institutions communautaires
Question de :
Mme Marie-Hélène Aubert
Eure-et-Loir (4e circonscription) - Radical, Citoyen et Vert
Question posée en séance, et publiée le 21 juin 2001
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert, pour le groupe RCV.
Mme Marie-Hélène Aubert. Ma question s'adresse à Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.
Le rejet du traité de Nice au début du mois par les Irlandais et, à Göteborg la semaine dernière, le spectacle de responsables européens discutant de la construction européenne dans un camp retranché, alors que la «société civile», une fois de plus, exprimait bruyamment sa contestation et ses inquiétudes légitimes (Murmures sur plusieurs bancs du groupe socialiste), voilà qui offre de l'Europe une image surréaliste et inquiétante. Sans parler de l'action calamiteuse de la police suédoise qui, débordée, n'a su ni contenir les casseurs ni respecter les manifestants, tirant même à balles réelles.
Faudra-t-il désormais organiser les sommets des grands de ce monde dans une station orbitale ou dans un bunker à un kilomètre dans le sous-sol pour être sûr de ne plus entrendre le bruit de la rue ? (Exclamations sur divers bancs.)
C'est que le discours de l'Europe sur elle-même est devenu indéchiffrable par l'opinion: alors que nos concitoyens voudraient voir l'Europe servir de digue contre les vagues de licenciements et la précarité du travail, alors qu'ils voudraient une Europe à l'agriculture et aux campagnes vivantes, préservant aussi bien les producteurs que les consommateurs, alors qu'ils s'épanouiraient dans une Europe sociale et solidaire, ouverte à l'Est et au Sud, on brandit en permanence le dogme de la compétitivité ultra-libérale et du commerce extérieur érigé en panacée.
C'est de démocratie, de solidarité et d'écologie que veulent discuter nos concitoyens réunis dans un mouvement dénommé à tort «antimondialisation».
Il s'agit de faire de l'Union européenne une communauté politique à visage humain, apte à faire barrage à une forme de mondialisation - et non pas à «la» mondialisation - impitoyable pour les plus démunis et pour l'équilibre écologique de la planète. Sinon, l'Europe ne sera qu'une zone de libre-échange banalisée, se contentant de ratifier les accords ultralibéraux sortis du chapeau de l'Organisation mondiale du commerce.
M. Jacques Desallangre. Eh oui !
Mme Marie-Hélène Aubert. Ma question est donc la suivante: qu'entend faire le Gouvernement pour ranimer le débat européen, plombé par le médiocre traité de Nice, et enfin oser le dialogue avec la société civile ?
M. Jacques Desallangre. Très bien !
Mme Marie-Hélène Aubert. Plus précisément, quelles mesures entend-il prendre pour lancer la convention constitutionnelle dont Lionel Jospin a soutenu le principe - de même que Jacques Delors, hier en soulignant l'intérêt de ce débat -, seule à même d'ouvrir un large débat et de sortir les sommets européens de leur bulle hermétique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Madame la députée, je crois qu'il faut distinguer la question irlandaise du reste. Les électeurs irlandais qui ont rejeté le traité de Nice l'ont fait parce qu'ils estimaient qu'il allait trop loin...
M. Jacques Myard. Vive l'Irlande !.
M. le ministre des affaires étrangères. ... mai ce n'est pas notre avis. En tout cas, cela n'a rien à voir avec les manifestations qui se développent contre toutes les réunions.
Il faut de ce point de vue isoler le problème des casseurs, qui doit être traité par les ministres de l'intérieur et les forces de police de façon démocratique, moderne, efficace et dissuasive. Des progrès restent certainement à accomplir. En tout cas, il ne faut pas que ces casseurs finissent par couvrir le message que les manifestants «normaux» veulent émettre. Et c'est à ceux-là que je veux m'intéresser un instant, parce que c'est d'eux que vous parlez.
Nous sommes dans le cadre d'un dialogue politique normal, mais je crois qu'une partie de ces manifestants se trompent de cible. La liberté de manifestation existe, Dieu merci !, mais je trouve paradoxal qu'à Seattle - je cite cette réunion parce que c'était la première qui a suscité ce type de réaction -, les manifestants, théoriquement opposés à la mondialisation, aient contribué à empêcher une réunion qui avait précisément pour objet de faire entrer dans les négociations de l'Organisation mondiale du commerce des critères sociaux et d'environnement. Ce n'est pas uniquement à cause d'eux que la réunion n'a pas abouti, mais ils ne devraient pas s'en vanter et devraient même le regretter. Je relève dans cette démarche une sorte de contresens.
A Göteborg, les manifestants s'exprimaient contre la mondialisation au moment même où le Conseil européen consacrait une après-midi entière au développement durable. Je pense que les manifestants opposés à la mondialisation devraient affiner leur diagnostic, rechercher des lieux plus propices à leur démarche et ne pas manifester systématiquement là où l'on tente d'organiser, de réguler, de civiliser ou d'humaniser la mondialisation. Qu'ils aillent s'exprimer là où la mondialisation prend forme, même si je sais qu'elle est impalpable et apparaît en maints endroits. En tout cas, ils feraient mieux de manifester pour soutenir la France quand, par exemple, dans les conseils européens, nous nous battons pour les services publics ou pour la régulation. Existe-t-il un pays au monde qui fasse aujourd'hui plus de propositions que le nôtre pour faire progresser la régulation ?
Si leur démarche est bien celle-là, qu'ils nous soutiennent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Charles Erhmann. Très bien !
Auteur : Mme Marie-Hélène Aubert
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Union européenne
Ministère interrogé : affaires étrangères
Ministère répondant : affaires étrangères
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 21 juin 2001