justice : fonctionnement
Question de :
M. Philippe Houillon
Val-d'Oise (1re circonscription) - Démocratie libérale et indépendants
Question posée en séance, et publiée le 30 novembre 2000
M. le président. La parole est à M. Philippe Houillon.
M. Philippe Houillon. Madame la garde des sceaux, hier, dans votre réponse à Michel Hunault, vous affirmiez que la justice n'était pas en crise. Le 13 novembre dernier, à l'occasion du débat budgétaire, vous affirmiez également que les priorités dégagées correspondaient aux attentes et permettaient d'améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien, et ce à grands renforts de chiffres. Voilà pour le discours !
En ce qui concerne la réalité, elle est infiniment plus explosive: 85 % des affaires pénales sont classées sans suite; autrement dit, dans 85 % des cas, il n'y a pas de réponse judiciaire. Cela veut dire que le sentiment d'insécurité progresse et que, parallèlement, le sentiment d'impunité se renforce chez les délinquants, ce qui nourrit mécaniquement une délinquance plus importante.
M. François Goulard. C'est vrai !
M. Philippe Houillon. L'aide juridictionnelle ne peut plus être assurée correctement, et c'est au préjudice des victimes et des plus défavorisés.
Les nouvelles mesures de la loi sur la présomption d'innocence ne pourront être appliquées faute de moyens et de préparation. Du reste, hier, dans votre réponse, vous ne disiez pas vraiment le contraire.
La réforme des cours d'assises et celle des tribunaux de commerce supposent des moyens que vous n'avez pas.
A Rennes, l'Etat vient d'être condamné à indemniser des justiciables en raison d'un arrêt «plus ou moins loupé»,...
M. Jean Michel. Rendu en quelle année ?
M. Philippe Houillon. ... pour reprendre l'expression du magistrat qui a rendu cet arrêt et qui invoque, pour s'en justifier, une énorme surcharge de travail.
Le monde judiciaire unanime - magistrats, avocats et greffiers - quitte les prétoires et descend dans la rue. Partout, des grèves se mettent en place.
Quel extraordinaire décalage entre les discours et la réalité, entre la communication et l'action !
M. François Goulard. Oh oui !
M. Philippe Houillon. C'est grave, car - et c'est un lieu commun - l'institution judiciaire est un rouage capital de notre société. Nos concitoyens n'ont déjà guère confiance en la justice; il ne faudrait pas qu'ils arrivent à en avoir peur.
Je comprends, madame la garde des sceaux, que, lors de votre arrivée à ce ministère, vous ayez pu, faute d'avoir eu le temps de dresser un inventaire, être un instant euphorique et que vous ayez pu tenir certains propros d'autosatisfaction. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Mais maintenant, vous ne pouvez ignorer la mesure réelle des choses.
Hier, dans la même réponse, vous demandiez à l'ensemble du monde judiciaire d'être exemplaire. Exemplaire, il l'est depuis des années et des années, face à l'inquiétante précarisation de la justice. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
Que comptez-vous faire, madame la garde des sceaux, pour que l'Etat, à son tour, soit exemplaire et pour éviter le bogue que tout le monde annonce ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Lorsque je vous écoute, monsieur le député, dresser un tel tableau de la justice de notre pays, tout en disant, en filigrane de votre question, que ces difficultés sont liées à la loi sur la présomption d'innocence, alors même que celle-ci n'est pas encore appliquée (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants),...
M. Jacques Myard. M. Houillon n'a jamais dit cela !
Mme la garde des sceaux. ... je suis très étonnée.
Par exemple, vous dites que 85 % des affaires sont classées sans suite. Mais vous savez très bien, comme tout le monde, que plus de la moitié de ces affaires sont le fait d'auteurs inconnus et que ce problème n'est pas lié à la loi sur la présomption d'innocence, mais au fonctionnement de l'ensemble du système judiciaire.
Vos préoccupations ont été largement prises en compte par le Gouvernement. Auparavant, il était créé environ trente postes par an. Nous sommes passés à une vitesse très largement supérieure puisque, entre le budget de 1998, le premier présenté par ce Gouvernement, et celui pour 2001, 4 481 postes auront été créés. (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Le Premier ministre et Elisabeth Guigou, avec l'aide du Parlement, sont parvenus à augmenter le budget de la justice de 17,8 %. Alors si tout va mal monsieur, pourquoi n'y avez-vous pas réfléchi plus tôt ?
M. Jean-Michel Ferrand. Si tout va bien, pourquoi avez-vous augmenté le budget de la justice ?
Mme la garde des sceaux. Nous sommes en train de rattraper le temps perdu.
Je suis toutefois d'accord avec vous sur un fait (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! Ce n'est pas au moment où Mme Lebranchu partage votre point de vue qu'il faut faire du bruit ! (Sourires.) Poursuivez, madame la ministre.
Mme la garde des sceaux. Mme Elisabeth Guigou, avec le soutien du Gouvernement et du Parlement, a répondu par anticipation aux besoins que va faire apparaître le projet de loi sur la présomption d'innocence et le droit des victimes. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. François Goulard. Là n'est pas la question !
Mme la garde des sceaux. Cependant, deux points posent problèmes, et je l'ai dit depuis le départ: les appels des décisions de cour d'assises, pour lesquels 163 postes de magistrats et 91 postes de greffiers ont été débloqués, et la «juridictionnalisation» de l'application des peines, qui nécessite 77 magistrats et 47 greffiers.
Elisabeth Guigou et moi-même, nous l'avons déjà dit plusieurs fois: pour que la situation devienne meilleure, il faut attendre la prochaine promotion de l'Ecole nationale des greffes,...
M. Jean-Michel Ferrand. L'école nationale des grèves !
Mme la garde des sceaux. ... qui sortira au mois d'avril. Du 1er janvier au mois d'avril, nous serons confrontés à un réel problème d'application de la loi.
J'ai demandé à un responsable spécifiquement chargé de ce problème de préparer un rapport sur les services judiciaires afin de bien déterminer les postes à pourvoir.
Vous allez être saisis d'un texte sur le repyramidage de la magistrature - texte qui sera sans aucun doute adopté à l'unanimité, ce qui nous fera gagner du temps -, qui permettra d'installer des vice-présidents là où il n'y en a pas.
Bref, nous allons être confrontés à quelques semaines de difficultés. Cela étant, je vais travailler avec méthode et avec rigueur. Mais cessez de dire que la justice de votre pays est désorganisée, avant même que nous ayons ce rapport,...
M. Patrick Ollier. Nous n'avons pas besoin de rapport pour le savoir !
Mme la garde des sceaux. ... avant même que nous sachions comment les choses vont se passer. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
En fait, monsieur le député, c'est vous qui n'avez pas confiance dans ces magistrats. Moi je respecte et j'estime ces fonctionnaires...
M. Lucien Degauchy. Bla-bla !
Mme la garde des sceaux. ... qui viennent d'obtenir, à la suite de négociations, une revalorisation de leurs indemnités - et ils avaient raison de le demander.
Nous continuerons à travailler de la sorte,...
M. François Goulard. Ca promet !
Mme la garde des sceaux. ... car la justice exige du calme, de la sérénité, de la méthode, de la rigueur et le souci des libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Philippe Houillon
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Ministères et secrétariats d'etat
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 30 novembre 2000