licenciement collectif
Question de :
M. Alain Bocquet
Nord (20e circonscription) - Communiste
Question posée en séance, et publiée le 16 janvier 2002
DÉFINITION DU LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE
M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe communiste.
M. Alain Bocquet. Monsieur le Premier ministre, la censure de l'article 107 de la loi de modernisation sociale par le Conseil constitutionnel (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) est un abus de pouvoir politique inacceptable (« Non ! » sur les mêmes bancs. - Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur les bancs du groupe socialiste), constitue un mépris total de la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)
Plusieurs députés du groupe Démocratie libérale. Vous voulez la dictature !
M. François Goulard. Normal, c'est une bande de bolchéviques !
M. Patrick Ollier. Respectez les décisions des juges, monsieur Bocquet !
M. Alain Bocquet. Cette décision soulève une indignation légitime dans le monde du travail et plus particulièrement parmi les victimes des plans de licenciements boursiers.
M. Lionnel Luca. Ils sont victimes de votre politique !
M. Alain Bocquet. On pense à ceux de chez Lu-Danone, Marks et Spencer, Moulinex-Brandt, Valeo et beaucoup d'autres.
M. Lucien Degauchy. Ce sont les victimes d'une politique de gauche !
M. Yves Fromion. C'est tout le pays qui est victime de la politique conduite par ce gouvernement !
M. Alain Bocquet. La nouvelle définition du licenciement économique, que le groupe communiste avait réussi à introduire dans la loi, après une âpre bataille parlementaire,...
M. Charles Cova. Contre les socialistes ?
M. Alain Bocquet. ... avait le grand mérite de donner aux salariés des moyens de résistance et des droits nouveaux (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants) face au grand patronat avide de profits financiers,...
M. Jean Auclair. Et allez donc !
M. Philippe Briand. Vous, vous êtes avide d'électeurs, monsieur Bocquet !
M. Alain Bocquet. ... qui multiplie les restructurations en jetant des dizaines de milliers de femmes et d'hommes dans l'antre du chômage et de la misère. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Cette disposition donnait à la loi de modernisation sociale toute sa force. Le MEDEF et la droite l'ont combattue bec et ongles, ce qui n'est pas pour nous surprendre.
M. Bernard Deflesselles. Les socialistes aussi !
M. Alain Bocquet. Mais que le Conseil constitutionnel sorte de son rôle (« Non ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) pour voler au secours du MEDEF en osant invoquer la liberté d'entreprendre, dont on ne trouve nulle trace dans la Constitution (« Dans le préambule ! » sur les mêmes bancs), pour tenter de justifier l'injustifiable, c'est inacceptable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)
En fait, ce qui figure dans le préambule de la Constitution de 1958,...
M. Lionnel Luca. Vous ne l'avez pas votée !
M. Maurice Leroy. De 1946, pas de 1958 !
M. Alain Bocquet. ... c'est la phrase suivante : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. » (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
A la vérité, la seule liberté que vient de décider le Conseil constitutionnel, c'est la liberté totale pour le grand patronat de licencier à tout va ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)
Le Gouvernement ne peut céder à un tel diktat, au risque d'affaiblir la loi à la veille de nouveaux plans de licenciements qui s'annoncent.
Nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, de remettre en débat en urgence au Parlement la teneur de notre proposition. Il y va de l'intérêt bien compris du monde du travail et du développement de l'emploi dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Georges Tron. Ce n'est pas une question, mais une injonction !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président du groupe communiste, depuis près de cinq ans, le Gouvernement s'efforce, par son action,...
M. Lucien Degauchy. Son inaction !
M. le Premier ministre. ... de faire avancer ensemble la recherche de la croissance économique maximale et le progrès social. Il défend, dans la vie nationale comme au plan international, les intérêts de nos entreprises, mais, en même temps, il veille à la défense des droits des salariés.
C'est dans cet esprit qu'a été préparée la loi de modernisation sociale. Telle qu'elle est encore aujourd'hui, elle représente des avancées importantes : dans la lutte contre le travail précaire, qui frappe plus particulièrement les jeunes et les femmes ;...
M. Bernard Deflesselles. Hypocrite !
M. François Goulard. Dans quel article ? Il n'y a rien sur le sujet !
M. le Premier ministre. ... dans la prise en compte des acquis de l'expérience professionnelle, novation considérable qui permet à des hommes et à des femmes sortis de la production d'acquérir des diplômes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) ; dans la définition plus précise des droits en matière de licenciement économique et dans l'accroissement de ceux-ci - j'y reviendrai ; dans la lutte...
