Question au Gouvernement n° 1671 :
magistrats

11e Législature

Question de : M. Roger-Gérard Schwartzenberg
Val-de-Marne (3e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert

Question posée en séance, et publiée le 24 novembre 1999

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Madame la garde des sceaux, vous menez, depuis juin 1997, une politique innovatrice et réformatrice (Exclamations sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République) qui a, le plus souvent, l'approbation des députés radicaux de gauche, excepté le projet de loi sur l'action publique qui, à notre sens, relâche à l'excès les liens entre la chancellerie et le parquet, et que nous n'avons donc pas voté.
Le Congrès est convoqué le 24 janvier à Versailles pour adopter la révision constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature. Cette réforme modifie utilement la composition du Conseil dans un sens moins corporatiste, mais elle modifie aussi le mode de nomination des magistrats du parquet et renforce leur indépendance quant à leur désignation, ce qui peut d'ailleurs se concevoir. Mais, en démocratie, l'autorité et la responsabilité doivent aller de pair et ne peuvent être dissociées. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.) L'indépendance des magistrats ne peut être accrue si, en même temps, leur responsabilité n'est pas, elle aussi, renforcée.
Comme je vous l'avais demandé, vous avez accepté - et je vous en remercie - de nous faire connaître avant la fin novembre les grandes lignes de votre avant-projet de loi organique portant statut des magistrats et renforçant leur responsabilité. J'ai, à ce sujet, deux questions à vous poser.
Allez-vous prévoir, dans ce nouveau statut, que lorsqu'un procureur n'applique pas, sans motif et de manière répétée, les directives générales de politique pénale du garde des sceaux, cela constitue une faute disciplinaire ? Un procureur qui reste inerte et qui, par exemple, ne poursuit pas les auteurs de délits racistes encourra-t-il une sanction disciplinaire ?
M. Alfred Recours. Très bien !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Par ailleurs, s'agissant des magistrats du siège, allez-vous préciser que, lorsqu'un juge d'instruction décide à plusieurs reprises des mises en détention provisoire abusives, finalement suivies d'un non-lieu ou d'une relaxe, cela ne restera pas sans influence sur sa notation par le président du tribunal ?
M. Alfred Recours. Très bien !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Certains magistrats instructeurs pourront-ils impunément continuer de jouer avec la liberté de justiciables finalement innocentés ?
Pour finir, je souhaite que le Gouvernement inscrive à l'ordre du jour de l'Assemblée, dès après le Congrès du 24 janvier, ce projet de loi organique renforçant la responsabilité des magistrats, pour que sa première lecture ait lieu avant la deuxième lecture du projet de loi controversé relatif aux rapports entre la chancellerie et le parquet, prévue pour mars 2000. Les députés pourraient alors, en pleine connaissance de cause, se prononcer sur la réforme de la justice qui forme, évidemment, un tout. Le Gouvernement est-il d'accord pour procéder à cette modification de l'ordre du jour ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, vous avez raison de souligner que, dès lors que l'on accorde des garanties d'indépendance plus grande aux magistrats, il est indispensable de renforcer leur responsabilité. Ces deux exigences, que sont l'indépendance et la responsabilité, constituent, en réalité, les deux piliers d'une exigence supérieure, celle de l'impartialité de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Toutefois, nous avons déjà apporté des réponses à ces questions dans les projets de loi examinés par le Parlement. Vous connaissez ces textes aussi bien que moi. La réforme constitutionnelle, qui doit être soumise au Congrès le 24 janvier, établit justement, pour la première fois, que le Conseil supérieur de la magistrature sera désormais composé majoritairement de non-magistrats, pour éviter le risque de dérive corporatiste.
D'autre part, une série de dispositions du projet de loi sur la présomption d'innocence et de celui relatif aux rapports entre la chancellerie et le parquet, augmentent non seulement les droits de la défense, mais les possibilités de recours des citoyens, ainsi que la possibilité d'encadrer davantage les délais des instructions et d'augmenter les garanties données aux personnes.
Il est dit, d'autre part, dans le projet de loi sur la chancellerie et le parquet, que, bien que le garde des sceaux ne donne plus d'instruction individuelle dans les dossiers - telle est en tout cas ma pratique - (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste), les procureurs sont tenus de respecter les directives de politique pénale du Gouvernement; c'est l'article 20 de la Constitution.
Vous avez raison, un volet n'a pas encore été abordé dans les textes présentés. C'est celui de la responsabilité professionnelle, c'est-à-dire de la mise en jeu de la responsabilité disciplinaire des magistrats. C'est qu'il relève d'une loi organique qui ne peut être examinée par le Parlement qu'après le vote par le Congrès de la loi constitutionnelle.
Je vous transmettrai, au début de la semaine prochaine, un texte qui récapitulera mes propositions. Celles-ci consistent en trois dispositions principales. D'une part, il conviendra d'assurer la mobilité des magistrats car, s'il faut veiller à l'indépendance vis-à-vis des politiques, il faut également garantir l'indépendance vis-à-vis de toutes sortes d'influences.
M. Gérard Gouzes. Très bien !
Mme la garde des sceaux. Ainsi, on ne pourra plus exercer pendant plus de cinq ans, au même endroit, les fonctions de chef de cour ou de chef de juridiction. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Pour avancer dans la carrière, il faudra également changer de poste.
Enfin, toutes les fonctions de magistrat spécialisé - juge d'instruction, juge d'application des peines, juge aux affaires familiales, juge des enfants - ne pourront être exercées au même endroit que pendant dix ans.
Deuxième série de dispositions, la mise en jeu de la responsabilité disciplinaire. Cette responsabilité pourra être mise en jeu non seulement par le garde des sceaux, comme c'est le cas aujourd'hui, mais aussi par les chefs de cour, et une commission de réclamation des citoyens pourra enregistrer des plaintes sur un comportement professionnel fautif des magistrats.
Il y aura bien entendu un tri, parce que ce ne sera pas un recours supplémentaire après l'appel ou la cassation. On s'intéressera uniquement aux comportements professionnels répréhensibles. Une fois ce tri fait, la commission de réclamation transmettra les dossiers aux chefs de cour et au garde des sceaux.
Les audiences disciplinaires seront publiques, sauf si la commission de discipline en décide autrement pour protéger la vie privée ou un secret d'Etat. La décision disciplinaire, elle, sera rendue publique en tout état de cause, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Enfin, les magistrats seront soumis aux mêmes règles de déontologie que les fonctionnaires pour ce qui concerne le pantouflage.
Telle est l'économie de l'avant-projet de loi que je vous transmettrai au début de la semaine prochaine pour que vous puissiez vous prononcer sur la globalité de la réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 24 novembre 1999

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