sécurité des biens et des personnes
Question de :
M. Pierre Hellier
Sarthe (1re circonscription) - Démocratie libérale et indépendants
Question posée en séance, et publiée le 22 juin 2000
M. le président. La parole est à M. Pierre Hellier.
M. Pierre Hellier. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur. L'enquête publiée, il y a quelques jours, dans la presse sur l'efficacité et le classement des commissariats de police conforte sans doute la position du Gouvernement, qui s'efforce de démontrer la stabilisation de la délinquance dans notre pays. Cependant, sur le terrain, on constate que la situation est loin d'être aussi satisfaisante. Le sentiment d'insécurité va grandissant.
De plus, j'appelle votre attention sur le fait que les chiffres, - d'ailleurs très difficiles à obtenir - utilisés récemment par la presse, datent de 1998 et ne reflètent plus la situation actuelle. En effet, la délinquance s'est considérablement accrue ces derniers mois. («C'est vrai !» sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Mme Raymonde Le Texier. Qu'en savez-vous ?
M. Pierre Hellier. En 1993, on dénombrait 485 quartiers touchés par la violence urbaine. En 1998, ils étaient 818 et la situation s'est nettement aggravée en 1999 ou l'on est passé à plus de 950.
En outre, on constate une implication de plus en plus forte des mineurs dans la délinquance: elle a plus que doublé en dix ans.
Ces jeunes «sauvageons», monsieur le ministre, qui ne sont pour vous coupables que d'«incivilités», agressent nos concitoyens, brûlent les voitures ou font commerce de drogue. Dédramatiser de tels délits n'est certainement pas sans conséquence.
M. François Goulard. Vous avez raison.
M. Pierre Hellier. Les policiers se plaignent également de la situation et ils dénoncent la diminution constante de leurs effectifs, qui sera amplifiée par 25 000 départs en retraite dans les cinq prochaines années. Ils attendent toujours la mise en oeuvre de la loi d'orientation sur la police et la sécurité votée en 1995, qui devait trouver son aboutissement en 2000 avec la création de 5 000 postes administratifs pour leur permettre de retourner sur le terrain.
De plus, la mise en place de la police urbaine de proximité ne se fera que par un redéploiement des effectifs, l'embauche d'adjoints de sécurité et de bénéficiaires d'emplois-jeunes, dont la formation est inadaptée.
L'Etat doit assurer la sécurité des personnes et des biens. Aujourd'hui, en dépit du courage, du sérieux et de la motivation des policiers, cette mission de l'Etat n'est plus correctement assurée, en raison notamment d'une insuffisance d'effectifs et de matériels.
Aussi, je vous demande, monsieur le ministre de l'intérieur, de nous faire part des mesures et des moyens supplémentaires que vous envisagez de prendre pour assurer la sécurité des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le député, votre question pèche un peu, si vous me le permettez, par un excès de généralité. (Exclamations sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Yves Nicolin. Ma question correspond à la réalité !
M. le ministre de l'intérieur. C'est un catalogue rémanent de plaintes et de revendications qui ne s'appuient pas sur des données solides. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) De ce point de vue, l'enquête à laquelle s'est livré un grand hebdomadaire il y a quelques jours...
M. Yves Nicolin. Soyez transparent !
M. le ministre de l'intérieur. ... donne des chiffres totalement dépourvus de signification (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs et du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance)...
M. Charles Ehrmann. Vous ne pouvez pas dire ça !
M. le ministre de l'intérieur. ... parce que le taux d'élucidation est le produit d'une division entre la masse des faits constatés et le nombre de faits élucidés.
M. Yves Nicolin. Regardez les chiffres !
M. le ministre de l'intérieur. Mais de quoi parlons-nous ?
Les faits constatés entre 1972 et 1998 ont crû dans une proportion considérable, de plus de 112 %. D'ailleurs, si l'on veut bien regarder les choses, et c'est ce qu'occulte cette enquête, la masse des faits constatés n'a pas crû depuis 1990. Elle est stagnante.
