présomption d'innocence
Question de :
M. Édouard Balladur
Paris (12e circonscription) - Rassemblement pour la République
Question posée en séance, et publiée le 10 novembre 1999
M. le président. La parole est à M. Edouard Balladur.
M. Edouard Balladur. C'est à vous, monsieur le Premier ministre, que je m'adresse. Et je le fais spontanément, je vous serai très reconnaissant de le croire. (Sourires.)
Votre gouvernement a traversé, la semaine dernière, une épreuve. Celui que je dirigeais, lui, l'a connue à trois reprises.
Un ministre concerné par une procédure pénale, parfois même avant qu'il ne soit mis en examen, comme cela a été le cas plusieurs fois, doit-il quitter le Gouvernement ? Pour les uns, oui: aucun doute ne doit planer sur un homme public et la morale qui s'applique à lui est plus exigeante. Pour d'autres, non: la composition du Gouvernement ne peut pas dépendre d'une mesure d'instruction. Ce serait confier un pouvoir exorbitant au juge, la présomption d'innocence serait détruite, l'atteinte à la réputation irrémédiable.
Mon gouvernement a retenu la première solution. Je n'en ai été ni fier ni heureux. Elle consistait à infliger une épreuve cruelle à des hommes qui n'étaient pas encore jugés; d'ailleurs, deux d'entre eux ont bénéficié d'un non-lieu.
N'y a-t-il aucune autre solution que d'être enfermé dans cette alternative ? Je ne le crois pas. Il nous faut prendre acte de la société médiatique dans laquelle nous vivons. Il n'y a plus de secret de l'instruction, il n'y a plus de présomption d'innocence et, dans une certaine mesure, il n'y a plus de respect absolu des droits de l'homme («Très juste !» sur divers bancs), pas seulement pour les hommes politiques, mais pour tous les citoyens. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
On a proposé qu'une commission comportant des parlementaires - si j'ai bien compris - fût appelée, lorsqu'un ministre est en cause, à éclairer le juge d'instruction avant qu'il ne prenne sa décision. Ce serait à mes yeux une mauvaise solution qui consisterait à soustraire au droit commun un homme public uniquement parce qu'il est un homme public.
S'il faut changer quelque chose, c'est au profit de tous les citoyens, ce qui nous conduit à la réforme de la procédure pénale. Celle que vous avez entreprise a des mérites, mais elle nous semble insuffisante. Comme nous avons été nombreux à le proposer il y a quelques mois, il est souhaitable de remplacer la mise en examen, décidée par un seul juge et sans appel, par une procédure de mise en accusation, décidée elle aussi par un juge d'instruction mais pouvant être l'objet d'un appel devant une juridiction collégiale, le tribunal de la liberté. Ainsi, les droits de l'homme et le respect de la présomption d'innocence seraient-ils mieux assurés.
Est-ce à dire que cette procédure nouvelle, monsieur le Premier ministre, réglerait tous les problèmes ? Sans doute pas. Mais les garanties qu'elle offrirait seraient plus solides et, par exemple, un ministre ne pourrait être contraint à la démission qu'une fois rendue en appel la décision du tribunal de la liberté.
Si vous deviez vous rallier à cette procédure, vous reprocherait-on, monsieur le Premier ministre, d'être inspiré par le souci de protéger votre gouvernement ? Ce serait injuste, puisque depuis huit jours le problème est déjà réglé par la démission du ministre de l'économie et des finances et parce qu'il s'agit d'une question d'intérêt général.
La question de la procédure pénale en vigueur dans notre pays est posée. Il ne s'agit pas de défendre les seuls hommes politiques, mais tous les citoyens, car tous sont atteints par la disparition de fait du secret de l'instruction comme de la présomption d'innocence, quelle que soit la catégorie sociale ou professionnelle à laquelle ils appartiennent. («Très bien !» sur divers bancs.) Il faut augmenter les garanties dont bénéficient tous les citoyens.
Monsieur le Premier ministre, êtes-vous prêt à inviter le Parlement à légiférer en ce sens ou considérez-vous que la situation actuelle est satisfaisante ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le Premier ministre, je ne me prononcerai pas sur les épreuves gouvernementales.
Chacun décide en conscience face à des événements de ce type. Vous avez agi d'une certaine façon, le ministre de mon gouvernement et moi-même avons agi à notre manière. Et l'opinion se fait sa conviction.
Je ne veux pas improviser ici en réponse à votre question, bien qu'elle tranche beaucoup, par le ton et la perspective. avec celle qui l'a précédée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) car je ne veux pas improviser une réponse à la question des rapports entre les responsables politiques nationaux, quelles que soient leurs fonctions, et en particulier les rapports entre les membres du Gouvernement et la justice, quand ils peuvent y être confrontés.
Vous posez plus généralement la question de la portée effective et concrète du principe de la présomption d'innocence, consacré au niveau constitutionnel.
Le Gouvernement, monsieur le Premier ministre, a précisément estimé que la situation n'était pas satisfaisante - pour m'exprimer comme vous avez conclu - puisqu'il a présenté un projet de loi ayant pour objet de renforcer, au bénéfice de tous les citoyens, la présomption d'innocence. Ce texte important a fait l'objet d'un débat, dans lequel vous vous êtes exprimé, et d'une première lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat. Sa discussion va se poursuivre; conduisez-la !
De nombreuses préoccupations s'expriment par ailleurs à propos de la mise en jeu croissante de la responsabilité pénale pour faute non intentionnelle des élus qui dirigent des exécutifs locaux.
Le Gouvernement est conscient de ce problème, et il a chargé une commission présidée par un membre du Conseil d'Etat, M. Jean Massot, d'y réfléchir, afin de proposer des solutions. Son rapport sera remis très prochainement au garde des sceaux. Ma ferme intention est d'en tirer rapidement les conclusions. C'est en tout cas sur la base de ce rapport que le Gouvernement fera ses propositions.
Comme vous, j'estime que la question de la justice, de son indépendance, de sa responsabilité, de sa mission impartiale de protection de la liberté individuelle est fondamentale, et c'est pourquoi le Gouvernement a fait de la réforme de la justice, dans ses différents aspects, un chantier prioritaire de son action.
Ces réformes méritent d'être votées, mesdames et messieurs les députés. Elles sont nécessaires, elles doivent aboutir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
Auteur : M. Édouard Balladur
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Droit pénal
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 10 novembre 1999