Question au Gouvernement n° 386 :
Corse

11e Législature

Question de : M. François Léotard
Var (5e circonscription) - Union pour la démocratie française

Question posée en séance, et publiée le 11 février 1998

M. le président. Pour le groupe UDF, la parole est à M. François Léotard.
M. François Léotard. Monsieur le Premier ministre, plus qu'à vous-même, ma question s'adressera aujourd'hui à chacun d'entre nous et, au-delà, à chacun de nos concitoyens. Il n'y a dans mon propos aucune mise en cause, qui n'aurait aujourd'hui pour effet que d'accroître encore le doute et la souffrance de nos compatriotes insulaires, aucune mise en cause en dehors de celle d'une certaine indifférence qui touche peu à peu quelques-uns - j'espère peu nombreux - de nos compatriotes continentaux, compatriotes lassés par le désordre, lassés par l'utilisation de mots d'ordre politiques pour camoufler des délits de droit commun, lassés par des démonstrations de force qui sont, chaque fois, des insultes aux gendarmes et aux policiers.
Monsieur le Premier ministre, les mots eux-mêmes s'épuisent et l'on peut craindre qu'ils ne laissent la place à un profond sentiment de doute et de scepticisme sur ce que l'on va finir par appeler «la question corse», comme si ce n'était pas d'abord et avant tout une question nationale, comme si ce n'était pas d'abord et avant tout d'un sursaut de la conscience nationale que viendra, comme souvent dans notre peuple, le réveil des énergies et la mobilisation du courage.
Réprobation, indignation, condamnation, il faut aller au-delà de tous ces mots dont on sait que, lorsqu'ils se répètent, ils s'usent, pour exprimer aujourd'hui un sentiment nouveau: celui de l'unanime, de la nécessaire intransigeance, et j'ajouterai de la nécessaire unité. Unité du jugement et de l'action, unité qui, du Président de la République au plus modeste des citoyens, permettra à la République d'être chez elle en Corse, comme elle est chez elle sur l'ensemble du territoire national.
Jean Paulhan disait au coeur des années noires: «La France est partout où l'on ne se résigne pas.» Monsieur le Premier ministre, chacun des parlementaires ici représente la France, et aucun ne se résigne. Mais il faut aller au-delà: au-delà de l'Etat pour parler de la nation, au-delà de l'homme juste et droit qui a été assassiné pour évoquer ceux qui l'ont précédé dans la mort, au-delà des divisions politiques qui marquent naturellement notre débat politique national.
Au-delà de l'Etat, c'est la nation qui est en cause, la nation blessée, si l'on veut bien considérer que ce n'est pas seulement l'unité territoriale - au demeurant contestée par peu de gens - mais surtout l'unité morale de notre pays qui est ébranlée lorsque l'on assassine dans le dos celui qui représente la communauté tout entière.
Au-delà du préfet lui-même, homme juste et droit, homme de courage et de dignité, haut fonctionnaire qui a honoré de sa force d'âme la mission qui lui était confiée, au-delà de lui-même, premier par sa charge, premier par son comportement, premier par sa dignité, il y a eu tous ceux qui, sous la même autorité du même Etat, ont été assassinés avec la même lâcheté: 1975, deux gendarmes mobiles, un CRS; 1980, un CRS; 1983, un légionnaire; 1984, un sous-préfet et un CRS; 1987, deux CRS; 1990, trois élus, un vice-président du conseil général, un président de la chambre régionale d'agriculture, un maire; 1994, un autre maire; aujourd'hui, un préfet.
Au-delà des divisions politiques qui marquent naturellement notre débat national, il doit y avoir ici, cet après-midi, une unité profonde des représentants de la nation, non pas simplement l'unité du deuil et de la tristesse, mais l'unité qui vient du fait que nous représentons ici, chacune et chacun, la nation tout entière, l'unité qui nous pousse à souhaiter, quelles que soient les alternances, une véritable continuité de la politique qui doit désormais être poursuivie sans relâche par l'Etat: politique de clarté, de fermeté, de rigueur, politique aussi d'ouverture sur les préoccupations légitimes de nature culturelle de nos compatriotes insulaires.
Je souhaite enfin que la représentation nationale, le Gouvernement, l'ensemble des acteurs de la vie politique de notre pays sachent trouver les mots justes et les attitudes justes qui pourront toucher le coeur de nos compatriotes insulaires qui savent, pour avoir été les premiers à la libérer, ce que signifie le mot France, quel est le contenu de ce mot, quelles sont les perspectives qu'il trace et à quel espoir il nous appelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président de l'Assemblée nationale, mesdames et messieurs les députés, l'assassinat du préfet Claude Erignac est un acte d'une extrême gravité. Il bouleverse les consciences car, par ce meurtre, ce n'est pas seulement l'Etat qui est atteint, mais ce sont tous les citoyens de la République.
Chacun, depuis deux jours, dans notre pays, a exprimé son indignation et sa révolte.
