armée
Question de :
M. Jacques Desallangre
Aisne (4e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert
Question posée en séance, et publiée le 17 mai 2001
M. le président. La parole est à M. Jacques Desallangre, pour le groupe RCV.
M. Jacques Desallangre. Monsieur le Premier ministre, depuis que des collègues du groupe communiste ont souhaité la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire sur la torture en Algérie, le débat est nourri, contradictoire, passionné, passionnel. Confessions et accusations se succèdent, faisant perdre chaque jour un peu plus de la sérénité qu'aurait sans doute préservée la mission historique que vous souhaitiez.
Alors que tel général avoue avoir torturé et s'en repent, que tel autre s'en vante cyniquement, les soldats du contingent d'il y a quarante-cinq ans sont pris dans la tourmente. Eux à qui on a confisqué vingt, vingt-quatre, trente mois de leur jeunesse sont aujourd'hui accusés en bloc d'avoir été des tortionnaires. Leur détresse est grande. J'en veux pour preuve poignante ce témoignage d'un de mes concitoyens, bouleversé d'entendre sa petite fille de treize ans lui demander: «Pépé, c'est vrai que tu as été un tortionnaire ?»
M. Jean-Claude Abrioux. Ce sont des injures !
M. Jacques Desallangre. Sont-ils condamnés à l'indignité pour avoir livré cette guerre reconnue si tard, même s'ils étaient nombreux à s'interroger alors sur la justification du combat qu'on leur imposait, comme ils s'interrogent aujourd'hui sur ce que nous pouvons et devons faire pour aider les forces de modernisation en Algérie ?
M. Jean-Claude Abrioux. Provocateur !
M. Jacques Desallangre. Aujourd'hui, ils ne supportent plus qu'au sacrifice de belles années de leur jeunesse s'ajoute la menace de voir ternir leur honneur.
M. Jean Bardet. C'était Mitterrand qui était au pouvoir à l'époque !
M. Jacques Desallangre. Ceux qui ne suivirent pas les généraux factieux, parce qu'ils étaient restés fidèles à la République, ont droit qu'on défende leur honneur. Qu'on condamne la guerre, qu'on condamne la torture, ceux qui l'ont permise, ceux qui l'ont instituée, ...
M. Lucien Degauchy et M. Christian Bergelin. C'est Mitterrand qui l'a permise !
M. Jacques Desallangre. ... mais que, par un geste significatif et, avec des mots forts, on dise à la nation, que les modestes appelés d'hier n'ont pas à répondre aujourd'hui de crimes qu'ils n'ont pas commis.
Monsieur le Premier ministre, quel message souhaitez-vous adresser à ces milliers de Français dans le désarroi ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, je comprends l'émotion que vous exprimez et le message que vous voulez nous adresser à tous, au nom d'hommes dont la jeunesse a été si difficile.
M. Guy Teissier. Par qui étaient-ils envoyés ? C'étaient des soldats de la France !
M. le Premier ministre. La guerre d'Algérie a été longue, déchirante et cruelle.
Longue, parce qu'elle a duré huit ans, de l'insurrection de novembre 1954 aux accords d'Evian de mars 1962.
Déchirante, parce qu'elle a opposé, d'un côté, l'aspiration à l'indépendance, la volonté d'un peuple de créer une nation nouvelle, et, de l'autre, l'attachement d'hommes et de femmes nombreux à une conception traditionnelle de la France, voire, pour bien d'autres, plus d'un million, qui vivaient en Algérie, l'attachement profond à une terre qu'ils jugeaient, eux aussi, la leur.
Les plus lucides ont préconisé, à cette époque, le dialogue, une démarche de paix, des évolutions pour une solution politique, puis, enfin, l'indépendance.
M. Jean Bardet. Le plus lucide, c'était de Gaulle !
M. le Premier ministre. Longtemps ils n'ont pas été entendus par l'opinion ni par les responsables politiques de toutes tendances.
Cette guerre a aussi été cruelle. Les victimes ont été nombreuses, les souffrances ont été profondes. Elles ont marqué une génération et c'est cela que votre assemblée, unanime, a, sur proposition de la majorité, voulu reconnaître en acceptant enfin de désigner comme guerre ce que l'on appelait jusqu'alors «les événements d'Algérie» ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Oui, des actes inhumains et barbares ont été commis, et des deux côtés, même si chaque champ, trop longtemps, a eu tendance à nier ceux qui lui étaient imputables. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
M. Franck Dhersin et M. Guy Teissier. Très bien !
M. le Premier ministre. Ces actes, je tiens à le dire, nous ne les découvrons pas aujourd'hui; l'actualité ravive le traumatisme, notamment pour ceux au nom de qui vous avez parlé, mais elle ne le crée pas. Beaucoup de ces faits étaient connus en leur temps ou ont été révélés plus tard. Ils furent dénoncés, avant comme après 1958, par des consciences intransigeantes...
M. Jean Bardet. Comme Mitterrand ?
M. le Premier ministre. ... et des témoins courageux, à l'époque critiqués et parfois même poursuivis. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Aujourd'hui, le moins que l'on puisse faire, c'est de permettre que l'histoire de cette guerre terrible soit écrite librement - et j'ai aidé, par la circulaire envoyée au nom du Gouvernement, à ce qu'il en soit ainsi -, c'est de condamner sans réserve les actes inhumains qui ont été commis, c'est que la justice passe si elle peut encore le faire.
Mais, comme vous, monsieur le député, je pense aux acteurs engagés dans ce conflit et je veux leur adresser un message. N'ont pas à se sentir coupables les soldats du contingent, rappelés ou appelés, qui, dans la fleur de la jeunesse, pendant plus de trente mois pour certains d'entre eux, ont été mêlés à cette guerre que souvent ils ne voulaient pas. N'ont pas à se sentir coupables les officiers et les soldats de carrière qui ont fait leur devoir avec honneur.
M. Hervé Morin. Heureusement !
M. Olivier de Chazeaux. Il est temps de le reconnaître !
M. le Premier ministre. N'ont pas à se sentir coupables les militaires de carrière et les soldats du contingent qui, loyaux à la République, ont contribué à l'échec du putsch du 22 avril 1961. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
A tous ceux-là, comme je l'ai annoncé récemment, un hommage sera rendu à travers un mémorial.
Ceux qui ont accompli des actes barbares et inhumains, non conformes à l'honneur, doivent être stigmatisés. Tous les autres, qui ont simplement fait leur devoir, ne doivent en rien être confondus avec les tortionnaires et méritent, quarante ans après, d'être salués. Je les salue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert).
M. Emile Blessig et M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !
Auteur : M. Jacques Desallangre
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Défense
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 17 mai 2001