atteintes à la vie
Question de :
M. Alain Tourret
Calvados (6e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert
Question posée en séance, et publiée le 20 décembre 2000
M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux.
Le procureur de la République d'Auxerre vient d'annoncer sur toutes les ondes que M. Emile Louis était un assassin, l'un des plus horribles serial killers de notre histoire judiciaire. Il aurait reconnu avoir tué sept jeunes filles, pupilles de la nation, handicapées mentales. Or ce criminel hors série va vraisemblablement être remis en liberté puisque la prescription de dix années semble à première vue ne pouvoir être remise en cause pour des faits commis entre 1977 et 1979.
Madame la ministre, espérons que ce scandale judiciaire va nous amener à réfléchir de manière globale sur notre système de prescription, car n'est-il pas absolument scandaleux que l'on puisse invoquer la prescription, qui n'existe pas dans de nombreux autres pays, au motif qu'il y aurait la loi de l'oubli ? Quel oubli quand il y a eu sept enfants assassinés ?
Quant à l'inaction de l'Etat, second motif de la prescription, elle met en cause personnellement la responsabilité de l'Etat et des procureurs de l'époque, et j'en viens à me demander s'il en aurait été de même si c'était sept filles de notables qui avaient été assassinées. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - «Exactement !» sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Madame la garde des sceaux, il nous appartient de réfléchir sur notre système de prescription, qui a déjà été modifié en 1995.
Actuellement, en matière de stupéfiants, la prescription est de trente ans. Est-il plus grave de consommer des stupéfiants que d'assassiner sept jeunes filles ? C'est la question qu'il faut poser.
Est-il plus grave d'avoir commis un délit de recel, qui est un délit continu, ou un délit en matière d'abus de biens sociaux, qui peut être poursuivi dans un délai de trois ans à partir du moment où il a été révélé, que d'assassiner sept jeunes filles ?
Je pense qu'il faut remettre à plat tout notre système de prescription, qui est le fondement même de l'action publique. Que pense donc le Gouvernement de cette question qui scandalise la France et la représentation nationale ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, l'enquête a été rouverte parce que l'on a trouvé des vêtements qui pourraient avoir appartenu à l'une des jeunes filles. L'homme dont vous parlez a été mis en examen pour enlèvement et séquestration et un autre chef n'aurait pas permis de le mettre en examen.
Mme Yvette Roudy. C'est vrai !
Mme la garde des sceaux. D'abord parce que même un ministre de la justice a du mal à parler de l'atrocité; je partage la douleur des familles et leur révolte devant le fait que ce crime puisse rester impuni car, c'est vrai, s'il s'agit d'un crime, il sera impuni.
Vous avez raison de poser la question globale de la prescription, mais je reste intimement convaincue que nous devons réfléchir dans un climat moins passionnel.
Au-delà de l'enquête administrative qui a été diligentée, et sur laquelle je n'ai pas encore de données objectives, il faut une inspection générale des services judiciaires sur place. («Tout à fait !» sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Il n'est pas normal que l'enquête ait été arrêtée alors que des faits nouveaux auraient pu être découverts.
Je parlais tout à l'heure du bras judiciaire de la démocratie. Je suis convaincue que les magistrats, les enquêteurs, les policiers, les gendarmes sont d'accord avec nous pour que nous fassions une telle enquête, pour que plus jamais, sept ans, dix ans, quinze ans après des faits d'une telle atrocité, on ne soit obligé de parler de prescription.
Alors, je suis d'accord pour une réflexion de fond, dans un climat serein, mais il faut aussi regarder ce qui s'est passé exactement et faire en sorte que jamais plus un député n'ait l'occasion de poser une question relative à un crime de sang. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Auteur : M. Alain Tourret
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Droit pénal
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 20 décembre 2000