protection judiciaire
Question de :
Mme Christiane Taubira
Guyane (1re circonscription) - Radical, Citoyen et Vert
Question posée en séance, et publiée le 10 janvier 2002
LOI SUR LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira-Delannon, pour le groupe RCV.
Mme Christiane Taubira-Delannon. Madame la ministre de la justice, ainsi donc la loi sur la présomption d'innocence sera révisée. Nous le déplorons, Alain Tourret et moi-même avec quelques autres. En effet, cette loi audacieuse dans ses intentions avait rendu les procédures conformes à l'article 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen citée en préambule de la Constitution.
Il est bon que cette décision n'encourage pas ceux qui, de façon récurrente, réclament une révision de l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante, notamment lorsque des faits d'actualité mettent en cause des mineurs multiréitérents - qu'on dit, à tort, multirécidiviste - alors que cette ordonnance contient des mesures coercitives qu'on peut très raisonnablement considérer comme suffisantes.
Le Parlement vote les lois ; le Gouvernement les exécute par des politiques publiques dont les moyens sont censés correspondre à la fois aux dispositions et à l'esprit des lois ; mais chacun sait combien il reste à faire pour que ces jeunes esprits qui sont laissés en friche soient instruits des règles de vie commune, alertés sur le funeste glissement des menues incivilités vers les actes de délinquance, prévenus contre les pièges de l'apparente impunité qui suit les premiers forfaits et les permiers larcins.
Nous savons également qu'il reste à faire pour que les espaces périurbains toujours incultes soient investis par l'expression culturelle des cultures qui sont encore assignées à résidence.
Nous savons encore combien il faut lutter contre les effets dévastateurs de la promiscuité dans des logements exigus, combien il reste de maisons d'adolescents à créer, combien il faut répartir les missions et les moyens entre la police de proximité et la police judiciaire.
Nous savons enfin qu'il faut prendre langue avec les diplomates de certains pays à propos de leurs ressortissants mineurs.
Madame la ministre, entendez-vous agir pour que l'Etat apparaisse non pas seulement comme un père fouettard, mais également comme la puissance publique chargée d'édicter les interdits, de défendre les plus vulnérables, y compris contre d'autres faibles, d'articuler constamment les libertés avec les responsabilités qui en découlent, de dissoudre les injustices et de faire reculer les inégalités ?
Comment comptez-vous convaincre les élus locaux que les centres d'éducation renforcée et les centres de placement immédiat ne sont pas des preuves de désordre qui stigmatisent leurs communes, mais des moyens de lutte contre l'exclusion ; et que ces centres ne doivent pas être des parenthèses dans la vie d'adolescents renvoyés à l'oisiveté et aux tentations ?
Enfin, comment lutter contre la guerre des modèles lorsque les succès restent invisibles et silencieux et lorsque ceux qui ont cru aux vertus de l'effort, à la méritocratie républicaine, à l'ascenseur social, se retrouvent démunis face aux préjugés dans leur recherche d'emploi et de logement ? (Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. Madame !...
Mme Christiane Taubira-Delannon. En définitive, madame la ministre, comment éviter que la peur nous serve de lien social ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, en ce qui concerne la loi sur la présomption d'innocence et les droits des victimes, je me borne à souligner que les méthodes peuvent faire l'objet d'aménagements sans que l'on touche au fond, car je ne veux pas reprendre les propos tenus à cet égard par le Premier ministre.
S'agissant de la tentation, que vous avez bien décrite, de tout revoir, y compris l'ordonnance de 1945, on doit aux mineurs de ce pays de rappeler ce que j'ai dit ici.
Il y a eu un grand texte en 1945. Notre pays a d'ailleurs été l'un des premiers à affirmer que l'insertion des enfants déstabilisés par l'absence de leurs parents - n'oublions jamais le contexte de l'après-guerre - passait non seulement par l'éducation et la prévention, mais aussi par la sanction et la répression. Néanmoins il est désormais inutile de retoucher ce texte qui était parfaitement équilibré puisque, excepté son principe, il n'existe plus en tant que tel. En effet, il a été révisé une centaine de fois, notamment en 1985, 1987, 1989, 1993, 1995, 1996, 1998 (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), c'est-à-dire chaque fois que l'on a mis en place des outils spécifiques. La dernière fois, cela a été pour créer les centres de placement immédiat et les centres éducatifs renforcés.
Depuis nous en avons mis en place beaucoup, mais nous avons reconnu récemment, avec le Premier ministre, qu'il fallait en doubler le nombre et continuer à développer une action collective.
Je rappelle également que, après le colloque organisé récemment par Jean-Pierre Balduyck, au nom du Forum européen, et Christine Lazerges, je me suis rendue dans la circonscription de votre collègue du Nord. Cela m'a permis de constater que, lorsque l'on installe dans des quartiers très difficiles, où le chômage est très élevé, une maison de la justice et du droit, des classes-relais - que nous avons si bien encadrées -, un centre d'accueil des parents, et lorsque tous les services de l'Etat et de la collectivité se réunissent chaque semaine avec le maire pour étudier le problème des enfants en grande difficulté, le taux de délinquance de mineurs n'augmente plus.
Les mineurs de quinze ans, récupérés dans une classe-relais, alors qu'ils n'allaient plus à l'école depuis deux ou trois ans, non seulement réapprennent à écrire, à lire et à bien parler, mais réapprennent aussi certains théorèmes que nous avons sûrement oubliés. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Philippe Briand. Ça suffit !
Mme la garde des sceaux. Grâce à ces outils, ces enfants sont à nouveau une richesse parce que les collectivités territoriales, l'Etat, la protection judiciaire de la jeunesse, les travailleurs sociaux, la police, la gendarmerie et la justice ont décidé ensemble de leur faire sentir qu'ils sont bien les enfants de la République française. Là réside l'espoir et c'est ainsi qu'il faut continuer à travailler, sinon je ne sais pas ce que deviendront demain les enfants qui sont aujourd'hui en prison. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : Mme Christiane Taubira
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Jeunes
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 10 janvier 2002