Corse
Question de :
M. Henri Plagnol
Val-de-Marne (1re circonscription) - Union pour la démocratie française-Alliance
Question posée en séance, et publiée le 23 janvier 2002
DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
SUR LA LOI RELATIVE À LA CORSE
M. le président. La parole est à M. Henri Plagnol, pour le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.
M. Henri Plagnol. Monsieur le Premier ministre, vous venez d'être censuré pour la troisième fois par le Conseil constitutionnel. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Après le financement des 35 heures et les dispositions sur les licenciements, voici venu le tour de la Corse. Mais, cette fois-ci, vous ne pouvez plaider ni la bonne foi ni la surprise.
M. Georges Frêche. C'est l'incendiaire qui crie au feu !
M. Henri Plagnol. Dans tous les manuels d'instruction civique destinés à nos écoliers, il est précisé en effet que la souveraineté appartient au peuple, le pouvoir législatif à notre assemblée, et qu'il ne peut pas être délégué à une région. Cela signifie donc que vous avez agi délibérément.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. C'est vrai !
M. Henri Plagnol. Vous vous êtes beaucoup vanté d'être l'homme qui dit ce qu'il fait et qui fait ce qu'il dit.
Mme Odette Grzegrzulka. Tout le monde ne peut pas en dire autant !
M. Henri Plagnol. Mais, tout au contraire, vous faites des promesses que vous savez ne pas pouvoir tenir vis-à-vis de votre propre majorité. Vous avez inventé une nouvelle et curieuse façon de légiférer, consistant à introduire systématiquement dans vos projets de loi des dispositions entachées d'inconstitutionnalité, destinées soit à calmer l'aile gauche de votre majorité - c'était le cas pour les licenciements avec le parti communiste -, soit, pire encore pour la Corse, à apaiser artificiellement les nationalistes. Or, monsieur le Premier ministre, cette méthode a des conséquences graves, car ceux auxquels vous faites des promesses finissent toujours par être désillusionnés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Les salariés victimes des plans licenciements estiment avoir été trompés.
M. Jean-Claude Lefort. Vous avez voté contre le texte ! C'est scandaleux !
M. Henri Plagnol. Les nationalistes corses se sont retirés du processus de Matignon et votre marché de dupes n'a fait qu'attiser l'incendie et la violence.
M. le président. Veuillez poser votre question, monsieur Plagnol !
M. Henri Plagnol. J'y viens, monsieur le président.
M. le président. Rapidement.
M. Henri Plagnol. Ainsi s'expliquent sans doute les attaques inadmissibles et d'une violence sans précédent contre les décisions du Conseil constitutionnel. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : pouvez-vous vous engager à être, à l'avenir, plus respectueux du droit et, dans l'immédiat, à faire cesser les attaques contre le Conseil constitutionnel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), dont les décisions s'imposent à tous, puisqu'il est le garde-fou essentiel du pacte républicain et des principes fondamentaux de notre démocratie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, votre question sur les censures du Conseil constitutionnel qui, selon vous, nous affecteraient, appelle plusieurs observations. Tout d'abord, je ne sais si nous sommes mauvais juristes ou si nous voudrions faire exprès d'être censurés par le Conseil constitutionnel (« Oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) - ce qui serait paradoxal - mais ce dont je suis sûr, c'est que...
M. Jacques Myard. Vous êtes mauvais !
M. le Premier ministre. ... le Gouvernement que je dirige et la majorité qui vote les lois ont été censurés par le Conseil constitutionnel...
M. Thierry Mariani. A juste titre !
M. le Premier ministre. ... vingt-trois fois en quatre ans et demi,...
M. François d'Aubert. C'est beaucoup !
M. le Premier ministre. ... contre vingt-sept fois en quatre ans pour les gouvernements précédents, dirigés d'abord par M. Balladur puis par M. Juppé ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Thierry Mariani. Il vous reste encore deux mois !
M. le Premier ministre. Nous avons peut-être été des juristes insuffisants, mais vous ne vous êtes pas montrés très performants non plus ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
La deuxième observation que m'inspire votre question, et qui touche à un problème important, porte sur le sens même que vous donnez, dans l'opposition, aux décisions du Conseil constitutionnel. Vous avez dit vous indigner des attaques qui seraient portées contre lui,...
