Question au Gouvernement n° 2309 :
République fédérale de Yougoslavie

11e Législature

Question de : M. François Léotard
Var (5e circonscription) - Union pour la démocratie française-Alliance

Question posée en séance, et publiée le 12 octobre 2000

M. le président. La parole est à M. François Léotard.
M. François Léotard. Monsieur le ministre des affaires étrangères, les événements récents qui ont touché la Fédération yougoslave, notamment la République de Serbie, ont poussé l'Union européenne à lever, lundi dernier, les sanctions qu'elle avait été amenée à prendre. Il s'agissait des embargos aérien et pétrolier, du gel des avoirs du gouvernement yougoslave, de la suspension des investissements européens en République fédérale de Yougoslavie. Ces décisions sont incontestablement utiles à la réussite d'une évolution pacifique et démocratique à l'intérieur de la République fédérale de Yougoslavie. Néanmoins, pour nécessaires qu'elles soient, elles n'apparaissent pas suffisantes.
Plusieurs questions restent pendantes et je vous les pose, à vous qui êtes le président en exercice du conseil des ministres européens des affaires étrangères. Les réponses à ces questions me paraissent être les conditions indispensables d'un retour normal et souhaitable de la Fédération yougoslave dans la communauté internationale. Je les résume.
Quelle est la situation faite aux prisonniers albanais en Serbie - environ un millier de personnes ? S'il est avéré qu'ils ont commis des crimes ou des délits, à quels procès - et selon quelles normes - seront-ils soumis ?
Qu'en est-il de la livraison, que notre groupe estime nécessaire, des documents, notamment des archives militaires, qui permettraient de retrouver la trace de plusieurs milliers de personnes disparues au Kosovo et, éventuellement, de ceux qui les ont exécutées ?
La troisième exigence est celle de l'indispensable évolution du président Kostunica sur la question du Kosovo, et peut-être celle du Monténégro.
Enfin, tout aussi souhaitable serait la coopération du nouveau pouvoir de Belgrade à l'action du tribunal pénal international de La Haye.
Sur ces deux dernières questions, monsieur le ministre, nous pouvons nourrir quelques inquiétudes compte tenu des récentes déclarations du nouveau président de la République fédérale.
Le peuple serbe, auquel a légitimement rendu hommage le président de la République française, a droit lui aussi, et peut-être lui en premier, à des réponses à ces questions.
Nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous puissiez, en tant que président en excercice, nous dire comment on peut invoquer, à travers la charte de l'Union européenne, les valeurs communes auxquelles nous sommes naturellement attachés et que chacun tente de faire prévaloir, si nous n'avons pas la possibilité d'influencer le nouveau gouvernement yougoslave sur ces questions.
Comment concevoir que l'homme qui est à l'origine des principaux massacres européens depuis une dizaine d'années - je pense aux milliers de personnes disparues en quelques jours à Srebrenica - puisse être protégé par la nouvelle direction yougoslave de toute poursuite ?
Comment expliquer à l'opinion française et internationale que nous sommes intervenus au Kosovo et que nous y maintenons des forces importantes si ne se dessinent pas rapidement une évolution du statut de ce territoire et une progression vers l'autodétermination de son peuple ? Progression vers plus de liberté, vers plus d'autonomie et, surtout, vers le jugement, sans concession, de ceux qui en ont été les bourreaux.
Nous comprenons bien, monsieur le ministre, qu'il faut du temps pour répondre à ces questions, mais nous souhaitons que ce temps ne soit ni celui de l'oubli, ni celui de l'indulgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, il y a moins d'une semaine, nous ne savions pas si le peuple serbe allait réussir à renverser démocratiquement un régime aux abois, dont nous pensions qu'il avait encore des moyens extrêmement puissants et dangereux pour se maintenir au pouvoir et pour truquer, manipuler, provoquer et réprimer - il y a moins d'une semaine !
