Question au Gouvernement n° 3187 :
cinéma

11e Législature

Question de : M. Jean Le Garrec
Nord (12e circonscription) - Socialiste

Question posée en séance, et publiée le 20 décembre 2001

EXCEPTION CULTURELLE FRANÇAISE

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec, pour le groupe socialiste.
M. Jean Le Garrec. « L'exception culturelle française est morte. » Telle est, madame la ministre de la culture, la déclaration de Jean-Marie Messier, président de Vivendi Universal, lequel juge archaïques les inquiétudes éprouvées par le milieu français du cinéma devant l'américanisation à grande vitesse de son groupe. Il s'agit d'une provocation calculée, d'une part, dans le choix des mots, car l'expression retenue au niveau européen est celle de « diversité culturelle » et, d'autre part, dans celui du titre du point de vue publié dans le journal Le Monde, puisqu'il s'intitule « Construire les ponts de l'après 11 septembre ». Il est tout de même scandaleux d'utiliser un événement si dramatique à des fins de simple spéculation financière ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - « Il a raison ! » sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Il est vrai que, derrière cette provocation - et vous le savez très bien, madame la ministre -, il y a un projet. Un an après sa fusion avec Universal, Vivendi a désormais pour seul objectif de renforcer sa stratégie américaine, quitte à marginaliser le groupe Canal Plus et ses activités cinématographiques en France et en Europe et, si possible, de remettre en cause, lors de la négociation de son autorisation en 2004, les obligations d'investissement de la chaîne cryptée.
Comment ne pas être inquiet alors que le principal groupe de communication en Europe concentre toutes les activités du secteur, de la production cinématographique à la diffusion télévisée, en passant par l'exploitation, par le biais de l'UGC, d'un nombre important de salles, et surtout par la possession du plus gros catalogue de films français ? Ce groupe a résolu d'endosser fermement les intentions de la major hollywoodienne !
Il y a un an, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, que j'ai l'honneur de présider, a décidé de créer une mission sur le cinéma, dont la présidence a été confiée à Marcel Rogemont, qui est très actif. Cette mission travaille depuis un an et se penche avec beaucoup de volonté et beaucoup de sérieux sur « l'accélération du mouvement de concentration capitalistique des acteurs du secteur » et sur « la survalorisation des enjeux de la concurrence au détriment de la création et de la diversité culturelle », que je soulignais dans le texte préalable à la création de la mission.
Elle rendra son rapport d'information le 20 février. Toutefois, madame la ministre, comment ne pas répondre à cette provocation qui recouvre un projet ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour préserver la vitalité, la créativité, la diversité de notre industrie cinématographique, de ses jeunes talents, particulièrement féminins, en définitive, pour lier très étroitement ce qui relève de la création à un véritable projet de société culturelle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président Le Garrec, comme vous, je comprends l'inquiétude des milieux professionnels du cinéma devant les déclarations de M. Jean-Marie Messier. Je pense d'ailleurs que ces inquiétudes sont largement partagées dans notre pays.
L'exception culturelle - ou la défense de la diversité culturelle - n'est ni une fantaisie franco-française, ni une invention des politiques, ni un archaïsme, c'est la base du soutien public à la création pour l'affranchir un peu des seules lois du marché.
M. Henri Emmanuelli. Alors, des actes !
Mme la ministre de la culture et de la communication. Je constate que c'est au moment où le cinéma français se porte bien - ce qui ne fait pas forcément plaisir à Hollywood - que le président de Vivendi dénonce un système qui non seulement fonctionne bien, mais qui fait aussi des émules dans d'autres pays européens.
Pour le présent, je m'en tiens aux engagements fermes que Vivendi et Canal Plus ont souscrits vis-à-vis du cinéma.
Il s'agit d'abord de la convention conclue avec le CSA en décembre 2000 pour cinq ans, dont le respect conditionne l'autorisation d'émettre de la chaîne.
Il s'agit ensuite de l'accord conclu avec l'ensemble de la profession cinématographique, valable jusqu'en décembre 2004. Les principales avancées de cet accord viennent d'être intégrées dans les décrets relatifs à la production qui doivent paraître en janvier, ce qui permettra d'asseoir sur le long terme les engagements de la chaîne.
Nous savons tous que le cinéma français a besoin de Canal Plus, mais je constate que cette chaîne est devenue ce qu'elle est grâce au cinéma,...
M. Edouard Landrain. Et au sport !
Mme la ministre de la culture et de la communication. ... qui lui a donné, avec le sport, sa réussite et son fonds de commerce.
A l'évidence, les centres de décision de ce grand groupe se sont aujourd'hui déplacés vers l'Ouest.
Même si Canal Plus a été, en quelque sorte, sanctuarisée au travers de la convention avec le CSA, on est en droit, comme vous le faites, de s'interroger sur son avenir et donc sur sa contribution à la production et à la diffusion du cinéma français et européen, qui sont les meilleures expressions de cette diversité culturelle que nous défendons tous.
Affirmer que l'exception culturelle française est morte est la déclaration d'un homme d'affaires français. C'est sans doute une stratégie d'entreprise. Cela pourrait être une politique, mais ce n'est assurément pas celle de notre gouvernement et de notre majorité.
M. Richard Cazenave. L'exception culturelle, c'est nous !
Mme la ministre de la culture et de la communication. J'espère que les propos de M. Messier, lequel s'adressait sans doute prioritairement à ses nouveaux partenaires américains, n'annoncent pas la volonté de ce groupe de rompre avec ses engagements formels. Nous y veillerons, tout comme nous veillons à conforter notre système d'aides avec un objectif : face à la mondialisation et aux concentrations, maintenir le pluralisme et la diversité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. Il reste seulement deux minutes pour une question du groupe RPR. Nous y reviendrons donc à la fin de la séance.
M. Richard Cazenave. Pourquoi en fin de séance ?
M. le président. Parce que c'est la règle.
M. Gilbert Meyer. Et il reste combien de temps pour le groupe socialiste ?

Données clés

Auteur : M. Jean Le Garrec

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Arts et spectacles

Ministère interrogé : culture et communication

Ministère répondant : culture et communication

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 20 décembre 2001

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