Côte d'Ivoire
Question de :
Mme Marie-Hélène Aubert
Eure-et-Loir (4e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert
Question posée en séance, et publiée le 14 décembre 2000
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert.
Mme Marie-Hélène Aubert. Ma question, qui s'adresse à M. le ministère des affaires étrangères, concerne la situation dramatique que connaît la Côte d'Ivoire en ce moment. En effet, ces dernières semaines, de graves violences ont été perpétrées, y compris par la gendarmerie: rafles, assassinats, tortures et un grand nombre de viols ont été signalés.
Selon bien des observateurs, l'ancien pays le plus riche et le plus stable d'Afrique n'est pas loin de la guerre civile. Des élections présidentielles ont eu lieu en octobre dernier après l'exclusion de presque tous les candidats par une nouvelle constitution consacrant l'ivoirité, en fait principe de préférence nationale généralisée, qui suscite bien des conflits.
Déjà, devant cette situation critique, les observateurs de l'OUA et de l'ONU avaient refusé de se rendre sur place. L'Union européenne à son tour, qui a dénoncé une élection présidentielle dans laquelle une grande partie de la population ne pouvait être représentée, a néanmoins laissé une chance pour les élections législatives qui ont lieu ce week-end. Or, jeudi dernier, même les observateurs européens ont dû se retirer.
Certes la Côte d'Ivoire est un pays souverain et indépendant, mais la France a des liens historiques avec lui et des responsabilités, sans oublier la présence sur place de 20 000 Français expatriés - la plus grande communauté française dans cette partie du monde - et d'un bataillon français de 500 hommes à Abidjan. On ne peut donc que s'étonner de la grande discrétion, voire du soutien implicite de la France depuis deux mois au président Gbagbo, quelle que soit son appartenance politique affichée, d'autant que cela se déroule durant sa présidence de l'Union européenne. («Eh oui !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Les déclarations du quai d'Orsay précisant que ces élections ne correspondent pas aux attentes semblent un peu légères vu la gravité de la situation.
M. Jean-Michel Ferrand. C'est vrai !
Mme Marie-Hélène Aubert. Nous voudrions donc savoir si la France reconnaît le résultat de ces élections,...
M. Pierre Lellouche. Très bonne question !
Mme Marie-Hélène Aubert. ... si la France condamne clairement les actes de violence et la politique de répression organisée par le pouvoir en place,...
M. Jean-Michel Ferrand. Socialiste !
Mme Marie-Hélène Aubert. ... et si la France envisage de conditionner son aide économique, qui est très importante, à la fin des violences et à la reprise du processus démocratique.
Quelles initiatives la France prendra-t-elle pour favoriser une pacification avec le nord du pays ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants, ainsi que sur quelques bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Madame la députée, non, la France n'est pas absente et la France n'est pas complaisante. Nous sommes très informés de la situation sérieuse (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...
M. Bernard Accoyer. Que faites-vous ?
M. le ministre délégué chargé des affaires européennes... de ce pays si proche de la France, et nous avons des positions claires.
M. Jacques Godfrain. On ne dirait pas !
M. le ministre délégué chargé des affaires européennes. Nous n'avons pas de leçons à recevoir de surcroît. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Jacques Godfrain. Oh si !
M. le ministre délégué chargé des affaires européennes. La France avait indiqué, dès que cette décision avait été connue, que l'invalidation par la cour suprême de la candidature de M. Alassane Ouattara ne pouvait qu'entacher la préparation des élections législatives. Si les négociations menées juste avant le scrutin avaient pu laisser quelques espoirs, il est désormais clair que ces élections, telles qu'elles se sont tenues, n'ont pas répondu à nos attentes, même si le scrutin s'est déroulé plutôt dans le calme dans 145 circonscriptions sur 174. Nous souhaitons que les élections partielles, qui doivent être organisées dans 29 circonscriptions du Nord, permettent à tous les partis politiques de présenter des candidats.
S'agissant des troubles qui ont eu lieu au début de la semaine dernière, la France a marqué de façon tout aussi claire sa réprobation face aux écarts constatés à la fois de la part des forces de l'ordre et des militants du Rassemblement des Républicains. C'est d'ailleurs dans ce contexte que la France appelle avec force à la réconciliation nationale, notamment dans le Nord, appuyant en cela les voix qui se sont élevées en Côte d'Ivoire même, parce que la richesse de ce pays, on le sait, est constituée par la variété de ses populations.
Pour ce qui concerne la coopération sur laquelle vous m'interrogez, elle comporte trois volets et je vais vous indiquer comment nous allons les gérer.
Un premier volet correspond à la mise en oeuvre par le ministère des affaires étrangères de l'aide aux projets et de l'assistance technique, ce qui aura représenté 137 millions de francs en 2000. Cette aide avait été partiellement gelée en janvier dernier, à l'exception de celle concernant des projets bénéficiant directement aux populations. La reprise éventuelle de cette assistance fait actuellement l'objet d'une évaluation qui sera effectuée en liaison avec les autres bailleurs de fonds, notamment nos partenaires de l'Union européenne. Nous en prenons l'initiative à Bruxelles.
Le deuxième volet regroupe les concours de l'agence française de développement - 270 millions de francs l'année dernière - mais dont les décaissements, je le dis avec fermeté, sont actuellement suspendus en raison de l'existence d'arriérés de remboursement.
Enfin, un troisième volet comprend les aides à l'ajustement, exécutées selon la doctrine dite d'Abidjan dans le cadre d'un programme approuvé par le Fonds monétaire international. Il va de soi que nous ne dérogeons pas à ces principes. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que les autorités ivoiriennes prennent rapidement contact avec les institutions de Bretton Woods. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)
Auteur : Mme Marie-Hélène Aubert
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : affaires européennes
Ministère répondant : affaires européennes
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 14 décembre 2000