peines
Question de :
M. Henri Plagnol
Val-de-Marne (1re circonscription) - Union pour la démocratie française-Alliance
Question posée en séance, et publiée le 23 mai 2001
M. le président. La parole est à M. Henri Plagnol, pour le groupe UDF.
M. Henri Plagnol. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre, et je la pose au nom des trois groupes de l'opposition. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Monsieur le Premier ministre, à la suite de l'augmentation malheureusement très forte des chiffres de la délinquance, vous avez vous-même admis qu'il fallait faire de l'amélioration de la sécurité des Français au quotidien une priorité absolue. Or vous conviendrez qu'il ne peut pas y avoir une quelconque amélioration de la sécurité dans notre pays si la justice n'est pas en mesure de réprimer les crimes et délits conformément à la loi.
La certitude de la sanction est le fondement de toute politique pénale et de toute politique de prévention de la délinquance. Or, fait sans précédent - et je voudrais connaître votre réaction à ce sujet -, l'Union syndicale des magistrats, l'USM, après une enquête statistique que personne ne conteste, a déclaré que plus de la moitié des condamnations à la prison ferme ne sont pas exécutées, dont 30 % sans explication valable.
L'Union syndicale des magistrats ajoute qu'il est fréquent que le simple changement d'adresse d'un prévenu, entre le moment où il a été condamné en première instance et le moment où il fait appel, lui permet de s'évader dans la nature. «En pratique, dit le président de l'USM, il a de bonnes chances de rester libre.» Il ajoute: «La machine pénale tourne à vide et les tribunaux débitent des décisions dont seule une faible partie est exécutée.»
Monsieur le Premier ministre, face à cette interpellation sans précédent, n'estimez-vous pas qu'il est de la responsabilité du Gouvernement et du législateur, au-delà des clivages politiques, de faire des choix de politique pénale cohérents pour éviter un sentiment d'impunité des délinquants et la crise de confiance de nos concitoyens envers la justice, car ils ont de plus en plus le sentiment qu'elle relève plus du hasard que de l'équité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je suis ravie que vous ayez posé cette question car, depuis vendredi, je n'ai pas eu l'occasion de commenter cette déclaration sous forme de communiqué de l'USM, le syndicat majoritaire de la magistrature.
Je crois d'ailleurs que, dans le communiqué lui-même, qui est beaucoup plus long que ce qui est paru, quelques nuances apparaissent. Cependant, cela ne servira pas de prétexte au Gouvernement pour fuir ses responsabilités. Je vais donc essayer de répondre de manière aussi précise que possible.
D'abord je conteste une grande partie des chiffres donnés. En effet le taux annoncé a été mesuré en rapportant le nombre de condamnations à celui des personnes incarcérés. Or, malheureusement, beaucoup de personnes incarcérés dans notre pays ont été frappées de plusieurs condamnations car il y a beaucoup de récidivistes. En fait le taux réel d'exécution doit se situer entre 70 et 80 %. Je ne peux être plus précise, ce qui démontre que, avec Daniel Vaillant, nous avons besoin de mettre en place des outils statistiques communs.
Cela étant, même si je sais que les échéances électorales syndicales sont toujours des occasions de sortir des chiffres plus aisément que d'habitude, je suis surprise qu'un syndicat qui, dans son pays, représente les magistrats, mette en cause le rôle du service de l'exécution des peines, le parquet et le juge d'application des peines.
En effet ce dernier, saisi après l'audience de tout dossier lorsque la peine prononcée est inférieure à un an, a un droit d'appréciation que nul ne saurait lui contester, surtout pas le Parlement. Il est donc vrai que pour des peines très courtes, - de quinze jours à un mois -, le juge d'application des peines estime souvent, dans le contexte d'une primo-délinquance par exemple, qu'il est préférable d'envisager une autre solution que l'incarcération. C'est son droit et j'ajoute, pour répondre aux magistrats, que ses décisions sont toujours susceptibles de recours.
Vous avez également évoqué le problème réel de la disposition de délinquants condamnés à quelques semaines d'incarcération et ne pouvant pas être arrêtés sur place. Il est difficile de connaître les chiffres mais, avec Daniel Vaillant pour la police et Alain Richard pour la gendarmerie, nous allons croiser nos fichiers pour avoir une vision plus juste de la situation.
Il convient de remédier à ces carences car il est exact qu'elles favorisent le développement d'un sentiment d'impunité. J'en ai discuté récemment avec le Premier ministre.
En tout cas, il faut éviter d'asséner des chiffres comme cela, sans autre forme de réflexion et d'étude, en laissant croire que ce serait presque volontairement qu'on laisserait des personnes dangereuses impunies. Notre objectif est d'apporter une réponse pénale adaptée à chaque cas. Ainsi, ne confondons pas les amendes non recouvrées et les peines d'incarcération non exécutées.
M. Yves Nicolin. Ce n'est pas une réponse.
Mme la garde des sceaux. Je m'engage à prendre rendez-vous avec la commission des lois pour aller au fond de ce sujet. Nous devons sortir de ce problème par le haut au nom d'une République ambitieuse qui veut réprimer, mais en évitant toute caricature. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe communiste et du groupe Radical Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Henri Plagnol
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Droit pénal
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 23 mai 2001