Question au Gouvernement n° 2425 :
énergie nucléaire

11e Législature

Question de : M. Jean-Pierre Chevènement
Territoire-de-Belfort (2e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert

Question posée en séance, et publiée le 22 novembre 2000

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le Premier ministre, le triplement du prix du pétrole, sur lequel est indexé le prix du gaz, apparaît comme constituant une donnée structurelle pour les années et vraisemblablement les décennies à venir. Cela ne peut pas ne pas modifier l'équation à long terme de notre politique énergétique. Chacun le sait, actuellement, 80 % de notre électricité est d'origine nucléaire. («Heureusement !» sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), ce qui est avantageux puisque un prix est de 20 % inférieur à celui des énergies fossiles, tandis que les émissions de gaz à effet de serre sont trente fois inférieures. (Applaudissement sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste, et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Faire des économies d'énergie, comme le propose Yves Cochet, c'est bien, mais jusqu'à une certaine limite car on ne peut pas aller vers une société trop bureaucratique, voire trop tracassière. («Très bien !» sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Par conséquent, on n'évitera pas de poser le problème de la modernisation de notre filière électronucléaire si l'on veut prendre en considération les exigences du long terme. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Compte tenu des délais nécessaires à la mise au point d'un prototype et à l'industrialisation des réacteurs de nouvelle génération, qu'il s'agisse de l'EPR ou des réacteurs à haute température, il n'est pas trop tôt pour en débattre. Les centrales nucléaires qui ont été construites il y a plus de vingt ans arriveront en effet à obsolescence dans dix ou quinze ans.
M. Bernard Accoyer. Très juste !
M. Jean-Pierre Chevènement. Dans ce domaine, rien n'est remis en cause, mais rien n'est encore mis en oeuvre. L'EPR n'est certes pas abandonné, mais il est différé. Je constate que le savoir-faire et la capacité de production d'une entreprise aussi performante qu'Alsthom sont dispersés. En outre, la seule maintenance des centrales nucléaires actuelles ne suffira pas à assurer le maintien de ces compétences, au Creusot comme à Belfort, où se situe, par exemple, la seule usine en Europe capable de faire des turbines et des alternateurs de 1 500 mégawatts. Y a-t-il une autre manière de passer le cap des dix prochaines années qu'en décidant de lancer le prototype de l'EPR,...
M. Bernard Accoyer. Non !
M. Jean-Pierre Chevènement. ... pour un coût de financement qui est d'ailleurs parfaitement supportable par EDF ?
M. Bernard Accoyer. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le Premier ministre, le Gouvernement a-t-il la volonté de préserver la cohérence de la filière énergétique française et particulièrement l'atout maître que constitue la maîtrise du nucléaire civil ? («Non !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Que prévoit-il pour maintenir notre savoir-faire industriel, notamment à Belfort ? A l'occasion de la conférence de La Haye, le Gouvernement demandera-t-il que l'énergie nucléaire soit inscrite dans la liste des énergies propres du protocole de Kyoto ? Enfin, - cela me semblerait bien -, le Gouvernement prévoit-il d'organiser à l'Assemblée nationale un débat sur l'avenir de notre politique énergétique (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), qui revêt à l'évidence un intérêt national majeur; lequel je n'en doute pas une seconde, est partagé sur tous les bancs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, cher Jean-Pierre (Sourires), je note votre capacité à rallier au Gouvernement jusqu'à l'opposition !
Je ne sais pas ce que seront durablement les prix du gaz et du pétrole, mais la volonté du Gouvernement est de peser dans les discussions qui vont avoir lieu bientôt, et où Christian Pierret nous représentera, dans le sens d'un prix du pétrole et du gaz rémunérateur pour les producteurs, stable pour les données économiques internationales et non pénalisant pour la croissance dans l'ensemble du monde, notamment dans les pays les plus pauvres, pour lesquels la facture pétrolière est un lourd fardeau. (Applaudissement sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
Comme vous, le Gouvernement reconnaît les bénéfices que la France tire actuellement de l'existence d'un parc important de centrales nucléaires.
M. Jacques Myard et M. Jacques Godfrain. Grâce à nous !
M. le Premier ministre. Ce parc lui permet de disposer d'une énergie à bon marché et la place, comme vous l'avez dit, en bonne situation dans la lutte contre l'effet de serre.
M. Edouard Landrain. Très bien !
