fonctionnement
Question de :
M. Philippe Houillon
Val-d'Oise (1re circonscription) - Démocratie libérale et indépendants
Question posée en séance, et publiée le 24 octobre 2001
M. le président. Pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants, la parole est à M. Philippe Houillon.
M. Philippe Houillon. Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, en décembre 2000, la cour d'appel de Paris remettait en liberté, dans le cadre d'une nouvelle affaire criminelle dont il faisait l'objet, un récidiviste du meurtre.
M. Jean-Claude Lenoir. C'est scandaleux !
M. Philippe Houillon. Ainsi libéré, ce criminel se trouva à nouveau impliqué dans le meurtre de quatre personnes à Athis-Mons, et peut-être dans d'autres, les choses sont d'ailleurs en train de se préciser aujourd'hui même.
Dans le même temps, un policier qui s'était publiquement ému de cette décision en déclarant que ce criminel était un individu dangereux était mis en examen pour diffamation et renvoyé en correctionnelle. (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
On croit rêver !
Vous êtes ministre de la justice. Pensez-vous que c'est à cette justice-là qu'aspirent les Français ?
Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale et Indépendants. Non !
M. Philippe Houillon. En août dernier, vous vous félicitiez de la mise en oeuvre de la loi Guigou renforçant la protection de la présomption d'innocence.
M. Jean-Claude Lenoir. Scandaleux !
M. Philippe Houillon. Aujourd'hui, vous vous défendez en expliquant qu'elle n'était pas applicable à la libération de Jean-Claude Bonnal. Or, le 30 novembre 2000, vous avez adressé une circulaire aux magistrats avec la mention « urgence signalée » leur demandant expressément, en matière de détention, « d'anticiper l'application de ces dispositions ». (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Jean-Claude Lenoir. Scandaleux !
M. Philippe Houillon. On en voit le résultat, qui ne fait malheureusement que préfigurer ce qui est susceptible de se reproduire.
Cette loi crée, pour les juges et les policiers, déjà en sous-effectif avant sa promulgation, de nouvelles contraintes qui supposent des moyens que vous ne donnez pas. Cette mauvaise équation est totalement irresponsable car vous érigez ainsi l'impunité en système de traitement courant des affaires.
M. Lucien Degauchy. Eh oui !
M. Philippe Houillon. La justice est rendue au nom du peuple français et vous êtes responsable de son bon fonctionnement. Au moins quatre personnes sont mortes parce que le laxisme s'installe dans les esprits. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Vous êtes chargée de la politique pénale !
Avant d'en arriver à mes questions, je tiens à dire que je suis choqué par les déclarations du Syndicat de la magistrature, qui est classé à gauche...
M. François Goulard. Ça, oui !
M. Philippe Houillon. ... et qui a le front de prétendre que les policiers feraient de la récupération et que le ministre de l'intérieur ferait de l'électoralisme à la faveur des quatre meurtres d'Athis-Mons.
Nous sommes solidaires avec les policiers qui manifestent aujourd'hui, et nous partageons leurs vives inquiétudes...
M. le président. Monsieur Houillon, voulez-vous poser votre question s'il vous plaît ? (Vives protestations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Franck Dhersin. Il y a tout de même eu quatre morts, monsieur le président !
M. le président. Mes chers collègues, le temps de parole est le même pour tous.
Monsieur Houillon, posez votre question, je vous prie.
M. Philippe Houillon. Monsieur le président, j'étais sur le point d'exaucer votre voeu.
Madame la ministre, à qui ou à quoi attribuez-vous la responsabilité de ce dysfonctionnement majeur ?
Avez-vous l'intention de laisser indéfiniment la justice en état d'asphyxie en lui imposant toujours de nouvelles contraintes, comme celles de la loi Guigou, sans moyens pour les assumer, sans politique pénale claire, et de laisser ainsi s'épanouir impunité, laxisme et insécurité ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Madame la ministre, savez-vous vraiment où vous allez ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la justice, garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Houillon, nous savons tous, comme vous, où nous allons. (« Pas vous ! » sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Pierre Lellouche. En tout cas, ça ne se voit pas !
Mme la garde des sceaux. C'est pourtant la vérité !
Le Premier ministre, le ministre de l'intérieur, l'ensemble des membres du Gouvernement et moi-même partageons totalement la peine des familles des victimes et celle des policiers.
M. Jean Auclair. Ce sont des larmes de crocodile !
Mme la garde des sceaux. Nous comprenons très bien la révolte des policiers qui se manifeste aujourd'hui. Mais revenons aux faits.
D'abord, la remise en liberté à laquelle vous avez fait allusion résulte d'une décision de justice prise par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris.
Ensuite, la chambre d'accusation n'a pas décidé en application de la loi sur la présomption d'innocence.
Enfin, la même chambre d'accusation, devenue depuis lors « chambre d'instruction », pouvait décider une année de détention provisoire de plus et porter celle-ci à quatre ans comme elle a le pouvoir de le faire dans les cas de criminalité organisée ou de terrorisme, par exemple.
Il en va donc de la responsabilité des magistrats.
M. Lucien Degauchy. C'est facile !
Mme la garde des sceaux. Je n'ai pas peur de répéter ici que j'ai partagé un sentiment de révolte devant les conséquences de la décision de la chambre d'accusation.
M. Pierre Lellouche. Où est la politique pénale du Gouvernement ?
Mme la garde des sceaux. On ne peut pas objecter qu'il s'est agi d'un problème de moyens...
M. Jean-Louis Debré. Si !
Mme la garde des sceaux. ... puisque le juge d'instruction avait transmis un dossier tout à fait complet. Il souhaitait disposer de deux mois de plus pour des expertises supplémentaires et ce sont les avocats qui ont déposé une demande de remise en liberté.
La décision de remise en liberté a donc bien été celle de magistrats. Il convient, et j'y reviendrai sûrement cet après-midi, de rappeler l'importance de leur responsabilité.
Monsieur Houillon, permettez-moi, puisque vous essayez de faire croire que la loi relative à la présomption d'innocence est à l'origine de la situation, de vous rappeler les propos que vous avez tenus lors de la discussion de ce texte.
Vous avez affirmé qu'il était « à l'évidence inspiré par les suggestions que l'opposition avait faites en première lecture et par les suggestions du Sénat ».
Vous avez très calmement déclaré : « Je pense aussi au relèvement des seuils de peines encourues pour la mise en détention provisoire, » - auquel la gauche, disiez-vous, s'opposait - « à l'abandon du critère de trouble à l'ordre public pour une prolongation de détention, à l'encadrement du délai raisonnable, à la création d'un recours contre les décisions en cour d'assises ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Vous avez même parlé de l'encadrement de la détention provisoire et de l'accélération des instructions.
Nous avions créé 739 postes de magistrat. Or les magistrats eux-mêmes nous disent aujourd'hui qu'il en fallait 410 pour appliquer la loi. Nous nous sommes engagés à en créer 1 200 supplémentaires.
Monsieur le député, il ne s'agit ni des moyens ni de la loi : il s'agit d'une responsabilité des magistrats. Aujourd'hui, alors que la société tout entière souffre de ce qui s'est passé, nous devons être solidaires des familles et des policiers et dire ensemble que, parfois, il y a des décisions de justice qui nous sidèrent ou nous révoltent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Auteur : M. Philippe Houillon
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 24 octobre 2001