justice : fonctionnement
Question de :
M. Pascal Clément
Loire (6e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants
Question posée en séance, et publiée le 1er décembre 1999
M. le président. La parole est à M. Pascal Clément.
M. Pascal Clément. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux.
Depuis plusieurs mois, madame la garde des sceaux, l'opinion publique dévouvre votre vrai visage politique. («Ah !» sur les bancs du groupe socialiste.) Vous êtes comme le Janus Bifrons. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Votre visage officiel est le visage serein de celle qui mène la réforme de la justice, qui n'intervient pas dans le cours des affaires et qui défend comme une priorité la lutte contre la délinquance, en particulier financière.
Mme Véronique Neiertz. Et c'est très bien !
M. Didier Boulaud. Ca nous change !
M. Pascal Clément. Vous présentez ce visage comme un visage de transparence, d'impartialité, en un mot de vertu, comme l'exige du reste le nom du ministère que vous dirigez.
Votre autre visage est plus caché, mais il se révèle dans une reprise en main autoritaire de la magistrature dont je voudrais donner quelques exemples.
Cette reprise en main s'exerce surtout au niveau des nominations. Le critère de nomination est d'une fidélité totale à vos directives et à votre personne. Ainsi, tous les directeurs de la Chancellerie, depuis votre arrivée au ministère, ont été changés et sept officiers de police judiciaire ont été retirés au parquet financier de Paris. Cette situation de déficit d'OPJ est-elle durable ?
D'autres nominations on eu lieu. Ainsi, à la direction des affaires criminelles, vous avez nommé responsable de l'action publique un membre de votre cabinet, contre l'avis du directeur des affaires criminelles lui-même. Quelles sont les raisons de cette nomination ? C'est ma deuxième question.
Mme Odette Grzegrzulka. Vicieux !
M. Pascal Clément. De la même manière, vous avez supprimé la sous-direction des affaires financières, qui permettait jusqu'à présent aux procureurs de France d'harmoniser leurs décisions. Est-ce que cela veut dire que, demain, les procureurs devront s'adresser directement à votre cabinet ? C'est ma troisième question.
Enfin, le Syndicat de la magistrature, a priori classé à gauche et donc proche de vous, fait savoir qu'il se révolte contre vos menaces de sanctions disciplinaires qui pourraient être prises à l'encontre des magistrats qui ne suivraient pas vos directives concernant l'action pénale, et contre votre exigence d'une remontée d'informations heure par heure concernant les questions dites «sensibles».
La confiance est aujourd'hui rompue avec l'ensemble des magistrats, une bonne partie des parlementaires et beaucoup de Français.
Nous sommes convoqués au mois de janvier à une réunion du Parlement en congrès, afin de nous prononcer sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Ne serez-vous pas la cause personnelle de l'échec de cette réforme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je vous permets tout à fait de porter des appréciations sur mon visage...
M. Jean-Pierre Brard. Il est jaloux !
Mme la garde des sceaux. ... et de penser ce que vous voulez de l'organisation interne du ministère de la justice.
Cela dit, il se trouve qu'au sein de ce ministère, que j'ai l'honneur de diriger depuis deux ans et demi...
M. Jacques Myard. Ce n'est pas un honneur pour ceux que vous dirigez !
Mme la garde des sceaux. ... certains directeurs sont partis. Mais ils ne sont pas tous partis, contrairement à ce que vous prétendez et, lorsqu'ils l'ont fait, c'est parce qu'ils souhaitaient un changement. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ils ont retrouvé des postes qui correspondaient pleinement à leurs capacités.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Mensonges !
Mme la garde des sceaux. Je citerai, par exemple, M. Marc Moinard, l'ancien directeur des affaires criminelles et des grâces, qui est resté près de deux ans à son poste après mon arrivée...
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Mensonges !
Mme la garde des sceaux. ... et que le Gouvernement a nommé procureur général à Bordeaux.
Je citerai M. Gilbert Azibert, directeur de l'administration pénitentiaire, qui, lui aussi, est parti deux ans après mon arrivée et qui a été nommé président de la chambre d'accusation à la cour d'appel de Paris.
Naturellement, toutes les règles du Conseil supérieur de la magistrature ont été respectées, et son avis a été demandé. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Pour ce qui touche à la restructuration interne du ministère, permettez au ministre compétent de décider ce qui doit être fait pour que l'organisation interne de ce ministère reflète la politique menée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Quant à la direction des affaires criminelles et des grâces, elle ne donne plus d'instructions. Il fallait donc en tirer les conséquences et réorienter son action, d'une part, sur la législation et, d'autre part, sur les directives de politique pénale ainsi que sur l'évaluation de l'application de cette politique par les parquets.
Vous avez évoqué des pressions qui seraient exercées...
M. Laurent Dominati. Comme pour Mme Fulgeras ?
Mme la garde des sceaux. Je rappelle que, dans ce pays, il y a des règles pour la nomination des magistrats.
M. Jean-Luc Warsmann. Quelle mauvaise foi !
M. Laurent Dominati. C'est le moins qu'on puisse dire !
Mme la garde des sceaux. Ces règles sont très simples: chaque fois qu'un poste devient vacant, mais seulement lorsqu'un poste devient vacant, il y a publication d'une liste envoyée à tous les tribunaux de France deux mois avant la nomination et que l'on appelle la «liste de la transparence». («Fulgeras ! Fulgeras !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), dans laquelle sont publiées toutes les candidatures - je dis bien: toutes les candidatures. Le garde des sceaux indique sa proposition et le Conseil supérieur de la magistrature donne son avis conforme.
Aucune nomination, depuis que ce gouvernement est en place, ne s'est faite contre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature, contrairement à ce que vous avez pu pratiquer dans le passé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - «Fulgeras ! Fulgeras !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Si le Président de la République soumet au Congrès la loi constitutionnelle que le Parlement a massivement approuvée il y a un an - 700 voix pour et 60 contre, dont, il est vrai, la vôtre, monsieur Clément -...
M. Pascal Clément. Non, pas moi !
Mme la garde des sceaux. ... c'est précisément pour inscrire dans la Constitution que les procureurs généraux, qui sont aujourd'hui nommés, comme les préfets, en conseil des ministres, le soient dorénavant après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Ne cherchez pas des prétextes ou des alibis, monsieur Clément ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Ceux qui nous écoutent sauront faire la différence entre les procès d'intention et la volonté très ferme du Gouvernement,...
Un député du groupe du Rassemblement pour la République. Et la chasse aux sorcières ?
Mme la garde des sceaux. ... qui est de faire en sorte que les politiques n'interviennent plus dans la justice (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) et que cela soit inscrit dans la loi et la Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Auteur : M. Pascal Clément
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Ministères et secrétariats d'etat
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 1er décembre 1999