défense
Question de :
Mme Christine Lazerges
Hérault (3e circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 19 décembre 2001
NOUVELLES FORMES D'ESCLAVAGE
M. le président. Pour le groupe socialiste, la parole est à Mme Christine Lazerges.
Mme Christine Lazerges. Madame la garde des sceaux, ma question porte sur les diverses formes de l'esclavage moderne, objet d'une mission que j'ai présidée et dont M. Alain Vidalies a été le rapporteur. Notre rapport, remis il y a quelques jours, dresse un constat extrêmement préoccupant et douloureux.
Que l'on considère l'esclavage sous la forme de l'exploitation domestique ou sous celle de l'exploitation sexuelle, une même analyse peut être faite : le phénomène est en développement et les réponses jusqu'alors apportées très largement inadaptées.
Un exemple simple : que faire d'une prostituée étrangère, souvent très jeune, brisée par des viols successifs, vendue, revendue, qui souhaite se soustraire à son réseau ? Il faut dépasser son statut d'étrangère, c'est clair : elle est le plus souvent en situation irrégulière. Il faut lui trouver un lieu d'accueil et un lieu de resocialisation. Il faut organiser, le cas échéant, son retour, assurer sa sécurité, notamment dans le cadre des procédures judiciaires auxquelles elle accepterait de participer, de coopérer. Il faut enfin que les coupables soient punis à la hauteur de leur crime, et celui-ci va bien au-delà du simple proxénétisme.
Je connais, madame la garde des sceaux, votre détermination à affronter le drame de l'esclavage moderne. Pouvez-vous nous indiquer quelles mesures le Gouvernement est décidé à prendre pour la répression des trafiquants et pour l'accueil des victimes ?
M. Claude Goasguen. Il serait temps !
Mme Christine Lazerges. Quelles mesures spécifiques envisagez-vous de prendre pour punir la traite des êtres humains ?
En résumé, quelle politique appuyée comptez-vous engager pour lutter contre ce qu'il faut bien appeler l'esclavage en France aujourd'hui ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Madame la députée, avec Alain Vidalies et tous ceux qui vous ont accompagnés dans votre mission, vous avez une fois de plus mis en lumière ce qui reste perpétuellement dans l'ombre et que l'on ne veut pas forcément voir : l'organisation criminelle en réseaux dans le domaine du proxénétisme et dans celui de l'esclavage domestique, les deux étant parfois liés : c'est ce dont étaient victimes ces jeunes filles et ces jeunes garçons que vous avez trouvés enfermés dans des maisons, tout à la fois contraints de travailler et violés, plongés dans l'horreur totale.
Face à cette horreur, il faut agir dans deux directions.
Nous devons d'abord mobiliser l'ensemble des parquets de France. Une circulaire sur le proxénétisme était en préparation, mais nous avons voulu attendre, et nous avons eu raison, les résultats de votre mission. Cela nous a permis d'alerter l'ensemble des procureurs généraux de France. Le but est que, dans chaque ressort, un magistrat soit spécialement chargé de ces dossiers. En effet, il est important que l'information circule entre les cours d'appel et qu'elle remonte au niveau national, afin que l'on puisse, à travers les cas découverts, déterminer les meilleurs moyens de briser ces réseaux de l'horreur.
Le problème, et vous avez raison de le souligner, est que nous manquons de véhicules législatifs ; nous devons aussi travailler à cela. D'abord en créant le délit, qui pour l'instant n'existe pas, de traite des êtres humains, en prévoyant des peines plus sévères sanctionnant le travail et l'hébergement dans des conditions contraires à la dignité de la personne - j'ai volontairement choisi une phrase sobre, quand bien même elle traduit mal les réalités -, et en rendant possible la saisie et la confiscation systématiques du patrimoine des proxénètes. C'est la raison pour laquelle, d'ores et déjà, avec les procureurs et les juges d'instruction, nous mettons en avant la possibilité du délit de blanchiment, ce qui suppose le concours de l'ensemble des services de l'Etat - services fiscaux, services des douanes, DGCCRF. L'inculpation pour blanchiment permet en effet, depuis l'entrée en vigueur de la loi sur les nouvelles régulations économiques, que vous avez votée, de confisquer l'ensemble du patrimoine de ces individus, ce qui est un excellent moyen de casser les réseaux.
Parallèlement, il faut assurer une meilleure protection des témoins, d'abord en leur accordant l'hébergement, ensuite en leur fournissant des papiers. Avec le ministre de l'intérieur, nous sommes déterminés à trouver une solution.
Il faut enfin systématiquement mener des enquêtes judiciaires dès lors qu'une personne, même majeure, a disparu dans des conditions troublantes. De nombreux cas de ce genre nous sont rapportés par les familles. Or, là encore, nous manquons de véhicules législatifs pour lancer ces enquêtes préliminaires pourtant indispensables.
Croyez bien, madame la députée, que je m'attache à préparer les textes nécessaires et que j'espère de tout coeur, avec votre assemblée, trouver le plus vite possible une solution pour que cette loi indispensable soit votée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : Mme Christine Lazerges
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Droits de l'homme et libertés publiques
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 décembre 2001