Question au Gouvernement n° 2445 :
Allemagne

11e Législature

Question de : M. François Léotard
Var (5e circonscription) - Union pour la démocratie française-Alliance

Question posée en séance, et publiée le 30 novembre 2000

M. le président. La parole est à M. François Léotard.
M. François Léotard. Monsieur le Premier ministre, dans une semaine, s'ouvrira à Nice le Conseil européen qui mettra un terme, pour l'essentiel, à la présidence française. Si les institutions ne changent pas, la France assumera de nouveau cette responsabilité en 2008. Si entre-temps l'élargissement de l'Union se réalise, la prochaine présidence française sera exercée, dans les conditions actuelles, autour de 2020. Cet éloignement dans le temps rend plus nécessaire encore une réussite pour laquelle ni le Président de la République ni le Gouvernement n'auront ménagé leurs efforts.
Ma question n'a donc sur ce sujet ni volonté polémique, ni caractère partisan. Avec un certain irénisme, d'ailleurs, elle pourrait être posée non seulement au nom des groupes de l'opposition, mais au nom aussi de tous les parlementaires attachés à une véritable ambition politique pour notre continent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
Cette question porte sur un sujet qui conditionne depuis 1958 les succès ou les échecs de la construction européenne. Je veux parler de la relation franco-allemande. Malgré les dénégations des deux gouvernements, ces relations connaissent un fléchissement, le mot est probablement un peu faible, que tous les observateurs impartiaux, des deux côtés du Rhin, s'accordent à reconnaître. Certes, la crise périodique du couple franco-allemand fait partie du paysage européen. Mais il se trouve qu'elle a toujours été surmontée, alors que, aujourd'hui, elle se traduit par une multiplication des frictions et des malentendus.
Je ne mettrai l'accent que sur deux questions, récurrentes, qui nous sont posées, au-delà du gouvernement fédéral, par la société politique allemande: premièrement, la règle de la double majorité dans la pondération des voix - majorité des Etats, majorité des peuples; deuxièmement, la reconnaissance de la langue allemande comme langue de l'Union européenne.
Sur la première question, celle de la double majorité, la crise de l'élection présidentielle américaine montre que ce n'est pas une préoccupation secondaire. On peut, bien entendu, accepter la réunification allemande comme une fatalité. On peut aussi l'accepter comme une chance. Les 16 millions d'Allemands qui ont rejoint, en 1990, le camp de la démocratie méritent aussi d'être accueillis dans l'Union comme des citoyens.
Sur le second point, celui de la langue, nous devrions faire en sorte qu'une des très grandes langues de notre continent ait sa juste place dans notre culture et dans notre droit. Je rappelle que, dans nos deux pays, nous assistons, paralysés et impuissants, à l'affaiblissement constant de l'enseignement de la langue de l'autre.
Sur ces deux points, monsieur le Premier ministre - celui de la représentation des peuples, celui de la reconnaissance des langues -, il me semble important que le Parlement puisse avoir, avant la réunion de Nice, la position précise du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, naturellement, sous la présidence française, l'accent a été mis sur la réforme des institutions de l'Union européenne, donc sur la conférence intergouvernementale. Cette réforme est très importante pour l'avenir de l'Europe avant l'élargissement.
Mais on observe également, dans le travail de l'ensemble du Gouvernement et des autorités françaises sous cette présidence, l'émergence d'une Europe des valeurs, d'une Europe des problèmes de fond, d'une Europe concrète dont les conseils des ministres successifs ont montré que, grâce à l'action des divers ministres, nous savions la faire avancer.
Je voudrais, mesdames et messieurs les parlementaires, que vous soyez conscients que, si le nombre des commissaires, les modes de vote, les problèmes de repondération ou de double majorité sont essentiels, ceux qui touchent à la sécurité alimentaire, à la sécurité maritime, à la réforme sociale en Europe, ou à l'harmonisation fiscale sont plus importants, ou, en tout cas, aussi importants pour nos concitoyens.
Même si Nice doit être une étape décisive, la présidence française entend bien continuer à travailler sur certains de ces dossiers, au-delà de ce sommet et jusqu'au 31 décembre. En outre, même si la présidence ne nous revient plus avant 2008, l'influence de la France pourra tout de même s'exercer. Et je me demande parfois, la présidence ayant vocation à chercher les compromis, si l'on ne peut pas davantage être une force motrice et faire avancer les choses lorsqu'on ne l'a pas !
M. Robert Pandraud. Tout à fait !