Avec le ministre de l'intérieur, je me suis rendu dans l'île dès samedi matin pour m'incliner devant la dépouille du préfet Erignac, saluer sa femme et ses enfants, donner immédiatement l'impulsion aux enquêtes, affirmer la détermination absolue de l'Etat.
Hier, le Président de la République, accompagné de membres de mon gouvernement et de moi-même, avec, à son côté, le président de l'Assemblée nationale, a rendu, au nom de la France tout entière, l'hommage qui était dû à Claude Erignac.
Aujourd'hui, dans cette assemblée, le témoignage de l'ensemble des représentants des groupes qui se sont exprimés a, de nouveau, dit avec force ce que nous ressentons tous.
Je souhaite adresser une pensée toute particulière à tous les agents de l'Etat qui exercent leur mission en Corse. J'ai pu mesurer dès samedi, et encore hier, leur peine et parfois leur désarroi. Qu'ils soient assurés de mon soutien et de celui de tout le Gouvernement.
Nous devons penser aussi à tous ceux qui, dans l'île, depuis des années, ont été victimes de la violence qui s'est développée dans les deux départements, à la souffrance de leurs familles et de leurs proches.
Nous ne pouvons accepter cette violence ! Elle doit cesser !
La sécurité est un droit, pour ceux qui vivent en Corse comme pour tous les autres citoyens de notre pays.
Les coupables de cet assassinat sont recherchés. Ils seront arrêtés, démasqués et traduits davant leurs juges. Dans ce but, une série d'interpellations a déjà été opérée et les investigations vont continuer de façon systématique. Le ministre de l'intérieur y veillera avec la volonté qu'on lui connaît.
Le Gouvernement est déterminé à engager tous les moyens nécessaires pour assurer le respect de la loi en Corse, comme partout sur le territoire national. Il appuiera bien sûr les initiatives que pourraient prendre les parlementaires dans ce sens.
L'intention du Gouvernement n'est pas de poser, pour la énième fois, la «question corse». Sa volonté est d'établir l'Etat de droit, d'en faire respecter les règles partout, pour tous et jusqu'au bout. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Tous les services de l'Etat - justice, police, gendarmerie, services fiscaux ou agricoles, d'urbanisme ou d'équipement, et les autres services publics - travailleront en ce sens. Ils accompliront, avec une concertation renforcée, leur mission d'une manière méthodique, systématique et déterminée. Cela suppose sans doute des mesures immédiates, et les premières ont été prises. Mais cette action, mesdames et messieurs les députés, soyons-en convaincus, doit surtout être conduite dans la durée jusqu'au respect complet de la loi républicaine. Car c'est là que réside la solution.
Dans l'immédiat et pour diriger sur place l'action résolue de l'Etat, le successeur du préfet Claude Erignac sera nommé demain en conseil des ministres. Il sera en Corse avant la fin de la semaine.
Je voudrais maintenant m'adresser à ceux de nos concitoyens qui vivent en Corse. Quels que soient la volonté et les efforts engagés par l'Etat, rien ne sera possible sans eux. L'Etat va prendre ses responsabilités, et il les prendra, je l'ai dit, dans la durée. Je sais que cela suscitera des résistances et des réactions - nous devons tous y être prêts.
J'attends donc en premier lieu des élus de la Corse, notamment de ceux qui seront élus à l'issue des prochaines élections cantonales et régionales, qu'ils soutiennent cette démarche de la façon la plus claire. Je sais que j'aurai l'appui de l'ensemble des parlementaires des deux assemblées.
La loi républicaine n'est pas une contrainte venue d'ailleurs, qu'une force publique extérieure viendrait imposer: elle est l'expression de la volonté générale à laquelle doivent contribuer tous ceux qui vivent en Corse. C'est la loi commune à tous les citoyens de la République et elle doit être appliquée partout. Sans respect de la loi par l'ensemble de la population, il n'y a pas de développement économique possible. Il n'est pas dans l'histoire de progrès économique et social qui s'accomplisse dans l'incertitude et la violence. Or nous voulons le développement de la Corse.
C'est la Corse tout entière qui doit opposer la paix publique aux violences et aux crimes. Ce sont les élus de Corse et la population de Corse qui doivent s'associer aux actions menées par l'Etat pour faire respecter la loi républicaine.
La Corse est à juste titre fière de sa langue, de sa culture, de son histoire, de son identité. Mais nous savons que c'est dans la paix civile, dans le respect du droit, dans le dialogue démocratique qu'elle peut les épanouir, et qu'elle le fera, dans la République. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Données clés

Auteur : M. François Léotard

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Collectivités territoriales

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 11 février 1998

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