Question au Gouvernement n° 2847 :
Premier ministre

11e Législature

Question de : M. François Goulard
Morbihan (1re circonscription) - Démocratie libérale et indépendants

Question posée en séance, et publiée le 6 juin 2001

M. le président. La parole est à M. François Goulard, pour le groupe DL.
M. François Goulard. Monsieur le Premier ministre, les questions que nous posons au cours des séances de questions d'actualité et les réponses que vous y apportez ont pour objet d'éclairer la représentation nationale et, à travers elle, l'ensemble des Français.
Mme Odette Grzegrzulka. Restez modeste !
M. François Goulard. Aujourd'hui, dans cet hémicycle, dans les tribunes de la presse, il est une question que chacun se pose depuis la parution, tout à l'heure, d'un grand quotidien qui titre: «Le secret politique de Lionel Jospin». (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Mes chers collègues, le Premier ministre répondra !
M. le président. N'interrompez pas M. Goulard, je vous en prie !
M. Jean-Pierre Pernot. C'est lamentable !
M. le président. Monsieur Pernot, du calme !
M. François Goulard. Ce journal, monsieur le Premier ministre, fait état de votre appartenance, jusqu'en 1971, à l'Organisation communiste internationaliste, mouvement trotskiste révolutionnaire.
M. Francis Hammel. Qu'est-ce que ça peut faire !
M. François Goulard. Ce journal fait état de relations que vous auriez entretenues avec cette organisation révolutionnaire jusqu'en 1981, tout en étant membre du parti socialiste. («Quelle horreur !» et rires sur les bancs du groupe socialiste.)
J'ajoute que cet engagement, s'il est réel, n'était pas un engagement de jeunesse. C'était un engagement de l'âge mûr. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Cette appartenance, monsieur le Premier ministre, vous l'avez toujours niée.
Aujourd'hui, les circonstances m'amènent à vous demander si les faits relatés par ce journal sont exacts et, si oui, pour quelle raison vous les avez jusqu'à présent dissimulés ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Plusieurs députés du groupe socialiste. Ca ne mérite pas de réponse !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, puisque vous m'interpellez publiquement, je vais me faire un plaisir de vous répondre.
Il est vrai que, dans les années 60, j'ai marqué de l'intérêt pour les idées trotskistes et que j'ai noué des relations avec l'une des formations de ce mouvement. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Il s'agit là d'un itinéraire personnel, intellectuel et politique, dont je n'ai en rien à - si c'est le mot qui convient - rougir. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
J'ai déjà eu l'occasion de dire, dans plusieurs déclarations, que j'étais un enfant de Suez et de Budapest. C'était façon de marquer que, en cette époque des années 60, très différente de celle que nous connaissons maintenant, deux éléments ont été essentiels dans mon mûrissement politique et dans mon engagement: l'anticolonialisme et l'antistalinisme. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste.)
Je me suis engagé fermement en faveur de l'évolution, notamment en Algérie - tout le monde ne peut pas en dire autant, même aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) - et j'ai trouvé, dans les idées trotskistes, ce que j'appellerai une amorce des thèmes antitotalitaristes qui ont fait florès plus tard. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Je veux rappeler aussi que, dans cette période très idéologique, le parti communiste n'était pas ce qu'il est et le nouveau parti socialiste n'était pas encore formé. Je n'ai donc, par rapport à cette pensée, ces engagements, qui ont relevé de rencontres intellectuelles, de conversations privées, à formuler ni regrets ni excuses.
Mme Yvette Roudy. Très bien !
M. le Premier ministre. J'ai rencontré, dans ces contacts, quelques hommes remarquables et cela a contribué à ma formation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Mme Yvette Roudy. Exactement !
M. le Premier ministre. Se pose une deuxième question: pourquoi n'en ai-je pas parlé plus tôt ? («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Eh bien, honnêtement, mesdames, messieurs, les députés, parce que je croyais que cela n'intéressait personne. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Mme Yvette Roudy. Absolument !
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Vous avez donc menti ?
M. le Premier ministre. D'ailleurs, je crois que cela ne passionne toujours pas, même si je trouve légitimes les interpellations ou les enquêtes menées par certains journaux - je ne les conteste pas.
M. Jean-Louis Debré. Pourquoi avoir menti ?
M. le Premier ministre. J'ai toujours considéré que ce qui relevait des idées, des opinions, du libre débat, dès lors qu'il ne s'agissait pas d'un engagement public, relevait de la liberté d'opinion. Or, que je sache, il n'existe pas de délit d'opinion en démocratie. Donc, je ne voyais pas pourquoi j'aurais eu à en rendre compte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Enfin, mon engagement dans le parti socialiste depuis maintenant trente ans - nous fêterons cela bientôt ! - a été un engagement de nature différente. Il a été constamment public. Il s'est appuyé sur des écrits, des déclarations, des interviews, des débats politiques, souvent avec vous et parfois contre vous. Il a relevé aussi de mon engagement dans les confrontations électorales. Je l'ai toujours assumé publiquement. J'en ai rendu compte aux militants comme à l'opinion. C'est ainsi que j'ai été successivement un responsable du parti socialiste, puis son premier secrétaire. C'est aussi en son nom que j'ai été choisi comme ministre de l'éducation nationale. C'est encore à l'issue d'une victoire de la gauche pour laquelle le parti socialiste avait joué un rôle essentiel que je suis devenu Premier ministre. Eh bien, je pense que ce qui est important aujourd'hui, c'est ce que j'ai fait depuis quatre ans et c'est peut-être aussi ce que nous ferons ensemble. J'invite chacun, sur tout sujet, à donner sa vérité. (Applaudissements vifs et prolongés sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste.)

Données clés

Auteur : M. François Goulard

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Etat

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 6 juin 2001

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