Corse
Question de :
M. Alain Bocquet
Nord (20e circonscription) - Communiste
Question posée en séance, et publiée le 11 février 1998
M. le président. Pour le groupe communiste, la parole est à M. Alain Bocquet.
M. Alain Bocquet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, c'est l'horreur, l'émotion, l'indignation, la colère que nous avons tous ressenties devant cet odieux et lâche assassinat de M. Claude Erignac.
Je veux renouveler ici, au nom des députés communistes et partenaires, toute notre sympathie à Mme Erignac, à toute sa famille, à tous ses amis, à tout le corps préfectoral et à toute la population corse qui condamne sans appel cet acte barbare inacceptable.
A cette agression criminelle, qui succède à tant d'autres, qu'on ne peut oublier, contre la démocratie, la liberté et le sens de l'humanité, il faut répondre par la fermeté et l'application de la légalité républicaine. Tout doit être mis en oeuvre pour retrouver, cette fois, les coupables et pour qu'ils soient châtiés. Trop, c'est trop !
La République française est une et indivisible. Il ne peut y avoir qu'un seul Etat de droit. La crise que traverse la Corse, marquée notamment par un chômage record et une violence terroriste de caractère mafieux, appelle l'expression rapide et concrète de la solidarité nationale, une réelle transparence et le contrôle des fonds publics par une commission d'enquête de l'Assemblée nationale - que nous demandons avec insistance depuis des années -, mais aussi des investissements, notamment des entreprises publiques permettant une croissance créatrice d'emplois, et des moyens pour l'éducation et l'expression de l'originalité culturelle. Force est de constater que la zone franche n'a rien amené de bon, sinon le triomphe du non-droit.
Cette crise réclame tout autant, en réponse au terrorisme, la garantie et l'approfondissement de la vie démocratique fondée sur la responsabilité citoyenne des Corses et de leurs élus.
Toute la lumière doit être faite. Il faut, en effet, un sursaut. Le peuple de France, dont le peuple corse est partie intégrante et duquel nous sommes solidaires, l'exige avec impatience. Nous attendons des plus hautes autorités de l'Etat, du Gouvernement, de la police et de la justice, que des réponses concrètes et urgentes soient apportées, notamment l'autodissolution des bandes armées et le dépôt des armes à l'autorité de la République. C'est à ce prix que l'espoir d'une démocratie citoyenne renaîtra et qu'elle pourra s'exprimer pleinement dans la sécurité de tous sur l'ensemble de notre territoire national. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président de l'Assemblée nationale, mesdames et messieurs les députés, l'assassinat du préfet Claude Erignac est un acte d'une extrême gravité. Il bouleverse les consciences car, par ce meurtre, ce n'est pas seulement l'Etat qui est atteint, mais ce sont tous les citoyens de la République.
Chacun, depuis deux jours, dans notre pays, a exprimé son indignation et sa révolte.
Avec le ministre de l'intérieur, je me suis rendu dans l'île dès samedi matin pour m'incliner devant la dépouille du préfet Erignac, saluer sa femme et ses enfants, donner immédiatement l'impulsion aux enquêtes, affirmer la détermination absolue de l'Etat.
Hier, le Président de la République, accompagné de membres de mon gouvernement et de moi-même, avec, à son côté, le président de l'Assemblée nationale, a rendu, au nom de la France tout entière, l'hommage qui était dû à Claude Erignac.
Aujourd'hui, dans cette assemblée, le témoignage de l'ensemble des représentants des groupes qui se sont exprimés a, de nouveau, dit avec force ce que nous ressentons tous.
Je souhaite adresser une pensée toute particulière à tous les agents de l'Etat qui exercent leur mission en Corse. J'ai pu mesurer dès samedi, et encore hier, leur peine et parfois leur désarroi. Qu'ils soient assurés de mon soutien et de celui de tout le Gouvernement.
Nous devons penser aussi à tous ceux qui, dans l'île, depuis des années, ont été victimes de la violence qui s'est développée dans les deux départements, à la souffrance de leurs familles et de leurs proches.
Nous ne pouvons accepter cette violence ! Elle doit cesser !
La sécurité est un droit, pour ceux qui vivent en Corse comme pour tous les autres citoyens de notre pays.
Les coupables de cet assassinat sont recherchés. Ils seront arrêtés, démasqués et traduits davant leurs juges. Dans ce but, une série d'interpellations a déjà été opérée et les investigations vont continuer de façon systématique. Le ministre de l'intérieur y veillera avec la volonté qu'on lui connaît.
Le Gouvernement est déterminé à engager tous les moyens nécessaires pour assurer le respect de la loi en Corse, comme partout sur le territoire national. Il appuiera bien sûr les initiatives que pourraient prendre les parlementaires dans ce sens.
L'intention du Gouvernement n'est pas de poser, pour la énième fois, la «question corse». Sa volonté est d'établir l'Etat de droit, d'en faire respecter les règles partout, pour tous et jusqu'au bout. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Tous les services de l'Etat - justice, police, gendarmerie, services fiscaux ou agricoles, d'urbanisme ou d'équipement, et les autres services publics - travailleront en ce sens. Ils accompliront, avec une concertation renforcée, leur mission d'une manière méthodique, systématique et déterminée. Cela suppose sans doute des mesures immédiates, et les premières ont été prises. Mais cette action, mesdames et messieurs les députés, soyons-en convaincus, doit surtout être conduite dans la durée jusqu'au respect complet de la loi républicaine. Car c'est là que réside la solution.
Dans l'immédiat et pour diriger sur place l'action résolue de l'Etat, le successeur du préfet Claude Erignac sera nommé demain en conseil des ministres. Il sera en Corse avant la fin de la semaine.
Je voudrais maintenant m'adresser à ceux de nos concitoyens qui vivent en Corse. Quels que soient la volonté et les efforts engagés par l'Etat, rien ne sera possible sans eux. L'Etat va prendre ses responsabilités, et il les prendra, je l'ai dit, dans la durée. Je sais que cela suscitera des résistances et des réactions - nous devons tous y être prêts.
J'attends donc en premier lieu des élus de la Corse, notamment de ceux qui seront élus à l'issue des prochaines élections cantonales et régionales, qu'ils soutiennent cette démarche de la façon la plus claire. Je sais que j'aurai l'appui de l'ensemble des parlementaires des deux assemblées.
La loi républicaine n'est pas une contrainte venue d'ailleurs, qu'une force publique extérieure viendrait imposer: elle est l'expression de la volonté générale à laquelle doivent contribuer tous ceux qui vivent en Corse. C'est la loi commune à tous les citoyens de la République et elle doit être appliquée partout. Sans respect de la loi par l'ensemble de la population, il n'y a pas de développement économique possible. Il n'est pas dans l'histoire de progrès économique et social qui s'accomplisse dans l'incertitude et la violence. Or nous voulons le développement de la Corse.
C'est la Corse tout entière qui doit opposer la paix publique aux violences et aux crimes. Ce sont les élus de Corse et la population de Corse qui doivent s'associer aux actions menées par l'Etat pour faire respecter la loi républicaine.
La Corse est à juste titre fière de sa langue, de sa culture, de son histoire, de son identité. Mais nous savons que c'est dans la paix civile, dans le respect du droit, dans le dialogue démocratique qu'elle peut les épanouir, et qu'elle le fera, dans la République. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Auteur : M. Alain Bocquet
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Collectivités territoriales
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 11 février 1998