M. Yves Fromion. Et le harcèlement moral ?
M. François d'Aubert. Le harcèlement communiste, plutôt !
M. le Premier ministre. ... contre le harcèlement moral, en effet, qui s'exerce souvent dans les entreprises, notamment à l'égard des femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Je voudrais rappeler, pour qu'on prenne bien la mesure des choses, que, sur les 224 articles que comporte cette loi, 223 ont été validés par le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
J'avais cru vous entendre vous réjouir avec le CNPF, pardon, avec le MEDEF. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) C'est pourquoi je me plaisais à le souligner.
M. Yves Fromion. Diviseur !
M. le Premier ministre. En ce qui concerne les licenciements économiques, l'objectif de la loi est double.
Le premier objectif vise à s'assurer que, avant toute mise en oeuvre d'un licenciement économique, d'autres solutions ont été recherchées. C'est pourquoi une série de dispositions sont prévues et restent dans la loi, notamment celles qui obligent, par le biais du dialogue social, à rechercher si des mesures de réduction du temps de travail, dans le cadre des 35 heures, ont été décidées par l'entreprise. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Le second objectif concerne les licenciements économiques qui ne peuvent être évités. Dans ce cas, il faut alors veiller à ce que soient trouvées avec les salariés, et pour eux, des mesures de reclassement qui permettent d'éviter les pertes d'emploi dans les bassins d'emploi. Il s'agit, par exemple, du congé de reclassement de neuf mois, qui est obligatoirement proposé aux salariés dans les entreprises de plus de 1 000 salariés ; du doublement des indemnités légales de licenciement ; de la participation obligatoire des entreprises à la réactivation des bassins d'emploi - et vous savez à quel point le Gouvernement s'est engagé sur le dossier très concret de Moulinex.
M. Lucien Degauchy. Le résultat est beau !
M. le Premier ministre. Ce double objectif, je tiens à le rappeler, correspond à une profonde aspiration du monde salarial et a rencontré dans la population française à l'occasion des conflits de Mark & Spencer, de Moulinex ou de Danone un écho profond que je vous suggère, mesdames et messieurs les députés, de ne pas oublier. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Les articles concernant les licenciements sont au nombre de trente. Sur ces trente articles, vingt-neuf ont été validés par le Conseil constitutionnel.
En ce qui concerne la définition du licenciement économique, le Conseil constitutionnel a censuré - et ce débat, même circonscrit, n'est pas mineur - la proposition qui visait à mieux préciser, en la délimitant, la qualification de licenciement économique en s'inspirant d'ailleurs directement, je le rappelle, de la jurisprudence de la Cour de cassation.
M. Hervé Morin. Ce n'est pas vrai !
Plusieurs députés du groupe socialiste. Si !
M. le Premier ministre. Cette nouvelle définition répondait au souci de préserver l'équilibre entre le droit à l'emploi, consacré par le préambule de la Constitution de 1946, et le principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre.
M. Hervé Morin. C'est un faux débat !
M. le Premier ministre. Le Gouvernement, au-delà du débat public auquel chacun peut participer, notamment dans la période qui s'ouvre, ne peut que prendre acte de l'interprétation différente de cet article donnée par le Conseil constitutionnel.
Toutefois, je voudrais faire remarquer que le Conseil constitutionnel confirme, dans ses attendus, la jurisprudence de la Cour de cassation qui « censure les licenciements dictés par la seule volonté de majorer les profits de l'entreprise ».
Sans doute faudra-t-il, le moment venu, reprendre sereinement cette discussion. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Le Gouvernement est tout à fait attentif à la liberté d'entreprendre, mais il n'a jamais confondu liberté d'entreprendre et liberté de licenciement. Parmi les grands principes qui fondent notre République, figure aussi le droit au travail et le Gouvernement sera toujours, comme il l'a montré dans la lutte contre le chômage ou dans la défense des droits des salariés, aux côtés des salariés pour défendre le droit au travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste. - Exclamations sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
Ma conviction profonde, mesdames, messieurs les députés, est que, lorsqu'on défend les droits des salariés, qui sont une composante essentielle de la collectivité que représente l'entreprise, on aide au développement économique bien compris de notre pays. C'est cette philosophie qui continuera de nous inspirer, croyez-le bien, aujourd'hui et demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)
Auteur : M. Alain Bocquet
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Travail
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 janvier 2002