je n'avais pas à approuver puisque c'est la responsabilité du chef de juridiction, je l'ai dit hier. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Vingt magistrats ont quitté le parquet de Paris. Sur onze chefs de section, quatre ont changé. Cette réforme s'est faite en concertation avec les personnels concernés (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), et toutes les personnes qui changent d'affectation recevront, bien entendu, des propositions correspondant à leurs talents. L'on me dit d'ailleurs que quatre d'entre elles, depuis le mois de mai dernier, se sont mises en disponibilité pour assurer des fonctions dans le secteur privé. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Par ailleurs, vous n'êtes certainement pas le mieux placé pour parler de la réforme de la justice et de la réforme constitutionnelle. Le groupe Démocratie libérale est, en effet, le seul groupe de l'Assemblée qui ait voté contre la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert),...
M. Jacques Blanc. Eh oui !
Mme la garde des sceaux. ... contre cette réforme voulue par le Président de la République, et que les autres groupes de l'opposition se sont bien gardés de désapprouver.
M. Jacques Godfrain. C'est faux !
Mme la garde des sceaux. Quant à savoir s'il y a eu un précédent, je vous signale que le directeur de cabinet de mon prédécesseur, M. Toubon, a été nommé directement, sans même un sas de quelques années, à l'un des plus hauts postes de la magistrature en France et qu'il occupe toujours ce poste. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
En réalité, vous êtes tout simplement embarrassés. Le ministre des finances a démissionné parce qu'il était mis en cause par la justice, et cette décision l'honore. Vous ne savez pas comment attaquer le Gouvernement, qui respecte l'impartialité de la justice (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), et vous vous rabattez sur de petites manoeuvres qui n'abuseront aucun de ceux qui nous écoutent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Données clés

Auteur : M. Pascal Clément

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 novembre 1999

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