Question au Gouvernement n° 2327 :
élargissement

11e Législature

Question de : M. Pierre Lequiller
Yvelines (4e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants

Question posée en séance, et publiée le 19 octobre 2000

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller.
M. Pierre Lequiller. Monsieur le président, mes chers collègue, ma question, posée au nom des groupes RPR, UDF et DL, s'adresse à M. le Premier ministre.
M. le Premier ministre, le sommet de Biarritz aura été marqué par un évènement symbolique, encore inimaginable il y a quelques semaines: la présence du nouveau président yougoslave Kostunica, venu en priorité rejoindre la maison Europe, comme l'a si justement dit le Président de la République.
Pour nous, le grand dessein de l'Europe, c'est précisément son unification politique afin d'y consolider la paix.
Or, depuis dix ans que le mur de Berlin est tombé, nous n'avons toujours pas satisfait le désir d'Europe des pays de l'Est. Il est grand temps d'y répondre positivement et c'est pour eux, comme pour nous, que l'Europe doit se réformer.
La réforme institutionnelle, nécessaire à l'élargissement, piétine encore et le sommet de Biarritz, que vous avez qualifié de riche et utile, n'a pourtant pas rempli les objectifs espérés. Il n'a pas réduit les profonds désaccords qui subsistent sur des questions essentielles pour l'avenir de l'Europe, même s'il y a les avancées sur la coopération renforcée, l'extension de la majorité qualifiée et la Charte des droits fondamentaux. («C'est déjà pas mal !» sur les bancs du groupe socialiste.)
Au-delà même de ces trois points, le Président de la République a particulièrement insisté sur les enjeux politiques pesant sur la présidence française.
Il nous faut donc encore résoudre les deux problèmes fondamentaux sur lesquels le traité d'Amsterdam avait échoué, hier, et sur lesquels la CIG paraît aujourd'hui bloquée: la repondération des voix et la composition de la Commission.
A deux mois du sommet de Nice, l'Assemblée nationale devrait savoir quelles options précises vous avez retenues et quelles propositions concrètes s'y rattachent. Comment comptez-vous y rallier nos partenaires ? Parviendra-t-on enfin à un système de décision à la majorité qualifiée et à une repondération des voix qui restaure le poids des grands pays, notamment celui de la France ? Parviendra-t-on aussi à limiter le nombre de commissaires afin d'assurer l'efficacité de la Commission ?
A plus long terme, l'élargissement soulève un autre problème essentiel, celui de la présidence tournante de l'Union, qui déjà l'affaiblit; lorsque les pays membres seront vingt-sept, la France ne sera à sa tête que tous les treize ans et demi. L'expérience prouvant qu'il faut aborder les difficultés potentielles très en amont, ne pensez-vous pas que cette question mérite d'être soulevée dans les meilleurs délais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Si vous le voulez bien, monsieur le député, dans la mesure où différents ministre ont répondu ou vont répondre à des questions plus précises, je situerai vos questions dans l'impression générale que je retire du sommet de Biarritz, qui s'incrit lui-même au coeur du mouvement de la présidence française.
A propos de la Conférence intergouvernementale, qui est l'un des dossiers essentiels que doit traiter notre pays sous sa présidence, la réponse vous sera bien sûr donnée à Nice, car, pour le moment, nous sommes encore dans une dynamique de négociation.
Nous avons noté avec plaisir que, sur deux dossiers, celui de la majorité qualifiée que vous avez évoqué, sur lequel des pas en avant ont été réalisés, et celui des coopérations renforcées, nous sommes sortis de l'immobilité de la présentation des positions nationales pour commencer à entrer dans un processus de recherche de compromis.
Deux autres questions se sont révélées plus difficiles, et d'abord la réforme de la Commission, à laquelle vous avez fait allusion. Peut-on espérer une commission plus restreinte ? Faudra-t-il, comme le voudraient certains, garder un commissaire par Etat ? Comment pourrions-nous alors hiérarchiser cette commission pour qu'elle soit efficace ? Vous connaissez la position de la France: nous sommes pour une commission restreinte et efficace.
Sur la question de la pondération des voix, nous sommes entrés dans le vif du sujet. On ne peut pas dire que la démarche de compromis soit devant nous, mais au moins avons-nous bien posé les problèmes. Nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans un débat stérile qui opposerait petits pays, par leur démographie, et grands pays. Les décisions que nous devons prendre en matière de repondération doivent respecter les Etats quelle que soit leur taille et, en même temps, être fondées sur le principe démocratique de la majorité des voix, qui ne peut être sans rapport, bien sûr, avec la démographie de chacun des Etats.
Je pense que nous faisons des pas en avant sous la présidence du Président de la République, Président de l'Union. Nous avons avancé dans deux directions, posé clairement les problèmes sur les deux autres sujets.