M. Pierre Lellouche. Non : qui sont portées !
M. le Premier ministre. ... ou plus exactement contre ses décisions. Constatez d'abord que le Premier ministre que je suis et mes ministres se sont interdit tout commentaire sur ces décisions. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. Ce n'est pas vrai !
M. le Premier ministre. Mais il y aurait certainement moins de risques de voir les décisions du Conseil constitutionnel critiquées sur le plan politique si vous ne vous réjouissiez pas vous-mêmes bruyamment de décisions qui devraient être fondées sur le droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Alors, monsieur le député, et cette question pourrait être bien utilement débattue dans l'avenir, les décisions du Conseil constitutionnel sont-elles prises au regard de la constitutionnalité des lois,...
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Oui !
M. le Premier ministre. ... ou constituent-elles des sanctions politiques du Conseil sur les lois du Parlement ? Je ne crois pas que vous ayez intérêt à insister en ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Pierre Lellouche. Tartuffe !
M. le Premier ministre. Troisième observation que me suggère votre interpellation : j'ai du mal à saisir la cohérence de vos positions sur la Corse.
M. Pierre Lellouche. Nous avons aussi du mal à saisir la vôtre !
M. le Premier ministre. D'abord, je rappelle que le président de l'Assemblée de Corse, qui appartient à l'opposition, que le président du Conseil exécutif de Corse, qui appartient à l'opposition, ont approuvé, parce qu'ils la jugeaient intelligente, notre proposition.
M. Arnaud Lepercq. Et les Corses ?
M. Pierre Lellouche. Et Chevènement ?
M. le Premier ministre. Je rappelle aussi qu'en première lecture cinquante députés de l'opposition ont voté en faveur de ce texte, et ils auraient certainement continué à le faire si la perspective des élections ne vous avait conduits à faire pression sur eux pour qu'ils ne maintiennent pas cette position. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Georges Tron. Et Chevènement ?
M. le Premier ministre. J'ai entendu le président du Sénat, M. Poncelet, dire qu'il recommandait d'aller, dans la République, vers l'autonomie. Quelle et la cohérence de cette position, alors que nous proposions, pour la Corse, moins que l'autonomie ?
M. Pierre Lellouche. C'était une capitulation ! Ça n'a rien à voir !
M. le Premier ministre. J'ai entendu M. Fillon, membre du RPR, déclarer que ce n'était pas tant à cette disposition qu'il était opposé qu'au fait que nous ne la proposions pas pour toutes les régions de France !
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Exactement !
M. le Premier ministre. Cela signifie que ce qui serait bon pour toutes les régions de France, y compris celles qui ne le demandent pas, serait mauvais pour une région qui le demande. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Enfin, M. Méhaignerie a présenté une proposition de loi, que la majorité d'ailleurs a votée, visant à autoriser l'expérimentation constitutionnelle. Monsieur Méhaignerie, si vous soumettiez aujourd'hui cette loi au Conseil constitutionnel, vous seriez à l'évidence censuré !
M. Henri Plagnol. Mais non !
M. Maurice Leroy. Cet argument est ridicule !
M. le Premier ministre. Il n'empêche que votre démarche est positive. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Ce projet sur la Corse, débattu dans la transparence, appuyé par l'essentiel des élus de la Corse,...
M. Pierre Lellouche. Mais pas par le peuple !
M. Arnaud Lepercq. Pas pour les Corses !
M. le Premier ministre. ... qui a reçu, et je l'en remercie encore, l'appui d'une partie de l'opposition en première lecture, vise à assurer le développement de la Corse et la prise en compte de son identité culturelle par des efforts en faveur de la langue corse. Il tente de répondre à un problème politique posé depuis vingt-cinq ans, par le débat et grâce à une démarche évolutive au sein de la République. Vous devriez donc nous aider à résoudre ce problème, au lieu de continuer à développer des arguties sans poids ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Arnaud Lepercq. La Corse dans la République !
Un député du groupe socialiste. Merci, monsieur Plagnol, pour cette question !
Auteur : M. Henri Plagnol
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Collectivités territoriales
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 23 janvier 2002