M. Pierre Lellouche. C'est incroyable !
M. le Premier ministre. Au 1er janvier 2001 comme au 31 décembre 2000, toutes les autorités françaises pourront continuer à travailler au service de notre pays et de l'Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste. - Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
S'agissant de la réforme des institutions, le ministre des affaires étrangères, celui des affaires européennes et les diplomates, d'autres ministres encore, moi-même et, naturellement, au premier rang, le chef de l'Etat, nous y travaillons. D'ailleurs, le Président de la République mène la tournée traditionnelle de la présidence qui doit lui permettre de rassembler les fils d'un compromis possible à Nice.
Voilà à quoi nous travaillons. Naturellement, pour l'instant nous en sommes encore à la négociation et il n'est pas possible, aujourd'hui, de faire des pronostics. Bien sûr, nous souhaitons aboutir à un accord à Nice, mais nous voulons aussi que ce soit un bon accord, c'est-à-dire un accord qui permette vraiment de réformer les institutions européennes.
Je ne crois pas qu'il faille être trop préoccupés par les difficultés prétendues de la relation franco-allemande. C'est un classique de l'histoire européenne et des sommets européens. En réalité, les relations sont bonnes, et nous travaillons.
Pour ce qui concerne la double majorité, la France est favorable à la repondération des voix, mais nous continuons à discuter avec l'ensemble de nos partenaires, et nous verrons bien.
Sur la question de la langue allemande, nous comprenons parfaitement que les autorités allemandes et notre ami le chancelier Schröder s'en soucient. Pendant la présidence française, nous avons veillé à ce que le statut de la langue allemande et son interprétation soient assurés. Mais il faut comprendre - et il peut aussi s'agir de l'avenir du français - que, si nous institutionnalisions quoi que ce soit à cet égard, nos amis espagnols, italiens ou des autres pays membres pourraient eux aussi formuler des demandes.
Avec l'adoption de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que nous allons proclamer à Nice, nous allons faire un grand pas dans la réaffirmation de ce que sont les valeurs communes des peuples de l'Europe, d'une Europe démocratique. Je sais que certains, notamment parmi les forces sociales, auraient souhaité que cette charte ait un contenu contraignant, ce qui n'est pas l'avis de tous. En réalité, pour obtenir l'accord politique des Britanniques sur un contenu qui suscite leurs réticences, surtout lorsqu'il s'agit d'y intégrer les droits sociaux, qui y figureront pourtant, nous nous contenterons, je crois, d'une affirmation politique.
Sous notre présidence, l'Europe sociale a marché d'un bon pas. Le dernier résultat est celui que nous devons à la ministre de l'emploi et de la solidarité, Elisabeth Guigou, qui a obtenu un accord unanime sur l'agenda social, dossier très difficile, et sur la lutte contre les exclusions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Yves Nicolin. Et les 35 heures ?
M. le Premier ministre. Dans le domaine des échanges culturels et humains, je me réjouis que, grâce à l'action de Jack Lang et des autres membres de l'Union européenne,...
M. Yves Nicolin. Baratin !
M. le Premier ministre. ... nous ayons pu adopter un grand plan de mobilité des étudiants, des chercheurs et des enseignants,...
M. Yves Nicolin. Sans intérêt !
M. François Goulard. Et c'est trop long !
M. le Premier ministre. ... que, grâce à Catherine Tasca, la ministre de la culture, nous ayons pu obtenir une enveloppe importante pour le programme Média Plus.
Je parlais tout à l'heure de l'harmonisation fiscale. Dans un dossier qui paraissait inextricable, il faut se féliciter qu'à l'ECOFIN, sous la présidence de Laurent Fabius, le paquet fiscal ait été bouclé et ait débouché sur un accord, notamment sur la fiscalité de l'épargne. C'est un pas extrêmement important.
Je me réjouis aussi des progrès qui ont été accomplis dans le domaine de la sécurité des transports maritimes grâce à Jean-Claude Gayssot (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), de même que dans le domaine de la sécurité alimentaire grâce à Jean Glavany. (Protestations sur les mêmes bancs.)
Vous voyez que les acquis de la présidence française sont excellents. Je ne doute pas que, sous la présidence de M. Chirac, à Nice, nous pourrons obtenir un résultat supérieur et consacrer ces premiers pas en avant.
Je suis sûr que c'était cela qu'au nom des trois groupes de l'opposition et des trois groupes de la majorité vous aviez envie d'entendre, monsieur le député. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Données clés

Auteur : M. François Léotard

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 30 novembre 2000

partager