Question au Gouvernement n° 1752 :
élargissement

11e Législature

Question de : M. Pierre Lequiller
Yvelines (4e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants

Question posée en séance, et publiée le 15 décembre 1999

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller.
M. Pierre Lequiller. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et reprend celle que posait tout à l'heure mon collègue Donnedieu de Vabres sur les frontières de l'Europe, à laquelle il n'a pas répondu.
Dans une démocratie digne de ce nom, le Gouvernement consulte le Parlement avant de prendre des décisions majeures.
M. Renaud Donnedieu de Vabres. Il a raison !
M. Pierre Lequiller. Or, c'est sans consultation aucune du Parlement que le Gouvernement a pris, à Helsinki, position en faveur de la candidature de la Turquie.
Cette décision est pourtant fondamentale car elle détermine l'avenir de l'Union. Elle déplace ses limites géographiques, transforme sa nature et remet en cause sa cohérence conceptuelle et culturelle. Dès lors que l'on accepte la Turquie, qui compte 63 millions d'habitants, et dont une partie tout à fait marginale se situe sur le territoire européen, on justifie de facto la candidature d'autres pays, à commencer par la Géorgie, l'Ukraine ou la Russie, qui font déjà partie du Conseil de l'Europe. Mieux aurait valu renforcer le statut d'associé à l'Union européenne, plus approprié à ces pays.
Au nom du groupe Démocratie libérale, j'ai déjà posé cette question à plusieurs reprises. Notre groupe fait valoir, depuis longtemps, qu'il n'est pas cohérent de défendre la candidature de la Turquie, alors que son entrée dans l'Union n'est, pour beaucoup, en France comme en Europe, ni souhaitable ni souhaitée.
M. François Goulard. Très bien !
M. Pierre Lequiller. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. A ce jeu de dupes, on risque soit de transformer la nature de l'Europe que nous voulons, soit d'entretenir en Turquie des espoirs fallacieux qui soulèveront des problèmes diplomatiques plus graves encore à l'avenir.
Alors que, vous le disiez tout à l'heure, monsieur le ministre, la priorité est à l'approfondissement, on dilue, on fragilise plus encore la construction européenne.
Ce n'est pas en catimini que l'on prend de telles décisions sur les frontières futures de l'Union. Il faudra même, à terme, selon notre Constitution, soit une réunion en Congrès, soit un référendum, qui peut se révéler nécessaire sur un sujet aussi fondamental.
Toute adhésion nouvelle doit recueillir l'accord unanime des pays membres, donc de la France. Vous n'avez pas à engager notre pays dans un tel processus sans l'accord exprès du Parlement.
C'est pourquoi je reviens sur la question qui était posée tout à l'heure. Le groupe Démocratie libérale souhaite solennellement l'organisation, dans les plus brefs délais, d'un débat en séance plénière sur les frontières de l'Union, suivi d'un vote: oui ou non, le ferez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, j'ai rappelé tout à l'heure que, depuis 1963, tous les dirigeants européens qui se sont succédé dans l'Europe des Six, des Neuf, des Douze, des Quinze, ont reconnu la vocation européenne de la Turquie.
M. François d'Aubert. Inutile de continuer !
M. le ministre des affaires étrangères. Le problème était de savoir comment traiter cette question et comment se servir de cette aspiration de la Turquie comme d'un levier pour sa modernisation et sa démocratisation.
Depuis 1995, le Président de la République s'est fait constamment, dans toutes les enceintes, en France comme à l'étranger, l'avocat de l'acceptation de la candidature turque.
M. Yves Nicolin. Demandez au Parlement !
M. le ministre des affaires étrangères. Ensuite, il y a eu un débat public. Aucune décision n'a été prise en catimini. Rien n'est plus transparent qu'un Conseil européen ? Et il faut s'en réjouir ! Donc les arguments en faveur de l'une et l'autre thèse ont été parfaitement soupesés.
M. Yves Nicolin. A quoi servons-nous ?
M. le ministre des affaires étrangères. Je vous demande de ne pas confondre la décision d'Helsinki avec une adhésion: aux termes des textes, les parlements des pays de l'Union, le jour venu, seront saisis des nouvelles adhésions et devront les ratifier.
M. François d'Aubert. Il faut un référendum !
M. le ministre des affaires étrangères. Ce n'est pas ce qui a été décidé à Helsinki, où l'on a simplement pris acte de la candidature de la Turquie et décidé de ne pas même commencer les négociations parce que ce pays est encore trop éloigné du respect des critères de Copenhague, lesquels définissent notre conception de la démocratie, selon nos valeurs, le respect du droit et des minorités.
Quand la Turquie se sera rapprochée de ces critères, la négociation commencera. Elle sera évidemment difficile. Elle l'est déjà avec tous les pays aujourd'hui candidats qui sont au nombre de douze: les six avec lesquels elle a commencé, il y a quelques mois, les six avec lesquels elle va commencer dans quelques semaines.
Je me réjouis que votre curiosité et votre intérêt soient aussi forts sur cette orientation stratégique. Grâce aux commissions spécialisées, vous serez constamment informés. Ce n'est que le jour venu, après une négociation qui n'a pas encore commencé puisque les conditions de son engagement ne sont pas encore réunies, que, naturellement, les vraies décisions sur l'adhésion seront prises dans le respect des textes et de la Constitution, et dans la plus grande transparence. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Données clés

Auteur : M. Pierre Lequiller

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Union européenne

Ministère interrogé : affaires étrangères

Ministère répondant : affaires étrangères

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 15 décembre 1999

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