Question au Gouvernement n° 2708 :
crimes et délits

11e Législature

Question de : M. Alain Tourret
Calvados (6e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert

Question posée en séance, et publiée le 18 avril 2001

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe RCV.
Soyez bref, monsieur Tourret, comme sait l'être un bon avocat.
M. Alain Tourret. Madame la garde des sceaux, le week-end de Pâques aura marqué un tournant décisif dans l'affaire Dickinson, cette petite fille violée et assassinée en juillet 1996 à Pleine-Fougères. Il faut tout d'abord remarquer le travail méticuleux des magistrats, gendarmes et policiers. L'ADN a livré son verdict, a désigné un suspect. Il faut rappeler qu'un premier suspect avait été arrêté et avait avoué, au cours de son interrogatoire, avoir assassiné la jeune fille, jusqu'à ce qu'il soit disculpé par les recherches ADN, ce qui démontre une fois encore - comme dans une autre affaire que vous connaissez bien, celle de Seznec - la fragilité des aveux. L'ADN est donc devenu la reine des preuves, le meilleur auxiliaire de la justice en matière criminelle. Véritable code-barre génétique, il s'extrait d'un cheveu, de la salive ou du sperme.
Encore faut-il que la justice possède un registre d'ADN. Or nous avons voté ce principe il y a plus de trois années. D'où ma question: pourquoi un tel registre des délinquants sexuels n'est-il toujours pas créé et mis à jour ? Il aurait peut-être permis l'arrestation de Guy Georges, l'assassin de l'Est parisien, et épargné les vies de deux jeunes filles. Comptez-vous enfin saisir vos collègues européens pour qu'ils s'associent à cette mémoire indispensable à la justice, source de vérité pour les innocents, source de sanction pour les criminels ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, c'est effectivement grâce à l'ADN que nous pouvons être aujourd'hui témoins de la deuxième émotion de la famille de Caroline, qui sait enfin que l'assassin est arrêté et qu'il cessera cette horrible série - parce qu'il a sans doute, lui aussi, de nombreux crimes derrière lui. Qu'avons-nous fait depuis le vote de la loi en juin 1998 ? D'abord, je vous rassure, le fichier est effectif. Toute agression sexuelle, tout crime avec actes de barbarie, avec tortures, tout crime d'enfant entraîne aujourd'hui le relevé de l'empreinte ADN. Simplement, ces relevés sont gardés par les magistrats concernés et ne sont centralisés que depuis quelques jours, puisque c'est dans le Journal officiel du 7 avril qu'est parue la nomination de M. Denys Millet comme coordinateur du comité de pilotage qui regroupe des représentants du ministère de l'intérieur, du ministère de la défense et du ministère de la justice. Ce fichier pourra ainsi être géré avec beaucoup de soin, ce qui est important parce qu'il ne faut pas en faire n'importe quoi; il faut savoir bien l'utiliser. L'ensemble des magistrats comme l'ensemble des enquêteurs de notre pays ont le droit de demander à un autre magistrat, où qu'il soit sur le territoire, de confronter des empreintes ADN données avec celles déjà stockées. Le système est donc déjà efficace. C'est d'ailleurs pourquoi un magistrat faisait récemment état de son sentiment de profond regret concernant les derniers assassinats commis par Guy Georges.
Pour ce qui est de l'Europe, nous avons déjà l'espace informatique Schengen. Nous avons également installé, après Europol, Eurojust, qui est une cellule forte, composée à la fois d'officiers de police et de magistrats, qui sont regroupés pour pouvoir répondre aux questions que vous posez. Nous leur avons demandé de gérer la mise en contact des fichiers nationaux. Pour l'instant, cela se fait bilatéralement, de pays à pays, via les magistrats de liaison. Pourquoi ? Parce que nous ne nous sommes pas encore mis d'accord pour que tout le monde adopte la même façon de prélever les empreintes. Vous savez combien tout cela est fragile et peut aussi conduire, parfois, à des erreurs.
Je souligne qu'Eurojust s'est saisie de ce dossier en en faisant une priorité, et nous rendra ses conclusions dès le mois de juillet. L'ensemble des ministres de la justice d'Europe et, je crois, des grandes démocraties, sont d'accord pour croiser ce type d'information. Je remercie tous les hommes de Pleine-Fougères, qui ont bien voulu se prêter à cette expérience rendant possible l'analyse ADN. Nous avons ainsi ouvert un grand débat en France, qu'il ne faudra pas refermer. Il faut avoir le courage d'aller jusqu'au bout. Après les empreintes digitales que nous avons tous été d'accord pour donner, sommes-nous tous d'accord pour donner nos empreintes génétiques, même si dans les lois de bioéthique que vous avez si magnifiquement votées en 1994, vous avez dit que c'était une atteinte à l'intégrité physique ? Je ne crois pas que nous puissions refermer ce dossier, même si nous sommes d'ores et déjà efficaces. Ensemble, avec la représentation nationale, allons jusqu'au bout du raisonnement en conciliant droit des personnes et libertés publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Alain Tourret

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Droit pénal

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 18 avril 2001

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