Question au Gouvernement n° 2663 :
politique de l'emploi

11e Législature

Question de : M. Pierre Méhaignerie
Ille-et-Vilaine (5e circonscription) - Union pour la démocratie française-Alliance

Question posée en séance, et publiée le 29 mars 2001

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie.
M. Pierre Méhaignerie. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, il semble que votre majorité soit profondément divisée quant aux leçons à tirer des élections municipales. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Une des causes des résultats a été énoncée par un membre éminent de cette majorité, le président Bocquet, qui déclarait dans Libération: «à être trop autosatisfait, trop sûr de soi, on ramasse des gadins !»
Hier, j'ai écouté les réponses de certains de vos ministres à des questions posées, notamment par M. Goulard, et je ne pense pas que la leçon de modestie ait été bien assimilée par eux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Une autre cause serait liée à l'insatisfaction des classes populaires quant à l'évolution de leur pouvoir d'achat en période de croissance et à la modération engendrée par les 35 heures.
Depuis des mois, l'opposition déclare que la priorité est la revalorisation du salaire direct, fruit de l'effort personnel. Une comparaison européenne, qui vient de paraître, lui donne raison: en effet, la France se situe parmi les pays où le coût unitaire du travail est le plus élevé, soit 24 euros par heure, mais où la part du salaire direct versé au salarié est la plus faible, soit 13,8 euros contre 16 à 17 euros en moyenne.
Aussi, monsieur le Premier ministre, vous poserai-je deux questions.
D'une part, le fait de se revendiquer comme le gouvernement le plus à gauche de l'Union européenne ne signifierait-il pas avoir des dépenses publiques très élevées, un Etat peu efficace et, parallèlement, à niveau de productivité égal, les salaires directs les plus faibles d'Europe ? (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
D'autre part, toujours en ce qui concerne la revalorisation des salaires, on a vu, au cours du débat sur les 35 heures, que des salariés préfèrent le paiement des heures supplémentaires plutôt que le repos compensateur. Monsieur le Premier ministre, quand pensez-vous donner à ces salariés une liberté de choix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. («Ah !» sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Merci, mesdames et messieurs de l'opposition, d'accueillir nos deuxièmes retrouvailles avec ce soupir de satisfaction !
Des élections municipales et cantonales viennent d'avoir lieu. S'agissant des élections municipales, le solde pour les villes de plus de 30 000 habitants est négatif pour vingt et une d'entre elles. Nous avons fait des conquêtes, mais nous avons subi plus de défaites. S'agissant des élections aux conseils généraux, nous avons gagné cinq départements.
M. Christian Bataille. Il ne faut pas oublier de le dire !
M. le Premier ministre. Tel est le solde. J'ai déjà dit que ces élections étaient des élections locales, destinées à élire dans 36 000 communes les maires et les équipes municipales. Que nous ayons à tirer des leçons de ces élections, c'est vrai, nous l'avons toujours fait. Que nous le fassions par le débat au sein de la formation politique à laquelle j'appartiens et au sein de la majorité qui me soutient et qui soutient le Gouvernement depuis quatre ans me paraît procéder d'un bon fonctionnement démocratique.
Nous n'avons pas à construire d'édifices politiques qui, d'ailleurs, ne sont jamais véritablement construits. («La question !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Nous avons à vivre notre vie démocratique entre les partis de la majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Jean-Michel Ferrand. Mais de quoi parle-t-il ?
M. le Premier ministre. Et si, parce que notre conviction est forte, parce qu'il est normal que nous défendions notre bilan et que nous croyions en la force de ce que nous faisons, il a pu parfois arriver que certains nous trouvent trop satisfaits et de notre action et de notre bilan, l'une des leçons de ces élections est qu'il ne faut point adopter cette attitude. Mais ne commencez pas, mesdames et messieurs de l'opposition, à succomber trop vite vous-mêmes à cette tentation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
J'en viens aux 35 heures. Quand nous en avons parlé - au sein de notre majorité - en fait, nous étions alors dans l'opposition - et au sein du parti socialiste auquel j'appartiens, un débat s'est engagé pour savoir si les 35 heures, qui sont pour nous une mesure fondamentale, devaient s'accompagner ou non d'une diminution des salaires. Nous avons fait le choix - il a été difficile de trancher - de ne pas proposer d'accompagner les 35 heures d'une diminution des salaires.
M. François d'Aubert. Vous augmentez les impôts !
M. le Premier ministre. Nous avons par là même répondu à votre interrogation. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
J'ajoute que ces 35 heures ont créé ou sauvegardé 350 000 emplois dans le pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...
M. Jean-Michel Ferrand. Ce n'est pas vrai !
M. le Premier ministre. ... et qu'elles donnent du temps libre supplémentaire aux hommes et aux femmes du travail en France. Il s'agit donc d'une mesure essentielle. Je le constate, contrairement à ce qu'on nous disait en 1997, quand nous avons pris cette mesure essentielle, elle n'a en rien pénalisé l'économie française: on consomme, on investit, on produit plutôt plus qu'ailleurs et la France, est, dans l'Europe, considérée comme une locomotive. (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Jean-Michel Ferrand. Ce n'est pas vrai !
M. le Premier ministre. Si des accords de modération salariale ont été signés librement par des organisations syndicales dans telle ou telle entreprise, il y va de la responsabilité des partenaires sociaux et ce n'est en rien une politique que recommanderait le Gouvernement.
Nous souhaitons une revalorisation raisonnable des salaires. D'ailleurs, nous avons à nous poser la question pour ce qui concerne la fonction publique.
L'histoire nous a appris que, lorsque le nombre des chômeurs diminue d'un million dans un pays, lorsque donc la peur du chômage s'atténue, c'est que le rapport de force entre les salariés et les chefs d'entreprise se modifie favorablement au service du monde du travail. Cela devrait à terme peser en faveur de la revalorisation des salaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Je veux bien, mesdames et messieurs les députés, que vous nous appeliez à réduire les dépenses publiques. Mais, budget après budget, je constate que ce sont toujours des augmentations de dépenses que vous préconisez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Jean-Michel Ferrand. Continuez comme ça !
Mme Marie-Thérèse Boisseau. Il est à court d'arguments !
M. le Premier ministre. L'Etat serait peu efficace ? Je vous rappelle que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministre de la fonction publique ont engagé des réformes importantes.
L'Assemblée nationale, et notamment M. Migaud et M. le président de l'Assemblée nationale lui-même, vous ont proposé d'engager avec nous une réforme essentielle, celle de notre procédure budgétaire par la révision de l'ordonnance organique de 1959. Nous verrons bien à cette occasion si vous êtes d'accord avec nous pour moderniser l'Etat.
Quand nous pouvons travailler ensemble, travaillons ensemble ! Quand nous avons des différences, confrontons-les ! C'est ce que je fais devant vous et c'est ce que je vous appelle à faire, tout en étant capable de proposer autant que vous critiquez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Données clés

Auteur : M. Pierre Méhaignerie

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Emploi

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 29 mars 2001

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