emploi et activité
Question de :
M. Jean-Pierre Chevènement
Territoire-de-Belfort (2e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert
Question posée en séance, et publiée le 5 avril 2001
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour le groupe RCV.
M. Jean-Pierre Chevènement. En l'absence de M. le Premier ministre, ma question s'adressera à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne veux pas revenir sur l'hostilité croissante que suscite dans l'opinion publique la multiplication de plans sociaux mis en oeuvre par des entreprises largement bénéficiaires comme Alstom, Danone ou Marks & Spencer.
M. Eric Doligé. L'Humanité aussi !
M. Jean-Pierre Chevènement. L'opinion publique comprend bien qu'est en cause la domination de tous les secteurs d'activité par les exigences exorbitantes des marchés financiers. Or, monsieur le ministre, rien, dans l'état actuel du droit, ne peut empêcher une entreprise de procéder à un licenciement collectif. Rien ne le permet dans le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques, ce qui - je le rappelle au passage - explique le vote des députés du Mouvement des citoyens. Un simple signalement au procureur de la République ne peut remettre en cause un plan de licenciements. Le fait de renvoyer au juge l'examen du contenu d'un plan social est en effet très largement illusoire, car les juridictions ne sont pas équipées pour valider ou non une stratégie industrielle.
Ce matin, M. le Premier ministre a déclaré, dans une interview à la presse régionale, que nous devions mener une politique économique et sociale adaptée à un monde ouvert. Cela veut-il dire que le Gouvernement entend borner son intervention à l'obligation préalable de consultation des comités d'entreprise ou de l'application des 35 heures et renvoyer aux tribunaux le soin de la faire respecter ? Ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il serait utile, à l'occasion de la loi sur la modernisation des relations sociales, de renchérir fortement le coût des licenciements pour les entreprises bénéficiaires, comme le suggère d'ailleurs le député Eric Besson ?
Au-delà, enfin - et c'est la question que je vous pose plus particulièrement - ne faut-il pas prévoir une auto saisine gouvernementale quand un intérêt national est en jeu ? Pour me faire bien comprendre, je vais prendre l'exemple d'Alstom à Belfort. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Les alternateurs qui y étaient fabriqués le sont désormais à Mannheim, en Allemagne, et aucun investissement supérieur à 50 000 euros ne peut y être réalisé sans l'autorisation de la direction de Mannheim. Or cette fabrication est au coeur de la filière énergétique, car on ne peut pas produire d'électricité sans machines électriques. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Le Gouvernement est-il prêt à utiliser tous les moyens de pression dont il dispose, Alstom dépendant du soutien des pouvoirs publics à l'exportation, du partenariat d'EDF, des commandes de frégates militaires aux chantiers de l'Atlantique ?
J'ai lu dans la presse que M. Balladur avait déclaré que si l'on établissait ce droit à l'intervention de la puissance publique, les entreprises ne créeraient plus d'emplois. A cet égard, je fais simplement observer qu'il n'en a pas toujours été ainsi puisque, depuis trop d'années, les gouvernements successifs ont accepté et intériorisé les règles de la mondialisation libérale, se condamnant ainsi à l'impuissance, ce que comprennent malheureusement les électeurs.
J'aimerais, monsieur le ministre, que vous écoutiez plus Jean-Pierre Chevènement et les Français (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) qu'Edouard Balladur et les milieux d'affaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, je vous écoute toujours avec beaucoup d'intérêt,...
M. Thierry Mariani. A tort !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... ayant été votre collègue, ayant dirigé un gouvernement auquel vous participiez, et faisant désormais partie de la même majorité plurielle. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Vous posez une question particulière, celle d'Alstom, très intéressante, et une question plus générale, également très importante.
Pour Alstom, nous avons eu l'occasion, M. Pierret et moi-même, saisis par vous-même ainsi que par le président Forni (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), de faire passer d'une façon extrêmement nette nos messages à l'entreprise. Nous sommes prêts à recommencer et vous savez que je suis à votre disposition.
D'ores et déjà, grâce à l'effort des uns et des autres, grâce à la pression syndicale, grâce à la mobilisation de la population, le site, malgré les difficultés, a été préservé, et beaucoup d'emplois ont heureusement pu être sauvés, même s'il a fallu déplorer des pertes en ligne.
Cela étant je ne veux pas esquiver le fonds de votre question qui demande comment on peut agir face aux licenciements.
A cet égard, vous souhaitez le rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement, supprimée en 1986, avec, à l'époque, l'aval de la plupart des organisations syndicales. Mme Guigou les a donc consultées à ce sujet et elles ne se sont pas déclarées favorables au rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement.
M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Elles estiment que la procédure judiciaire, malgré ses limites et ses délais, que vous avez cités à juste titre,...
M. Georges Sarre. Il n'en n'a pas parlé !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... ouvre des possibilités, notamment grâce à une jurisprudence audacieuse, nouvelle, intéressante de la Cour de cassation. Le juge a en effet la possibilité, monsieur le député, de refuser les licenciements demandés.
Il doit ainsi veiller à ce que les consultations soient faites correctement ; il doit veiller au bien-fondé économique de la décision prise ; il doit veiller à ce que les propositions sociales et de réalisées soient effectivement réalisées. Si tel n'est pas le cas, le juge a la possibilité et même le devoir d'annuler.
Dans le cas précis que vous avez cité et qui est présent à l'esprit de chacune et chacun d'entre nous, Marks & Spencer, je voudrais être tout à fait précis.
Des instances ont été déposées par les syndicats, et le Gouvernement soutient leur position et celle des salariés, non seulement pour une question de forme mais aussi sur le fond. En effet, nous estimons inqualifiable, inacceptable - c'est-à-dire qu'elle ne doit pas être acceptée - la décision de Marks & Spencer de supprimer ses installations en France ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Jean-Michel Ferrand. Baratin !
M. Thierry Mariani. Qu'allez-vous donc faire ?
M. Jean-Paul Charié. Des mots !
M. le président. Monsieur Ferrand, vous ne pouvez pas être compétent en tout, tout de même ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la République française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Poursuivez, monsieur le ministre.
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'ajoute, monsieur le député, que j'ai, comme vous, étudié attentivement les faits et que j'ai, comme vous l'avez peut-être fait également, regardé à la télévision une interview scandaleuse de l'un des dirigeants internationaux de l'entreprise. A la question de savoir si les procédures avaient été respectées et si la concertation avait été réalisée dans les délais, ce dernier a répondu par l'affirmative. Et quand le journaliste, qui faisait bien son travail, lui a demandé combien de temps s'était écoulé entre la saisine du comité central d'entreprise et l'information des salariés, il a répondu : « Vingt minutes » !
Quand on entend cela, monsieur le député, on ne peut que se dire que ces procédures et le fond de cette décision sont inqualifiables, inacceptables. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Thierry Mariani. C'est du vent, vous ne faites rien !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ces vingt minutes correspondent sans doute à ce qui sépare ceux qui sont dans cette majorité de ceux qui sont de l'autre côté. (Vives protestations puis huées sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
En effet nous estimons, nous, qu'une société qui réalise des bénéfices ne peut pas - c'est la réalité du droit français - se comporter ainsi. Quelles que soient les vociférations, nous ne changerons pas d'attitude sur ce point ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Auteur : M. Jean-Pierre Chevènement
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Entreprises
Ministère interrogé : économie
Ministère répondant : économie
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 5 avril 2001