C'est donc entre 1972 et le début des années 90 qu'a eu lieu cette croissance, à une époque où, je vous le rappelle, il y avait des gouvernements de droite et pas seulement des gouvernements de gauche.
M. Yves Nicolin. C'est faux !
M. le ministre de l'intérieur. S'agissant des faits élucidés, il faut tenir compte de la procédure, devenue extrêmement lourde. Vous devez être conscients, en tant que parlementaires, que, chaque fois que vous introduisez des...
M. Yves Nicolin. Des circulaires ?
M. le ministre de l'intérieur. ... complexités dans la vérification d'identité, la garde à vue, la convocation par procès-verbal, la notification par procès-verbal, l'audition des mineurs sujets à des actes de délinquance sexuelle, vous alourdissez la tâche des officiers de police judiciaire.
Par conséquent, il faut même s'étonner que le taux d'élucidation de la police soit passé de 22,2 % en 1995 à 23,4 %. J'observe aussi que, dans certaines circonscriptions, le niveau de faits constatés peut être très bas parce que, les policiers ne faisant pas très bien leur travail, le chiffre noir de la délinquance est élevé. Dans ce cas, le taux d'élucidation sera formidablement bon puisque le nombre de faits élucidés se rapportant au nombre de faits constatés paraîtra élevé. Il faut donc regarder tous ces chiffres avec beaucoup de précaution.
Par rapport aux différents pays d'Europe, nous sommes tout à fait dans la norme...
M. Pierre Hellier. Quelle norme ?
M. le ministre de l'intérieur. ... sauf par rapport aux Pays-Bas, puisque nous sommes à 27,6 %. L'Italie est à 26 %, mais le nombre de faits constatés en France est de 3 500 000, contre 2 500 000 en Italie.
M. Pierre Lellouche. Tout va bien !
M. le ministre de l'intérieur. En Espagne, le taux d'élucidation est de 27,3 % mais les faits constatés sont de 917 000. Si, aux Pays-Bas, le taux d'élucidation est faible, 16 %, le nombre de faits constatés est très élevé, 1 222 000, car il s'agit d'un pays à forte densité de population.
S'il y a effectivement une croissance des violences urbaines, il s'agit de violences de faible intensité (Protestations sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants), d'après tous les éléments dont je dispose.
Le problème des mineurs délinquants est un vrai problème (Exclamations sur les bancs) mais, pour la première fois depuis sept ou huit ans, il y a eu un léger tassement en 1999.
Quant aux effectifs dont nous avons en effet besoin pour la police de proximité, c'est tout de même grâce aux postes supplémentaires que m'a accordés M. le Premier ministre, 3 000 environ, que, à l'automne, nous pourrons voir une légère amélioration dans les circonscriptions.
M. Yves Nicolin. Un peu de transparence !
M. le président. Pouvez-vous conclure, monsieur le ministre.
M. le ministre de l'intérieur. Nous avons cherché à apporter une réponse à la délinquance au quotidien: c'est la police de proximité que M. Pasqua avait évoquée dans sa loi de 1995 mais qu'il n'avait pas mise en oeuvre. Cela implique des moyens croissants en matière de police technique et scientifique puisque, par exemple, aujourd'hui, un quart seulement des cambriolages donnent lieu à relevé d'empreintes. Les policiers ont besoin d'être distraits des tâches indues auxquelles ils sont souvent réduits, par la création de postes administratifs. C'est la demande que j'ai faite au Premier ministre à travers un plan triennal de modernisation. Cela conditionne le succès de cette réponse, la seule qui ait été apportée depuis bien longtemps à une préoccupation légitime de nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)
Auteur : M. Pierre Hellier
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Sécurité publique
Ministère interrogé : intérieur
Ministère répondant : intérieur
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 22 juin 2000