Question au Gouvernement n° 339 :
durée du travail

11e Législature

Question de : M. Pierre Lellouche
Paris (4e circonscription) - Rassemblement pour la République

Question posée en séance, et publiée le 28 janvier 1998

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. Monsieur le Premier ministre, cet après-midi, vous allez nous appeler à débattre, ainsi d'ailleurs que tout le pays, une loi à ce point novatrice que, pour ma part, je la trouve surréaliste (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), et qui consiste à annoncer trois bonnes nouvelles (Mêmes mouvements)...
Un peu de respect pour les malheureux opposants que nous sommes ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. Un peu de silence !
M. Pierre Lellouche. Première bonne nouvelle: vous allez travailler moins - 35 heures.
M. Jean-Yves Le Drian. A Sarcelles, le pigeon voyageur !
M. Pierre Lellouche. Deuxième bonne nouvelle: vous allez être payés autant que si vous travailliez 39 heures.
Troisième bonne nouvelle: tout cela va créer des emplois.
Personne au monde n'avait osé présenter un projet de ce genre. Ni à l'Est: du temps de la guerre froide, je n'ai jamais entendu un dirigeant socialiste parler de faire baisser le travail. Au contraire, l'époque était au stakhanovisme. Vous êtes des stakhanovistes à l'envers ! Ni à l'Ouest: toutes les démocraties occidentales qui ont créé des emplois - et l'expérience le prouve - sont celles qui ont allongé la durée du travail. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Nous, avec d'autres, nous l'avons réduite depuis vingt ans, et nous détenons les records absolus en matière de chômage. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
M. Jean-Pierre Brard. Lellouche au boulot !
M. le président. Un peu de silence, mes chers collègues !
M. Pierre Lellouche. Ils sont virulents, méchants et hargneux, parce qu'ils n'ont pas de réponse à offrir ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Toutefois, comme notre peuple, qui a tout de même conservé un vieux fond de bon sens, n'est pas convaincu par vos arguments, et ce malgré les pronostics optimistes de certains de vos ministres - l'un parle de 400 000 emplois créés; l'autre de 1 million -, vous organisez une mauvaise affaire médiatique en commandant trois études «bidon» à trois endroits différents...
M. Didier Boulaud. C'était quoi la fracture sociale ?
M. Pierre Lellouche. ... et vous tenter d'usurper leur crédibilité pour montrer que vous allez créer des emplois.
Si bien que, dans un communiqué paru le 22 janvier, M. Trichet, gouverneur de la Banque de France (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), ...
M. le président. Un peu de silence, mes chers collègues !
M. Pierre Lellouche. Ecoutez donc, messieurs les manipulateurs de l'opinion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Si bien que M. Trichet, disais-je, a dû déclarer que «les conclusions d'une étude menée sous la seule responsabilité du ministère de l'emploi et de la solidarité n'engagent en aucune manière la Banque de France».
Quant à M. Jean-Paul Fitoussi, économiste honnête, que Mme Aubry a cité tout à l'heure, il déclarait hier dans une interview publiée dans un journal paraissant l'après-midi:
«Oui et, c'est incontestable, les conclusions des études sur le sujet peuvent servir à manipuler l'opinion. Les chercheurs n'y peuvent rien. Il se trouvera toujours un parti ou un groupe de pression pour utiliser les conclusions de leurs travaux dans le sens qui lui est le plus favorable.»
Et cet économiste de renom ajoutait:
«C'est vrai que j'ai toujours été réservé sur le partage du travail comme solution au problème de l'emploi, car elle me semble être une solution de résignation. Elle est fondée sur l'hypothèse que l'économie ne peut plus atteindre le plein emploi.»
J'en arrive à ma question, et je passe sur la manipulation détestable qui consiste à mentir aux Français. Elle est très simple, monsieur le Premier ministre: puisque l'un de vos ministres parle de 400 000 emplois créés et un autre de 1 million d'emplois créés, puisque les études que vous avez commandées font état de 700 000 emplois créés en moyenne, êtes-vous prêt à inscrire ce chiffre dans votre loi afin de conditionner son entrée en vigueur à la création effective de 700 000 emplois ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Pierre Lellouche. C'est M. Jospin qui doit me répondre !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'aurai l'occasion de répéter tout à l'heure que, contrairement à ce que vient de prétendre M. Lellouche, la France n'est pas une exception.
M. Pierre Lellouche. Nous sommes les seuls avec les Italiens ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Selon les statistiques Eurostat qui viennent de paraître il y a quelques jours - et Eurostat, ce n'est pas le ministère du travail français -, la France se situe aujourd'hui exactement dans la moyenne européenne.
M. Pierre Lellouche. Arrêtez la manipulation !
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Travaillent plus que nous les Anglais, les Espagnols, les Portugais. Travaillent moins que nous les Belges, les Hollandais, les Allemands et maintenant les Italiens. Voilà la réalité, monsieur Lellouche. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Aux Pays-Bas, en Allemagne, en Italie et même en Autriche, on s'engage actuellement - ne vous en déplaise - dans un mouvement de réduction de la durée du travail.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. C'est faux !
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Ensuite, monsieur Lellouche, ce débat est trop important pour les Français pour qu'on ait le droit d'utiliser certains propos sans les citer complètement.
Je connais depuis des années la personne que vous avez citée. Elle dit, et elle a raison: la croissance est le facteur numéro 1. Eh bien, nous, nous avons relancé la croissance. Pas vous ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs groupes du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Cette personne dit aussi dans l'article que vous avez cité que «la loi sur les 35 heures, en ouvrant de nouveaux espaces de négociation, contribuera sans conteste à renforcer l'acteur salarié. Et elle crée des emplois dans la plupart des hypothèses». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Pierre Lellouche. Cessez de parler à la place des autres !
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Alors, monsieur Lellouche, lisez l'intégralité des propos si vous voulez être honnête ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Lefort. Lellouche, manipulateur !
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. J'ajoute que, selon une étude récente de l'Institut national du travail - je vous rassure, elle n'a pas été commandée pour le ministre du travail français -, étude qui n'est contestée ni par le patronat ni par les syndicats, le passage de 40 heures à 38,5 heures en Allemagne a créé 800 000 emplois. Voilà aussi la réalité ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Pierre Lellouche. N'importe quoi !
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous engageons un débat difficile, monsieur le député. Je souhaite pour ma part, car la démocratie y gagnera, que ce débat ait la qualité de celui que j'ai eu hier soir avec M. Balladur: nous avons réussi à voir où étaient nos oppositions mais aussi nos accords, et surtout nous avons évité d'utiliser des arguments comme les vôtres, lesquels sont partiels et partiaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Pierre Lellouche

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Travail

Ministère interrogé : emploi et solidarité

Ministère répondant : emploi et solidarité

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 janvier 1998

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