J'étais, hier, à Belgrade parce que le président Kostunica tenait à ce que ce soit la France, comme présidente en exercice de l'Union européenne, qui soit le premier contact, à ce niveau, pour établir de nouvelles relations et une nouvelle coopération entre la nouvelle Yougoslavie et l'Europe. Il n'a écarté aucun sujet. J'ai pu le questionner sur le sort de l'ex-président Milosevic, sur leur attitude à propos d'un éventuel jugement - quand ? comment ? par qui ? où ? J'ai pu lui parler du Kosovo ainsi que, en effet, des prisonniers albanais en Serbie. Lui m'a parlé des réfugiés serbes au Kosovo.
C'est dire que nous avons pu discuter sur tous les plans. Rien ne l'a gêné. Il a parlé publiquement sur tous ces sujets.
Mais il m'a dit, et tous les leaders de l'opposition démocratique que j'ai réunis ensuite pour un déjeuner dans notre résidence - où, j'espère, nous allons pouvoir envoyer très vite un ambassadeur, dès que les nouvelles autorités nous aurons donné leur accord, nous y sommes prêts - me l'ont répété: nous sommes à peine installés !
Ils «contrôlent» la présidence de la République fédérale de Yougoslavie, mais pas la Serbie, ni sa présidence, ni son Parlement, ni peut-être aucun de ces corps qui se sont brusquement retournés après l'extraordinaire journée de jeudi. Ils doivent se consolider.
Naturellement, toutes vos questions se posent légitimement. Il faudra leur trouver une réponse. Il faut qu'un dialogue s'engage sans délai sur ces sujets, mais, aujourd'hui, la question prioritaire et urgente est de savoir si nous agissons ou non pour consolider cette démocratie qui s'installe à Belgrade. Et il me semble que c'est l'intérêt de tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
Les leaders serbes sont conscients de ce qui s'est passé et de l'opprobre dans lequel la politique de Milosevic avait jeté leur pays. Ils sont bien conscients également du fait que la démocratie est à reconstruire entièrement, que l'Etat de droit est à édifier. Et on le voit, le président Kostunica, qui est un juriste de formation, tient beaucoup à ce que les gestes qu'il accomplit et la façon dont il procède pour bâtir, à travers ces symboles forts, les fondements d'un pays entièrement différent, servent de leçon de choses, en quelque sorte.
Mais, je le répète, ils ont besoin de s'installer. C'est aussi pour cela que le Président de la République a invité le président Kostunica au Conseil européen de Biarritz. C'est aussi à cette fin que servira le sommet Union européenne - Balkans occidentaux, dont nous avons eu l'initiative, et qui aura lieu à Zagreb fin novembre.
Et c'est parce qu'ils veulent prendre le contrôle complet de ce pays en train de devenir une démocratie mais qui n'en est pas encore une complètement, qu'ils viennent de décider d'organiser des élections fin décembre, afin que le parlement de Serbie, qui est le noeud du pouvoir réel, exprime la réalité nouvelle.
Je suis convaincu que les responsables de la Yougoslavie, nouvelle démocratie, sont conscients de leurs responsabilités devant l'histoire et devant leur peuple, d'abord et avant même que ce soit devant nous, naturellement.
Ce n'est pas au moment où ce peuple courageux, d'une façon extraordinaire, vient de reprendre le contrôle de son destin, qu'il faut tenter de l'en déposséder par des exigences immédiates...
Mme Yvette Roudy. Très bien !
M. le ministre des affaires étrangères. ... sans lui laisser le temps de consolider la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Mais cela viendra. Et, comme l'a dit le président du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie lui-même, il y a un temps pour chaque chose. Ne soyez pas inquiet, monsieur le député. Pour ma part, je crois que l'on peut parier sur ce fleuve démocratique qui coule désormais à Belgrade. (Applaudissements sur les mêmes bancs et sur quelques bancs du groupe communiste.)

Données clés

Auteur : M. François Léotard

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : affaires étrangères

Ministère répondant : affaires étrangères

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 12 octobre 2000

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