politique fiscale
Question de :
M. Pierre Méhaignerie
Ille-et-Vilaine (5e circonscription) - Union pour la démocratie française-Alliance
Question posée en séance, et publiée le 3 mai 2000
M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie.
M. Pierre Méhaignerie. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, des milliers d'entreprises se trouvent aujourd'hui dans l'incapacité de trouver les salariés dont elles ont besoin, y compris dans des zones géographiques à très fort taux de chômage. Selon Bercy, l'INSEE ou encore l'OCDE, il y aurait en France un taux de chômage structurel incompressible qui se situerait autour de 8 à 9 %. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Les freins au retour à l'emploi sont multiples, mais l'un des plus puissants est la faible incitation financière à passer du RMI au SMIC. M. Sautter, votre prédécesseur, qui, à son tour, veut vous conseiller, a déclaré au journal La Croix («Ah !» sur les bancs du groupe socialiste) qu'un RMiste qui passe au SMIC touche quatre francs de plus par jour et il ajoutait: «Il faut être un saint pour ne pas travailler au noir.» (Exclamations sur les mêmes bancs.)
Certes, il y a la réforme des deux premières tranches de l'impôt sur le revenu, mais la différence financière est très peu significative.
Vous aviez souhaité, lorsque vous présidiez l'Assemblée, réaliser des réformes de structure. Le collectif budgétaire, que nous allons examiner dans les jours à venir, vous en offre l'opportunité. Il est prévu, contre l'avis de la majorité des élus locaux, d'abaisser de 11 milliards de francs la taxe d'habitation. Vous allez, par là même, récompenser les élus des régions qui ont saisi l'occasion pour augmenter de 8 à 10 % leur taxe d'habitation. («Tout à fait !» sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Monsieur le ministre, ne croyez-vous pas qu'il serait plus moral (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),...
M. Didier Boulaud. La morale, toujours la morale !
M. Pierre Méhaignerie. ... plus efficace pour la croissance et plus juste pour les salariés d'abaisser les charges sociales et d'augmenter de 4 000 à 6 000 francs par an le salaire direct des trois à quatre millions d'hommes et de femmes qui vivent avec un salaire proche du SMIC ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le ministre, nous examinerons tous ces points lors de la discussion du collectif budgétaire dans quelques jours. Mais laissez-moi vous rappeler, en peu de mots, l'économie de ce collectif en ce qui concerne - vous m'y invitez - les allègements de charges.
Nous avons estimé qu'il fallait à ce stade - il y aura d'autres exercices budgétaires - les concentrer sur trois catégories.
D'abord, la TVA. Vous êtes en effet très nombreux à l'estimer très lourde, trop lourde. Elle a d'ailleurs été augmentée de deux points en août 1995. Il fallait donc la réduire. Nous proposons dans le collectif budgétaire - j'espère que vous le voterez - d'abaisser d'un point le taux de TVA, ce qui représente 31 milliards en année pleine. C'est une mesure positive en faveur du pouvoir d'achat, en particulier pour les Français les plus modestes. («Très bien !» sur les bancs du groupe socialiste.)
Ensuite, nous estimons, et vous avez bien voulu y faire allusion, que l'impôt sur le revenu, en particulier pour ce qui concerne les premières tranches, à un effet de pénalisation sur l'emploi. La diminution de l'imposition des deux premières tranches joue bien sûr sur l'ensemble du barème, mais elle favorise plus fortement les personnes aux ressources modestes. Cela évite donc de pénaliser ceux qui retrouvent un travail et nous allons, je le crois, dans le sens que vous indiquez. Cet allègement d'impôt représente 11 milliards de francs.
Enfin, pour cet impôt très injuste et très lourd qu'est la taxe d'habitation, il est prévu un allégement supplémentaire de 11 milliards.
Aux 40 milliards de baisses d'impôts prévus dans la loi de finances initiale viennent ainsi s'ajouter 40 nouveaux milliards. Plutôt que de parler - nous le ferons le moment venu - des futures baisses d'impôts, parlons déjà de celles qui vous sont proposées: 80 milliards d'impôts en moins pour les Françaises et les Français à travers la loi de finances et le collectif. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Cela étant, je vous concède volontiers, monsieur Méhaignerie, que des progrès restent à faire, notamment par rapport à ce qu'on appelle les «trappes à inactivité». Lorsque nous étudierons la question des impôts directs, nous examinerons notamment ce point très important. Mais je me suis fixé, avec M. le Premier ministre et le Gouvernement, une règle: c'est de ne pas, à peine a-t-on choisi des baisses d'impôts, se concentrer aussitôt sur les suivantes. Concentrons-nous d'abord quelques jours, peut-être même quelques semaines, sur ce qui est proposé. Ensuite, au mois de septembre, il sera temps de parler des baisses d'impôts futures.
Enfin, puisque vous avez fait allusion, au début de votre propos, au journal La Croix et à je ne sais quel conseil, je voudrais d'abord vous dire que je prends toujours cela avec beaucoup d'intérêt et vous rappeler ensuite une formule d'un grand penseur que vous lisez certainement. La Rochefoucauld disait: «On ne donne rien si libéralement que ses conseils.» (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Pierre Méhaignerie
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Impôts et taxes
Ministère interrogé : économie
Ministère répondant : économie
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 3 mai 2000