Question au Gouvernement n° 2432 :
défense

11e Législature

Question de : M. Michel Meylan
Haute-Savoie (3e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants

Question posée en séance, et publiée le 29 novembre 2000

M. le président. La parole est à M. Michel Meylan.
M. Michel Meylan. Ma question, qui s'adresse à M. le Premier ministre, pourrait tant aussi bien être posée à Mme Buffet.
A vingt ans, j'ai répondu à l'appel du Gouvernement en allant combattre en Algérie. Comme tous ceux de ma génération, j'ai donné deux ans de ma vie pour une guerre sans nom. Plus encore que d'autres, peut-être, je m'interroge et je vous interroge sur le débat à propos de la torture pendant la guerre d'Algérie.
Dans vos déclarations, vous avez suggéré que ce débat était celui du Parlement. Dès lors que vous-même avez pris publiquement position le 4 novembre dernier, lors du dîner du CRIF - Conseil représentatif des institutions juives de France -, en faveur de l'appel d'un collectif d'intellectuels à condamner la torture durant cette période, dès lors que vous désavouez officiellement la proposition du Parti communiste de créer une commission d'enquête parlementaire à ce sujet, dès lors enfin qu'un de vos ministres, Mme Buffet, affiche publiquement son désaccord avec votre position, cela devient aussi le débat du Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, nous n'avons pas vocation à devenir les porteurs de valise de l'histoire. Vous avez évoqué la mémoire de ces centaines de milliers de jeunes du contingent. Personnellement, je ne peux citer qu'une poignée de camarades morts au combat sous mes yeux. C'est en leur souvenir et au nom de tous les anciens d'AFN que je vous pose trois questions.
Pourquoi avez-vous suscité ce débat en soutenant, lors du dîner annuel du CRIF, l'appel à la condamnation de la torture, publié par le quotidien communiste L'Humanité, si vous ne souhaitiez pas qu'il fasse l'objet d'une récupération politique ?
Croyez-vous que les communistes, qui ont voté les pouvoirs spéciaux au président du Conseil socialiste Guy Mollet pour la conduite des opérations d'Algérie, soient les mieux placés pour donner des leçons d'histoire et de morale ? (Protestations sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Et que pensez-vous de la torture pratiquée dans les régimes communistes actuels et anciens ?
Dans votre souci affiché de vérité historique, pourquoi ne proposez-vous pas de faire la lumière sur les atrocités et les exactions commises par le FLN contre les soldats français, contre les populations civiles et contre les harkis ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, la reconnaissance des crimes commis pendant ce que nous appelons maintenant la guerre d'Algérie, et le fait que la torture fut pratiquée crée un trouble profond dans l'opinion - qui l'exprime - et heurte notre conscience. Pourquoi m'élever contre la torture ? Parce que je suis contre !
M. Patrick Devedjian. Nous aussi !
M. le Premier ministre. Je n'en doute pas. Certes, ces dévoiements, qui étaient minoritaires, n'étaient pas ignorés, notamment de ma génération. Mais l'aveu récent, par certains des acteurs alors en charge des opérations de maintien de l'ordre à Alger, oblige à regarder en face la vérité, aussi terrible soit-elle, et à la condamner sans appel.
Pourquoi me suis-je exprimé sur ce sujet, brièvement d'ailleurs, au dîner du CRIF ? Tout simplement parce que je m'exprimais sur le devoir de vérité et sur l'obligation de considérer notre histoire dans tous ses aspects, même les plus sombres. En outre, j'avais été interpellé, comme le Président de la République d'ailleurs, moi en tant que Premier ministre, par un appel signé par des intellectuels.
Tout cela s'est produit dans le cadre d'un conflit long et terrible qui se situait dans un contexte où des crimes, et notamment des massacres, ont été commis, en particulier contre les harkis. Je n'ai naturellement aucune difficulté à dire ma condamnation de ces massacres et à reconnaître que ce sont là aussi des faits historiques tragiques.
Je n'oublie pas non plus que le contingent qui s'est battu dans une guerre coloniale qu'il n'avait pas souhaitée...
M. Guy Tessier. Guerre coloniale voulue par le parti socialiste !
M. le Premier ministre. ... contre laquelle il avait souvent manifesté, notamment au début du conflit, s'est mobilisé pour aider à défendre la République lorsque des factieux ont voulu la menacer dans le cadre de cette guerre coloniale, et je lui rends hommage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Je n'oublie donc en rien les crimes, les exactions et les massacres qui ont été perpétrés de l'autre côté, mais je considère qu'une démocratie est d'abord comptable du rapport à ses propres valeurs d'actes qui ont été commis en cette période par de hauts responsables.
M. François d'Aubert. Que faisait M. Mitterrand à l'époque ?
M. le Premier ministre. Quarante ans après les faits, un travail objectif d'explication et de compréhension est évidemment nécessaire sur ces événements particulièrement dramatiques, pris dans toutes leurs dimensions. Ce travail ne relève pas pour moi - j'ai déjà eu l'occasion de le dire - d'un acte de repentance.
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. le Premier ministre. Le Gouvernement, comme il l'a fait au cours de ces trois dernières années pour l'accès aux archives de la Seconde Guerre mondiale ou aux documents relatifs aux journées d'octobre 1961, est prêt à favoriser un tel travail scientifique et historique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Michel Meylan

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Droits de l'homme et libertés publiques

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 29 novembre 2000

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