A Nice, notre mission est certes de prendre en compte nos propres intérêts nationaux, mais aussi, en tant que président, de faire à l'ensemble des Etats membres des propositions qui permettent d'arriver à un accord. Nous serons confrontés à une question. Ne pas aboutir à un accord sur la CIG serait un échec, mais trouver un accord a minima qui ne permettrait pas de réformer sérieusement les institutions de l'Union avant qu'elle ne s'élargisse ne serait pas un succès. Nous aurons donc à exercer nos responsabilités. Nous le ferons ensemble, les ministres qui seront présents, le Premier ministre et, naturellement, le chef de l'Etat, Président de l'Union.
Nous avons aussi approuvé à Biarritz un texte fondamental qui est la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, pas important dans la définition d'un socle de valeurs communes auxquelles se rattachent explicitement, même s'il y sont implicitement déjà ralliés depuis longtemps, les Etats de l'Union.
A été saluée l'originalité de la méthode d'élaboration. Y ont participé des représentants des chefs d'Etat et de gouvernement, des représentants du Parlement européen et des représentants des parlements nationaux.
Le texte auquel nous sommes parvenus est important parce que non seulement il reprend les droits fondamentaux de la personne humaine hérités du mouvement des lumières et des valeurs de la démocratie telles qu'elles se sont épanouies au xixe siècle et intègre - certains pays ne le voulaient pas et l'action de la présidence française a été à cet égard très importante - les droits économiques et sociaux produits du mouvement de progrès et des grandes luttes sociales de la fin du xixe et de la première moitié du xxe, mais il fait aussi sa place à des droits nouveaux touchant l'environnement, la bioéthique, le principe de précaution, qui démontrent que l'Union européenne est capable d'intégrer dans ses principes et peut-être dans son droit la modernité. C'est un pas en avant du sommet de Biarritz.
Je voudrais aussi, insérant maintenant ma réponse dans le cadre plus global de la présidence française, vous dire que, sur toute une série de sujets qui étaient l'une des premières priorités de notre présidence, à savoir les questions qui concernent les Français dans leur vie quotidienne, lesquels Français ne sont pas constamment l'oeil rivé sur la conférence intergouvernementale et sur les institutions, vous en conviendrez,...
M. Jacques Myard. Heureusement !
M. le Premier ministre. ... nous avons fait aussi des pas en avant importants.
Dans la lutte contre la criminalité financière, une étape majeure est intervenue avec la directive contre le blanchiment des capitaux...
Mm Nicole Bricq. Très bien !
M. le Premier ministre. ... et l'adoption d'une décision conférant à EUROPOL des compétences plus larges en la matière.
Concernant la sécurité alimentaire, le ministre de l'agriculture rappelait l'accord intervenu en juillet sur l'étiquetage de la viande bovine, et nous continuerons à agir pour obtenir une autorité européenne de la sécurité alimentaire.
Dix mois après la catastrophe de l'Erika, le renforcement de la sécurité des transports était pour nous une priorité. Un accord a été acquis entre ministres pour renforcer le contrôle des navires par l'Etat du port et éliminer progressivement les pétroliers à simple coque des eaux européennes.
Je laisserai au ministre de l'économie et des finances le soin de répondre, si vous l'interrogez, sur le problème de la préparation de l'introduction des pièces et des billets en euros au 1er janvier 2002 (Exclamations sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), ou expliquer ce que nous avons fait pour l'Eurogroupe pour affirmer la monnaie européenne.
Nous avons obtenu des progrès dans les domaines de l'emploi, du sport, de la lutte contre le dopage, de l'éducation. (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Vous devriez être contents, mesdames et messieurs, de voir que la présidence française pourra présenter un bon bilan !
M. Laurent Dominati. Et l'élargissement ?
M. le Premier ministre. Une présidence est souvent jugée sur un ou deux dossiers que les observateurs estiment emblématiques mais c'est aussi sur sa capacité à faire avancer les grandes questions qui préoccupent les Européens et les Français dans leur vie quotidienne qu'on devrait la juger.
M. Alain Barrau. Très bien !
M. le Premier ministre. A cet égard, je parle sous le contrôle de M. Patriat, je pense que la présidence française sera un bon cru !
Enfin, vous avez évoqué la venue symbolique du nouveau président élu de la République fédérale de Yougoslavie, M. Kostunica. Nous avons rencontré un homme qui nous a tous impressionnés par sa pondération, le caractère réel de l'enracinement de ses convictions démocratiques, sa volonté d'avancer pas à pas. Au moment où nous devions faire face à l'assombrissement du dossier du Proche-Orient, il était heureux de voir s'écrire une nouvelle page de l'histoire de la démocratie en Europe. C'est aussi cela l'esprit de Biarritz ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Pierre Lequiller

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Union européenne

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 octobre 2000

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