politique de l'emploi
Question de :
M. Francis Delattre
Val-d'Oise (4e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants
Question posée en séance, et publiée le 26 octobre 2000
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Je pose moi aussi ma question au nom des trois groupes de l'opposition, RPR, UDF et DL (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste.) D'ailleurs, cela doit vous gêner, chers collègues qui siégez de l'autre côté de cet hémicycle, car les trois groupes de la majorité seraient bien incapables de poser une question commune au Gouvernement, surtout sur les recettes du budget ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissement sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
Ma question s'adresse au Premier ministre et concerne les promesse sur lesquelles il a fondé sa majorité politique en 1997.
Le vote des Français ne vous a pas été acquis sur un programme, monsieur le Premier ministre - vous n'aviez pas eu le temps d'en faire un -, mais sur un habile slogan à deux têtes: les emplois-jeunes et les 35 heures.
Vous aviez promis la création de 700 000 emplois-jeunes. Je n'aurai pas la cruauté de vous demander comment vous comptez faire pour créer les 450 000 manquants pendant les dix-huit prochains mois. Je me bornerai à vous demander - et ce sera ma première question - ce que vous allez faire pour consolider et pérenniser les 250 000 emplois existants.
Pour ce qui concerne les 35 heures, ce sont de vos propres rangs, monsieur le chef du Gouvernement, qu'émanent de fortes interrogations sur la pertinence à appliquer autoritairement les 35 heures dans les PME-PMI et des critiques acerbes sont portées, il faut bien le dire, sur le rapport coût-efficacité de l'ensemble du dispositif de la loi Aubry.
Pour essayer de vous convaincre, monsieur le Premier ministre, je souhaite vous soumettre un certain nombre d'éléments qui jusqu'à présent ont rarement été mis en avant, et qui sont de nature à vous amener à contrition.
Ainsi, une enquête réalisée par Ernst & Young portant sur l'attractivité de notre pays auprès de 350 groupes internationaux installés en France démontre qu'un sur deux de ces groupes envisage de relocaliser son siège social ou une partie de ses activités en dehors de la France et ce pour deux raisons: l'hyperfiscalité et les rigidités administratives autoritaires dans la gestion des ressources humaines liées aux 35 heures. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
De grands groupes internationaux hésitent également à s'installer en France et préfèrent le faire dans d'autres grands pays européens.
Or hyperfiscalité et contraintes administratives vont cumuler leurs effets pour les trois années qui viennent. Ainsi, à plein temps, le dispositif Aubry coûtera 110 milliards au budget de l'Etat, soit presque autant que la baisse des impôts de 120 milliards annoncée sur trois ans. Ce qui revient à dire que, sans l'usine à gaz des 35 heures, le Gouvernement pourrait quasiment doubler la baisse des impôts promise.
Justifiées par la lutte contre le chômage, les 35 heures, par l'affichage bureaucratique qu'elles présentent et le coût fiscal qu'elles représentent, sont aujourd'hui plus destructrices que créatrices d'emplois dans le secteur marchand. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. Pourriez-vous conclure, monsieur Delattre ? (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je ne fais qu'appliquer les dispositions du règlement. Je n'innove pas en ce qui vous concerne, monsieur Delattre.
M. Francis Delattre. En m'interrompant, vous ne m'aidez guère à aller plus vite, monsieur le président ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. Vous parlez depuis trois minutes trente !
M. Francis Delattre. Tout cela a un coût pour le pays et vous devriez ouvrir dans le budget que nous sommes en train d'examiner, à la rubrique de la dette, une sous-rubrique sur la générosité à crédit ou le transfert sur les générations futures des errements d'aujourd'hui. («La question !» sur les bancs du groupe socialiste.)
Les salariés aussi découvrent que les 35 heures ont un coût pour eux. Pour les salariés, les particuliers, les 35 heures, c'est d'abord le gel des salaires et 28 % des salariés aujourd'hui n'ont qu'une augmentation inférieure au taux de l'inflation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Et je lis, mes chers collègues, dans la revue du ministère du travail, que 47 % des salaires de ce pays sont aujourd'hui gelés, en particulier les salaires ouvriers, ce qui donne une haute idée du caractère progressiste de votre majorité plurielle.