M. le Premier ministre. Il importe que ce parc continue de fonctionner avec le maximum de sûreté, comme c'est le cas aujourd'hui - nous y veillons -,...
M. Jean-Jacques Jégou et M. Patrick Ollier. Très bien !
M. le Premier ministre. ... et que l'on ne perde pas de temps pour trouver, pour la gestion des déchets radioactifs, au-delà des entreposages actuels, sûrs mais temporaires, des solutions définitives comme le stockage; nous y travaillons.
Pour l'avenir, le Gouvernement compte annoncer avant la fin de l'année un grand programme d'économies d'énergie et le soutien à des énergies nouvelles et renouvelables. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)
M. Bernard Accoyer. Ce n'est pas sérieux !
M. Patrick Ollier. Et l'EPR ?
M. le Premier ministre. Je crois, messieurs de l'opposition, que vous n'êtes pas bon juges du dialogue qui se noue entre un député de la majorité et le Gouvernement ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Patrick Ollier. Répondez au moins à la question !
M. le Premier ministre. En tout cas, l'évolution de la place de l'énergie nucléaire dans le futur fera, le moment venu, et comme je l'ai déjà dit (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants),...
M. Franck Dhersin. Pirouette !
M. le Premier ministre. ... l'objet d'un débat scientifique et démocratique qui permettra d'examiner toutes les conséquences des choix possibles et de peser tous les arguments. Les modalités du renouvellement du parc seront évidemment centrales dans ce débat. EDF et les électriciens allemands, ainsi que Framatome et Siemens, mènent des études et des recherches sur une nouvelle génération de réacteurs électronucléaires à eau sous pression, le réacteur EPR, doté de performances techniques et de caractéristiques de sûreté encore améliorées.
Ces études et ces recherches peuvent également avoir des retombées tout à fait positives pour le maintien et l'augmentation de la sûreté du parc nucléaire.
M. André Billardon. Très bien !
M. le Premier ministre. Ces études se poursuivent actuellement. Elles ne sont pas encore suffisamment avancées pour ouvrir un débat sur l'opportunité du lancement industriel d'un prototype du réacteur EPR. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Au demeurant, la demande actuelle d'énergie électrique et la durée de vie de nos centrales ne justifient pas une telle commande dans l'immédiat. («Très bien !» sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Vous voyez donc que la volonté du Gouvernement est bien de préserver la cohérence de la filière énergétique française, sans brusquer ni hâter le déroulement normal des études et des recherches.
Comme vous l'avez souligné, monsieur le député, la politique énergétique de la France depuis trente ans a fondé une compétence industrielle de tout premier plan, autour d'EDF, de la Cogema, de Framatome et de leurs équipementiers, dont Alstom, et en particulier son établissement de Belfort. («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) La qualité de sa recherche en matière nucléaire, avec le CEA, est internationalement reconnue. La construction de centrales neuves pour la production d'électricité en France marque inévitablement une pause, le parc électronucléaire français étant aujourd'hui formaté à un niveau suffisant.
Mais la mobilisation de cette filière, aujourd'hui arrivée à maturité, dans l'entretien du parc actuel, la participation aux études et recherches évoquées plus haut et à l'exportation lui permettra de maintenir ce patrimoine technologique et ces compétences, afin que toutes les possibilités soient en effet laissées ouvertes.
Enfin, la politique énergétique de la France est une question d'intérêt national, par les enjeux qu'elle induit pour notre développement économique et pour la qualité de notre environnement.
M. Thierry Mariani. Langue de bois !
M. le Premier ministre. Je me réjouis que ces questions fassent régulièrement l'objet de débats dans cette enceinte.
M. Philippe Auberger. C'est creux !
M. le Premier ministre. J'ai moi-même pu participer à un tel débat en juin 1988, et M. Christian Pierret en octobre 1999 et cette année encore. Les nombreux rapports publics réalisés à la demande du Gouvernement ou dans le cadre des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques permettent également d'éclairer ces questions.
Mesdames, messieurs les députés, des choix déterminants pour notre politique énergétique devront être faits dans les années qui viennent. Le lancement du programme EPR en fait partie. Compte tenu des enjeux, ce choix devra être opéré en étroite concertation avec la représentation nationale. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Jean-Pierre Chevènement

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Énergie et carburants

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 22 novembre 2000

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