Russie
Question de :
M. Jean-Louis Bianco
Alpes-de-Haute-Provence (1re circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 10 novembre 1999
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Bianco.
M. Jean-Louis Bianco. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question d'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.
Elle porte sur la guerre en Tchétchénie.
Certes, la Tchétchénie, n'est pas un Etat souverain; elle fait partie de la Russie. Certes, aussi, la Russie a été victime d'attentats terroristes, devant lesquels nous devons, nous, Français, qui avons aussi été frappés, manifester notre solidarité à l'égard de nos amis russes. Certes, pour reprendre la langue de bois officielle, il y a des «bandits» en Tchétchénie, et l'on se rappelle l'enlèvement de notre compatriote Vincent Cochetel. Mais rien ne démontre que la Tchétchénie tout entière soit devenue une base arrière du terrorisme. Pourtant, d'après le journal tchèque Pravo, le Premier ministre russe, M. Poutine, a affirmé vouloir «détruire tout ce qui est en âge de porter une arme», alors que chacun se rappelle les déportations dont le peuple tchétchène a été victime en 1944.
Pour venir à bout des terroristes, les militaires russes sont-ils obligés de bombarder un marché ou une maternité ? Est-ce en refusant de négocier avec le président tchétchène modéré, M. Maskhadov, que l'on prépare les conditions d'une solution politique ? Aujourd'hui la presse fait état de près de 200 000 réfugiés. Du point de vue de la morale, mes chers collègues, ce qui se passe aujourd'hui en Tchéchénie est-il si fondamentalement différent de ce qui se passait au Kosovo avant l'intervention de l'OTAN ? («Non !» sur divers bancs.) Est-ce l'absence d'images télévisées qui explique la mollesse et la lenteur de réaction des démocraties ?
M. Yves Fromion. Que fait votre Premier ministre ?
M. Jean-Louis Bianco. Monsieur le ministre, considérez-vous que, à l'instar de votre collègue allemand, M. Fischer, «l'offensive russe en Tchétchénie est une terrible erreur» ?
La France partage-t-elle l'indignation de la porte-parole du Haut Commissariat aux réfugiés en France, qui a parlé d'un régime de terreur dirigé contre des civils ?
En d'autres termes, la France condamne-t-elle l'intervention militaire russe, comme l'a fait le Parlement européen ?
Enfin, monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre, avec nos partenaires européens, pour faire imposer l'urgence d'une intervention humanitaire en garantissant le libre accès des organisations humanitaires et des équipes du Haut Commissariat aux réfugiés ?
Monsieur le ministre, même si, nous en sommes tous d'accord, il ne faut pas déstabiliser la Russie, nous attendons, au-delà d'une action diplomatique efficace, que s'exprime clairement la voix de la France. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert ainsi que sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, nous avons déclaré très clairement, il y a plusieurs semaines, avec mes homologues allemand et italien, suivis depuis par l'ensemble des ministres de l'Union européenne, que, même si l'intégrité territoriale russe n'est contestée par aucun pays occidental, ni d'ailleurs par aucun pays au monde, la nécessité de lutter contre le terrorisme dans une région où il sévit depuis plusieurs années - rappelez-vous des centaines de personnes prises en otages, sont des Français - ne justifiait pas l'escalade à laquelle se livrent les autorités russes et l'armée russe en Tchétchénie, ni la façon dont est traité le problème d'ensemble du Caucase du Nord. Nous avons dit clairement qu'il est intolérable de voir des victimes civiles frappées par une action militaire à grande échelle - de surcroît aveugle, compte tenu de ce que nous savons - et qu'une action purement militaire ne pouvait apporter la solution.
Depuis plusieurs semaines, nous demandons que le dialogue politique reprenne, comme cela avait été envisagé en 1996 - solution politique malheureusement abandonnée en cours de route, tant par les uns que par les autres, il est vrai, mais ce n'est pas une raison.
Nous avons fait tout ce que nous avons pu, notamment à travers la présidence finlandaise de l'Union européenne, pour que des couloirs humanitaires soient réouverts, pour que l'aide internationale arrive, en grande partie via l'Ingouchie, par le canal du CICR et de toutes les ONG qui acceptent de venir dans une région où leurs personnels eux-mêmes courent de grands risques.
Nous sommes convaincus que la Russie se fourvoie dans cette aventure au Caucase du Nord. D'une façon ou d'une autre, elle devra bien reconnaître la réalité du problème tchétchène, de même que celle du problème du Caucase du Nord, qui, lui aussi, dépasse de loin la seule question du terrorisme.
Le problème tchétchène doit être abordé sur une base politique. Je l'ai dit sans aucune ambiguïté à M. Ivanov, le ministre russe des affaires étrangères, lors de sa venue à Paris; nous le redirons clairement au sommet de l'OSCE à Istanbul, où la Russie se trouvera clairement au centre des pressions de tous les pays désireux qu'une solution d'une autre nature soit trouvée en Tchétchénie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Jean-Louis Bianco
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : affaires étrangères
Ministère répondant : affaires étrangères
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 10 novembre 1999