M. le président. Monsieur Delattre, au moment ou je parle, il reste très exactement vingt secondes au ministre pour vous répondre ! La question est de savoir si vous voulez une réponse !
M. Francis Delattre. Je vais conclure. Les 35 heures, handicapantes pour les finances publiques, néfastes pour le pouvoir d'achat des salariés, pénalisantes pour les relations sociales de notre pays auxquelles elles donnent une image étatiste, décrétées d'en haut, sont aujourd'hui un véritable boulet pour notre pays. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Ma question sera donc simple: qu'allez-vous faire pour nous en débarrasser ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Ce n'est pas, monsieur le député, parce que l'un des vôtres vous a invités à la repentance qu'il faut m'inviter à la contrition ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste.) En tout cas, si ce vocabulaire religieux n'a pas sa place ici, dans notre république laïque, il me paraît en revanche légitime de répondre à vos questions.
Naturellement, je pense que nous n'aurions pas de difficulté à poser, ensemble, des questions communes à nos trois groupes de la majorité.
M. Jean-Louis Debré. Mais vous ne votez même pas ensemble !
M. le Premier ministre. Ce qui nous manque pour vous poser des questions, c'est que vous ayez pu former un gouvernement et, apparemment, ce n'est pas ce que les Français ont décidé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Je m'inspire de vos propres propos !
Par ailleurs, je me réjouis que, désormais, semaine après semaine, comme si, en insistant sur le symbole de la forme qui vous unit, vous vouliez masquer la profondeur des divergences de fond qui vous séparent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), vous nous dites que vous êtes désormais capables de poser des questions ensemble ! Nous attendons, et les Français avec nous, le moment où vous serez capables, ensemble, d'apporter des réponses. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Mais nous en sommes loin ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale.)
Je ne sais pas si nous avions un programme, mais cela fait trois ans et demi maintenant que nous gouvernons, ensemble. A chaque moment, la majorité a...
M. Jean-Louis Debré. Implosé !
M. le Premier ministre. ... été aux côtés du Gouvernement pour lui permettre de faire voter ses lois. («Ce n'est pas vrai !» sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Nous avons effectivement réalisé le programme des 35 heures. Nous sommes sur le chemin des 350 000 emplois-jeunes créés dans le secteur public, auxquels nous nous étions engagés. Nous ne pouvions pas décider à la place du secteur privé - qui, par ailleurs, a embauché, pour les 350 000 qui devaient s'y créer éventuellement. Et comme l'a dit Martine Aubry, il y a quelques jours, nous allons, sur les propositions d'Elisabeth Guigou, et après en avoir discuté en réunion des ministres la semaine dernière, faire nos propositions pour pérenniser ou solvabiliser les emplois-jeunes dans ce pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Pour ce qui est des 35 heures, elles constituent une innovation sociale qui a de plus des effets économiques sur l'emploi.
M. Jean-Louis Debré. Les 35 heures n'en sont pas la cause !
M. le Premier ministre. Les salaires n'ont pas baissé, loin de là, et nous constatons que ceux qui ont gardé le même salaire et qui sont à 35 heures travaillent quatre heures de moins en gagnant autant. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)
M. Jean-Paul Charié. Donc pas plus !
M. le Premier ministre. C'est donc un gain de pouvoir d'achat relatif. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) En outre, le pouvoir d'achat individuel des salariés en France a progressé trois fois plus vite que sous les gouvernements Juppé et Balladur. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
Quant aux problèmes de délocalisation, il me semble que s'il y a un pays aujourd'hui, où on se pose le problème du départ de firmes industrielles, c'est bien plutôt la Grande-Bretagne en raison de la hausse de la livre, que la France où, après Toyota, de nombreuses grandes entreprises viennent profiter de la qualité de notre main-d'oeuvre, de nos infrastructures et de notre système de formation et ne se sentent découragées ni par notre fiscalité, parce que nous la faisons baisser, ni par les complications administratives, parce que nous en supprimons semaine après semaine.
Alors, nous avançons, nous travaillons, nous acceptons vos questions (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), vos interpellations et vos critiques. Mais je ne crois pas que le moment soit encore venu pour vous de nous faire la leçon. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Auteur : M. Francis Delattre
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Emploi
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 26 octobre 2000